Les femmes dans le système politique algérien : entre inclusion sélective et exclusion ciblée


Insaniyat N° 74|2016| Femmes dans les pays arabes: changements sociaux et politiques | p. 75-86| Texte intégral


Women in the Algerian political system: between selective inclusion and targeted exclusion

In the past few years, Algeria implemented a set of measures promoting women’s emergence in politics (amendments of Family Code and Nationality acquisition form, positive discrimination policy, condemning violence against women). These measures increased the presence of this segment of society. Did the new procedures of integration, for as much, enhance women’s influence in policy making? To provide a response to this query, the present article will state the issue of the perpetual marginalization of women and their project of integration in the political exchange between policy makers and women. It will, in an attempt, determine the consequences on each of the protagonists.

Keywords: Women - political exchange - integration - marginalization - quota - Algeria.


Louisa DRIS-AÏT HAMADOUCHE, Université Alger 3, Faculté des sciences politiques et des relations internationales, 16 000, Alger, Algérie.


Comme d’autres systèmes politiques hybrides, le système politique algérien allie logique autoritaire et instruments démocratiques. Il fait usage de mécanismes liant répression et cooptation, constituant ainsi une sorte de gouvernance, elle aussi hybride. Cette ambivalence calculée se traduit par des politiques d’inclusion-exclusion toujours choisie et souvent négociée. S’intégrant dans une stratégie de résilience politique, ces politiques d’inclusion-exclusion permettent aux gouvernants de maintenir une ouverture politique contrôlée, un pluralisme se limitant au multipartisme et une compétition limitée. Une résilience rendue possible par l’absorption, l’affaiblissement et la minorisation des poches de contestation sociopolitique.

Dans cette configuration, les femmes algériennes se trouvent parmi les acteurs sociopolitiques soumis à cette politique d’inclusion-exclusion. En effet, elles obtiennent de plus en plus de droits en politique (inclusion), mais restent absentes des postes de décision (exclusion). Elles sont de plus en plus éduquées, formées et instruites (inclusion) sans que le chômage et l’entreprenariat n’en soient impactés positivement (exclusion). Elles obtiennent des amendements des lois régissant la famille (inclusion), mais les inégalités persistent (exclusion). 

Pour comprendre la persistance de ces paradoxes, nous nous placerons dans l’approche de l’échange politique. Un échange qui met en ordre les relations de deux acteurs ayant respectivement des besoins et des objectifs nécessitant des ressources déterminées que d’autres possèdent. Comme d’autres acteurs de la scène partisane, économique et culturelle en Algérie, les femmes sont partie prenante d’un échange politique avec les gouvernants. Depuis des décennies, elles militent pour leurs droits individuels et collectifs. Le droit à l’éducation acquis, elles cherchent à faire de l’espace public un cadre dans lequel leurs droits sont respectés en tant que citoyennes à part entière de la république, ce qui n’est pas toujours en adéquation avec les politiques dites de discrimination positive, relevant de la promotion des droits des minorités. Le principe de la discrimination positive consiste à créer une égalité des chances quand celles-ci sont foncièrement inégales et, surtout, ne pas confondre égalité et équité. Il s’agit, par conséquent, de « traiter différemment ceux qui sont différents… donner plus à ceux qui ont moins »[1].

Cet échange implique-t-il les différentes formes d’inclusion enregistrées ces dernières années à l’égard des femmes? Les limites de cet échange se traduisent-elles dans les espaces desquels les femmes restent exclues ? Quand et pourquoi sont-elles incluses ? Quels éléments déterminent-ils leur exclusion ?

Si ces deux protagonistes (gouvernants-femmes) sont au cœur d’un échange politique, cela implique que chacun tente de renforcer sa propre position en puisant dans les ressources de l’autre. Notre hypothèse de travail est que l’autorité politique puise dans les revendications féminines pour trouver des partenaires afin de combler une partie de son déficit de légitimité et consolider sa capacité de résilience. Ainsi, l’ensemble des décisions et des mesures légales prises par les gouvernants seront analysées à travers leur contextualisation historique et leur mise en perspective en tenant compte des revendications des uns et de la résilience des autres.

Les décisions politiques de luttes contre l’exclusion des femmes

L’échange politique est la relation complémentaire qu’entretiennent deux acteurs politiques ayant chacun des besoins et des objectifs qu’ils ne peuvent réaliser sans entrer dans une relation d’échange avec l’autre. Cette équation révèle une sorte d’interdépendance des protagonistes sans pour autant qu’il y’ait un équilibre des forces. Qu’échangent-ils ? Les ressources symboliques et matérielles sont au centre de cet échange. Chaque acteur possède les ressources dont l’autre a besoin pour réaliser ses objectifs[2]. En politique, le cas typique de l’échange politique se fait entre un parti politique (source d’autorité et de pouvoir) et un syndicat (fournisseur de la base électorale). Les termes de l’échange politique sont simples : des votes contre une politique favorable aux travailleurs. Quels sont alors les termes de l’échange politique entre les gouvernants et les femmes en Algérie ? [3]

Depuis une petite quinzaine d’années, les pouvoirs publics ont consenti un certain nombre de gestes en faveur de la valorisation du statut et du rôle des femmes algériennes. En 2005, le code de la nationalité et le code de la famille sont amendés[4]. Les réformes concernent essentiellement le mariage, le divorce et ses effets sur la famille. Les droits de la femme et de la mère sont renforcés, par rapport à ceux de l’époux et du père. Votés par une majorité présidentielle unie et une opposition divisée, ces amendements qui, tout en étant salués pour les améliorations qu’ils apportent, ont été considérés en deçà des attentes liées aux principes de la sécurité juridique et à l’évolution sociale et normative du contexte actuel[5]. En 2015, de nouvelles lois renforcent les droits des femmes grâce, notamment, à la criminalisation des violences perpétrées contre les femmes par leur propre conjoint[6].

Entre les deux étapes, en 2008, les gouvernants décident une révision constitutionnelle dans laquelle est, entre autre, introduit l’article 31 bis affirmant les droits politiques des femmes[7]. Cet article stipule que « l’État œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues».

Incontestablement, l’adoption de la politique de discrimination positive par la loi fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues, plus communément appelée quotas[8], a fait faire à la représentation politique des femmes un bon considérable. En termes quantitatifs, les femmes sont désormais visibles dans toutes les instances élues et les rapports des organisations internationales ont, maintes fois, souligné et salué cette avancée. Quelques chiffres illustrent parfaitement cette avancée quantitative : 10 femmes étaient présentes dans le parlement en 1962, soit 5.2% des députés, contre 2 en 1964 (1.4%), 10 en 1977 (3.4%), 4 seulement en 1982 (1.4%), 7 en 1986 (2.3%),[9] 12 au Conseil National de Transition (CNT), 13 femmes en 1997 (3.2%), 27 en 2002 (6.2%), 147 en 2012 (31.6%) et, enfin, 112 en 2017 (24%).

À mesure gouvernementale, impact au niveau des partis du gouvernement. Partant des élections législatives, ce sont les deux partis du pouvoir qui enregistrent les meilleurs résultats en termes de présence féminine au parlement. Le Front de Libération Nationale (FLN) a réussi à faire élire 50 femmes sur 160 sièges acquis (soit 31.25%), tandis que le Rassemblement National Démocratique (RND) atteint la même performance avec 32 femmes députées sur 100 élus. Exception faite du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) dont la moitié des députés sont des femmes, tous les autres partis sont loin derrière le FLN et le RND. Aux élections locales, le RND a nommé 5 femmes têtes de liste, tandis que le FLN se vantait d’avoir 40 femmes, membres du comité central du parti, candidates aux élections locales, respectant ainsi le quota légal réservé aux femmes[10].

Pour que la politique des quotas ait un sens, la loi organique relative aux partis politiques du 12 janvier 2012 prévoit une démarche en amont à savoir, la féminisation des partis politiques. Ainsi les femmes sont-elles directement impliquées dans les conditions de constitution d’un parti politique qui pourraient être résumées à trois exigences : la représentativité[11], la moralité[12] et la maturité[13]. Les femmes sont concernées par la première condition, dans la mesure où il est exigé que les membres fondateurs comprennent « une proportion représentative de femmes ». Un progrès est enregistré puisque la loi précédente (du 06 mars 1997) ne faisait aucunement référence à cette condition. À titre d’incitation, la loi prévoit également une aide financière spécifique aux partis politiques, en fonction du nombre de candidates élues aux assemblées populaires communales, de wilayas et au parlement.

Quel impact ces mesures ont-elles sur le fonctionnement des partis politiques ? Pour répondre à cette question, faisons une halte sur la perception qu’ont les partis politiques de la femme à travers leur programme et leur charte constitutive et relevons la représentativité des femmes dans leurs instances dirigeantes. Pour le FLN (premier parti en matière de représentativité politique au niveau des assemblées élues), la famille est conçue comme le pilier de la société et doit avoir pour référence les valeurs islamiques[14], déclinées dans le code de la famille adopté en 1984 et révisé en 2005. Cette conception traditionnaliste explique, en partie, pourquoi ce parti a soutenu la loi visant la promotion politique de la femme à travers la loi des quotas, non sans ambiguïtés[15]. Un soutien qui a fait fi de l’opposition des conservateurs, au nom de la loyauté du parti au chef de l’État. Les conservateurs restent toutefois influents car le FLN ne compte que 4 femmes membres du bureau politique.

Sur un autre alignement politique et idéologique, le RCD défend la participation des femmes en politique au nom du principe de l’égalité.  Il s’inscrit ouvertement contre une vision conservatrice du statut socio-politique de la femme. « Consacré par la constitution, le principe d’égalité entre les citoyens et notamment entre les femmes et les hommes se heurte souvent aux dérives patrimoniales et népotiques des institutions. Le code de la famille qui renie l’engagement des Algériennes dans le combat libérateur et les luttes démocratiques doit être abrogé »[16]. Ainsi est-il allé plus loin que la politique des quotas et prône-t-il la parité.  Cette parité est toutefois loin d’être appliquée au niveau des instances dirigeantes puisque le secrétariat national de ce parti comprend 6 femmes membres sur 26.  

Le Parti des Travailleurs (PT) rejoint le RCD dans sa conception de l’égalité dans la citoyenneté et milite pour « l’égalité en droits entre les femmes et les hommes, ce qui implique l’abrogation du code de la famille et la promulgation des lois civiles, égalitaires consacrant la citoyenneté à part entière pour les femmes »[17]. En revanche, une profonde divergence oppose les deux partis sur le principe de la discrimination auquel le PT s’est opposé. Cette différence est palpable car si un peu plus du cinquième des membres dirigeants du RCD sont des femmes, tous les secrétaires adjoints du PT sont des hommes. Le RND se situe au même niveau puisque le secrétariat général élu comprend 21 membres dont 5 sont des femmes. Le Font des Forces Socialistes (FFS) fait aussi bien que son rival traditionnel puisque sur les 5 membres que compte l’instance présidentielle, 1 membre est une femme, sauf que tous les secrétaires nationaux sont des hommes. Nouvellement agréé, Talai el Houriyate comprend 06 femmes dans le Secrétariat National sur un total de 41 membres, tandis que le Bureau politique qui comporte 31 membres a intégré 7 femmes. Dans le courant islamiste, le Mouvement de la Société pour la Paix comprend 02 femmes dans le Bureau National qui représente l’instance exécutive. Tous ces partis politiques possèdent des sections féminines supposées permettre l’émergence de femmes leaders. En vain. Celles-ci demeurent très rares dans les instances dirigeantes des partis.

Une première conclusion consiste donc à relever que ni les amendements des cadres juridiques existants, ni les mesures légales inédites n’ont réussi à atténuer la faible présence des femmes dans les instances dirigeantes des partis politiques et dans les sphères décisionnelles de l’Etat. Cette deuxième partie tentera d’en expliquer les causes et par là même de mettre en lumière les limites que l’échange politique gouvernants/femmes a par rapport aux objectifs poursuivis par ces dernières.

Les limites de l’inclusion et leur coût

Les mesures prises ces dernières années dans le but de consolider les droits des femmes, de favoriser leur émergence sur la scène politique et de renforcer leurs capacités ont le mérite d’exister. Elles ont également des résultats chiffrés qui auraient été impossibles sans lesdites mesures.

Cependant, l’impact d’une politique ne se mesure pas seulement par les améliorations formelles et les résultats apparents, de la même façon que tout ce qui brille n’est pas or. De fait, la législature 2012-2017 n’a enregistré aucun changement notable en termes de vote, de propositions de lois, de mise en place de commission d’enquête et ce, malgré la présence de 147 femmes députées. Pis, les reproches formulés à la faiblesse du pouvoir législatif masculin ont été reproduits à ce même pouvoir législatif féminisé pour un tiers. La même conclusion s’impose au niveau des partis politiques qui n’ont pas féminisé leurs instances dirigeantes et qui ont eu toutes les peines du monde à trouver des candidates pour former leurs listes lors des élections législatives et locales de 2017. Quant au pouvoir exécutif, il est resté tout aussi faiblement représentatif en termes de ministres femmes. En effet, en 2012, 3 femmes sont ministres sur un total de 31 ; 2014, 7 sur 34 ; 2015, 4 sur 34 ; 2017, 3 sur 28 puis 4 sur 27. Généralement, les ministères attribués aux femmes ont une forte connotation sociale (l’Éducation, la Solidarité nationale, la Famille et la Condition féminine, l’Environnement, la culture), ce qui n’est certes pas le propre de l’Algérie.

Ce constat n’est pas une surprise. Il s’agit même d’un résultat logique pour peu que les mesures gouvernementales soient placées dans le contexte d’un échange politique que nous qualifierons d’ailleurs d’inégal. Pourquoi ? Commençons par le premier niveau d’analyse qui concerne les conjonctures politiques entourant lesdites mesures. Les amendements relatifs au Code de la famille et de la nationalité de 2005 sont, précisons-le, des ordonnances soumises au vote des parlementaires, sans débats. Or, cette période est marquée par l’organisation d’une élection présidentielle dans des conditions particulières. Parallèlement, l’Algérie menait des négociations quant à son adhésion à l’Accord d’Association avec l’Union européenne afin de parachever la fin de son isolement régional. Dans les deux cas, la carte des femmes a été un atout pour le renforcement de la légitimité des gouvernants et de leur rapport de forces internes. S’agissant du renforcement du rôle politique des femmes, la corrélation entre inclusion des femmes et renforcement de la légitimité de l’amendement constitutionnel de 2008 est encore plus évidente, puisque ce dernier a permis d’éliminer la limitation des mandats présidentiels à deux.

Arrive la première application des lois sur les quotas qui s’est faite en 2012, dans le sillage du « Printemps arabe » contre lequel les gouvernants ont mobilisé des ressources financières, légales et idéologiques[18]. La mise en parallèle des mesures avec l’aspect conjoncturel suggère bien la volonté de s’appuyer sur les revendications des femmes pour combler un déficit démocratique[19]. Enfin, réforme du code de la famille en 2005 et la loi criminalisant les violences contre les femmes de 2015 ont parachevé l’élection du chef de l’Etat à un quatrième mandat en 2014. 

Le second niveau d’analyse concerne la nature même des mesures adoptées. Relevons que sur la question de la représentativité des femmes au sein des partis créés en vertu de la nouvelle loi, la notion de « proportion représentative » reste suffisamment floue pour permettre toutes les lectures. Ni la proportion, ni le statut des femmes dans lesdites instances décisionnelles n’étant précisés, rien n’empêche qu’une « proportion » minimaliste et purement formelle soit adoptée par les partis. Et tel est le cas. Nous sommes alors dans une représentation descriptive, dans la mesure où le représentant figure le représenté du fait de caractéristiques communes[20]. Dans le cas qui nous occupe, les préoccupations des électrices (des femmes) sont portées, représentées et défendues par des élues (des femmes), en fonction du principe selon lequel le représentant doit ressembler au représenté.  

Au sujet des quotas présentés comme une grande avancée, la question de connaître la position des organisations féminines et féministes est intéressante pour mieux en mesurer la profondeur. Commençons par les partis défendant, sur cette question, un discours réformateur. Pour le PT, un parti dirigé par une femme depuis 1989, le recours à la politique des quotas est contraire à la philosophie de la démocratie. Le PT s’y est opposé. Pour les organisations féministes comme le Réseau Wassila, le quota ne répond pas à la nécessité de consacrer les droits des citoyens parmi lesquels figurent ceux des femme dont les droits en tant que citoyennes à part entière sont remis en cause par le code de la famille. L’association Djzairouna (association des familles des victimes du terrorisme), considère, elle aussi, que les quotas ne peuvent pas mettre fin aux inégalités et discriminations dont les femmes sont victimes au quotidien[21].

D’ailleurs, l’une des conséquences que peuvent avoir des mesures décidées « d’en haut » et imposées « à la base », sans ancrage social ni débat public, est le phénomène dit des « femmes fantômes ». Des affiches électorales ponctuées de visages féminins floutés ou remplacés par une image symbolique. Le nom inscrit en bas est le seul indice permettant de comprendre qu’il s’agit d’une candidate qui se présente à une élection. Contrairement aux idées reçues, les candidates « sans visage » ne concernent pas seulement des partis connus pour leur conservatisme, comme c’est le cas d’Ennahda et Adala-Bina, mais également des partis défendant une vision moderniste de la politique et de l’État comme le FFS[22]. D’autres partis plus modestes se sont illustrés par cette pratique : le Front national algérien (FNA), le Front algérien pour le développement, la liberté et la justice (FADLJ) et le Front du Militantisme National (FMN)[23]. Il est significatif de relever qu’en 2012, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj, ce ne sont pas moins de 400 femmes, présentes dans les listes de 21 partis politiques et 6 listes indépendantes qui ont été floutées[24].

Loin de surprendre, ce phénomène révèle une réalité sociologique qui consiste à assimiler la visibilité politique et effective des femmes à une remise en cause de la tradition, de l’authenticité et de l’identité, d’une part, et à ouvrir la porte à un ordre agresseur, d’autre part[25]. Les limites opérationnelles de ces mesures parachutées semblent tout aussi évidentes pour ceux qui les ont décidées. Ainsi, Abdelwahab Derbal, président de la HIISE (Haute instance indépendante de surveillance des élections), a-t-il justifié la pratique des photos floutées en affirmant que l’instance qu’il dirige « ne souhaite pas porter atteinte aux mœurs et traditions algériennes »[26]. Ces femmes fantômes sont, peut-être aussi, la conséquence du recul du mouvement féministe tel que connu durant les premières décennies de l’indépendance et l’essoufflement d’une génération n’ayant pas pu assurer la transmission du flambeau[27].

Les femmes ont donc bénéficié de mesures de renforcement de leur présence sur la scène politique, mais les différentes élections tenues depuis 2012 montrent bien que cette présence n’obéit pas à la règle de la représentation substantielle qui implique la défense par le représentant des intérêts des représentés[28]. Les différentes législatures tendent plutôt à confirmer que les représentantes (élues) n’agissent pas différemment des représentants (élus), et s’inscrivent dans une logique formaliste qui structure un échange politique finalement inégal. 

Conclusion

Le rapport fondé sur un échange politique gouvernants-femmes n’est pas nouveau. Déjà pendant la Guerre de libération nationale, le discours discursif de l’époque prenait soin de valoriser l’engagement des femmes dans le combat pour l’indépendance. Un soin d’autant plus utile que le mouvement national s’inscrivait dans une lignée progressiste et comptait sur le soutien international à sa juste cause. Pourtant, aucune femme n’est apparue dans les organigrammes dirigeants, ni dans les gouvernements provisoires. Tenues à l’écart des cercles décisionnels pendant la guerre, leur visibilité, leurs revendications et leur poids s’amenuiseront rapidement dès l’indépendance[29]. 10 femmes seront au parlement en 1962, contre 2 seulement en 1964.

Plus tard, le système du parti unique ne se passera pas des femmes qui, rassemblées au sein de l’UNFA (Union nationale des femmes algériennes), serviront de relais et de vitrine au pouvoir en place. Aux côtés de cette organisation de masse, de nombreuses autres organisations ou sections mettront en avant les femmes travailleuses, étudiantes, les femmes de l’éducation, de la santé et constitueront des cadres mobilisateurs[30]. L’ouverture démocratique se fera avec les femmes dont la visibilité est l’un des critères d’évaluation du degré de démocratisation. Vient ensuite la lutte antiterroriste, durant laquelle les organisations de femmes ont contribué à consolider le front engagé contre les groupes rétrogrades, violents et ouvertement répressifs à l’égard des droits des femmes[31].

De ce fait, à chaque période, les femmes sont appelées à jouer un rôle qui consiste à mobiliser une base sociale, nécessaire pour combler un déficit de légitimité. Une relation dialectique dans la mesure où, fondamentalement, le pouvoir politique algérien est masculin et exclusif. Cependant, il a régulièrement pratiqué l’inclusion sélective de femmes hautement symboliques, puisant tantôt dans l’opposition tantôt dans la famille révolutionnaire et plus récemment dans la communauté scientifique. Bien que conservateur, il a également répondu à certaines de leurs revendications (réforme du code de la famille et dans une moindre mesure les quotas).

Or, ces décisions qui peuvent s’apparenter à des concessions ne sont pas gratuites. À chaque période, un échange de ressources a eu lieu. L’apport essentiel des femmes comme acteur consisterait ainsi à compenser un déficit de légitimité, à coopter les organisations féminines et capter le vote féminin lors des scrutins, ou encore à enrober une décision controversée et améliorer l’image du système politique vis-à-vis de la communauté internationale. Les femmes, en tant qu’enjeu socio-politique, représentent une ressource politique renouvelable d’autant que la cooptation et la clientélisation sont devenues des instruments de gouvernance.

Enfin, à l’instar d’autres acteurs (partis politiques, syndicats, associations…), elles n’échappent pas à une inclusion ciblée dont la finalité est la résilience du système politique.

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Notes

(1) Université Alger 3, Faculté des sciences politiques et des relations internationales, 16 000, Alger, Algérie.

[2] Aylott, N. (2003), “Linkage and Political Exchange in Mass Parties: A Swedish Case Study”, Paper presented to the XIV th Political Studies Association annual conference, Leicester, April. http://www.psa.ac.uk/journals/pdf/5/2003/ Nicholas 20% Aylott.pdf

[3] Pour une autre illustration de l’échange politique en Algérie, voir Dris-Aït Hamadouche, L. (2009), « Régime et islamistes en Algérie : un échange politique asymétrique ? », Maghreb-Machrek, n° 200, Été, p. 29-44.

[4] Mahieddin, N. (2007), « L’évolution du droit de la famille en Algérie : nouveautés et modifications apportées par la loi du 4 mai 2005 au Code algérien de la famille du 9 juin 1984 », L’Année du Maghreb, II p. 97-137.

[5] Saheb, H. (2007), « Femmes : égalité et citoyenneté », El Watan, 11 mars.

[6] Megherbi, F. (2015), « Nouvelle réforme du Code algérien de la famille », Juritravail, 10 Mars, https://www.juritravail.com/Actualite/droits-homme/Id/197281.

[7] Art. 35 dans l’amendement constitutionnel de 2016.

[8] La loi organique n° 12-03 du 12 janvier 2012 stipule que le nombre de femmes sur toutes les listes électorales ne doit pas être inférieur aux proportions définies ci-dessous, proportionnellement, au nombre de sièges à pourvoir : Les élections de l'Assemblée populaire nationale (APN) :

- 20% lorsque le nombre de sièges est égal à quatre (4) sièges.

- 30% lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à cinq (5) sièges.

- 35% lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à quatorze (14) sièges.

- 40% lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à trente-deux (32) sièges.

- 50% pour les sièges de la communauté nationale à l'étranger.

Les élections des assemblées populaires de wilaya (APW) :

- 30% lorsque le nombre de sièges est de 35, 39 et 47 sièges.

- 35% lorsque le nombre de sièges est de 51 et 55 sièges.

Les élections des Assemblées populaires communales (APC) :

- 30% pour les APC situées aux chefs-lieux des daïras et au sein des communes dont le nombre d'habitants est supérieur à vingt mille (20 000) personnes.

[9] Ait-Zai, N. (2007), « La participation politique des femmes et leur présence dans la haute instance de décision », Ciddef, n° 15, Octobre Décembre.

[10] Bensouiah, A. (2017), « Les femmes dans les élections locales : Une présence symbolique », Reporters, 20 novembre.

[11] L’engagement constitutif doit comprendre deux (2) membres fondateurs par wilaya, issus du quart (1/4) des wilayas du territoire national au moins.

[12] Les membres fondateurs doivent présenter les extraits de leur casier judiciaire.

[13] Un membre fondateur doit avoir au moins 25 ans.

[14] Programme général du Parti FLN. http://www.pfln.org.dz/

[15] Secrétaire général à l’époque, Abdelaziz Belkhadem était contre les quotas.

[16] Fondements et Principes du RCD. http://www.rcd-algerie.org/2016/06/07/fondements-et-principes-du-rcd/2/ Consulté le 29/08/2016 à 20.30.

[17] La Charte du Parti des Travailleurs, http://www.pt.dz/?La-Charte.

[18] Dris-Aït hamadouche, L. (2012), « L'Algérie face au « printemps arabe » : l'équilibre par la neutralisation des contestations », Confluences Méditerranée, 2 n° 81, p. 55-67.

[19] Badi Boukemidja, N. (2017), « Participation politique féminine, le combat de la parité continue », El Watan, 07 mars.

[20] Hayat, S., Sintomer, Y. (2013), « Repenser la représentation politique », Raisons Politiques, 2 n° 50, p.5-11, https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-2-page-5.htm.

[21] Benzenine, B. (2013), « Les femmes algériennes au Parlement : la question des quotas à l’épreuve des réformes politiques », Égypte/Monde arabe, Troisième série, 10, http://journals.openedition.org/ema/3196 ; DOI : 10.4000/ema.3196.

[22] Le FFS a expliqué ce fait en évoquant des initiatives prises par les cellules locales de communication et a exigé le retrait des affiches incriminées.

[23] Lamlili, N. (2017), « Législatives en Algérie: haro sur les candidates sans visage », Jeune Afrique, 18 avril.

[24] Tabadji, A. (2012), « Des candidates sans visage », L’Expression, 21 Novembre.

[25] Saadi, N. (1991), La femme et la loi en Algérie, Alger, éd. Bouchène, p. 29.

[26] Aziza, M. (2017), « Campagne électorale: Abdelwahab Derbal minimise les irrégularités », Le Quotidien d'Oran, 24 avril.

[27] Lalami, F. (2014), « Algérie, pause dans les mobilisations féministes ? ». Nouvelles Questions Féministes, Vol. 33, (2), p. 34-42.

[28] Pitkin, H. (2015), « La représentation politique », Raisons Politiques, 2 (n° 50), p. 35-51,  https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RAI_050_0035.

[29] Hartani, A.-K. (2013), La participation politique des femmes dans les assemblées élues en Algérie. Essai de synthèse, étude de cas et perspectives, UNDP-ONU Femmes, p. 4, http://www.dz.undp.org/content/dam/algeria/docs/Autonomisationdesfemmes/Participation%20Politique%20-%20Analyse%20technique%20du%20cadre%20juridique.pdf

[30] Remaoun, M. (1999), « Les associations féminines pour les droits des femmes », in Insaniyat, n° 8, Oran, Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle,
p. 129-143.

[31] Ibid.

 

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