Safaa MONQID, Femmes dans la ville. Rabat : de la tradition à la modernité urbaine, 2014, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 226 p.

 Insaniyat N° 74| 2016 | Femmes dans les pays arabes: changements sociaux et politiques | p. 105-107| Texte intégral


L’ouvrage que nous propose Safaa Monqid sur les « femmes dans la ville » apporte sa part de réflexion aux nombreux travaux qui ont montré l’intérêt à diversifier les analyses sur ce thème, visiblement inépuisable. La préface de Sylvette Denèfle, intitulée « Les luttes semblables des femmes d’ici et d’ailleurs », exprime bien la dimension universelle d’un tel sujet qui place la femme au centre des enjeux urbains face à la modernité. Sociologue de formation et arabophone, l’auteure particularise son approche en la situant à Rabat, capitale du Maroc, « moderne et ouverte sur l’Occident ». Elle explique ainsi son originalité et structure son ouvrage en neuf chapitres autour de la condition féminine au Maroc telle qu’elle évolue dans le milieu traditionnel et l’espace public.

Pourquoi les femmes maghrébines ? L’auteur l’explique en portant son questionnement sur l’évolution des pratiques d’un espace urbain « moderne » sachant que la femme maghrébine, en général, reste attachée à l’omniprésence des traditions. Quels sont les rapports qu'entretiennent les femmes marocaines avec leur ville ? Quelle est la place réelle qu'elles occupent dans les espaces public et privé ? Comment la ville de Rabat, capitale moderne, ouverte sur l'Occident porte-t-elle la modernité des femmes ? Cet ouvrage se propose de répondre à toutes ces questions et il entend montrer l'évolution de la place des femmes à travers l'analyse de l'espace (la ville et le logement] tel qu'il est vécu, utilisé et pratiqué par les femmes.

L’étude de l’évolution conjointe de l’espace urbain et des pratiques féminines, considère la femme dans la ville moderne et la médina, qui reste un espace exclusivement masculin ainsi que la famille, en tant que cocon de l’espace traditionnel marocain.

Méthodologiquement, l’analyse se limite à la ville de Rabat, symbole de modernité urbaine. L’approche utilisée est fondée sur l’étude de la structure sociale en croisant les données relatives aux pratiques de l’espace public et de l’espace intérieur privé. L’utilisation de l’histoire des dynamiques socio-politiques donne la mesure des faits qui accompagnent le passage de la tradition à la modernité dans une ville comme Rabat au Maroc.

En liaison avec le passé colonial et les conjonctures du présent, l’étude poursuit la question de l’autonomie et du désir d’émancipation entre les pratiques et les représentations. La codification des rapports sociaux s’est progressivement affranchie de quelques dépendances au sein de la maison, la famille, la médina selon une organisation socioculturelle basée sur la prédominance masculine. Avec « la conquête de l’espace public » que l’auteure situe au moment du protectorat français au début du XXème siècle, les femmes ont gagné en « visibilité dans la lutte pour l’indépendance ». Il semble que les premiers signes du processus de l’évolution féminine à l’interface de la modernité occidentale, sont repérables durant cette période. Parmi les arguments développés, préfigurent l’accès à l’instruction, au salariat, aux loisirs et à la promenade dans l’espace public.

Sur un autre plan, l’objectif de comprendre les diverses formes de l’évolution des femmes parallèlement à celle de la ville au Maghreb, focalise l’analyse sur « les stratégies féminines d’appropriation des espaces privé/public ». Il explore, ainsi, les manœuvres mises en pratiques en vue d’atténuer les contraintes financières, la pression familiale et sociale, le harcèlement, la violence et autres abus menant les femmes à des concessions face à la « prédominance de la sphère privée ». Autant d’agissement où l’on peut se demander si le voile « en adoptant une attitude d’effacement », ne serait pas une « stratégie d’invisibilité ».

Ce travail qui ambitionne de participer au « projet de révéler l’état d’une société en vue de permettre d’orienter les politiques publiques », est particulièrement bien documenté y compris pour les domaines connexes (urbanisme, aménagement de l’espace habité,...). Il a permis de maîtriser la complexité et la diversité des paramètres relatifs à l’objet étudié (l’âge, la catégorie socio-économique, le milieu socioculturel, le statut matrimonial, le salariat, le lieu d’habitat...). L’index et le glossaire des termes arabes, sont à cet effet, utiles pour guider le lecteur ayant peu de connaissances sur l’espace maghrébin. Il offre ainsi plusieurs angles de vue de la problématique de l’espace urbain concernant les pratiques féminines au Maghreb. Aussi, les données issues d’enquêtes de terrain ont permis à l’auteur de contribuer à la connaissance du concept de modernité telle qu’elle se perçoit et se pratique dans l’espace public maghrébin face aux valeurs véhiculées par l’importance des traditions socioculturelles. En diversifiant les terrains d’enquêtes et les enquêtées, l’auteure montre comment les pratiques d’appropriation relèvent d’une attitude de contestation face à l’organisation et à l’aménagement de l’espace urbain et/ou habité.

Pour autant, si le sujet des femmes en rapport à la ville, n’est pas nouveau, l’auteure revisite la question de l’évolution des pratiques d’un espace urbain « moderne » sachant que la femme maghrébine, en général, reste attachée aux traditions. À partir d’un contexte où les pratiques évoluent avec des moyens singuliers pour mettre en place des stratégies d’appropriation de l’espace  urbain, cet ouvrage met aussi en évidence les rapports complexes qu’entretiennent ces pratiques avec la religion.

La conclusion synthétise les éléments visant à redéfinir le contexte de production de nouvelles stratégies propres au genre féminin. Il aurait été souhaitable que l’étude s’ouvre sur un questionnement nouveau sur le sujet, sur le rôle du passé dans le présent des femmes en ville, sur les enjeux politiques et sociaux. La polysémie même du concept de modernité qui couvre plusieurs acceptions reste un sujet de questionnement en fonction de l’époque et selon le milieu et le contexte socioculturels tels qu’ils évoluent dans les débats actuels. Si le terrain de la modernité dans lequel se situe l’auteure est celui d’une certaine émancipation associée aux valeurs et comportements européens, il pourrait être intéressant de poursuivre la réflexion selon une pensée de Jacques Berque (1972) : « Se moderniser pour un peuple, c’est réallumer le combat de l’antique et du neuf ».

Enfin, tous ceux qui s’intéressent à cette problématique de la femme en ville trouveront certainement des informations susceptibles de fournir des pistes de réflexion. Les apports de cette étude peuvent concerner ceux qui travaillent sur les questions du genre et aussi sur la conception des villes maghrébines en quête de modernité tout en considérant les traditions (urbanistes, architecte, aménageurs, décideurs…). 

Ammara BEKKOUCHE

 

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