Camille Lacoste-Dujardin (1929-2016)

Insaniyat N° 74| 2016| Femmes dans les pays arabes : changements sociaux et politiques | 2016| p.14-18 |Texte intégral


Camille Lacoste-Dujardin (1929-2016)

Camille Lacoste-Dujardin est une ethnologue française spécialiste de la société et de la culture berbère de Kabylie. Elle est née le 1er mars 1929 à Rouen (France) et décédée le 28 janvier 2016 à Bourg-la-Reine, dans les Hauts-de-Seine (France) à l’âge de 87 ans. Elle a enseigné à Alger avec son mari Yves Lacoste (géographe et géopoliticien) pendant trois ans (1952-1955). C’est ce qui lui avait permis, en effet, de connaître la Kabylie et les kabyles. En 1955, elle et son mari étaient contraints de  quitter l’Algérie, en plein Guerre de libération nationale, en raison de leurs positions émancipatrices en faveur de la cause algérienne. Elle y revient en 1969 et s’installe en Kabylie, au village Ath Zouaou à Iflisen Lebher (Tigzirt), jusqu’à 1992. Elle a vécu environ cinquante ans en Kabylie où elle avait mené l’essentiel de ses recherches ethnologiques et historiques sur l’Algérie. Sa proximité avec les populations des villages de la Kabylie maritime lui offrait une grande opportunité pour ses recherches universitaires et pour la construction d’un savoir ethnologique sur la culture kabyle.

Camille Lacoste-Dujardin avait fait sa formation en géographie, entre 1949 et 1950, à l’Institut de géographie de Paris et en ethnologie, entre 1951 et 1952, à l’Institut d’ethnologie du Musée de l’Homme à Paris. Sa découverte de la Kabylie dans les années cinquante, en tant qu’ethnologue et femme, l’avaient motivée davantage, notamment pour apprendre le kabyle à l’École Nationale des Langues Orientales à Paris (INALCO), où elle obtient un diplôme de berbère en 1961. Une langue qui lui avait permis, à l’instar de nombreux ethnologues, de s’introduire dans la société kabyle et de mener ses recherches ethnologiques sur la culture, l’histoire et la littérature orale de cette société. À cet effet, elle soutient une thèse en littérature orale sur le conte kabyle en 1970 à Paris sous la direction de Roger Bastide. Cette thèse qu’elle avait publiée en 1970 sous le titre Le conte kabyle : étude ethnologique reste une œuvre fondamentale pour les études ethnologiques sur la Kabylie.

Pour sa vie professionnelle et universitaire, Camille Lacoste-Dujardin était directrice de recherche au CNRS (France). Elle avait surtout travaillé avec Germaine Tillon dans son unité de recherche portant sur la thématique Littérature orale, dialectologie, ethnologie du domaine arabo-berbère.

Son rapport particulier à l’Algérie et au peuple algérien est attesté dans son soutien indéfectible à la cause algérienne et au recouvrement de son indépendance. C’est ce qu’on peut lire dans le journal Le Monde du 09 décembre 2016 à ce sujet « Camille Lacoste-Dujardin fut des quarante-six ethnologues qui, le 12 mars 1956, envoyèrent une lettre ouverte à Guy Mollet, alors président du conseil, pour appuyer le droit d’autodétermination du peuple algérien ». Ceci dit, le rapport qu’elle avait entretenu avec l’Algérie et à la culture berbère ne se résume pas seulement dans ses investigations universitaires et ethnologiques, mais il est aussi et surtout humain et affectif.

Camille Lacoste-Dujardin compte parmi ces nombreuses ethnologues femmes s’intéressant à la culture des sociétés berbères de l’Algérie, à l’instar de Germaine Tillon, Fanny Colonna, Mathea Gaudry, Hélène Claudot-Hawad, Germaine Laoust-Chantreaux, Danielle Djema-Gouzon pour ne citer que celles-ci. De ce fait, elle forge un regard particulier, dans sa démarche scientifique, sur les sociétés autochtones de l’Algérie.

En guise de reconnaissance scientifique aux travaux de Camille Lacoste-Dujardin sur l’Algérie et la Kabylie, un colloque international à son hommage a été organisé à la Sorbonne (Paris- Panthéon) du 19 au 20 mai 2015, sur La question berbère après la colonisation ; amnésie, reconnaissance et soulèvement. A cette occasion, un prix d’études berbères portant son nom, Camille Lacoste-Dujardin, a été décerné.

Parmi les objets qui avait intéressé les connaissances ethnologiques de Camille Lacoste-Dujardin, sur l’Algérie et sur le Maghreb, se trouvent entre autres, les conditions de la femme (en Algérie et en émigration), la culture orale kabyle et l’émigration.

Camille Lacoste-Dujardin a publié environ cent cinquante articles et une quinzaine d’ouvrages. Parmi ces derniers, on trouve ceux qui sont dédiés à la connaissance sociologique et ethnologique pour la femme maghrébine, en général et la femme algérienne et berbère en particulier dont : Dialogues des femmes en ethnologie (1977); Femmes kabyles : immigrées en France (1979); Des femmes chantent les hommes et le mariage. Louanges lors d’un mariage en Kabylie (1981); Des mères contre les femmes (1985) ; Femmes kabyles : de la rigueur patriarcale à l’innovation (1994) ; L’offense faite aux kabyles, dans le livre de Pierre Bourdieu la domination masculine (1998-99) ; La vaillance des femmes : les relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie (2008) ; Contes de femmes et d’ogresses en Kabylie (2010).

Dans son ouvrage central sur les conditions sociologiques de la femme  maghrébine, Des mères contre les femmes (1985), Camille Lacoste- Dujardin a mis l’accent sur la structure sociale de base dans laquelle évolue la femme. Il s’agit de l’organisation de la famille qui est basée sur la filiation patrilinéaire. Ce système social et familial se reproduit dans les sociétés maghrébines. Dans cet ouvrage, elle a essayé aussi d’expliquer la place qu’occupe la femme maghrébine dans la société patriarcale à travers le rôle des mères : « les apôtres zélés de cette domination masculine, les artisans de son inculcation, de sa reproduction, se trouvent être femmes elles-mêmes ; des mères » (p. 13), écrit-elle.

Cette réflexion anthropologique sur la position de la femme et de la mère s’inscrit dans la continuité de son travail : Dialogue des femmes en ethnologie (1977). À travers cette réflexion, elle développe une problématique très importante sur la position des mères, des garçons qui exercent une certaine oppression sur les femmes. Ainsi, le « dialogue des femmes » se définit comme un type de rapport entre le chercheur (femme) et son enquêtée, ou alors, pour reprendre ici la terminologie propre à Camille Lacoste-Dujardin, entre l’ethnologue et l’ethnologisée. C’est ce qu’elle a pu qualifier à travers ses analyses de « relation ethnologique ». Celle-ci, se veut, entre autres, comme un registre de transmission du savoir aux femmes étudiant leur condition d’existence.

Dans son ouvrage La vaillance des femmes, Camille Lacoste-Dujardin approfondit sa réflexion sur le combat des femmes en Kabylie. Elle montre comment la vaillance et la lucidité des femmes sont mises au profit d’une lutte contre le système patriarcal. Cela a été démontré  notamment à travers les contre-pouvoirs de la « domination masculine » que les femmes développent par le biais de la fécondité, la magie et le conte.   

Par ailleurs, dans ces travaux ethnologiques et historiques, Camille Lacoste-Dujardin a rendu un hommage particulier aux femmes combattantes pendant les guerres à l’exemple de celui dédié à la mémoire de Germaine Tillon dans son combat contre le nazisme pendant la Deuxième guerre mondiale : Une ethnologue à Ravensbrück, ou l ’apport de la méthode dans le premier Ravensbrück de Germaine Tillon (1946) et dans Opération Oiseau bleu… (1997).

La majorité de l’œuvre de Camille Lacoste-Dujardin est produit essentiellement sur la société kabyle et sa culture orale. C’est, en effet, dans cette région de l’Algérie qu’elle avait séjourné et mené durablement ses recherches ethnologiques et historiques dont nous citons essentiellement : Sabre Kabyle (1958) ; Légendes et contes merveilleux de la grande Kabylie recueillis par Auguste Moulieras (1965) ; Le Conte kabyle : étude ethnologique (1970) ; Tactiques endogamiques en Kabylie, représentation et pratique (1981) ; Démocratie Kabyle. Les kabyles : une chance pour la démocratie algérienne ? (1992) ; Pourquoi n’y eut-il pas de villes en Kabylie marchande ? (1993) ; Opération Oiseau Bleu. Des Kabyles, des ethnologues et la guerre d’Algérie (1997) ; La Grande Kabylie : du danger des traditions montagnardes (2002) ; La montagne pour les kabyles : représentations et réalités ; Géographie culturelle et géopolitique en Kabylie : la révolte de la jeunesse kabyle pour une Algérie démocratique (2002) ) ; Le voyage d’Idir et Diya en Kabylie : initiation à la culture kabyle , (2003) ; La Kabylie du Djurdjura : du bastion montagnard à la diaspora (2014), etc. À cela s’ajoute la production d’un dictionnaire de la culture Kabyle, Dictionnaire de la culture berbère de Kabylie (2005) qui demeure un usuel pratique tant pour une connaissance simple de la culture kabyle que pour des recherches universitaires.

Ses domaines de recherche ne se limitent pas aux conditions de la femme et à la culture kabyle, mais aussi à l’émigration à travers laquelle elle aborde les conditions féminines ainsi que la culture kabyle, à l’exemple de Femmes kabyles : immigrées en France, (1979) ; Yasmina et les autres de Nanterre et d'ailleurs. Filles de parents maghrébins en France (1992) ; Femmes et Hommes au Maghreb et en immigration la  frontière des genres en question (1998) ; Le voyage d’Idir et Diya en Kabylie : initiation à la culture kabyle (2003) ; La vaillance des femmes : les relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie (2008) ; La Kabylie du Djurdjura : du bastion montagnard à la diaspora (2014). Parmi les œuvres ayant marqué aussi les études du domaine ethnologique berbère se trouve son ouvrage Bibliographie ethnologique de la Grande Kabylie (1962).

En somme, l’œuvre de Camille Lacoste-Dujardin, très abondante, représente pour nous, Algériens, un capital culturel qui enrichit le champ de connaissances ethnologiques, historiques et sociologiques sur le Maghreb et qui doit être transmis par les canaux académiques et universitaires. 

Eléments Bibliographiques de Camille Lacoste-Dujardin relatifs au sujet et aux conditions de la femme

Dialogue des femmes en ethnologie, Paris, Maspero, 1977.

« Femmes kabyles: immigrées en France », Migrants Formation, 1979.

« Des femmes chantent les hommes et le mariage. Louanges lors d’un mariage en Kabylie », Littérature arabo-berbère, no 12, 1981.

Des mères contre les femmes. Maternité et patriarcat au Maghreb, Paris, la Découverte, 1985.

« Du genre rouge à la femme blanche… et noire. Les couleurs dans le conte et dans deux autres formes littéraires en Kabylie », Littérature orale Arabo-berbère, 16-17, 1985-1986.

Yasmina et les autres de Nanterre et d'ailleurs. Filles de parents maghrébins en France, Paris, la Découverte, 1992.

« Femmes kabyles : de la rigueur patriarcale à l’innovation »,  Hommes
et Migrations
, no 1179 « Les Kabyles. De l’Algérie à la France », 1994.

Lacoste-Dujardin Camille et Tauzina. (dir.) La Place des femmes. Les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, la Découverte, Paris, coll. « Recherches », 1995.

Lacoste-Dujardin Camille et Virolle Marie-Françoise, (1998) (dir.), Femmes et Hommes au Maghreb et en immigration à la frontière des genres en question, Paris, Publisud.

« L’offense faite aux kabyles, dans le livre de Pierre Bourdieu « La domination masculine », Actualités et Culture berbères, no 27-28, Hiver 1998-99.

Lacoste-Dujardin Camille, (2008), « Une ethnologue à Ravensbrück ou l'apport de la méthode dans le premier Ravensbrück de Germaine Tillion (1946) », Histoire@Politique, 2008/2 (n° 5).

La vaillance des femmes : les relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie, Paris, la Découverte, 2008 

Contes de femmes et d’ogresses en Kabylie, Paris, Karthala, 2010.
« Des femmes au Maghreb : regards d’une ethnologue sur cinquante ans d’études et de recherches », Hérodote, n° 136, vol. 1, Paris, la Découverte, 2010.

Azzedine KINZI

 

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