La célébration de la naissance du Prophète, al-Mawlid al-nabawī. Discours, pratiques et représentations. Revue des mondes musulmans et de la méditerranéen

105 – 108
Patrimoine musical et arts de pratiques en Algérie
N° 106 — Vol. 28 — 31/12/2024

Sous la coordination de Farid Bouchiba et Myriam Laakili, ce numéro de la Revue des mondes musulmans et de la méditerranéen se penche sur une question d'importance pour tous les musulmans, au-delà de leurs divergences doctrinales. Il s’agit de la célébration de la naissance du Prophète de l’islam, communément appelé al-Mawlid al-nabawi.

Objet de controverses, la célébration de la naissance du prophète n’a commencé que tardivement, précisément en 1207 à Erbil (Irak), sous l’initiative d’Al-Malik Muzaffar al-Din Gökburi. Par la suite, cette pratique s’est répandue progressivement dans le reste du monde musulman.

Depuis lors, de nombreux travaux ont été consacrés à ce sujet, qui a connu un regain d’intérêt ces dernières décennies, après une période de relatif déclin. Parmi les études marquantes récemment publiées, on peut citer celles de Samuli Schielke (2012), Thomas Pierret (2012), Kamelya Atanasova (2023), Amina Šiljak-Jesenković (2012) et Halid Bulić 2017.

Dans ce dossier, trois aspects ont été mis en avant pour permettre aux lecteurs de comprendre les liens qui se tissent entre « la religion savante » et « la religion populaire », « le visible »
et « l’invisible » et qui se manifestent à travers cette fête religieuse.

Dans la première partie dédiée à l’aspect juridique, les auteurs questionnent les fondements scripturaires et doctrinaux du Mawlid. Ahmed Oulddali introduit ainsi sa contribution par l’avis du juriste malikite Ibn al-Hajj al-Abdari, qui considère la célébration du Mawlid comme une innovation religieuse blâmable (bid’a). Cette position, et d’autres similaires, l’amène à s’interroger sur la perception des différents Oulémas malikites quant à la commémoration de cet événement et les pratiques qui l’accompagnent. Il se demande si leurs positions étaient claires ou divergentes sur le sujet, et quels arguments avancent-ils pour justifier leurs points de vue. Pour répondre à ces questions, Oulddali s’appuie sur le recueil d’al-Wansharisi, intitulé al-Mi’yar. Ce dernier avait rassemblé les avis des juristes ayant vécu dans l’Occident musulman médiéval entre le XIIIe et le XVe siècle.

Dans le même ordre d’idées, Nejmeddine Khalfallah examine, dans son article, l’avis d’al-Tahir Ben Ashur, l’un des éminents juristes malikites de l’Occident musulman. En l’absence d’un texte coranique ou prophétique établissant explicitement la licéité du Mawlid, et dans un contexte politique tunisien marqué par la colonisation française, Ben Ashur recourt au procédé de ‘dalalat al-fahwa’ qui désigne « le sens implicite que le lecteur expérimenté pourrait déduire d’un énoncé tout en s’appuyant sur un faisceau d’indices, textuels et contextuels » (p. 74), pour justifier sa position favorable à la célébration de cette fête. Parmi les notions clés de sa démonstration, figure le concept d’i’tinà (prendre soin de), qui, selon lui, permet de considérer cette pratique comme un moyen d’accorder de l’importance au Prophète de l’islam et de valoriser sa Sîrah (biographie).  

« Ambiguïté et confusion autour de la célébration du Mawlid.
À propos de la position d’Ibn Taymiyya et de son utilisation dans les débats religieux contemporains », sous cet intitulé, Mehdi Berriah explore la position du célèbre jurisconsulte du XIIIe siècle, Ibn Taymiyya. L’usage intensif de ses consultations juridiques (fatawa) à différentes époques, tant par les partisans que par les opposants au Mawlid, soulève plusieurs interrogations. En réalité, était-il pour ou contre la célébration de la naissance du prophète ? Ses textes ont-ils été mal interprétés ? Et quelles sont les modalités de cette interprétation ? Telles sont les questions abordées dans cette contribution.

La seconde partie du numéro est consacrée à l’étude des pratiques sociales et du vécu individuel et collectif du Mawlid. Grâce à des enquêtes de terrain menées selon la méthode de l'observation participante, les auteurs décryptent les mécanismes complexes qui sous-tendent les différentes manifestations de cette fête, depuis les sphères intimes de la famille, jusqu'aux grands rassemblements publics.

La première contribution, signée par Azzedine Kinzi, s’inscrit dans une perspective anthropologique visant à comprendre comment les habitants de quatre villages kabyles, principalement issus de la tribu des Cherfa, célèbrent cette fête sacrée. Les résultats de son étude reposent sur une enquête de terrain, menée en octobre 2022 auprès des organisateurs du Lmulud et d’une vingtaine de villageois, hommes et femmes. Selon l’auteur, cette cérémonie festive attire une grande affluence de visiteurs venus de diverses régions : « Hormis Achoura (taɛacurt), il n’existe pas en Kabylie de fête religieuse drainant autant de foules que le Lmulud des Cherfa. Par son intensité et son ampleur, ce dernier est au moins comparable à la fête de Sbuâ de Timimoun, organisée également à l’occasion du Lmulud » (p. 115). Toutefois, il souligne que cet événement dépasse la seule dimension religieuse : il constitue un moment privilégié de retrouvailles, de partage et d’échange.

Sous le titre « Les chiites et la célébration du gamou au Sénégal », Macoumba Diop s’interroge sur les raisons qui incitent les chiites sénégalais à commémorer le Mawlid, dans un environnement majoritairement sunnite. Avant de présenter les résultats de son travail de terrain, Diop décrit l’ambiance qui entoure cette fête au sein de la Tidjaniyya (la plus grande confrérie au Sénégal). Il souligne le caractère particulièrement solennel de cet événement, en raison notamment de la présence de représentants de l’État. Selon l’auteur, cette fête offre aux acteurs politiques l’opportunité de renforcer leur légitimité, tandis que les chefs religieux en profitent pour « présenter leurs doléances en termes d’infrastructures, d’investissements ou de financements de projets » (p. 123). Diop conclut qu’en dépit de leur présence, relativement récente au Sénégal, les chiites ont su s’approprier certaines pratiques sunnites, comme le Gamou, afin de consolider leur identité dans l’espace religieux.

De retour sur le terrain algérien, Sadek Sellam s’attache, à travers l’analyse du poème d’Abdelhamid Ibn Badis consacré au Mawlid, à clarifier la position de l’Association des Oulémas musulmans, fondée par le cheikh Ibn Badis en 1931. Sa contribution permet au lecteur de comprendre que cette association a non seulement légitimé la célébration du Mawlid en tant qu’acte religieux, mais l’a également érigée en outil de résistance visant à affirmer l’identité arabo-musulmane de l’Algérie. Elle réfute ainsi les accusations portées par les autorités françaises qui lui reprochaient sa parenté avec le wahhabisme qui prohibe cette fête.

Dans la troisième et la dernière partie, l’intérêt des auteurs est porté sur l’aspect artistique de la question à travers la production littéraire et artistique. Il s’agit d’une tentative d’examiner le sens donné au Mawlid dans l’imaginaire collectif.  

Arianna Tondi aborde, dans son article, la place des femmes dans la commémoration du Mawlid, une place souvent contestée, voire parfois occultée, malgré son importance. Pour atteindre son objectif, elle s’appuie sur le livre al-anwar d’Abu al-Hasan al-Bakri, dédié au prophète, où elle analyse la construction littéraire des personnages féminins et leurs fonctions.

De son côté, Antonio Cuciniello présente au lecteur l’ouvrage du juriste et mufti chafiite al-Barzanji, intitulé ʿIqd al-jawhar fi mawlid al-nabi al-azhar (Le collier serti de joyaux ravissants sur la naissance du prophète le plus éblouissant), consacré à la vie du Prophète de l’islam. Ce livre a acquis une notoriété remarquable, permettant sa récitation dans de nombreux pays islamiques, y compris en dehors des célébrations du Mawlid.  

La pluralité et la diversité des approches mobilisées dans ce numéro pour étudier le Malwid sont particulièrement enrichissantes. Sans se laisser enfermer dans les disputes qui caractérisent la célébration de cet événement, les auteurs ont dressé un tableau nuancé, reflétant la diversité des significations que le Mawlid revêt pour les différents musulmans, en soulignant la dimension spirituelle et sociale de cette fête, qui se révèle être un moment de joie et de reconnaissance.  

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LAGUER, S. (2024). La célébration de la naissance du Prophète, al-Mawlid al-nabawī. Discours, pratiques et représentations. Revue des mondes musulmans et de la méditerranéen. إنسانيات - المجلة الجزائرية الأنثروبولوجيا والعلوم الاجتماعية, 28(106), 105–108. https://insaniyat.crasc.dz/ar/article/la-celebration-de-la-naissance-du-prophete-al-mawlid-al-nabawi-discours-pratiques-et-representations-revue-des-mondes-musulmans-et-de-la-mediterraneen