Safar-Zitoun,Madani.- Stratégies patrimoniales et urbanisation. Alger 1962-1992.- Paris, L'harmattan, 1996.

Peut-on analyser la crise que traverse le pays, à partir de l'évolution du phénomène urbain en général et celui d'Alger en particulier? L'A. est aussi audacieux dans ses développements que rigoureux dans sa démarche, son questionnement et ses sources.

Partir de la ville coloniale n'est pas un artifice, mais permet de comprendre les phénomènes qui se sont produits par la suite et plus particulièrement, comment l'Etat national s'est retrouvé «propriétaire foncier unique». En rompant avec certaines idées simplistes, par l'analyse du «procès de substitution spatiale», l'A. montre qu'il n'y a pas eu de raz de marée en 1962 comme l'ont cru certains de ses prédécesseurs. Le mouvement d'occupation de la ville a débuté « en 1954 pour s'achever clandestinement en 1966». Il montre par une lecture du recensement de 1966 que «ce furent grosso-modo les populations originelles d’Alger toutes classes confondues qui furent les principales bénéficiaires de la conjoncture de vacance urbaine... D'autre part, des processus complexes d'adaptations culturelles prolongeait ces changements de résidence. On les retrouve dans les nouvelles postures corporelles, dans les habits, les rapports au logement... «En 1962» écrit-il, «nous étions en présence d'une Révolution urbaine radicale... Cette radicalité (se situait) aussi au niveau du renversement des logiques spatiales et sociales de reproduction et au niveau de Ici modification des systèmes de valeur et de comportement ».

Les éléments essentiels étant en place, entre 1966 et 1981, l'Etat décide d'intervenir directement dans la ville. Grâce à la rente pétrolière qui permet l'émergence de cadres à cols blancs qui vont assurer l'encadrement politique moyen, le relais, grâce à un dispositif institutionnel et réglementaire, l'Etat en fait confisque la ville.

La démonstration est claire mais pêche par une trop grande proximité par rapport aux textes juridiques. Or, on sait le décalage qui existe chez nous entre le texte de loi et sa réalité sur le terrain. Les A.P.C. ont certes des pouvoirs, que leur confère le Code communal (de 1967, etc...), mais les études de cas manquent qui auraient mis en évidence les pouvoirs des walis et leur immixtion dans les affaires communales. Mais, en fait et à juste titre, l'A va plus loin en démontrant d'une part la fausse hégémonie du secteur public dans l'offre de logement, et d'autre part comment l'Etat va neutraliser «le front urbain» en laissant faire un marché informel et la magouille. Mais explique-t-il, « ce glissement vers l'informalité du système ne remettait pas en cause le consensus implicite qui s 'était noué à I 'origine entre le pouvoir et la société civile à propos du partage et de l'usufruit du butin de guerre immobilier…»

Les modalités de confiscation de la ville sont clairement explicitées. Elles ne sont pas propres à Alger, mais elles y ont pris un tour dramatique du fait du statut même de la ville. En tout état de cause, l’intrusion du marché a imposé de nouvelles donnes.

En abordant la réforme du système urbain algérois, l'A. montre combien ont pu jouer non seulement les pesanteurs idéologiques, mais également celles de l'histoire. Certes, la question de la rupture d'avec les pratiques culturelles coloniales n'est pas abordée en ces termes mais le fait de passer de la norme « indigène» à la norme «algérienne», Si elle ne sert pas d'alibi à la ségrégation sociale comme à l'époque coloniale, va servir à l'invention de la norme unique en matière d'habitat.

Le résultat du désengagement de l'Etat, de la formation d'un marché immobilier par la cession des Biens de l'Etat, dont les réelles intentions sont bien décrites, aboutissent à cette capture du marché par «ceux qui sont le mieux placés dans les filières d'accès et de distribution administrées». La lecture des petites annonces aide à saisir l'évaluation tant physique que financière du trafic immobilier ainsi que sa localisation et sa distribution. Nous aboutissons ainsi à une ville éclatée dont les différentes stratégies qui s'y affrontent rendent impossible la modernisation. Relire d'autres villes à l'aune de cet ouvrage aiderait non seulement à comprendre leur évolution urbaine, mais aussi à corroborer et renforcer les thèses de Madani Safar-Zitoun.

Auteur

Fouad Soufl

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