Société colonisée et droit colonial:Les Elus des délégations arabe et kabyle face au projet Albin ROZET

Insaniyat N°5 | 1998 | Villes Algériennes | p. 187-196 | Texte intégral


Mohamed ADDA-DJELLOUL: Juriste - Enseignant, Institut de Droit, Université d'Oran, 31 000, Oran, Algérie


Assurer l'ordre et la sécurité, était un des buts essentiels de la politique coloniale, puisque sans un minimum de sécurité, il ne pouvait y avoir de développement de la colonisation ou de la vie économique. L'organisation d'une justice répressive spéciale aux Musulmans est l'une des manifestations les plus éclatantes de l'ordre colonial. Elle révèle la volonté de domination et la peur de l'élément Européen. Elle repose non pas sur la légalité, mais sur la force.

Le régime de 1'Indigénat avec ses infractions et ses peines spéciales est donc une atteinte particulièrement grave au principe de l'égalité de tous devant la loi[1].

Aussi les Autorités Françaises établirent des juridictions et des infractions spéciales aux non-citoyens [2].

Il y a là des survivances des méthodes de l'Administration Turque. Depuis l'ordonnance du 26 Septembre 1842, les Musulmans du territoire civil qui se limitait au littoral sauf entre Alger et Bougie, étaient soumis aux lois pénales Françaises pour la juridiction, comme pour la détermination des infractions et des peines. Les crimes, les délits, les contraventions commis par les Musulmans étaient déférés comme ceux que commettent les Européens aux trois degrés des tribunaux répressifs:

Cours d'assises, Tribunaux correctionnels, tribunaux de simple police. Suivant les mêmes règles de compétences, et avec les mêmes formes de procédure pratiquée en France.

Au fur et à mesure que se développait l'étendue du territoire civil au détriment du territoire militaire, le principe d'assimilation s'appliquait sur une plus grande surface, à un plus grand nombre de justiciables[3].

Le premier pas vers la différenciation entre la justice pénale indigène, et la justice pénale française fut fait. La différence de traitement apparaissait dans l'incrimination de faits licites pour les Européens, beaucoup plus que dans des règles spéciales de compétences ou de procédure[4]. Les infractions qui créaient des arrêtés préfectoraux étaient punies de peines de simple police, et déférés conformément au Droit comme français, au tribunal de simple police. Pour être plus efficaces, les juges prononçaient en cette matière sans frais, et sans appel, des peines d'emprisonnement[5]. Mors que l'article 471 du code pénal ne donnait comme sanction aux arrêtés préfectoraux qu'une amende de un à cinq francs, et l'appel était possible contre les jugements rendus par les tribunaux de simple police prononçant l'emprisonnement ou des peines supérieures à cinq francs [6].

1. Attitude des Délégués Financiers Européens

Ces mesures furent jugées insuffisantes par les Délégués Financiers Européens, qui réclamèrent la répression efficace des délits commis par l'indigène, que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne pouvaient juger rapidement.

Il est à noter que cette position tient pour beaucoup à l'insuffisance de la police des villes, et de la gendarmerie dans les campagnes, et au désir de procédures plus rapides. Donc moins onéreuses pour les plaideurs. Ils préconisent la création de commissions administratives à compétence judiciaire [7], Cette organisation judiciaire pénale, frappée d’illégalité, car seule une loi en Droit public français pourrait créer des tribunaux nouveaux, allait traiter de tous les délits commis par les musulmans non-citoyens. Cette compétence se limitait en territoire civil seulement. Dans l'ordre judiciaire, comme dans l'ordre administratif la France s'éloignait du principe de l'assimilation pour consacrer celui de la discrimination. De plus la présidence de ces tribunaux répressifs était confiée dans les communes mixtes [8] aux Administrateurs et Administrateurs adjoints (en même temps chargés des fonctions du Ministère public), et dans les communes de plein exercice[9] à un juge de paix.

Le président était assisté de deux assesseurs nommés par le Gouverneur général, qui seuls statuaient aux termes du décret du 29 mars 1902. Cette jurIdiction était exceptionnelle en Droit Français: en France le principe consacré était que toute sentence devait être rendue au moins en présence de trois magistrats. De plus les assesseurs Algériens n'étaient pas rétribués; ce qui prêtait le flanc de la corruption; d'autant plus que pour être assesseur, il suffisait d'être soit citoyen français fonctionnaire, ou notable âgé de 25 ans, soit être fonctionnaire ou notable indigène âgé de 25 ans et comprendre le français[10].

L'institution du Juge unique avait pour seul avantage de compter moins cher aux contribuables, mais donnait de moindres garanties aux plaideurs. Ces tribunaux d'inspiration administrative composés de membres nommés par le Gouverneur Général, présidés dans les communes de plein exercice par le Juge de Paix, et dans les communes mixtes par un Administrateur, allaient soustraire aux tribunaux répressifs normaux des millions de Musulmans non-citoyens [11].

Cette organisation de la justice répressive qui comportait confusion du pouvoir réglementaire, et du pouvoir judiciaire, fut critiquée par les Délégués non-colons LISBONNE et MORINAUD [12] qui demandaient la réorganisation de ces tribunaux à défaut de leur suppression.

Selon eux, la mise en place de juridictions répressives d'exception n'a pas eu pour seul effet d'alourdir l'organisation juridictionnelle en Algérie et de voir naître de nouvelles institutions, mais en outre, ces dernières ont donné naissance à de nouvelles règles juridiques; par leur intermédiaire on assiste à la création d'un Droit pénal propre aux Musulmans, [13] De même, ils souhaitaient voir des suppléants rétribués exercer les fonctions de Ministère Public à la place des Administrateurs et des adjoints.

Ces derniers pensaient-ils « n'étaient pas dans les conditions requises pour remplir ces fonctions»; ils n'étaient pas rétribués pour cette charge.

A cet effet, le commissaire du gouvernement présent à la séance leur opposa les vues de l'Administration. Celle-ci tenait à maintenir l'organisation de ces tribunaux telle qu'elle existait. Le gouvernement général avait le droit d'occuper le Ministère public, et de désigner à cet effet les administrateurs, car s'il fallait éliminer ces fonctionnaires, il faudrait voter un supplément de crédits pour rétribuer les 60 ou 70 suppléants nécessaires au fonctionnement des tribunaux répressifs.

N'ayant eu aucune audience en Algérie, MORINAUD qui était à la fois Délégué Financier, et député au Parlement français soumet l'affaire à l'opinion parlementaire.

C'est alors qu'Albin ROZET dépose un projet de loi tendant à la suppression des pouvoirs disciplinaires des administrateurs, de l'internement des indigènes, et tendant à la réduction des pouvoirs des tribunaux répressifs, et à la refonte du code de l'indigénat, dans le sens d'une assimilation au code pénal français [14].

Il ressort clairement que dès les débuts de la conquête, une seule considération prime aux yeux des autorités militaires : assurer l'ordre public par tous les moyens. C'est ce qui explique la prolifération des mesures d'exception. Deux sortes de mesures sont plus particulièrement retenues : la contrainte physique et la contrainte patrimoniale. Cette dernière sera d'autant plus particulièrement appréciée qu'elle permet de satisfaire, en sus du maintien de l'ordre, à deux exigences plus générales: accroître des ressources de la colonie et mobiliser des terres en faveur de la colonisation [15].

La réalisation de ce double but explique que le régime introduit en 1830, et justifié par les besoins immédiats de l'occupation n'allait pas disparaître. Loin de là, sous le nom de code de l'indigénat, il devait être officialisé, et considéré comme l'une des manifestations élémentaires d'un système colonial.

A travers lui, on commence à appréhender le fait colonial sous l'angle administratif, c'est-à-dire la définition de deux populations que rien ne peut véritablement fondre, l'une étant irréversiblement proclamée inférieure à la seconde [16].

2. Les lignes directrices du projet Albin ROZET de 1920

Le projet d'Albin ROZET n'assurait certes pas de grandes libertés aux populations indigènes, il ne mettait même pas en question l'existence même du code de l'indigénat [17] En effet, pour la sécurité l'article 17 de cette proposition rend applicable les articles 471 et 474 du code pénal pour une série d'infractions telle que l'asile donné aux vagabonds sans informer le chef du douar, infraction sanctionnée moins sévèrement. De même les articles 8-9-10 réglementent d'une façon très stricte la libre circulation des indigènes à l'extérieur comme à l'intérieur de la colonie.

Cette liberté appelle quelques explications, elle est solennellement proclamée dans la constitution de 1791[18]. C'est un droit naturel et civil pour tout homme d'aller, rester, partir sans pouvoir être arrêté, ni détenu que selon les formes édictées par la constitution [19], alors que sous l'ancien régime cette liberté était totale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mises à part les quelques exceptions résultant du servage, la Révolution introduisait à la fois la notion de passeport, et celle de surveillance des étrangers.

Il apparaît des lois, que la liberté de circulation n'existait qu'à 1'état embryonnaire durant le XIXè siècle. Si l'on tient compte des caractéristiques de l'Algérie, on s'aperçoit qu'elle ne pouvait y être qu'inexistante. Longtemps le territoire militaire algérien sera réputé non seulement territoire militaire, mais en outre zone d'hostilité; dès lors un contrôle très strict sera exercé sur les populations. De nouvelles instructions sont précisément données par un décret impérial du 8 août 1854 créant les Bureaux arabes départementaux en territoire civil.

L'article 15 à titre transitoire accorde aux indigènes la liberté de quitter le territoire militaire pour le territoire civil, à la seule condition de justifier de l'acquittement des impôts et amendes encourues. Ce quitus fiscal permet de contrôler les départs, et vient restreindre cette prétendue «liberté». Toutefois cette liberté de circulation ainsi contrôlée paraissait curieuse si un arrêté du prince Jérôme BONAPARTE, Ministre de l'Algérie et la directive d'application rendue le 4 décembre 1858 ne venaient pas expliquer l'attitude des autorités «laissez les arabes circuler sans entraves sur toute la surface du territoire, à la recherche du travail, et du bien être, qu'ils soient libres de suivre l'appât de leurs intérêts et de transporter leur personne, leur argent, leur industrie, partout où brillera pour eux l'espoir d'une condition meilleure. C'est par ces moyens seuls que nous arriverons à rompre la cohésion de la tribu, à lui enlever tout caractère politique, et à lui substituer notre organisation municipale» [20].

3. Quelle fut l'attitude adoptée par les Délégués indigènes [21] dans le projet d'Albin ROZET

Les Délégués arabes ne sont pas d'accord avec les Délégués kabyles qui par l'intermédiaire de AIT MEHDI précise que les délégués kabyles «sont des gens de l'ordre [22] et l'intérêt des indigènes est dans le maintien de cet ordre établi». Il conjure Albin ROZET d'abandonner son projet dont la réalisation serait la négation même du bien-être, du progrès, et de la paix en Algérie. Le délégué AIT MEHDI classe Albin ROZET parmi les plus illustres défenseurs de la société indigène, mais lui reproche son ignorance des réalités douloureuses algériennes comme le manque de sécurité [23] Allant plus loin, il déclare «l'expérience du nouveau code de l'indigénat sera si lamentable que 1'on ne tardera pas à faire appel à un autre système de répression plus terrible que tous les précédents. Il faut ignorer les hommes, et les choses de ce pays, pour ne pas prévoir cette pénible, mais fatale éventualité» [24]

En d'autres termes AIT MEHDI est contre l'aggravation des peines prévues par le nouveau code de l'indigénat proposé par Albin ROZET même au prix de quelques libertés accordées aux «indigènes honnêtes». L'amertume du délégué indigène AIT MEIIIDI est profonde, elle ne peut manquer d'évoquer les répressions passées auxquelles se sont livrées les autorités françaises.

Nous pouvons redouter avec lui, les réactions de l'autorité locale à la suite de toute action de détente préconisée par le parlement français, tant les antagonismes étaient prêts à exploser. Malgré tout, les premiers arguments avancés par AIT MEHDI contre le projet de réforme d’Albin ROZET demeurent psychologiques donc fragiles. Quant à confier la répression aux juges de paix le délégué indigène déclare : «nous manquerions dans tous les cas au loyalisme le plus élémentaire et au devoir de trait d'union entre la France, si nous ne disions pas hautement: la suppression de l'internement, et la mise de l'indigénat entre les mains des juges de paix, c'est notre inévitable ruine, et la plus imprudente brèche que l'on puisse faire à l'action française dans ce pays » [25].

AIT MEHDI essaye de justifier sa position par des arguments politiques: le loyalisme qu'il veut affiche à l'égard de l'Administration n'est en quelque sorte qu'un appel à la clémence du Gouverneur à l'égard des populations musulmanes. Il va plus loin, il défend l'autorité des administrateurs; selon lui la connaissance des milieux indigènes, l'expérience algérienne vécue par les Administrateurs l'emportaient sur les connaissances toutes théoriques du juge de paix. Le ministère des premiers, était plus souhaitable que celui des seconds. Ce serait en somme une idée très « colonialiste» l'homme connaissant le pays, opposé au théoricien. Qu'est-ce qu'un juge de paix demanda t-il? [26]

Un jeune homme obtenant la licence en Droit vers 22 ans, attaché à un barreau de 22 à 25 ans, nommé suppléant du juge de paix et titularisé un an ou deux après, sans expérience juridique, ni connaissance de mœurs, ce jeune magistrat vit en outre en dehors de tout milieu intellectuel, et loin de toute bibliothèque, de tout conseiller, de tout barreau, ce qui ne l'empêche pas de juger une moyenne de 150 à 200 affaires musulmanes. Il s'occupe de la simple police, des transports civils, et contrôle environ 400 tutelles par an.

Bref, il dirige le tribunal répressif qui n'est pas une sinécure, et comme ces occupations aussi importantes que variées ne suffisaient pas à absorber l'activité de ces magistrats généralement dépourvus de suppléant, depuis que la police judiciaire leur a été retirée, on trouva opportun de transformer, il y a 3 ans, les justices de paix en véritables tribunaux, ce fut là l'innovation d'un autre tribunal d'exception [27]. Au magistrat intellectuel fraîchement sorti des facultés AIT MEHDI préfère «l’Administrateur bien que licencié en Droit ou des langues orientales». AIT MEFIDI apparaît comme un excellent observateur et stigmatise les conflits entre le pouvoir judiciaire du juge de paix, et celui de l'Administrateur fort de son pouvoir réglementaire.

Ainsi, il semble bien que la population musulmane ait en recours le moins possible aux juridictions françaises. La dualité qui naîtra entre les deux services entraînera des conflits dont le pauvre administré justiciable fera fatalement les frais. Car comme le précise notre délégué «selon que le juge de paix sera l'ami ou l'ennemi de l'Administration, on condamnera les innocents, ou l'on acquittera les coupables, et nous n'avons même pas le temps de crier comme le coq de la Fable, séparés des combattants, c'est nous qui ferions la sauce». Nous comprenons très bien les raisons qui font que notre délégué préfère l'ordre administratif, il fait plutôt confiance à l'Administrateur expérimenté qu'un juge de bonne volonté. Ce qui décide Surtout sa préférence pour une justice rendue par un Administrateur, c'est que si celui-ci ne remplit pas bien sa fonction, on peut s'adresser à ses supérieurs : le Sous-préfet, le Préfet, et le Gouverneur, pour le rappeler à une compréhension plus nette de ses devoirs tandis que le juge de paix est naître absolu de ses décisions en premier ressort [28].

AIT MERDI ne critique pas les principes de l'organisation mais seulement les personnes. il est compréhensible que dans un régime administratif, autoritaire, on ne peut critiquer que les personnes, attaquer le régime aurait été qualifié d'atteinte à la souveraineté française.

Quant à l'Administration, LUCIANI commissaire du gouvernement soutient la thèse du projet de réforme d'Albin ROZET dans la mesure où les nouvelles pénalités créées par le code de l'indigénat réformé, ne seront que rarement appliquées, tandis que les contraventions spéciales proprement dites, celles que l'Administration est forcée de réprimer très fréquemment ne seront possibles que de 5 francs d'amende au maximum, aussi bien dans les communes mixtes, que dans les communes de plein exercice. Le problème de la sécurité oppose là, comme d'ordinaire, les théoriciens de la rédaction des sanctions à leurs adversaires.

En résumé l'Administration a fait sienne les résolutions du projet de réforme du code de l'indigénat proposé par Albin ROZET. Elle était en quelque sorte plutôt pour un régime d'intimidation que pour un régime de répression féroce, à l'opposé de la délégation kabyle désireuse du maintien du statu-quo.

4- La délégation arabe

Malgré l'apparent soutien qu'apporte la Délégation arabe à l'Administration, il n'apparaît pas moins dans sa motion [29] une critique sévère des différentes discriminations du régime répressif à l'égard des indigènes, selon qu'ils résidaient en communes mixtes, ou en communes de plein exercice. Les uns justiciables des Administrateurs, les autres des juges de paix, les seconds se voyaient refuser le droit d'appel, les premiers en avaient la possibilité[30].

En pratique cet appel était certes illusoire, car le désaveu d'un subordonné, l'Administrateur par son supérieur sous-préfet et préfet reste rare, mais n'est cependant pas exceptionnel. Peut-être en aurait-il été autrement, Si la requête était présentée par un notable tel qu'un délégué financier indigène.

La délégation arabe, tout comme la délégation kabyle se caractérise par sa méfiance à l'égard des juges de paix dont les décisions ne sont pas susceptibles d'appel, en matière d'application du code de l'indigénat, elle leur préfère les Administrateurs, autorité plus proche du justiciable, plus humanitaire.

Arabes et kabyles jugent que l'assimilation, c'est-à-dire l'application du droit commun en matière répressive passe par le développement de l'instruction. Cette attitude peut s'expliquer par le caractère de la procédure pénale française trop tatillonne, plus difficilement comprise par les indigènes, que la procédure simplifiée de l'Administration.

Aussi la délégation musulmane demande t-elle le maintien du statu­-quo (sauf les quelques retouches signalées par quelques délégués arabes) tout en invoquant des arguments analogues. La délégation arabe traduit plus directement, et plus concrètement les désideratas des populations qu'elle représente, elle paraît plus consciente des intérêts immédiats de ses mandants.

Cette attitude négative des Délégués indigènes à l'égard des juges de paix s'explique. Ces magistrats sont dans le cadre judiciaire métropolitain. Ils étaient donc étrangers à la collectivité algérienne, et constituaient un pouvoir moins dépendant de celui du gouverneur général. Sachant que les Musulmans relevaient uniquement et strictement du Gouverneur général, il était normal que les représentants des populations indigènes défendent le corps des Administrateurs.

Toute émancipation, toute proposition passait par le bon vouloir de l'Administration : attribution d'un poste dans la fonction publique, incorporation comme volontaire dans l'armée, nomination à un poste de commandement, à un ministère du culte, demande de naturalisation. Il faut noter que les indigènes n'envoyaient pas de députés ni de sénateurs an sein de Parlement, ce qui rendait encore plus fort le lien qui les unissait au Gouverneur général. Ils n'avaient de rapports qu'avec les agents de l'Administration locale, les décisions politiques du pouvoir central ne leur parvenaient qu'une fois filtrées par le Gouverneur général, et l'Administration. Nous comprenons donc leur docilité à l'égard de cette dernière. Il est humain de n'obéir d'abord qu'à l'autorité qui s'exerce directement, en l'occurrence au pouvoir administratif [31].

La docilité des élus indigènes n'a été qu'une tentative adaptation au pouvoir tout puissant de l'Administration, assurant par-là à l'ensemble de la collectivité algérienne un moyen de subsistance. Nous ne pouvons conclure sans nous étonner de la méfiance manifestée par les Délégués Indigènes à l'égard du juge de paix, et qui va contre la conception française de la séparation des pouvoirs. Cette méfiance existe chez les Kabyles et chez les arabes; leurs arguments contre le juge de paix ne sont pas toujours fondés. Si le juge de paix a beaucoup d'affaires à traiter, c'est tout de même un spécialiste, un bon connaisseur du droit, et du droit pénal, mais ignorant tout des usages coraniques. L'Administrateur lui aussi, est surchargé d'affaires, beaucoup plus sans doute que le juge, mais il Sait que ses administrés n'ont pas tous les mêmes traditions.

D'autre part, tous les Administrateurs connaissent-ils Si bien le code pénal?

Curieusement 1' Administrateur est censé plus respectueux des libertés publiques que le juge. Peut-être cette attitude vient-elle du pouvoir de l'Administration qui délivre tous les papiers administratifs importants, de la confusion des pouvoirs en Islam, de ce que le cadi est juge et administrateur en même temps, de la complexité de la procédure judiciaire française, face à la procédure expéditive de l'Administrateur, de ce que l'on reproche inconsciemment au juge de paix d'avoir pris la place du cadi.


Notes

[1]- COLLOT, Claude.- Les Institutions de l'Algérie durant la période coloniale (1830-1962).- Editions de CNRS, 1987.-p. 190.

[2]- Voir LARCHER, E..- Législation Algérienne.- T. 1, livre II, Chapitre III.-­ p.12.

[3]- LARCHER, E..- Op. Cité.- p. 137.

[4]- LARCHER, E..- Op.cité.- p. 139.

[5]- LARCHER, E..- Op.cité.- p. 139.

[6]- Article 172 du code d'instruction criminelle.

[7]- Délibération du 27 déc. 1910, P.V. des délégations financières, Section Colon.- p. 50.

[8]- Les communes mixtes apparaissaient essentiellement comme un régime transitoire et restrictif destiné a favoriser l'implantation des communes de plein exercice.

[9]-Ce sont de véritables communes ayant une pleine capacité comme leurs homologues français.

[10]- Décret du 29 mars 1902, article 2.

[11]- Le soulèvement de la Kabylie provoque en 1874 la décision de réglementer des infractions spéciales, non punies par la loi pénale française. La loi de 1881 confie aux administrateurs de communes mixtes le soin de les réprimer dans leurs circonscriptions. Les pouvoirs leur seront retirés en 1927 mais ces infractions spéciales demeurent jusqu'à l'ordonnance du 7 mars 1944 réprimés par les juges de paix.

Voir COLLET, C..- Op.cité.- p. 190.

Voir GANTOlS, R.- l'accession des indigènes algériens à la qualité de.,.

[12]- Voir P.V des Délégations Financières, séance du I avril 1920, section non-colon.- p. 451.

[13]- MAUVIER, R.- Lois françaises et coutumes indigènes en Algérie.- Paris, Domat, Montchrestien, 1936.-p. Il.

[14]- Voir P.V. des Délégations Financières, séance du 12 Juin 1920, section colon.- p. 590.

[15]- GIRAULT, k- Principes de colonisation, et de législation coloniale.- IIIè Partie: l'Algérie du Nord, 7e éd. Par MILLOT, L.- 1938.- p. 32.

[16]- NORES, E..- L'œuvre de la France en Algérie, la justice.- Paris, Alcan, 1931.-p. 25.

[17]- Voir RUYSSEN, R,- Le code de 1'indigénat en Algérie.- Paris, 1908.

MARNEUR, F..- L'indigénat en Algérie, considération sur le régime actuel critique, projet de réforme.- thèse, Paris, 1914.

[18]- BURDEAU, G..- Les libertés publiques.- Paris, 1966.-p. 36.

[19]- HEYMANN, K.- Les libertés publiques et la guerre d'Algérie.- Paris, 1972.-p.15

[20]- Cité par COLLET, C.- Op.cité.- p. 298.

[21]- La Délégation indigène était subdivisée en deux: arabes et kabyles.

[22]- P.V. des Délégations Financières, section kabyle, séance du 30 mai 1920.- p.56.

[23]- Il est à noter qu'il y a en une augmentation de la délinquance, et de la criminalité en Algérie comme en France de 1914 à 1920.

[24]- P.V. des Délégations Financières I section kabyle, séance du 30 mai 1920.-p.56.

[25]- Intervention du Délégué AIT MEHDI, séance du 30 mai 1910, t4.- p.58.

[26]- ZEYS, Z..- Les juges de paix algériens.- Alger, 1893.- p.p. 181 et suiv.

[27]- Intervention du Délégué AIT MEHDI' séance du 30 mai 1910, t4.- p.p. 59- 60.

[28]- Les magistrats connaissent de toutes les actions personnelles et mobilières tant en matière civile que commerciale, en dernier ressort jusqu'à 500 F à charge d'appel jusqu'à 1000 F. En outre ils étaient investis des pouvoirs du président des tribunaux de première instance, on ce sens qu'en référé ils pouvaient ordonner toute mesure conservatoire. Enfin on matière correctionnelle, ils se prononçaient sur toutes les contraventions de la compétence des tribunaux correctionnels.

Cf. BONTEMPS, C..- Manuel des institutions Algériennes de la domination Turque à l'indépendance.- Paris, Edition CNRS, t1, 1971.

[29]- Voir P.V des Délégations Financières, session du 09 Juin 1920, section arabe.- p. 110.

[30]- Ils avaient la possibilité de faire appel auprès du Sous-Préfet, et du Préfet supérieurs hiérarchiques des Administrateurs.

[31]- BEAUDICOURT (L. De).- Histoire de la colonisation de l'Algérie. ­Challamel, 1866.- p. 482.

 

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