Une saison à la Mecque, récit de pèlerinage. Abdallah HAMMOUDI. Paris, Le Seuil, 2005.

Ce récit est d’abord une enquête sur l’un des piliers de l’Islam, soit l’accomplissement du pèlerinage aux deux villes saintes: la Mecque et Médine. C’est aussi une quête existentielle des origines où l’auteur musulman et anthropologue fait le récit de son expérience du pèlerinage. «Mon projet reste […] initiatique» dit d’emblée Abdallah Hammoudi, un «cheminement» une «pérégrination» ponctués par des allers et retours, des haltes, mais aussi par des interrogations, des angoisses et des incertitudes sur la religion, sur l’identité. Le voyage qu’il entreprend, se veut «retour sur soi» par conséquent, « une recherche à double sens: celle d’un salut et celle de la vérité».

On ne se rend pas en pèlerinage aux lieux saints de l’Islam aisément. Tout pays musulman est soumis à un contingent de pèlerins autorisé à partir en Arabie Saoudite. Comme ailleurs, les procédures d’inscription sur la liste des candidats au départ prennent un tour tantôt comique tantôt dramatique. L’auteur quitte l’université de Princeton où il enseigne plusieurs mois à l’avance pour remplir justement les diverses formalités qui ne se limitent pas uniquement à l’inscription sur une liste et à la présentation d’un dossier dûment rempli… C’est à un véritable parcours de combattant que le futur Hadj doit se prêter: visite médicale, vaccination, avant de suivre le programme établi par l’administration des Affaires religieuses où des directives du rituel sont dispensées. L’autorité publique se mobilise ainsi, tous les ans, pour apprendre aux croyants à « se rendre à Dieu».

Après, la cérémonie des adieux, les pèlerins sont acheminés par avion vers Djeddah. Puis sans transition, c’est la rencontre avec al-Madina al-Munawara, où se trouvent la tombe du prophète Mohammed. A Médine, Abdallah Hammoudi a cherché aussi, à retrouver les traces de l’antique Yathrib, la «ville qui avait précédé l’invention du temps», le cimetière des compagnons du prophète, les tombes des imams chiites… autant de lieux chargés d’histoire, mais relégués à l’arrière plan quand ils n’ont pas été détruits par un «urbanisme totalitaire et policier». Seul le marché aux dattes a conservé un lien avec la «communauté charismatique» et celle qui lui était antérieure.

Médine vit du passage continuel des vagues de pèlerins qui, après avoir fait leurs dévotions, sillonnent les marchés regorgeant de marchandises venues du monde entier, marchés tenus par des Saoudiens mais également par des Afghans, des Pakistanais… Médine, la «maison mythologique» ne représentait qu’une halte. Le véritable pèlerinage est lié à l’état d’irham, état de sacralité qui commence dès l’étape suivante, celle qui mène vers La Mecque, «la maison de Dieu». Les circumambulations autour de la Ka’aba, les parcours de Safa et Marwa, Mina, Muzdalifa, la lapidation de la colonne d’Aqaba, le sacrifice à Arafat, … exercent leur fascination sur tous les croyants.

Dans une telle atmosphère de piété et de ferveur, comment faire de l’observation et de l’analyse du Hadj? Quels sens donner à la somme des «adorations»/ Ibadat et des «cultes»/ Manasik? Et suffit-il d’y participer pour en saisir toutes les significations? La solitude du chercheur est extrême au milieu de la foule communiante: l’impossibilité de communiquer, de réfléchir sur la religion d’en débattre sous peine de déclencher immédiatement et sans appel une condamnation est vécue douloureusement. Le partage de la même foi ne pouvait-il s’accommoder de la réflexion, du regard du savant? Ou condamnait-il par avance la liberté de parole qui de fait, était mise sous haute surveillance, exercée par une espèce de milice dont le zèle égale leur ignorance.

Comment ne pas réfléchir aux symboles du rituel, à leurs rôles sociaux et politiques? Autrement dit, est-il possible de faire abstraction de l’insertion dans le monde contemporain et de ses contraintes? De la menace de la «domination des puissances», de «l’hypertrophie de nos Etats (doublée de leurs conflits et de leur impotence), à la pulvérisation poussée des formes et des normes de l’après - colonisation, et à la montée en puissance sans précédent dans certaines nations – les Etats-Unis et Israël en particulier – de courants extrémistes»? Le sort du peuple palestinien et son aspiration nationale blessaient les consciences musulmanes, paralysées par l’omniscience des «théodicées nouvelles». Cette dimension politique de la domination, focalisée dans la question palestinienne, exprime le malheur du monde musulman et la perte de confiance en l’avenir.

Le récit de l’anthropologue, aux sources de la tradition musulmane, s’offre alors comme une voie créatrice en mesure de se saisir de l’histoire, et de fournir ainsi une« histoire d’une existence possible», ouverte sur l’avenir. Seul le pouvoir de l’écriture est en mesure d’avoir une prise sur ce cheminement personnel, parti à la recherche de repères et de filiation, à travers le pèlerinage, aujourd’hui. Autrement dit dans un monde contemporain, marqué du sceau de l’altérité.

Le retour d’Abdallah Hammoudi ne donna pas lieu à la fête qui consacre le pèlerin du titre de Hadj. Il ne pouvait en être autrement pour un esprit critique, aux antipodes du conformisme ambiant, hostile aux déformations introduites par le courant wahabite et qui sévissent en Arabie Saoudite, désarmé devant les tracasseries d’une Administration dont la corruption n’épargne pas les préparatifs qui entourent le pèlerinage. Et que dire du traitement que l’on réserve aux femmes? De nombreux passages traduisent l’émoi de l’auteur à la conscience meurtrie plus d’une fois par une remarque déplacée d’un agent zélé… Que d’épreuves endurées au nom du droit à la connaissance!

auteur

Ouanassa SIARI-TENGOUR

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