Le Concept De Société En Relations Internationales. Approches Théoriques D'une Sociologie De La Scène Mondiale

N°47-48 | 2010  | Communautés, Identités et Histoire | p. 67-90 | Texte intégral


The concept of society in international relations: Theoretical approaches for a planetary sociology

Abstract: Stemming from international relations, which give them an academic legitimacy, the expressions “international society” and “ global  society “are used more and more by researchers and more generally by the media. This article questions the validity of such expressions with regards to the theoretical exigencies of the discipline to which the concept of society belongs, namely sociology.  On the one hand it tries to show that society is not an ensemble of disembodied beings but an assembly of subjective beings and,  on the other hand it is formed from an identity given by an ethnocentric  matrix. However due to the fact that there is no ethnocentrism at a planetary level, there can’t be a planetary society. There is nevertheless a global world scene marked by transnational flux, expressing a greater opening of local societies which have been globalized, giving birth to a transnational society, which although a reality has no geographical existence.

Keywords : Society - planetary society - international society - transnational society - international relations.     


Lahouari ADDI :  Professeur de sociologie à l’IEP de Lyon, chercheur à Triangle.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie 


Dans la tradition sociologique, les rapports humains ont toujours été analysés soit sous l'angle de la conflictualité, soit sous celui de la cohésion, et les rapports internationaux n'ont pas échappé à cette règle; certains auteurs y voient conflictualité et agressivité; d'autres y voient coopération et recherche de la paix. Qu'ils soient belliqueux ou pacifiques, les rapports en question dessinent un espace dans lequel des universitaires distinguent la formation d’une « société internationale », communauté d’États, fonctionnant peu ou prou à l'image de la société nationale, à la seule différence qu'elle ne possède pas d'organe détenant le monopole de la force. Pour l'approche de la conflictualité - le courant dit réaliste - cette société est marquée par l'état de nature hobbesien et le sera toujours. Pour l'approche rivale, c'est-à-dire les libéraux, cette société est certes marquée par l'anarchie - dans le sens où il n'y a pas d'autorité supérieure à celle des États - mais cette anarchie n'est pas synonyme de désordre et de guerres permanentes. Ce qui serait à retenir est que les internationalistes ont, dès l'origine, privilégié deux thèmes de la scène mondiale, la guerre et la paix, puisant dans la philosophie politique, l'histoire des idées, le droit…, et la sociologie n’a été d’aucun secours, si ce n'est en négatif, lorsqu'il est supposé que la société internationale ressemble à une société nationale à qui il manquerait des éléments.  

Sans être d'accord sur cette question, les internationalistes ont usé, et peut-être abusé, de cette notion - en fait désignant leur objet - entendant par là la communauté des États, leurs rapports au sujet de la guerre et de la paix, les accords et désaccords autour de leur sécurité et la volonté de modifier en leur faveur l’équilibre de puissance qui produit la dissuasion. Ils ont construit des approches en terme de "société internationale" comme communauté d'États et de "société mondiale" comme ensemble d'individus constituant le genre humain. Derrière cette différence se dessine une confrontation de courants et de sous-courants cherchant à analyser la réalité internationale: les uns voudraient l’approcher à travers l’État, supposé en être l’acteur principal du fait de ses capacités et de son caractère souverain, les autres préférant mettre l’accent sur les individus, les groupes, les ONG, les entreprises multinationales… dont les actions – à côté de celles des États mais souvent contre elles – se dessinent sur le mode transnational reliant des acteurs de sociétés différentes par delà les frontières désormais poreuses en raison des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTCI). En sorte, une société mondiale serait en formation, ignorant les frontières et provoquant le déclin de l’État-nation[1] et de la notion de souveraineté[2]. Cet article se propose de critiquer ces deux conceptions à partir de leur usage de la notion de « société » pour souligner que celle-ci est une configuration à enracinement anthropologique local. L’intensification, bien réelle, des rapports sociétaux et des échanges transnationaux de biens et de signes sur la scène mondiale, ayant élargi le champ des activités sociales des individus, appelle à forger une catégorie désignant cette réalité débordant le cadre traditionnel de l’État-nation.

La société internationale et ses deux dynamiques contradictoires

Les courants théoriques en sciences sociales expriment en général des perspectives différentes d’un même objet, dans lequel les chercheurs croient discerner l’essence d’un phénomène social qu’ils tentent d’expliquer par des outils conceptuels créés à cet effet ou empruntés à d’autres disciplines. Mais les courants théoriques trouvent leur confirmation – ou leur infirmation - dans le réel et tombent parfois en désuétude, ou survivent en s’enrichissant du préfixe néo. C’est le cas en relations internationales, discipline marquée par deux courants rivaux qui se sont accusés durant les années 1950 et 1960 de favoriser la 3èm. Guerre mondiale et qui, dans les années 1980 et 1990, ont opéré une convergence. Ce qui est en jeu en fait, c’est une grille de lecture des rapports mondiaux et du devenir de la « société internationale », dont l’existence est posée implicitement ou explicitement. Cette société, disent les réalistes, est informelle et est constamment menacée par la nature belliqueuse de l’homme, ce qui renvoie à l'anthropologie ou à la sociologie des rapports entre groupes ; elle est une réalité unie par des valeurs communes, dont le droit international est l’illustration, rétorquent les libéraux. Mais ces deux courants vont converger en acceptant des compromis : l'un abandonnera l'explication par l'anthropologie humaine et la sociologie des rapports de groupes, et l'autre acceptera le principe d'anarchie pour convenir que le monde est un système social anarchique obéissant à des règles et des valeurs communes. Cette convergence n'a été cependant possible que parce que les deux courants se réfèrent - sans le savoir - à la même philosophie politique, celle de Hobbes dont on oublie qu'il a deux faces.

Les deux faces de Hobbes et les justifications du réalisme et du libéralisme  

Depuis au moins sa constitution académique en 1919, la discipline des relations internationales est dominée par le libéralisme et le réalisme - et leurs sous-courants - qui, en apparence, ont semblé irréconciliables, jusqu'à la fin des années 1970. En fait, ils sont des frères jumeaux qui regardent un même objet sous des angles différents. Ils ont tous deux pour référence principale Thomas Hobbes, avec cette seule différence que les réalistes se focalisent sur l'état de nature (Hobbes I), et les libéraux sur l'état civil (Hobbes II) dont ils souhaitent qu'il s'impose au niveau mondial. Les deux courants se sont chacun appropriés une moitié du modèle hobbesien et s'y sont enfermés. Les réalistes ont emprunté l’hypothèse de la guerre de tous contre tous, marquée par l'absence d'un souverain et de droit, et soulignant la logique du rapport de force et de la dissuasion. C'est ainsi qu'ils interprètent la scène mondiale dans laquelle l'État serait obsédé par sa sécurité et son intérêt national garanti par la recherche de la puissance. Les libéraux, parfois avec un accent idéaliste, considèrent que les États, à l'instar des individus du modèle de Hobbes, expriment une volonté de dépasser la situation d’anarchie belliqueuse en montrant leur attachement à la paix garantie par des traités multilatéraux et autres accords bilatéraux, ce qui indique qu'il y a une conscience de l'intérêt commun. Après tout, affirment-ils, le système inter-étatique ne connaît pas que la guerre; celle-ci est une exception et la paix est plutôt la règle. Les relations internationales fonctionneraient selon eux plus à la logique de l'état civil et du contrat social qu'à celle de l'état de nature.

A y regarder de près, les libéraux sont peut-être plus hobesiens que les réalistes, si l'on entend par là la conformité à la pensée de Hobbes, dont la finalité est de démontrer le fondement de l'ordre socio-politique interne. Ce qui est important chez cet auteur, c'est l'idée de contrat social instituant le Souverain. Or l'approche libérale cherche à montrer que la "société internationale" se dote d'institutions de plus en plus nombreuses qui expriment le besoin d'ordre et de coexistence pacifique. A l'opposé, les réalistes apparaissent moins hobbesiens dans la mesure où leur référence principale est celle de l'état de nature qui est une fiction, une hypothèse méthodologique dont la finalité est téléologique.

Certes, Hobbes a évoqué dans le fameux chapitre XIII les relations entre États dont il dit qu'ils sont condamnés à vivre dans l'anarchie, mais ceci n’a été avancé que pour illustrer la démarche globale, du fait précisément que Hobbes ne disposait pas de références historiques attestant de l'existence de l'état de nature. Il a formulé deux hypothèses qui permettent de comprendre la théorie de l'Etat à partir de la finalité de celui-ci. La première, l'état de nature, est méthodologique et l’est restée; l'autre, l'état civil, a gagné en historicité avec la formation de l'État. Sa philosophie politique est principalement d'usage interne et son extension au niveau international par le courant réaliste n’a porté que sur une partie de son modèle, ce qui n’est pas légitime.

L'état de nature ne renvoie pas à une réalité historique, c'est seulement un concept théorique nécessaire à une démonstration globale. Aussi, état de nature et état civil sont deux séquences conceptuelles liées, s'expliquant mutuellement, et il est théoriquement arbitraire d'utiliser l'une sans utiliser l'autre. Se limitant à la première séquence (Hobbes I), les réalistes font de l’hypothèse de l'anarchie une donnée anthropologique constitutive des relations internationales. C'est cette donnée qui fournit au discours de Hans Morgenthau son unité épistémologique, au prix cependant d'un décalage de plus en plus grand avec la réalité internationale[3]. Pour cet auteur en effet, les rapports entre États sont caractéristiques de l’anarchie hobbesienne qui a précédé l’institution du contrat social légitimant le Souverain pour mettre fin à l’état de nature préjudiciable à la sécurité de chacun. Cette référence partielle à Hobbes est ce qui donne une cohérence théorique au réalisme, mais elle soulève deux remarques auxquelles il ne peut répondre. La première est que le modèle de Hobbes n’est pas historique mais méthodologique. Sa pertinence est de montrer la finalité de l’État par une démarche téléologique. Du point de vue historique, nulle part le contrat n’a fondé l’État, si ce n’est de manière symbolique, mais partout le Prince fait comme si l’état civil avait pour fondement le contrat social. La deuxième remarque est que Morgenthau ne retient du modèle de Hobbes que la première séquence – l’état de nature -, oubliant la seconde – l’état civil – alors qu’elles sont liées et se soutiennent mutuellement. Le fondateur du réalisme n’explique pas pourquoi les États, à l’instar des individus de Hobbes, ne fondent pas un état civil, alors qu'il les identifie à des êtres anthropologiques mûs par les mêmes passions que les humains. Cette posture est chez lui un postulat sans lequel tout le raisonnement s’effondrerait. La vision réaliste des relations internationales a eu besoin de séparer Hobbes I de Hobbes II et de donner à l’anarchie un contenu historique, d'où son inclination pour les thèmes de la guerre, de la paix, de la sécurité, de la puissance, de l'armement, etc. La communauté des États formerait une société internationale marquée en permanence par l'imminence de la guerre de tous contre tous, sans qu'il ne soit possible, comme dans l'ordre interne, d'écarter cette menace en confiant le monopole de la force à un gendarme mondial. Mais l’état de nature chez Hobbes est déjà une société, ce qui est aussi implicite chez Morgenthau, avec cette particularité qu’il n’y a pas de loi qui protège les biens (ou territoires) et l’existence des personnes (ou États). Existe-t-il une société sans lois et sans institutions? Il faut rappeler que pour Hobbes le contrat crée l'État et non la société, ce qui implique que celle-ci pré-existe à celui-là auquel elle donne naissance. Ceci prouve que l'état de nature est une fiction que Morgenthau prend pour une réalité historique. Il a assimilé une hypothèse méthodologique à une réalité historique et, ce faisant, a mutilé Hobbes même s’il s’en est réclamé.

Raymond Aron, le Morgenthau européen, a une perception plus dépouillée des relations internationales que son alter ego américain. En 1963, il avait plaidé pour une sociologie des relations internationales, regrettant que les chercheurs de cette discipline aient sous-estimé cet aspect de la vie collective menacée par une guerre potentielle qu’il définit comme rupture du lien social[4]. Ce n'est pas parce que, argumentait-il, qu'il n'existe pas au niveau mondial un organe exerçant le monopole de la violence que la sociologie n'aurait pas d'objet au-delà des frontières de l'État-nation. Il est vrai que depuis sa formation en corpus académique, la sociologie s’était donnée deux limites, le niveau micro (l’action des individus) et le niveau macro (la société), tentant d’éviter autant le psychologisme que le sociologisme. Il a été convenu que la société coïncide avec l’État-nation, limite supérieure de l’action sociale, mais aussi que les rapports entre sociétés, en contact à travers leurs États respectifs, soient laissés à la discipline des relations internationales qui s’est focalisée principalement sur un aspect : le système interétatique. Pour Aron, il existerait d'autres thèmes de la scène mondiale, mais les sciences sociales ne peuvent rendre compte de la totalité de la réalité qui est complexe et infinie. Elles se limitent alors à étudier la partie qui nous interpelle et que nous questionnons pour des raisons liées à notre existence. Aussi, il ne s’est préoccupé que d’un aspect de la réalité mondiale : les rapports entre États, décisifs pour la paix et la guerre. Il pose implicitement l’existence d’une société internationale composée d’États-nations cherchant à assurer leur sécurité dans un monde marqué par la juxtaposition de souverainetés belliqueuses.   

Se référant moins à l’anthropologie, il a tenté de construire une « praxéologie » et une « sociologie » des relations internationales, retenant la guerre et la paix entre les Etats comme objet d’analyse, se focalisant sur les rapports entre groupes sociaux formant des États-nations. Mettant ces rapports en perspective historique, il souligne que la conquête territoriale a toujours été, jusqu'à l'avènement de la société industrielle, une source de richesses. Les groupes nationaux ont souvent cherché à s'étendre au détriment d'autres groupes quand ils sentaient avoir suffisamment de force pour réussir leur entreprise. La modernité n'échappe pas à cette règle, sauf que la conquête territoriale a perdu de son avantage économique[5]. Deux facteurs, dit-il, caractérisent la société internationale : a) une multitude de souverainetés incitant à la guerre et ne reconnaissant aucune autorité supérieure; b) la recherche du profit par le commerce poussant à la paix, puisque, à l’âge industriel, la conquête territoriale n’est plus rentable économiquement. Ces deux facteurs constituent ce qu'il appelle la contradiction structurelle de la société internationale, approfondie par l’apparition de l’arme nucléaire produisant une situation où « la paix est impossible et la guerre improbable ». Il se démarquera cependant du courant dominant de la discipline aux USA en soulignant que la réalité internationale ne peut être analysée par une théorie en raison de la nature du fait social[6]. En wéberien, Aron estime que l’action des individus – et donc aussi des États – relève de la compréhension que seule une sociologie est susceptible de fournir, à la différence de la théorie qui explique et qui prédit, à l’instar de la science économique. Il se heurtera cependant au problème de la prise de décision et de la nature de la compréhension s’agissant d’acteurs collectifs (les États). La sociologie compréhensive s’applique-t-elle à des êtres désincarnés ?

Avec Morgenthau et Aron, le réalisme a été, des années 1940 aux années 1970, la principale grille de lecture de l'espace mondial - identifié au système inter-étatique - aussi bien dans le champ universitaire que chez les politiques. Mais avec le déclin du nombre de conflits entre États, la disqualification de la guerre avec l'apparition de l'arme nucléaire, et surtout la croissance des flux transnationaux, le schéma de pensée réaliste devenait de plus en plus inadéquat pour rendre compte de la réalité internationale.

Le monde comme système social composé d’Etats

Face aux critiques nombreuses, provenant notamment de libéraux transnationalistes, Kenneth Waltz entreprendra de séparer le réalisme de ses présupposés anthropologique et sociologique, sur le modèle, avance-t-il, de la révolution néo-classique en économie (Jevons, L. Walras…) qui aurait donné à l’héritage classique (A. Smith, D. Ricardo…) de nouvelles bases scientifiques[7]. Utilisant Talcott Parsons, mais aussi Emile Durkheim, il construit un système international dans lequel le tout a une prééminence sur les parties[8]. Le système international, affirme-t-il, ne puise ses règles ni dans la nature humaine ni dans le régime politique des Etats ; il les puise dans sa structure qui a ses propres lois s’imposant à tous. Le système est certes régulé par l’anarchie, mais celle-ci est un principe ordonnateur d’équilibre[9]. Les membres du système international (les Etats) disposent de ressources inégales (puissance) et apprécient leurs intérêts en fonction de leur position dans la structure mondiale. S’ils ont suffisamment de ressources pour changer de position, même s’il le faut par la guerre, ils le tenteront ; sinon, ils se contenteront de préserver les seuls intérêts auxquels ils peuvent prétendre. En donnant au système international son autonomie, Waltz prétend avoir délivré la discipline du défaut réductionniste et avoir résolu le problème du niveau d'analyse. Le système n'obéit ni aux individus, ni aux Etats, mais à lui-même, imposant sa logique et ses contraintes à ses parties. Avec Waltz, la discipline des relations internationales aux USA entre dans une phase de fonctionnalisme structuraliste soutenant que les Etats subissent la logique du système qu’ils forment et à laquelle ils ne peuvent s’en soustraire sous peine de provoquer une crise mondiale au détriment de leurs intérêts vitaux.

Waltz a été séduit par les concepts durkheimiens de solidarités, cherchant à les utiliser dans sa théorie du système international. Dans la mesure, affirme-t-il, où les parties de celui-ci sont identiques (les Etats sont des unités souveraines formellement égales) et qu’elles ne reconnaissent pas une autorité supérieure à la leur, ils forment alors un TOUT intégré par une solidarité mécanique comme dans le schéma durkheimien de la société traditionnelle pré-étatique. Waltz oppose la hiérarchie de l’ordre interne (solidarité organique) à l’anarchie de l’ordre externe (solidarité mécanique), mais ce faisant, il s’éloigne de la signification que donne Durkheim à la problématique des solidarités[10]. Celui-ci en a eu recours pour souligner que la société traditionnelle, à la différence de la société moderne, assure sa cohésion par la conscience collective à laquelle sont tenus de se conformer ses membres. Celle-ci décline dans la société moderne, plus exposée à l'anomie, dont le suicide est l'expression la plus spectaculaire[11]. Mais cette approche des solidarités a été abandonnée par Durkheim lui-même à la fin de sa vie et la sociologie post-durkheimienne ne s'y est plus référée. Au niveau international, cette approche serait encore plus contestable car il est difficile, premièrement, de concevoir ce que serait la conscience collective exprimée par les Etats au niveau mondial et, deuxièmement, d'imaginer un Etat reproduire un comportement renvoyant à la subjectivité des individus.

Dans sa tentative de reconstruire le réalisme sur des bases scientifiques, Waltz l’a en fait affaibli et a amorcé une dynamique de rapprochement avec le courant libéral[12]. Ce dernier a toujours affirmé qu’il existe une société internationale, malgré toutes les vicissitudes (anarchie), que Waltz n’a pas de mal à accepter pourvu qu’elle soit réduite aux rapports entre Etats. Il n’existe pas en effet de divergence fondamentale entre Waltz et Hedley Bull pour qui l’anarchie de la société internationale n’est ni désordre ni guerres permanentes.

Hedley Bull a intitulé son livre The Anarchical Society[13] pour affirmer que les relations internationales ne sont pas seulement un système d’Etats souverains, mais une société d’Etats régie par un ensemble de normes, les unes formelles, d’autres informelles, produites par le droit international, l’équilibre des puissances (balance of power), la diplomatie et aussi la guerre quand elle survient. Dès les premières lignes de l’ouvrage, l’auteur résume sa préoccupation : « Ce livre, écrit-il, est une étude de la nature des relations internationales et en particulier de la société des Etats souverains à travers l’ordre mondial existant tel qu’il est maintenu. J’ai cherché à répondre à trois questions. 1. Qu’est-ce que l’ordre en relations internationales ? 2. Comment cet ordre est maintenu dans le présent système d’Etats souverains ? 3. Est-ce que ce système fournit-il un chemin viable pour cet ordre ? ». Bull montre que le système mondial est organisé et n’est anarchique que dans la mesure où il n’existe pas d’autorité supérieure aux Etats. Mais cette absence n’a pas empêché qu’il existe une société, développant une culture commune de coexistence et de coopération donnant naissance à des institutions et à un droit. Ces derniers sont effectifs non pas à l’aide d’une police internationale mais grâce à la conscience de la mutualité des intérêts des Etats qui ont consenti volontairement à construire cet ordre parfois au prix de limitations de leurs souverainetés comme le montre l’organisation des régimes[14]. L’absence de gouvernement mondial n’est donc pas un obstacle à la paix et à l’intégration pour H. Bull. La société internationale est du reste en expansion comme l’attestent les nombreux Etats issus de la décolonisation qui, dans leur majorité, ont accepté les règles de jeu de la culture de la paix et de la coexistence[15].  

Critique de la notion de société internationale

Nous avons vu que pour de nombreux auteurs, la société internationale est une réalité empirique dont l’existence ne fait aucun doute. Pour les juristes, elle aurait un fondement juridique se cristallisant dans le droit international en plein développement ; pour les politistes, elle est l'espace où se manifestent les attributs de la puissance et de l'hégémonie et leur corollaire la domination; et enfin, pour les économistes, elle est le produit de l'économie-monde avec son procès de création des richesses et sa répartition inégale. Le sociologue trouve de la peine à imaginer une société, réseau complexe d'individus, de groupes et d'institutions, au niveau international où les acteurs des différentes nations entretiendraient des rapports au-dessus de leurs Etats respectifs. Certes, l'émergence de plus en plus affirmée de flux transnationaux bouscule la vision de la scène mondiale comme juxtaposition de sociétés nationales, mais peut-on pour autant parler de "société internationale"? Ce sont des juristes, des économistes et surtout des politistes qui se sont intéressés aux relations internationales, y projetant un objet appelé « société internationale ». Les sociologues, à l’exception notable de R. Aron, n’ont pas investi ce champ parce que pour eux une société est bornée par les frontières de l’Etat-nation.

Pour Morgenthau, on l’a vu, les relations internationales relèvent de l’anthropologie qui explique le caractère conflictuel de la scène mondiale. Mais il s’est heurté à la difficulté du niveau ou d’unité d’analyse. Comment le caractère belliqueux de l’homme se transmet-il à l’Etat ? Qu’est-ce qui permet de dire que des Nations sont dans l’état de nature comme les individus de Hobbes I ? Dans sa tentative d’expliquer les relations internationales, Morgenthau a échoué en raison du profond anthropomorphisme de son approche. R. Aron a essayé d’éviter cet écueil en postulant implicitement l’existence d’une société internationale dont les membres sont des acteurs collectifs (les Etats-nations) entretenant des rapports tantôt pacifiques tantôt belliqueux. Son but était de jeter les fondations d’une sociologie des rapports entre acteurs collectifs formant un grand ensemble mondial. Mais là aussi, la tentative ne fût pas fructueuse parce que la structure de la construction à trois étages (individus, acteurs collectifs, ensemble mondial) était fragile.

Conscient de ces faiblesses, Waltz a cru résoudre la difficulté en ayant recours à l’analyse systémique et holiste, se rapprochant du courant libéral, dont nous ne savons pas s’il parle d’une société internationale qui existe ou d’une société internationale qu’il souhaite[16]. Ces approches présentent cependant un trait commun qui est aussi leur faiblesse : elles postulent toutes de l'identité du lien social local aux rapports internationaux, assimilant l'Etat à un être subjectif. En subjectivisant l'Etat, elles lui prêtent une psychologie individuelle à la base de comportements et d'actions formant un système international confondu avec une société humaine, à laquelle il manquerait l'organe détenant le monopole de la violence physique. Partant de là, la notion de « société internationale » est une catégorie qui pose problème dans la mesure où, jusque-là, tous les concepts de la sociologie présupposent implicitement l'intersubjectivité des acteurs. Emile Durkheim tenait à séparer la sociologie de la psychologie, mais cela ne veut pas dire qu’il niait la spécificité de celle-ci ou la pertinence de son objet. Ce sont des êtres psychologiques qui donnent naissance au monde social, et pour qu’il y ait des représentations collectives dans lesquelles se cristallise l’image de la société, il faut qu’il existe des ressources psychologiques qui permettent, au niveau collectif, de produire des images et un imaginaire auxquels seront sensibles les êtres psychologiques qui forment la collectivité. Lorsque Durkheim affirme que le tout (la société) est autre chose que la somme des parties (les individus), il est en train de parler d’êtres humains qui ont une subjectivité, une capacité imaginative, une sensibilité, c’est-à-dire pouvant donner sens à des situations vécues à travers des valeurs et des normes. Ces parties, dont la réunion produit la société, ne peuvent pas être autre chose que des êtres psychologiques[17]. Un groupe de pigeons n'est pas une société, un ensemble d’Etats non plus. Que l’Etat représente – et est dirigé par - des individus ne lui donne pas des traits psychologiques et humains, même si un ensemble d’Etats forme une configuration à l’échelle mondiale dont il faudra étudier le fonctionnement logique et les régularités qui marquent les rapports inter-étatiques. C’est pour cette raison, semble-t-il, que Aron, à la fin de sa vie, s'était demandé s'il était théoriquement légitime de parler de société internationale ou mondiale, écrivant : « Je ne pense pas que la formule société internationale ou, de préférence, mondiale constitue un véritable concept. Elle désigne sans la décrire une totalité qui inclurait tout à la fois le système inter-étatique, le système économique, les mouvements transnationaux et les formes diverses d'échange… de sociétés civiles à sociétés civiles, les institutions supranationales. Peut-on appeler société cette sorte de totalité qui ne garde presque aucun des traits caractéristiques d'une société quelle qu'elle soit? … J'en doute » [18].

L’espace mondial des flux transnationaux

Nous avons vu dans la partie précédente que de nombreux auteurs utilisent la notion de société internationale, entendant par là les rapports entre Etats. D’autres, que nous verrons dans cette partie, se réfèrent à la notion de société mondiale, formulant l’idée d’une collection d’individus transcendant les frontières. Dans le premier cas, les individus établissent des liens par le truchement de leurs Etats respectifs ; dans le second, ils n’ont pas besoin de médiation pour entrer en contact les uns avec les autres. Mais le fait que l’Etat ne soit plus l’acteur central de la scène internationale ne signifie pas qu’une société mondiale existe[19]. Si l’approche de la société internationale a sous-estimé, comme nous l’avons vu, l’aspect subjectif dans la formation du lien social, celle de la société mondiale sous-estime, comme nous le verrons, la force constitutive de l’ethnocentrisme dans la perception de la société comme réalité sui generis transcendant les individus. Aussi, pour éviter cette difficulté, il serait peut-être préférable de parler de société transnationale pour décrire les multiples flux économiques, culturels et humains qui ont unifié la planète comme jamais par le passé.

Cosmopolitisme kantien et société mondiale

De nombreux défenseurs de l’idée de société mondiale se réfèrent à Kant et à sa vision cosmopolitique des rapports humains au-delà des frontières des Etats. Mais Kant est sceptique quant à l’existence future d’une société mondiale et même d’un Etat mondial, car pour lui, la Nature en a décidé autrement. « Elle s’est servie de deux moyens pour empêcher la fusion des peuples et pour les séparer : la diversité des langues et celle des religions, laquelle sans doute a pour conséquence le penchant à la haine et le prétexte à la guerre…[20] ». Cet état de guerre, expression de la pluralité d’Etats voisins jaloux de leur souveraineté, est tout compte fait meilleur à la domination de la planète par un empire unique. Il vaut mieux un droit international régissant les rapports entre Etats qu’une monarchie universelle « dans laquelle les lois perdent toujours de leur vigueur à mesure que le gouvernement prend de l’extension et qu’un despotisme sans âme, après avoir extirpé les germes du Bien, n’en finit pas moins de tomber dans l’anarchie[21]».

L’apparition du droit international naît sous les mêmes motivations qui sont à l’origine, à l’intérieur des frontières, du droit civil, privé ou public, issu de ‘l’insociable sociabilité’ des hommes. C’est parce que l’homme est belliqueux et égoïste qu’il ne lui reste pas d’autre alternative que de construire un ordre politico-juridique où il est contraint d’être un bon citoyen. La dialectique kantienne transforme l’homme méchant en bon citoyen respectueux du droit dont il tire profit pour sa sécurité et son épanouissement. « La Nature, dit Kant, veut irrésistiblement que le Droit finisse par l’emporter[22] ». Le droit international n’échappe pas à cette logique dont il tire lui aussi son origine.

Kant divise le droit en trois branches : le droit civil, le droit international et enfin le droit cosmopolitique. Le premier renvoie aux rapports entre individus d’un même Etat ; le second régit les rapports entre Etats ; le dernier souligne l’appartenance de l’homme à l’espèce humaine, première identité avant celle des clans lignagers ou des communautés nationales. C’est par rapport à cette appartenance que Kant est revendiqué par les libéraux mettant en avant l’individu en lui donnant la prééminence sur les Etats et les droits nationaux. Cependant, le cosmopolitisme exposé par Kant n’est pas l’idéologie d’une catégorie supra-organique - l’espèce humaine - regroupant tous les individus de la planète. Ce n’est pas un nationalisme à l’échelle du globe. C’est plutôt l’expression d’un « droit à la commune possession de la surface de la terre sans que cela soit en contradiction avec les droits civils nationaux ou le droit international. Le droit cosmopolitique n’est ni une chimère ni une extravagance, dit Kant, mais « un complément nécessaire au code non écrit tant du droit public que du droit international, en vue de parvenir au droit public de l’humanité et ainsi à la paix perpétuelle[23]».   

Le cosmopolitisme est l’horizon historique de l’humanité aujourd’hui fragmentée en Etats-nations, mais dans sa formulation par des internationalistes contemporains, il correspond à la société mondiale, réalité achevée ou en gestation, produite par une évolution historique qu’il vaut mieux accompagner pour en faciliter le déroulement que contrarier au prix de souffrances et de conflits inutiles. C’est ce que semble dire John Burton, s’opposant en particulier à l’hypothèse de la centralité de l’Etat dans les relations internationales. Il préfère développer l’idée d’un réseau tissé par une infinité d’acteurs dont les rapports s’établissent en ignorant les frontières géographiques. Ce réseau complexe et enchevêtré constituerait une société mondiale dont la stabilité est fonction de la satisfaction des besoins fondamentaux de ses membres[24]. L’auteur donne un contenu très large aux besoins, touchant aussi bien les aspects politiques, économiques que culturels. L’idée est que si des individus ou des groupes sont insatisfaits à l’intérieur des limites d’un Etat, cette  insatisfaction s’exprimera d’une manière ou d’une autre sur le plan international. Par exemple, l’immigration clandestine du Sud vers le Nord exprime un déséquilibre dans l’offre de travail, et il serait naïf d’y remédier par la répression. Les conflits internes aux Etats – ou entre les Etats – naissent de besoins non satisfaits et menacent la paix mondiale, et l’arrêt des hostilités n'est pas suffisant. Mais Burton ne parle de société mondiale que pour réfuter la thèse de la centralité de l'Etat, soulignant que celui-ci n'est plus l'acteur unique ou principal de la scène mondiale. A la métaphore des boules de billard s'entrechoquant, il oppose celle de la toile d'araignée s'étendant sur la surface du globe et reliant entre eux des millions d'individus[25]. Sa préoccupation essentielle est la paix dans le monde, et pour y arriver, dit-il, il faut éteindre les causes sociales des conflits, dont les expressions violentes se propagent du fait que le monde forme une structure interdépendante[26]. La société mondiale, chez lui, n’est pas une réalité sociologique, c’est un argument servant de moyen à une fin : la paix mondiale. Il a été beaucoup critiqué, et accusé d’idéalisme, dans les années 1970, mais son œuvre a pris une autre signification avec l’accélération de la mondialisation, inspirant la théorie de la gouvernance globale apparue à la fin des années 1980 dans le sillage de la commission portant le même nom présidée par Willy Brandt.

Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts ont utilisé l'approche de la société mondiale, dont ils ont essayé de livrer la grille d’analyse dans un ouvrage destiné à lever le voile sur les crises qui ont provoqué "le retournement du monde[27]". Formé de trois parties (l'irruption des sociétés, la perte des repères collectifs et ruptures et recompositions), leur livre suggère qu'il existe une société mondiale soumise à un éclatement culturel (chapitre 1), traversée par des flux transnationaux (chapitre 2), frappée d'anomie (chapitre 3), produisant de l'intégration et de l'exclusion (chapitre 5) et enfin prenant conscience de l'émergence de biens communs (chapitre 6). Les différents chapitres énumérés traitent dans des sous-parties de la multiplicité des rationalités politiques et sociales, des crises d'identité, du retour du sacré, du contournement de l'Etat, etc. « En bref, écrivent les deux auteurs, on peut parler de ‘société mondiale’ » (p. 103), invoquant la distinction de F. Tönnies entre société et communauté, opposant le caractère volontairement institutionnel de la première à celui naturellement affectif de la seconde[28]. Badie et Smouts, et bien d’autres, ont raison de tenter de construire une sociologie de la scène mondiale, car à l’évidence, il y a des activités sociales se déroulant à un niveau supra-étatique ou supra-national. Toute la question est de savoir si ces activités ont pour cadre une société mondiale dans le sens que donne la sociologie au concept de société. Rappelons que pour celle-ci, elle est une construction conceptuelle désignant l’espace dans lequel se déroulent les faits sociaux, c’est-à-dire les interactions et les échanges des biens et des signes. Il est possible que dans cette définition, la sociologie à sa naissance a donné une importance exagérée à l’échange des biens au détriment de celui des signes. N’oublions pas que pour Tönnies, la société est la création et l’outil du marchand, tout comme pour Durkheim, la société moderne est intégrée par la solidarité organique. C’est cette perspective que développent les auteurs de l’approche de la société mondiale, ayant en vue les analyses de l’économie-monde inspirant les thèmes de la disparition des frontières et de l’extinction prochaine de l’Etat, présupposant que le rapport marchand est suffisant pour l’institution du lien social indépendamment de la volonté des acteurs. Mais cette perspective est réductionniste car la société est surtout une représentation culturelle et un produit imaginaire, existant dans la perception de ses membres. Le marché à lui seul ne suffit pas à créer une société qui est fondamentalement un espace de valeurs qui donnent sens à des actions dans lesquelles se reconnaissent les membres de la collectivité.

L’ethnocentrisme contre la société mondiale

Les sociétés se distinguent par leurs valeurs issues de dynamiques ethnocentriques prenant racine dans des groupes primordiaux (familles, villages…). Propre à toute vie sociale, l'ethnocentrisme dessine des cercles concentriques dans lesquels chaque groupe local croit se situer au centre, croit intimement qu'il est plus conforme à la morale, à la nature, à la raison, à Dieu… et est donc l'échantillon le plus représentatif de l'Humanité, duquel s'écartent les autres. Les plus éloignés de la Norme sont les étrangers, les barbares, et les plus proches mais souffrant néanmoins d'un déficit, les voisins. La conscience de la conformité à l'humanité a besoin de l'image du barbare inhumain contre lequel parfois la guerre est nécessaire pour sauver, ou imposer, nos valeurs assimilées à celles de l'universalité[29]. Soulignant l’importance de l’ethnocentrisme, Claude Lévi-Strauss écrit : "L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même au village; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un nom qui signifient les 'hommes'… impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus - ou même de la nature - humaines, mais sont tout au plus composés de 'mauvais', de 'méchants', de 'singes de terre' ou 'd'œufs de pou'[30]". Condition d’existence des groupes sociaux qui ont besoin d’affirmer leur supériorité par rapport aux étrangers, l’ethnocentrisme donne à l’être humain la conviction que les valeurs du groupe sont conformes à l’humanité et qu’elles sont l’expression de leur universalité.

Plus un groupe social est étendu, plus il a besoin de maîtriser les flux ethnocentriques en son sein pour assurer sa cohésion et son unité. C’est à l’Etat qu’est revenue cette tâche dans la modernité, captant les différentes dynamiques ethnocentristes locales, les fondant dans un seul ethnocentrisme : le nationalisme. De ce point de vue, la société sous la forme nationale est une construction historique et une production étatique dans le sens où c'est l'Etat qui, en la dotant d'instances de régulations et de frontières géographiques lui donne une existence et une cohérence nationales vécues par les individus à travers un imaginaire articulé à des pratiques culturelles et linguistiques. Du point de vue historique, la construction nationale s'est dessinée contre les ethnocentrismes locaux belliqueux. Les sociétés modernes sont l'expression d'un ethnocentrisme supra-local créé et recréé par l'Etat qui en a besoin pour renforcer la cohésion sociale et pour capter l'allégeance des membres de la communauté. Le nationalisme est un imaginaire alimenté par un ethnocentrisme que l'Etat a socialisé par une « haute culture » au détriment des « basses cultures » dirait E. Gellner[31]. La question est de savoir si un tel scénario a des chances de se reproduire à l’échelle mondiale. La définition même de l’ethnocentrisme suggère une réponse négative dans la mesure où, à l’échelle de la planète, il n’aurait pas de sens car il n'aurait pas contre qui s'affirmer.  

Les anthropologues définissent les constructions ethniques par les frontières qui excluent l'autre et par la construction de l’image de l’ennemi[32]. L'humanité ne manque pas d'ennemis comme le sida, la pollution… mais ces menaces sont désincarnées et ne suscitent pas la conscience de l'unité comme le ferait une tribu ou une nation qui attaquerait une autre. Certes, une conscience planétaire est en train d'émerger face à des dangers menaçant l'humanité, comme est apparu aussi le besoin de réguler par des traités le commerce mondial ou de confier à des institutions internationales des tâches précises concernant tous les habitants de la planète: OMS, FAO, OIT, UNESCO, FMI… Il faut y ajouter des ONG telles que Greenpeace, Amnesty, MSF… attestant de l'existence de sentiments universels et de la conscience de biens publics mondiaux. Que manque-t-il à cet ensemble pour s'organiser en société mondiale? Probablement l'imaginaire de l’ennemi commun. Une patrie unique est-elle concevable, se demandait Durkheim ? Non, répondit-il, car le moi se pose en s’opposant[33]. Dans cette perspective, un nationalisme mondial est impensable parce que, pour se cristalliser, il aurait besoin d'un ennemi qui souderait le genre humain contre lui.

Ceci dit, un ethnocentrisme mondial, même s’il venait à apparaître, serait un appauvrissement de la civilisation humaine, car cela signifierait que les Français, les Hindous, les Arabes… perdraient leurs spécificités en devenant identiques, ce qui serait une perte pour la civilisation qui s’est jusqu’à présent enrichie des apports de chaque société. La raison condamne l’ethnocentrisme quand il ne manifeste que son caractère belliqueux et guerrier, mais on peut aussi le concevoir dans sa dynamique culturelle, irriguant la civilisation mondiale des apports des différents groupes sociaux.  

De la société transnationale

Il n'y a pas de société mondiale, cependant il y a une scène mondiale où se déroulent des faits sociaux qui ont d'emblée une dimension transnationale reliant des individus par-delà les frontières. La sociologie s’était détournée de ces faits parce qu’elle a fait coïncider les limites de son objet avec celles de l’Etat-nation. La discipline des relations internationales ne s'est intéressé aux flux transnationaux que depuis l'ouvrage collectif fondateur de Robert Keohane et Joseph Nye, soulignant l'importance des relations sociétales se manifestant dans la communication de l'information, des idées et des doctrines, dans le transport de marchandises et de personnes, dans la finance, la circulation de la monnaie et des instruments de crédit, et enfin dans le voyage ou le tourisme[34]. Les auteurs ont tiré deux conclusions: la première est que les sociétés sont sensibles aux influences qu'elles exercent les unes sur les autres; la deuxième est que l'Etat n'est plus l'acteur crucial de la scène mondiale. La table des matières de l'ouvrage donne une indication sur l'émergence des acteurs nouveaux qui concurrencent l'État : les firmes multinationales, les ONG, les organisations révolutionnaires, les réseaux scientifiques, etc. R. Keohane et J. Nye ont ouvert des pistes que les sociologues n’ont commencé à exploiter que récemment[35].  

Un an avant la parution de cet ouvrage, Karl Kaiser publia en allemand son article "La politique transnationale : vers une théorie de la politique multinationale", où il affirme que les relations entre divers acteurs sociétaux de la scène mondiale n'est pas une nouveauté, mais que l'approche stato-centrée les avait singulièrement négligées[36]. Il est vrai, ajoute-t-il, que ces relations se sont intensifiées après la Seconde Guerre Mondiale grâce aux progrès technologiques qui ont favorisé l'émergence d'une société transnationale "définie comme un système d'interaction dans un domaine particulier, entre des acteurs sociétaux appartenant à des systèmes nationaux différents". Cette société transnationale, qui n'existe pas géographiquement, est l'expression du développement économique et politique des sociétés nationales que les gouvernements contrôlent de moins en moins, et donc de leur démocratisation car, explique, K. Kaiser, "une structure démocratique intensifie cette relation [transnationale], puisqu'elle force les gouvernements à être plus sensibles aux perturbations". Celles-ci, de nature technoscientifique, économique, écologique, religieuse, ethnique…, non maîtrisées de surcroît par les Etats et fonctionnant sur la négation de frontières territoriales, ont rendu obsolète l'approche réaliste analysant un monde composé de souverainetés juxtaposées. Ces flux sont souvent insaisissables et suffisamment puissants pour être venus à bout des ex-pays socialistes qui, en se libérant de la tutelle de l'Union Soviétique, ont fait effondrer celle-ci.

Les sociétés nationales sont désormais plus ouvertes, plus sensibles aux facteurs externes ; elles se sont mondialisées au point où leurs membres ont intégré la dimension internationale de leur existence[37]. Cela est vrai pour l’information où désormais un tremblement de terre au Japon, une prise d’otages en Colombie ou un trucage d’élections dans le monde arabe font partie de notre univers quotidien. Cela est aussi vrai pour le travail salarié soumis à la concurrence internationale et sensible au taux de change des monnaies étrangères qui favorisent les délocalisations[38]. Cela est encore plus vrai pour notre vie culturelle et nos loisirs où les frontières physiques n’existent plus dans notre perception[39]. Désormais les sociétés locales se sont mondialisées, établissant des rapports qui contournent les Etats, et ces derniers tentent de s’adapter à cette nouvelle évolution.

Partant de ce constat, James Roseneau avance qu'il y a désormais deux mondes dans les relations internationales (the two worlds of world politics), celui des Etats et de leurs rapports et celui des acteurs privés et des flux transnationaux qu'ils alimentent. Beaucoup de travaux ont été consacrés au premier, et il reste à explorer le second, marqué par une plus grande instabilité, turbulence, anarchie… parce qu'il est multicentré, obéissant à différentes logiques non localisées. Mais ce qui le caractérise principalement est qu'il connaît de plus en plus d'acteurs évoluant en dehors des cadres institutionnels de souveraineté (sovereignty free) et il y a de plus en plus d'identités dispersées qui se soustraient à l'allégeance des Etats ou à toute autre autorité institutionnelle[40]. Dans cette nouvelle configuration, le lieu géographique où est situé l’individu n’a plus d’importance. Les allégeances aux pouvoirs locaux ne sont plus exclusives et avoir deux ou même trois passeports – donc autant de nationalités – n’est pas perçu comme trahir sa patrie d’origine. Pour démontrer cette thèse, J. Roseneau change de niveau d'analyse, passant de la macropolitique à la microsociologie, s'intéressant aux actions et aux représentations des individus dont l'agrégation des effets commanderait l'évolution de l'ordre mondial. L'une de ses thèses les plus originales, et qui est au cœur d'une thématique de sociologie, est que les individus de par le monde ont modifié leurs rapports à l'autorité et à leurs groupes d'appartenance, montrant par ailleurs une meilleure connaissance des affaires mondiales que par le passé, manifestant leurs opinions, souvent désapprobatrices, au sujet de problèmes internationaux. Prônant l'inverse de la démarche de K. Waltz qui explique le comportement des parties par la logique de l'ensemble auquel elles appartiennent, J. Roseneau opte pour un individualisme méthodologique qui postule que les actions des millions d'individus produisent les dynamiques transnationales qui bousculent les Etats dont l'efficacité, et donc la légitimité, est érodée. Ceci serait à l'origine de la turbulence, notion météorologique indiquant une instabilité et des perturbations liées à la position et à la force des vents. Pour cet auteur, la scène mondiale est instable, marquée par une turbulence qui provoque une anarchie plus dangereuse que celle de l'ordre étatique ancien et ce, pour deux raisons: il y a de plus en plus d’acteurs qui évoluent en dehors des cadres institutionnels de souveraineté et les identités sont dispersées et ont du mal à s’incarner dans l’allégeance à un Etat[41]. L’évolution de J. Roseneau vers une perspective sociologique est symptomatique du vide à combler et de la nécessité de la prise en charge des phénomènes mondiaux que la sociologie ne peut ignorer: la violence, l'ethnicité, le tourisme, le sacré, les réseaux de criminalité… pour ne citer que ceux qui font l'événement dans la presse. La scène mondiale est à l'évidence le théâtre d'une multitude de phénomènes qui débordent les limites traditionnelles de la sociologie. Le domaine à balayer est très vaste, et les analyses demandent à être approfondies à l'aide d'instruments de sciences sociales: enquêtes de terrain, entretiens, interviews, observation participante, exploitation d'archives et de statistiques, bref ce que les anthropologues américains appellent le fieldwork, utilisant des travaux de science politique, de sociologie, d'anthropologie, d'histoire, d'économie…, ce qui est un appel à la pluridisciplinarité imposée par la nature de l'objet, car il est difficile d'imaginer qu'un même chercheur puisse être spécialiste de l'ethnicité, des phénomènes religieux, de l'économie internationale, de l'Etat, etc.

La sociologie est appelée à dépasser le cadre national et admettre que l’existence du monopole de l’exercice de la violence est une donnée historique et non anthropologique. Au niveau international du reste, la frontière entre sociologie et anthropologie semble dépassée. Dans cette perspective, il y a un auteur inconnu des internationalistes et dont la théorie est susceptible de rendre compte des dynamiques conflictuelles de la scène mondiale. C’est Pierre Bourdieu, dont la sociologie ne fait pas référence à la société, mais à des champs sociaux marqués par des luttes entre agents munis de capitaux sociaux différents et exerçant à leurs niveaux respectifs de la hiérarchie une violence symbolique. Comme dans l’arène internationale, les agents sont guidés par leurs habitus en vue de renforcer leurs positions et d’accroître leurs capitaux, ce qui reproduit l’ordre inégalitaire (Hobbes I). La scène mondiale ressemble en effet à la société bourdieusienne dans laquelle la conflictualité est régulée par la violence symbolique des agents privés, dans un espace où il n'y a pas d'Etat, ou plutôt où il n'y a pas d'organe exerçant le monopole de la violence symbolique. En effet, chez Bourdieu, l'Etat est assimilé à un pouvoir social parmi d'autres, servant les intérêts des dominants soucieux de préserver l'ordre inégalitaire qui leur profite[42]. La scène mondiale est ainsi hiérarchisée, formée de pays puissants, moyens et faibles, cherchant tous à optimiser leurs intérêts en fonction des ressources dont ils disposent. Ce schéma dynamique de conflictualité structurelle est celui de la société traditionnelle kabyle, fonctionnant à un niveau infra-étatique, dans lequel les agents défendent leurs capitaux sociaux en reproduisant des relations sociales marquées par la violence symbolique mais aussi par la violence physique qu'aucun organe ne monopolise[43]. Ceci n'exclut pas qu'il y ait, comme dans les rapports internationaux, des institutions d'arbitrage (la djemaa, les marabouts, les chorfa…), ce qui rappelle l'ordre de la société anarchique de H. Bull avec sa culture de la dissuasion et ses normes. Le niveau infra-étatique est marqué par l’anarchie tout comme le niveau supra-étatique.  

La problématique de Bourdieu permet une lecture de la scène mondiale, dominée par les Américains, défiés par des rivaux-alliés qui tirent profit de l’hégémonie de la première puissance mondiale dont ils sont les relais pour diffuser sa culture et ses produits. Sans le consentement des dominés, aurait dit Bourdieu, jamais l’américanisation, ou la macdonalisation, du monde ne se serait produite et reproduite[44]. Certains segments dans des cultures nationales résistent, mais le combat est trop inégal et perdu d’avance car les forces d’homogénéisation de l’Empire sont trop puissantes. C’est ce que Joseph Nye appelle « Soft Power », difficilement traduisible en français, renvoyant à ce que Bourdieu entend par violence symbolique. Hollywood, sans coercition physique, impose sa culture et son idéologie à travers le cinéma dont l’influence se ressent dans les périphéries des villes des pays les plus pauvres. Hollywood est l’illustration concrète de la force et de l’efficacité de la violence symbolique qui fait que des millions de jeunes adhèrent à des schémas et des visions du monde en s’identifiant à des héros dont les posters ornent les murs des bidonvilles du Bengladesh, des banlieues de Londres et des favellas au Brésil. C’est peut-être cette uniformisation et cette mythification de produits marchands, incarnés dans des corps d’hommes et de femmes imposant les canons de la virilité et de la beauté, qui suscitent une réaction défensive puisant dans les valeurs religieuses et qui attirent d’autres jeunes prêts à suivre des Ben Laden en puissance. C’est en tout cas la thèse développée par Benjamin Barber dans son livre Djihad versus McWorld[45]. De ce point de vue, l’islamisme serait une réaction violente à la perte de « substance ethnocentrique » subie par les pays musulmans, dont une partie de l’élite semble admettre que la civilisation occidentale est universelle, ce qui serait une remise en cause de l’universalité de l’islam comme société, culture et religion.

En conclusion, il semblerait que les difficultés d’analyse des objets d’une sociologie mondiale seront moins d’ordre ontologique que méthodologique[46]. En effet, la sociologie connaît une tension structurelle qui lui est inhérente entre deux approches, l'une estimant que le niveau d'analyse est la société, jusque-là identifiée à l’Etat-nation (holisme), l'autre soutenant qu'il est celui de l'individu (individualisme méthodologique). Entre ces deux niveaux macro et micro s'intercale le niveau méso, celui des groupes, des associations, des syndicats, des clubs, des entreprises, etc. La microsociologie s'intéresse aux groupes composés de plus de deux personnes et se distingue de la psychologie sociale en ce qu'elle se focalise surtout sur les rapports fondés sur des valeurs sociales construisant des institutions: familles, clubs locaux, ateliers de travail, corporations… Ces regroupements, aussi réduits soient-ils, produisent des effets sociaux dépendants de l'intersubjectivité, objet de la psychologie sociale. Pour le sociologue américain N. Smelser, plus l'objet s'éloigne du niveau micro, plus il gagne en densité sociologique. Mais il perd aussi en caractère humain, les structures l'emportant sur l'individu en l'y dissolvant. La macrosociologie, c'est le domaine du système, de la fonction et des logiques sociales désincarnées. C'est à ce niveau que se pose le problème récurrent de l'acteur et du système, débat que les internationalistes connaissent depuis la fin des années 1980[47]. Si la sociologie au niveau macro limité par l’Etat-nation a été appauvrie par le structuralo-fonctionnalisme, qu'en serait-t-il au niveau global, mondial. Est-ce pour cette raison que Smelser reste sceptique sur le fondement épistémologique d'une sociologie internationale? Il écrit en effet: « Un des traits de la sociologie internationale est qu'elle est à peine une sociologie au regard des préoccupations de la discipline[48] ». Une discipline confrontée plus que jamais au cadre et à l’unité d’analyse de ses objets.


Notes

[1] Ohmae, K., La fin de l’Etat-nation, Dunod, 1985.

[2] Cf. Badie, B., Un monde sans souveraineté, Fayard, 1999.

[3] Morgenthau, H., Politics Among Nations: the Struggle for Power and Peace, New York, Knopf, 1948.

[4] Aron, R., "Une sociologie des relations internationales", Revue française de sociologie, 1963, vol. IV.

[5] Aron, R., Paix et Guerre entre les Nations, Calmann-Lévy, 1962.

[6] Cf. Aron, R., "Qu'est-ce qu'une théorie des relations internationales?", Revue Française de Science Politique, 1967.

Sur ce thème cf. aussi Roche, J.-J., "Les relations internationales: théorie ou sociologie ?", Le Trimestre du monde, n°27, 1994.

[7] Waltz, K., "Realist Thought and NeoRealist Theory" in R. L. Rothstein (editor), The Evolution of Theory in International Relations, University of South Carolina Press, 1992.

[8] Sur l'usage de Emile Durkheim par les internationalistes, cf. Larkins, J., "Representations, Symbols and Social Facts: Durkheim in International Relations Theory", in Millennium, 1994, n° 23, et Ramel, F., "Les relations internationales selon Durkheim. Un objet sociologique comme les autres", in Critique Internationale, avril 2004.

[9] Waltz, K., Theory of International Politics, Reading, Addison-Wesley, 1979.

[10] Cf. les critiques formulées par Ruggie, J. G., Cox, R. et Ashley, R.K., et la réponse de Waltz dans Keohane, R. O. (editor), Neorealism and its Critics, Columbia University Press, 1986.

[11] Pour une critique de l'usage du concept d'anomie par Waltz, cf. Barkdull, J., "Waltz, Durkheim and International Relations: The International System as an Abnormal Form", American Political Science Review, 1995, n°3.

[12] C’est la thèse que défend Ashley, R. qui a intitulé son article « Poverty of neo-realism », op. cit.

[13] Bull, H., The Anarchical Society, MacMillan, 1977.

[14] Sur les régimes internationaux, Cf. Stephen Krasner (ed.), International Regimes, Ithaca, Cornell University Press, 1983.

[15] Cf. Bull, H. and Watson, A. (edited by), The Expansion of International Society, Clarendon Press, Oxford, 1988.

[16] Waever, O. parle de la synthèse "néo-néo" en référence à la convergence entre les néo-libéraux et les néo-réalistes. Cf. Waever, O., "The Rise and Fall of the Inter-Paradigm Débate", in K.Booth, S.Smith, M.Zalewski (éditeurs), International Theory: Positivism and Beyond, Cambridge University Press, 1996.

[17] La psychologie est à la sociologie ce que la chimie moléculaire est à la biologie, et sans processus chimiques il n'y a pas de phénomènes biologiques, tout au moins tels que nous les connaissons aujourd'hui. Que l'on pense à la notion durkhémienne de ferveur collective se projetant sur l'unité symbolique du totem incarnant la société vécue à travers un imaginaire religieux. Ces processus sociaux, analysés dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, se réifient et s'ossifient dans des réalités devenant objectives et ne verraient pas le jour sans le psychisme des individus et les phénomènes mentaux qui les différencient de tous les autres vivants.

[18] Aron, R., Les dernières années du siècle, Julliard, 1984, pp. 25-26.

[19] Sur ce débat, cf. Fourquet, François « Une société mondiale ? », in Revue du MAUSS, n°20, 2èm. Semestre 2002, et la réponse dans le même numéro de la revue de Alain de Tolédo, « La société mondiale existera-t-elle ? ».

Par ailleurs, le XVIème Congrès Mondial de l’Association des Sociologues de Langue Française, réuni à Laval, Québec, en juillet 2000, avait retenu comme thème la société mondiale. Cf. les actes du congrès dans Daniel Mercure (sous la direction), Une société-monde ? Les dynamiques sociales de la mondialisation, Québec, De Boeck Université, 2001.

[20] Kant, Emmanuel, Pour la paix perpétuelle, Presses Universitaires de Lyon, 1986, pp. 71-72.

[21] Kant, E., op.cit. p.71.

[22] Kant, E., op.cit. p. 71.

[23] Kant, E., op.cit., p. 66.

[24] Burton, J., World Society, Cambridge University Press, 1972.

[25] “Si l’on superposait des transparents figurant les déplacements hebdomadaires effectués en avion par les passagers, les flots de télégrammes, les relations de nature ethnique ou linguistique, les voyages effectués par les savants et les conseillers techniques, les mouvements migratoires, les touristes et tous les autres types de transactions, on pourrait se faire une idée de ces relations qui nous mettraient mieux à même d'expliquer le comportement des hommes dans la société mondiale que nous ne le pouvons partant des cartes traditionnelles", J. Burton, idem.

[26] Cf. Banks, M. (editor), Conflict in World Society. A New Perspective in International Relations, Wheatsheaf Books LTD, Brighton, 1984.

[27] Badie, B. ; Smouts, M.-C., Le retournement du monde. Sociologie de la scène mondiale, FNSP, 1995.

[28] Mais cette opposition ne renvoie pas à des réalités historiques; elle construit des 'types-idéaux' à portée méthodologique pour saisir la profondeur de la différence entre les sociétés locales du monde rural où le lien social est incarné par des visages familiers et les sociétés urbaines et industrielles où le lien social est abstrait.

Dans leur volonté de comprendre la profondeur de la rupture introduite par l’industrialisation au XIXème siècle, les pères fondateurs de la sociologie ont eu besoin de construire des schématisations méthodologiques pour appréhender leur objet. Il serait cependant erroné de croire que ces schématisations renvoient à des processus historiques réels.

[29] Les Lumières n’ont pas échappé à l'ethnocentrisme européen qu’elles croyaient universel en se référant au droit naturel. Les missions civilisatrices qui ont inspiré nombre d’entreprises coloniales affichaient la volonté d’émanciper les « sauvages », pourtant plus proches de la nature que les Européens, leur apprenant que leurs institutions et leurs croyances étaient contre-nature. Il est d’ailleurs révélateur que, dans de nombreuses langues européennes, le processus par lequel l’indigène acquiert la nationalité d’un pays européen s’appelle « naturalisation ». Il s’agit, par exemple pour un Algérien demandant la nationalité française, de devenir, ou redevenir, « naturel », c’est-à-dire Français, étant entendu que la société française est plus naturelle que toute autre. Le seul problème est que chaque société se croit plus proche de la nature, et c’est précisément cela l’ethnocentrisme. Cf. Lahouari Addi, "Colonial Mythologies: Algeria in the French Imagination", in Brown, L.C. and Gordon, M.S., Franco-Arab Encounters, American University of Beirut, 1996.

[30] Lévi-Strauss, C., Race et histoire, éditions Gonthier, p. 21.

[31] Gellner, Ernest, Nations et nationalismes, Payot, 1985.

[32] Cf. Barth, Frederik, « Les groupes ethniques et leurs frontières » in P. Poutignat et              J. Steiff-Fenard, Théories de l’ethnicité, PUF, 1995.

[33] Durkheim, Emile, Textes. Fonctions sociales et institutions, volume 3, Les éditions de Minuit, 1975, p. 224.

[34] Keohane, R. ; Nye, J. (editors), Transnational Relations and World Politics, Harvard University Press, 1971.

[35] Cf. Sklair, Leslie, Sociology of the Global System, Johns Hopkins University Press, 1991.

[36] Une traduction en français est disponible dans Philippe Braillard, Théories des relations internationales, PUF, 1977.

[37] Cf. De Swaan, Abram, « Sociologie de la société transnationale » in Revue de Synthèse, n° 1, Janvier-Mars 1998.

[38] Cf. Martin, D. ; Metzger, J. et Pierre, P., Les métamorphoses du monde. Sociologie de la mondialisation, Seuil, 2003.

[39] Cf. Roberston, R., Globalization. Social Theory and Global Culture, Sage Publications, 1992.

[40] Cf. Roseneau, J., Tubulence in World Politics : a Theory of Change and Continuity, Harvester Wheatsheaf, 1990.

[41] Sur cet auteur, cf. Michel Girard, "Turbulence dans la théorie politique internationale ou James Roseneau, l'inventeur", in Revue française de science politique, 1994.

[42] Cf. Addi, L., “Violence symbolique et statut du politique chez Pierre Bourdieu”, in Revue Française de Science Politique, Décembre 2001.

[43] Cf. Addi, L., Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu. Le paradigme kabyle et ses conséquences théoriques, La Découverte, 2002.

[44] Cf. Ritzer, G., The McDonalization of Society. An Investigation into the Changing Character of Contemporary Social Life, Londres, Thousand Oaks, Sage/Fine Forge Press, 1993.

[45] Cf. Benjami, B., Djihad versus McWorld. Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, Hachette Littérature, 1996.

[46] Sur les problèmes d’ordre ontologique que pose le concept de société au niveau mondial, cf. J.F. Thibault, « L’idée de société et l’étude des relations internationales » in L. Olivier, Bédard, G. et Thibaullt, J.F. (sous la direction de), Epistémologie de la science politique, Presses de l’Université du Québec, 1998.

[47] Ce débat a commencé avec l'article de Alexander Wendt "The Agents-Structure Problem in International Theory", International Organization, n° 3, 1987.

[48] Smelser, N., Problematics of Sociology. The Georg Simmel Lectures, University of California Press, 1995, p. 76.

 

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