Dans les beaux quartiers. - Pinçon, Michel et Pinçon-CharIot, Monique. - Paris, Ed du Seuil, 1989.

Ceux qui ont pris l'habitude de parcourir Paris, à travers la ligne de métro Porte d'Orléans-Porte de Clignancourt et qui se précipitent sur le Bd St Michel dès qu'ils ressentent le besoin de flâner ne peuvent imaginer qu'à l'ouest de la ville vit une autre société, à l'écart des bruits de la ville et de ses contraintes.

Pour le parvenu (et le premier venu). Paris est une ville cosmopolite où se mélangent des populations d'origine diverse, dans une harmonie presque parfaite où les risques de guerre urbaine sont réduits à néant par la logique implacable du marché immobilier et par un astucieux déplacement de la centralité qui satisfait l'amour-propre des communautés à forte identité culturelle (les Chinois, les Maghrébins, les Africains...) contribuant- elles mêmes par leur attachement à un territoire, à s'exclure d'un espace urbain beaucoup plus vaste où des modes de vie différents s'étalent aux yeux de ceux qui osent franchir les frontières. Comme l'ouvrier qui n'oserait s'introduire dans une réception mondaine sans ressentir un malaise, les habitants des agglomérations populaires ne pensent pas un instant transgresser les limites de leur quartier de sorte qu'on peut trouver des gens installés depuis longtemps à Paris et qui restent dans l'ignorance presque totale des «beaux quartiers». On peut ainsi se persuader que les représentations à l'égard des quartiers chics produisent autant d'effet que les mécanismes de ségrégation réelle qui fondent les lignes de partage à l'intérieur de la ville.

En vérité, les «beaux quartiers», c'est quoi. C'est d'abord des arrondissements à résonance magique le VI, le VII, le VIII et le XVI où l'on devine de beaux espaces et des appartements spacieux, de belles avenues, des magasins prestigieux et souvent de beaux jardins (le bois de Boulogne est à proximité) ? C'est aussi des gens riches, une classe de bourgeois et d'aristocrates libérés du souci financier qui peuvent se loger là où ils veulent et donc loin des classes pauvres. Les Adelon qui habitent Neuilly prétendent que le mètre carré vaut 50.000 FF. Quand on sait qu'ils sont propriétaires d'un appartement de 400 m2, on peut donc estimer son prix à 20 millions de francs. Le prix moyen du m2 à Neuilly est beaucoup n'oins cher (environ 18.000 FF), mais comme le soulignent les auteurs, la moyenne n'a aucun sens parce qu'elle ne permet pas de mesurer les possibilités réelles que peuvent mobiliser les classes riches, pour s'approprier un espace. La question n'est pas celle du prix mais celle de la rareté. Les beaux quartiers n'étant pas extensibles à souhait, seuls ceux qui peuvent se payer cette rareté, en jouissent aisément.

 

Il s'agit des gens bien nés qui peuvent revendiquer le privilège de l'ancienneté et celui de l'héritage, pour se sentir chez eux. Il en résulte selon les auteurs « une grande concentration du milieu familial parents, enfants mariés, oncles et tantes résident dans un périmètre restreint...

L'aristocratie et la grande bourgeoisie ne sont pas les seuls occupants de ces espaces. En termes de CSP, on retrouve les chefs d'entreprises, les cadres et professions intellectuelles supérieures. Neuilly qu'on peut prendre pour modèle, abrite parmi sa population active 37,2% de cadres et professions intellectuelles supérieures et 4,3 % de chefs d'entreprises. Ce qui suppose une relative mobilité géographique à l'intérieur de la ville (il s'agit souvent de nouveaux arrivés),' mais aussi un très fort pouvoir d'attraction des arrondissements en question.

L'homogénéité apparemment idéologique de ces populations (quelle que soit la nature des élections, le vote est largement majoritaire pour les candidats de la droite et de l'extrême droite) n'arrive pas a estomper l'opposition sociale entre l'ancienne bourgeoisie encore fortunée, celle qui possède des titres d'excellence mais se retrouve désargentée et les nouveaux riches, à l'image de ceux qui habitent Bagatelle, à Neuilly et qui sont assimilés, à des quasi immigrés, tant leur mode de vie (genre snob, m'as-tu-vu) jure avec l'apparence stricte et souvent très catholique des anciens de Neuilly.

Pour se ménager un espace résidentiel, en faire un espace privé, les classes supérieures doivent déployer des trésors d'intelligence pour se préserver des classes inférieures en défendant une intégrité sociale et spatiale. L'une des inventions pour rester entre soi, c'est la création de clubs, ou de cercles privés dont le rallye est l'expression la plus significative parce qu'il permet de ne pas laisser le hasard commander la rencontre amoureuse des enfants et des petits enfants, tout en leur inculquant l'apprentissage de la reconnaissance de leur semblable. C'est par cette double opération de mise a distance des autres et de mise en place d'institutions qui permettent de sélectionner les proches que le pouvoir social des classes supérieures est aussi un pouvoir sur l'espace. Cette ségrégation qui s'exerce à l'égard des classes populaires dont la condition économique précaire condamne souvent au ghetto banlieusard a aussi un effet sur les classes moyennes dont l'extrême mobilité résidentielle est le signe d'un effort désespéré pour se rapprocher des « beaux quartiers ».

Ce livre qui vient prolonger une longue réflexion sur la ville [1] est l'œuvre d'authentiques anthropologues qui ne se contentent pas de disserter sur les chiffres (même s'ils sont utiles lorsqu'ils sont bien relevés), mais pénètrent la société qu'ils étudient de l'intérieur, à l'aide de l'entretien notamment [2]. Les mécanismes qu'ils décrivent ici se rapportent à une ville dont l'espace est déjà relativement structuré.

Mais l'entreprise ne manque pas d'intérêt pour nous, aussi bien par sa démarche que par la population qu'elle cible. En effet, jusqu'à aujourd'hui, les rares études qui ont porté sur les villes Algériennes, ont ciblé un espace physique (la Médina, les quartiers pauvres, les bidonvilles)               et négligé le mouvement réel (et historique) toujours inachevé de populations désireuses de renforcer leur pouvoir social par un pouvoir sur l'espace de la ville.

Notes

[1] - PINÇON, Michel.- Cohabiter. Groupes sociaux et modes de vie dans une cité HLM. Plan de construction, coll. « Recherches ». 1982.

Monique Pinçon-Charlot.- Ségrégation urbaine. Classes sociales et équipements collectifs en région parisienne.- Paris. Alithropos. 1986. en coll avec E. PRETECEILLE et P. RENDU.

[2]-Pinçon, Michel et Pinçon-Charlot Monique.- Voyage en grande bourgeoisie. Journal d'enquête.- PUF. Mai 1997.

Auteur

Faouzi ADEL

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