Sélectionnez votre langue

Diane HIMPAN-SABATIER, Brigitte HIMPAN (2018), Nomades de Mauritanie. Paris, l’Harmattan, Academia Éditions, 462 p.


Insaniyat n° 93, juillet-septembre 2021, p. 88-93


 


La Mauritanie pour Himpan et Himpan-Sabatier (ou Maurétanie pour Coltelloni-Trannoy, M., 1988 ; 2010) offre un terrain d’études privilégié compte tenu de sa forte population nomade, comparativement à ses pays voisins (Maroc, Algérie, Mali, Sénégal), et ce, même si la régression numérique du nomadisme[1] dans ce pays est réelle, selon les différents travaux qui lui ont été consacrés. La journaliste-photographe Nora Schwertzer déclarait en 2018, dans le magazine Géo 478, que les nomades ne représentent qu’une infime partie de la population mauritanienne. Elle explique ce phénomène par les grandes sécheresses des années 1970 et 1990 qui ont décimé les troupeaux. Privés d'eau pour leurs troupeaux et leurs cultures, certains mauritaniens ont dû renoncer à leur mode de vie nomade. Ces sécheresses, selon Tidiane Koïta (Tidiane, 1990) ont profondément perturbé les activités rurales du pays, aboutissant à une sédentarisation puis à une urbanisation rapide des nomades. Même si ces sécheresses ont accéléré le processus de sédentarisation, selon Sébastien Boulay (Boulay, 2005, 141-161), quelques dizaines de milliers de familles  restent encore attachées à leur mode de vie et à leurs activités de pasteurs nomades (chameliers ou bouviers) ou semi-nomades, notamment dans les régions du Trârza et du Brâkna (sud-ouest de la Mauritanie), du Tagânt (centre) et des Hodh (est).

Nombreux ou pas, les nomades de Mauritanie sont au centre de l’ouvrage de 462 pages de Brigitte Himpan et Diane Himpan-Sabatier. « Il y a seulement quelques décennies, déclarent ces deux auteures, les mauritaniens étaient encore majoritairement des nomades, habitant et se déplaçant dans le désert saharien. De nos jours, ils représentent moins de 2% de la population totale mauritanienne, qui garde cependant les traditions et la culture des nomades ». La question binaire soulevée est de savoir que sont devenus les nomades mauritaniens suite à leur sédentarisation massive du fait du réchauffement climatique et dans quelle mesure constituent-ils encore certains piliers de la société mauritanienne d'aujourd'hui ? Leur rapport à l’espace a nécessité un bref éclairage de la géographie et de l’histoire du pays, dans les des deux premiers chapitres, de l’ouvrage. Nous admettons avec les deux auteures que « l’environnement géographique des nomades de Mauritanie, caractérisé par sa désertification, permet de comprendre leur mode de vie et l’histoire de leur pays éclaire sur leurs origines ». Bordée au nord par le Sahara occidental et l'Algérie, à l'est et au sud-est par le Mali, au sud par le Sénégal, la Mauritanie s'ouvre à l'ouest sur l'océan Atlantique. Elle est saharienne dans sa grande majorité et sahélienne dans le sud. C'est donc le désert, de sable et de pierre, qui domine sa géographie basée sur un paradoxe selon les deux auteures, dans le sens où : « le pays caractérisé principalement par un désert aride et dénudé possède en plus des mines de sel et des ressources poissonnières abondantes, des richesses cachées, dont certaines étaient connues depuis l’Antiquité : minéraux et nappes d’eau souterraines ».

Michelle Coltelloni-Trannoy (Coltelloni-Trannoy, 2010, 4717-4737) (ayant consacré sa thèse de doctorat au royaume de Maurétanie) (Coltelloni-Trannoy, 1988) met l’accent sur « l’hésitation qui porte à user du singulier, « la Maurétanie », comme du pluriel, « les royaumes ». Elle souligne de la sorte les difficultés de la question : « d’une part, la Maurétanie a bel et bien existé, en tant que réalité opposée à divers titres (culturel, géographique, politique) à la Numidie ; d’autre part, dit-elle le singulier sous-entend une unité et une stabilité que les sources n’incitent guère à observer, quelle que soit l’approche choisie, ethnique, politique ou territoriale ». Selon Geneviève Désiré-Vuillemin (Désiré-Vuillemin, 1997), le nom de Mauritanie n’apparait officiellement que le 27 décembre 1899 avec une décision ministérielle qui organise sous le nom de Mauritanie occidentale les régions s’étendant de la rive droite du Sénégal. La société Mauritanienne est stratifiée de telle sorte qu’on peut y compter deux groupes distincts qui composent la population : les Maures d'origine arabo-berbère et les Afro-Mauritaniens, originaires d'Afrique subsaharienne. Composés d’ethnies et de tribus, ils sont eux-mêmes subdivisés en castes, allant des nobles (chefs, marabouts) aux castes inférieures (forgerons, tisserands, potiers, cordonniers…) et en bout de chaîne, les esclaves[2]. Ces strates héritées de l’histoire mauritanienne permettent à une minorité de garder le pouvoir avec parfois le soutien de l’État : en effet, si les basses castes peuvent changer de métier et les descendants d’esclaves maures libérés (haratines) accéder à certaines responsabilités, dans les faits, ils restent discriminés. Une explication en est donnée par Bocar Ba (Bocar, 2020, p. 21-30) « très tôt, les pôles de décision traditionnels (chefferies, tribus, castes dites nobles, etc.) ont investi les structures de l’État, figeant ainsi dans une forme de conservatisme cette institution qui était peut-être la seule à avoir vocation à impulser efficacement les politiques nécessaires à la transformation sociale et à la lutte contre les archaïsmes de nos sociétés rurales ».

Clément Lechartier (2006, p. 31) définit le nomadisme comme un mode d’exploitation des ressources. Il s’adapte à l’aridité et à l’espacement des points d’eau qui en découle en se déplaçant. Les territoires des nomades sont par conséquent ceux de la mobilité et de la solidarité. En Mauritanie, l’espace vécu, perçu et représenté est structuré selon Anne-Marie Frérot (1997, p. 113) par quatre types de lieux : les terrains de parcours, les zones d’échanges, les oasis et les zones de culture.  « Le nomadisme, en lien avec la désertification progressive de la Mauritanie, appelé ainsi « nomadisme climatique » et plus précisément « nomadisme désertique », est devenu le mode de vie des nomades mauritaniens ». C’est le principal facteur, selon Himpan et Himpan-Sabatier, qui a façonné leur culture et leur mode d’habibat. Les nomades de Mauritanie vivent dans des campements ou regroupement de tentes khyam pluriel de khaïma), démontables et transportables. La vie du campement est rythmée essentiellement par la recherche des pâturages. Lorsque les troupeaux ont mangé les dernières touffes, les tentes (khyam) sont abattues et chargées sur les chameaux, et les nomades se déplacent jusqu'à un autre pâturage. La disposition du campement obéit à des règles précises : toutes les tentes sont largement espacées et s'ouvrent dans la même direction, vers le sud-ouest pour se protéger des vents chauds et des vents de sable de secteur est et nord-est. La khaïma est adaptée au climat sec et chaud. Elle est dotée de parois amovibles permettant ainsi de profiter de la brise atlantique à partir du début de l’après-midi. Elle incarne par ailleurs la vie nomade que des générations de citadins maures nés avant les années 1970 ont connue dans leur enfance et reste pour eux, à ce titre, l’espace d’expression par excellence de l’hospitalité, valeur cardinale de la culture mauritanienne.

« L’identité culturelle des nomades mauritaniens se révèle à travers leur mode de vie ainsi que par leur art » qui est, selon les deux auteures, « matériellement exprimé sur les objets usuels ». Le premier des matériaux employés est le cuir ; ce qui fait dire à Jean Gebus (Gebus, 1958) que dans la culture matérielle mauritanienne, il s’agit bien d’une civilisation du cuir, type de civilisation des grands nomades et pasteurs. L’artisanat traditionnel mauritanien utilise les matières premières locales : les différentes peaux des animaux du troupeau sont utilisées pour le travail du cuir, le fer et le cuivre pour le travail du métal, les graminées et diverses plantes pour la vannerie et les nombreux extraits végétaux pour les teintures. Si à l’origine la fonction première de tout artisanat est utilitaire, sa richesse et son esthétisme sont de premier ordre.

S’agissant du travail du cuir, par exemple, ce sont les femmes qui sont en charge du tannage à l’aide des feuilles d’une variété d’acacia, le tamat[3] et des gousses du goniakier[4]. Les peaux de mouton sont particulièrement utilisées pour la confection des différents coussins et sacs de voyage des nomades que l’on retrouve sous la khaïma. Ces coussins et sacs de voyage sont en général décorés de fins motifs géométriques de couleurs vives et garnis de minces franges de cuir. Les coussins maures sont plats et ovales, formés par deux feuilles de cuir reliées entre elles par une bande de cuir uni très souvent de couleur verte. Les tapis de prière sont également confectionnés avec de grandes peaux de mouton bordés de cuir sur laquelle est cousue une toison de mouton.

In fine, si pour certains la Mauritanie évoquera le désert, les chameaux et les khyam des nomades, pour d’autres, comme les pêcheurs et/ou les gastronomes, les pensées se focalisent sur le paradis de la langouste. Les passionnés de littérature ou les chercheurs de pierre retiendront des récits de Saint-Exupéry[5] et de Théodore Monod[6], deux amoureux du désert et du pays. Pour d’autres encore, comme nous par exemple, il existera, entre autres, l’ouvrage de Hampan et Hampan-Sabatier, fournissant quelques clés d’entrée dans « la culture nomade à l’épreuve du capital mobilité ». L’ouvrage met l’accent sur l’influence des nouvelles forces environnementales à l’exemple du réchauffement climatique qui altère la qualité des pâturages et des ressources en eau, perturbant ainsi le paysage rural et restreignant de la sorte les déplacements. Il interroge, en outre, les savoirs et pratiques de mobilité accumulés historiquement par les nomades, ainsi que les modalités de leur adaptation aux nouveaux contextes.   Leur génie réside dans leur capacité d’adaptation et leur organisation sociale qui leur permet de réagir rapidement, face à un état de crise permanente ; autrement dit, un déséquilibre toujours menaçant entre les ressources du pâturage et une population rapidement croissante. À la suite de l’ouvrage, nous pourrions probablement parler d’un nomadisme mauritanien où l’homme et l’animal sont solidaires d’un même écosystème dont ils sont les gérants et les responsables. N’est-ce pas en cela qu’ils constituent des piliers de la société mauritanienne ?

Aïcha BENAMAR

Bibliographie

Bocar, B. (2020). Conservatisme, Féodalité, Système des castes en Mauritanie. Pour un regard lucide. Erès Sud/Nord, 29, 21-30.

Boulay, S. (2005). Genèse, représentations et usages de l'espace de la famille chez les bédouins maures (Mauritanie). Espaces et sociétés, 120-121, 141-161.

Coltelloni-Trannoy, M. (1988). Le royaume de Maurétanie (vingt-cinq av j-c quarante ap j-c) : l'expérience d'un protectorat en méditerranée occidentale. Thèse de Doctorat en Histoire soutenue à l’université Paris 4, sous la direction de Jehan Desanges.

Coltelloni-Trannoy, M. (2010). Maurétanie (Royaumes). Encyclopédie Berbère, 31, 4717-4737.

Désiré-Vuillemin, G. (1997). Histoire de la Mauritanie. Des origines à l'indépendance. Paris, Karthala.

Gebus, J. (1958). Au Sahara : Arts et Symboles. Neuchâtel. Éditions La Baconnière.

Lechartier, C. (2005). L’espace nomade du pouvoir politique en Mauritanie. Des lieux de la bediyya de l'Est à la capitale. Thèse de Doctorat de Géographie soutenue le 10 décembre 2005 à l'Université de Rouen, sous la direction du Professeur Denis Retaillé.

Tidiane, K., (1990). Le nomade à kaedi (Mauritanie) : la gestion urbaine à l'épreuve. Thèse de Doctorat en Géographie soutenue à Paris 8, sous la direction de Michel Coquery.

Notes

[1] Le nomadisme se distingue de la transhumance qui ne concerne que des bergers conduisant périodiquement des troupeaux sur des pâturages saisonniers à partir d'une implantation permanente. Il est défini, par Edmond Bernus et Micheline Cent livres-Demont (1982, p. 107) comme l'exploitation d'un espace aux ressources précaires, variables et dispersées dans des zones complémentaires. Le nomadisme implique la mobilité totale d'un groupe humain, grâce à un habitat transportable ou suffisamment sommaire pour être reconstruit à chaque déplacement, ou en raison de l'inexistence de tout habitat. Le nomadisme se distingue de la transhumance qui ne concerne que des bergers conduisant périodiquement des troupeaux sur des pâturages saisonniers à partir d'une implantation permanente. In Edmond Bernus et Micheline Centlivres-Demont (1982). Le nomadisme. Problèmes actuels des pasteurs nomades. In Encyclopédie Universalis, Supplément 9, p. 117-123.

[2] « En Mauritanie, affirme Messaoud Boubakar (2000), les maîtres sont connus et revendiquent ouvertement leur statut de maîtres. Ils exercent leurs « droits » sur l’ensemble de leurs esclaves. Le maître possède plusieurs esclaves qu’il maintient sous sa domination, soit de manière forte à la campagne, soit de manière plus subtile en ville, assuré jusqu’ici de l’impunité totale des pouvoirs publics. Le maître dispose de la personne et des biens de son esclave. In Messaoud, B., (2000). L’esclavage en Mauritanie : de l’idéologie du silence à la mise en question. Journal des Africanistes, 70, 291-337

[3] « Le tamat est l’acacia flava dont l’écorce lisse est ambrée est utilisée comme tanin » selon Edmond Bernus (1979), L’arbre et le nomade. Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 26, (2), 103-128 

[4] Le gonakier ou acacia nilotica ou encore arbre à tanin parce que ses fruits contiennent du tanin.

[5] Pour ceux d’entre nous qui ont eu l'occasion de lire les œuvres d'Antoine de Saint Exupéry (Courrier SudTerre des Hommes, Le Petit Prince) ils se souviennent des vérités qu'il a découvertes dans le désert, en particulier dans le désert mauritanien, alors qu’il était responsable de l'aéroplace de Cap Juby (actuellement Tarfaya).

[6]  Théodore Monod (1902-2000) biologiste et explorateur, est l'un des plus grands spécialistes du Sahara du XXe siècle. Il est monté sur un dromadaire pour la première fois en 1923 pour traverser la Mauritanie et fit sa dernière méharée en 1993 à l'âge de 91 ans. Entre-temps il a sillonné le désert, cartographié, décrit la faune, la flore et ses caractéristiques géologiques. Il a laissé de nombreux récits dont Maxence au désert. Souvenirs de Mauritanie : une œuvre de jeunesse où il fait le récit de sa première méharée.

Aicha BENAMAR 

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche