Alors que les nouveaux pays industrialisés (NPI) asiatiques connaissent depuis quelques décennies des taux de croissance remarquables, les faisant converger vers les pays les plus développés, les économies arabes, pourtant plus favorablement dotées en ressources naturelles et financières, ne réussissent pas à enclencher des dynamiques durables de développement. Ce constat recentre l’intérêt des économistes sur les problématiques de croissance écartées depuis plusieurs décennies par des préoccupations de conjoncture économique.
S’inscrivant dans cette approche, l’ouvrage de Abdelkader Sid Ahmed s’articule autour d’une question essentielle: comment, dans le contexte actuel marqué par un double processus de mondialisation et de régionalisation, l’économie algérienne peut-elle renouer avec une croissance endogène forte et durable, indépendante de la rente pétrolière?
Après une introduction consacrée au bilan de l’expérience algérienne, l’auteur visite les expériences réussies de développement asiatiques, en tire des enseignements cruciaux pour les économies arabes pétrolières, notamment pour l’économie algérienne pour laquelle il pose les jalons d’une stratégie de développement.
Une «économie naufragée »
A l’orée du second troisième millénaire, le bilan que fait S.A. Abdelkader de l’économie algérienne est sans appel: une industrialisation restée au milieu de gué, l’effondrement de «l’embryon d’état développemental», l’exode des capitaux et des cadres de haut niveau, autant de raisons qui en font une économie naufragée, sans perspectives et pour laquelle l’Etat, «voué aux rent seeking activities», n’arrive pas, malgré le retour à l’aisance financière, à imaginer et à «tracer un sentier vers une économie de marché efficace.»
Dans un contexte caractérisé par l’absence d’une classe d’entrepreneurs «schumpétériens», d’un système productif dynamique, d’infrastructures scientifiques et techniques, et marqué par des «rigidités institutionnelles», le retour aux équilibres macroéconomiques et financiers, la libéralisation des échanges et les volontés de réformes affichées se sont révélés des conditions insuffisantes pour insérer l’économie algérienne dans les «nouveaux réseaux de production internationaux» et enclencher une dynamique de croissance.
Pays émergents: une dynamique de croissance
soutenue par des politiques industrielles actives
Pourtant cet échec partagé par la majorité des économies arabes n’est pas une fatalité. Les expériences de développement réussies des pays émergents d’Asie montrent que la convergence économique n’est pas une utopie. Analysant le modèle de développement asiatique et de ses multiples variantes, l’auteur met en exergue leur dénominateur commun : une politique industrielle active axée autour de la construction d’avantages comparatifs dynamiques dans laquelle l’État joue le rôle déterminant de promoteur et régulateur du développement économique national.
Contrairement aux principes libéraux qui caractérisent les recommandations des institutions internationales, l’Etat y a joué un rôle fort et décisif, aussi bien dans la transformation de l’épargne en profits, permettant ainsi la mobilisation de ressources pour les investissements stratégiques, que dans l’intégration sélective à l’économie mondiale. Déployant son action à travers le développement des infrastructures physiques et sociales nécessaires au soutien de la croissance, l’encouragement de la recherche-développement en synergie avec le secteur privé, des politiques de filtrage de l’investissement direct étranger en faveur des technologies de pointe au fur et à mesure du développement des capacités d’absorption de l’économie, notamment par le biais d’une évolution synchronisée du capital humain, il a favorisé une insertion évolutive dans la chaîne de valeur globale caractérisée par un repositionnement sur les segments à plus forte valeur ajoutée.
De ces expériences riches d’enseignements, l’auteur met l’accent sur les leçons institutionnelles: l’interaction dynamique entre institutions et croissance place le changement institutionnel au cœur de toute stratégie visant le développement de long terme. Dans les économies arabes rentières, la mise en place d’ institutions politiques compétentes, actives et vertueuses, d’administrations stables et relativement autonomes vis-à- vis du pouvoir politique, d’institutions économiques à caractère associatif dynamiques, constituent des préalables incontournables.
Le développement: une séquence ordonnée du changement structurel
De ces expériences, l’auteur tire pour l’économie algérienne des leçons en termes de stratégie de développement. Contestant le paradigme libéral sous-jacent aux fondements du partenariat euro-méditerranéen, l’auteur appréhende le développement comme une séquence ordonnée du changement structurel où l’Etat doit jouer un rôle central, le processus de convergence technologique indispensable à la réduction des écarts de productivité et de compétitivité étant un processus complexe que le seul fonctionnement du marché et/ou l’appartenance à une zone de libre échange ne peuvent garantir. La reconversion compétitive de l’offre nationale et son insertion dans l’économie mondiale passe par le développement du capital humain, par la construction d’un système national d’innovation, par la création de «capabilités technologiques» endogènes. Ceci implique des politiques actives en matière d’éducation de recherche-développement articulées sur les sources de connaissance internationales et portées par des institutions politiques, économiques et sociales vertueuses et dynamiques. Ceci présuppose en dernière instance une réforme de l’Etat rentier en Etat développementaliste. Comment et par quels mécanismes? La question, pourtant essentielle, reste posée.
notes
* Enseignante et / chercheur à l’Université d’Oran.
auteur
Naget ZATLA