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Aménagements hydrauliques et construction des territoires : cas des oasis de Réjim Maâtoug (Sud tunisien)

Insaniyat N°51-52| 2011 | Le Sahara et ses marges | p.83-97 | Texte intégral


Hydraulic installations and territory: the example of the Redjim Maatoug (South Tunisian oasis)

Abstract : By studying the Rejim Maatoug oasis in Southern Tunisia, close to the Algerian border, this work raises the global problematic of voluntary state politics, aiming at developing desert fringe regions, in order to settle the last nomads and to define territories. In the first part we give a precise outline about the stages for territorial formation by using artesian water from the northern aqueous system and new oasis creation. A socio economic and environmental evaluation of these arrangements are made, to disengage territorial limits by water in these desert regions and to put forward an alternative territorial project based on the necessity of adopting a more patrimonial counseled management for water resources, and a diversity for non agricultural activities, to reduce tensions concerning water resources.

Keywords: oasis - Rejim Maatoug - water - territorial formation - cultural environment.


Abdelkrim DAOUD :  Enseignant de l’Université de Sfax, géographie. Laboratoire Eau-Energie-Environnement. Ecole Nationale d’Ingénieurs de Sfax.


Le Sud tunisien fut durant les quatre dernières décennies un espace de mise en valeur, visant autant des objectifs socio-économiques que stratégiques. Principal acteur de ces actions, l’Etat visait, à travers la mise en place d’infrastructures diverses et la mobilisation des ressources en eaux ou la promotion administrative, l’intégration des zones arides et hyper arides du Sud tunisien. Le projet de Réjim Maâtoug, visant la création d’environ 2000 hectares d’oasis ex-nihilo entre dans ce cadre. La problématique du présent travail consiste à étudier l’impact social et spatial des grands aménagements hydrauliques ayant permis la création de ces nouvelles oasis. Il tentera ainsi de montrer comment les ressources en eaux fossiles du Sud-ouest et les grands aménagements hydrauliques ont été mis au service d’objectifs stratégiques visant un meilleur contrôle de zones frontalières, et socio-économiques et la sédentarisation des derniers nomades ou semi-nomades du Sud. Ce travail tentera ensuite de montrer les limites des grands aménagements hydrauliques en milieu hyper aride où les besoins en eau des plantations sont énormes, et ce à travers l’étude des retombées écologiques constatées sur le terrain, et particulièrement les problèmes de drainage de l’eau d’irrigation, d’hydromorphie ou parfois de salinisation. Il engagera enfin une réflexion sur les limites de la construction des territoires par l’eau dans ces milieux hyper arides, et sur les alternatives de développement possibles, dans une conjoncture marquée par la vulnérabilité accrue des ressources en eaux fossiles, l’augmentation des frais de leur mobilisation et l’aggravation de ses impacts sur le système de production oasien.

I. Historique de la mise en place des oasis de Réjim Maâtoug 

I.1. D’importantes ressources en eaux fossiles

Réjim Maâtoug est un ensemble d’oasis et de groupements d’habitations, créés dans le désert, à quelques kilomètres de la frontière algérienne, à environ 130 kilomètres à l’ouest de Kibili, et 70 kilomètres de Douz (Doc. 1). Ce sont les ressources en eau des nappes fossiles qui ont été mises à contribution dans le Sud ouest tunisien en général, pour les grands aménagements hydrauliques. Il s’agit du système aquifère du Sahara septentrional, composé par la superposition de deux principales couches aquifères. La superficie de ce bassin est estimée à environ          1 million de km2, dont 80.0000 en Tunisie (700.000 en Algérie et 250.000 en Libye[1]). Il s’agit de la nappe du Continental Intercalaire (CI) et de celle du Continental Terminal (CT), auxquelles s’ajoute la nappe du Turonien, moins importante. Les études les plus importantes, relatives à ce système, ont commencé dès de début des années 70 du siècle dernier[2].

 

Toutefois, des études plus récentes[3] ont abouti à la réalisation d’une importante base de données sur ce système et, grâce à différents outils dont la modélisation, ont conclu « qu’il existe une possibilité de porter l’exploitation du système aquifère du Sahara septentrional, estimé à 2,5 milliards de m3 en 2000, jusqu’à un niveau de 7,8 milliards de m3 /an à l’horizon 2050 »[4]. Sur les 2,5 milliards de m3 par an, la part la plus importante revient à l’Algérie (1,50). La Tunisie et la Libye exploitent respectivement 0,55 et 0,45 milliards de m3. En Tunisie, la nappe du CT, logée dans les sables pontiens et les calcaires sénoniens près de la frontière algérienne, présente une minéralisation plus élevée, jusqu’à 6g/l dans sa partie Nord (Chott-El-Gharsa), que sa partie Sud (Nefzaoua et Jerid), où elle n’est que de 2 à 3 g/l[5]. En raison de son accessibilité, la nappe du CT est la plus exploitée. Par contre, celle du CI présente une minéralisation moins élevée, de 2,5 à 3g/l dans le Jerid et le Nefzaoua, et est également moins sollicitée.

I.2. Mise en place progressive des oasis de Réjim Maâtoug

Trois phases peuvent être distinguées dans la mise en place ex nihilo des oasis de Réjim Maâtoug : la première, s’étalant de 1977 à 1984, peut être considérée comme celle du démarrage de cette nouvelle forme d’occupation de l’espace et de la construction d’une nouvelle territorialité. Elle fut marquée par l’installation de 20 logements et une école, constituant le noyau de ce qui est appelé aujourd’hui le village de Réjim Maâtoug, et l’aménagement du premier périmètre irrigué : l’oasis de Réjim 1, couvrant 100 ha. L’action de l’Etat, qui projetait d’aménager environ 3000 ha dans le territoire des Ouled Ghrib, s’insère en fait dans le cadre du Plan Directeur des Eaux du Sud (PDES), qui fut achevé dès 1976 et appliqué à partir de 1980. Ce plan avait pour principal objectif l’utilisation des eaux fossiles pour réhabiliter les oasis anciennes et créer de nouvelles oasis. Les reconnaissances par forages effectués par la Direction Générale des Ressources en Eau ont conclu à « une disponibilité de 2000 l/s exploitable à l’aide de forages jaillissants, avec un débit de 70 à 120 l/s et une salinité de l’eau de 1,8 à 2,5g/l. »[6]

Les contraintes auxquelles devaient faire face ces premiers aménagements étaient liées à l’éloignement, l’absence de route reliant cette zone à Kibili, et aux difficultés d’installation des premiers irrigants, appartenant dans leur quasi-totalité à la tribu semi-nomade des Ghrib, qui passaient ainsi, et sans transition, du semi nomadisme à la sédentarité et du pastoralisme à l’agriculture irriguée. A cela s’ajoutent les contraintes imposées par le milieu naturel (hyperaridité et fréquentes tempêtes de sable), limitant la réussite des premières plantations. La deuxième phase, entre 1985 et 1989, fut marquée par la multiplication des forages, la création de l’Office de développement de Réjim Maâtoug, dirigé par l’armée, qui avait pris en charge (en coordination avec le Ministère de l’Agriculture), la réalisation des principaux travaux de fixation des dunes, de nivellement des terrains destinés aux plantations, de construction de routes et de l’installation de l’infrastructure d’irrigation et de drainage. Cette phase fut marquée aussi par la mise en place des oasis de Réjim 2 (100 ha) et Matrouha (75 ha). La troisième phase, marquée par la prise en main de l’Office de Réjim Maâtoug de l’aménagement et de la gestion des périmètres irrigués et des ressources en eau, fut la plus importante, particulièrement par la création de nouveaux périmètres. Deux tranches de réalisations peuvent être distinguées dans cette troisième phase : de 1990 à 1995 furent créées les oasis d’Ennasr 1 (288 ha sur 192 lots), Ennasr 2 (144 ha, 96 lots), El-Ferdaous 1 et 2 (360 ha et 240 lots chacune). Cette première tranche totalise 1 152 ha répartis sur 768 lots. L’eau est fournie à ces différentes oasis au moyen de 16 forages captant le CT. Ces oasis furent aussi équipées d’un réseau de drainage et de brise-vents en palmes ou en plantations forestières. Les lots, de 1,5 ha environ, étaient plantés par les soins de l’Office, avant de les livrer à leurs futurs exploitants. L’Office s’est chargé aussi de la construction de 762 logements. La deuxième tranche de réalisation démarrée en 2002, est prévue pour s’achever en 2009, avec la création des oasis d’El-Amal I et II (216 ha sur 144 lots chacune) et Essalam I et II (288 ha et 192 lots chacune). Au total, 14 forages assurent l’irrigation de cette deuxième tranche d’oasis (1 008 ha répartis sur 672 parcelles), et le tour d’eau ne dépasse pas six jours. L’exploitation globale de l’eau, inférieure à 100 l/s jusqu’en 1982, est arrivée à 815 l/s en 1995[7] et dépasse aujourd’hui 1 000 l/s. La tendance actuelle est encore à l’accroissement de la demande en eau, parallèlement à l’extension des plantations et à la faible efficience de l’irrigation[8].

II. Un bilan global mitigé

II.1. Une nette amélioration du niveau de vie

Bien que ne disposant pas de données statistiques globales sur le secteur, nous pouvons toutefois affirmer que le bilan social et économique à Rejim Maâtoug, bien que mitigé, montre une nette amélioration du niveau de vie des irrigants, et une nette augmentation de la production de dattes destinée à la commercialisation, ou de certains produits maraîchers destinés à l’autoconsommation. Une étude d’évaluation de la première tranche (1 152 ha) réalisée par l’Office de Développement de Réjim Maâtoug en 2006 a conclu à l’existence de cinq types de parcelles, sur la base de critères de production. La classe 1, est constituée par les parcelles ayant plus de 40 pieds productifs, la classe 2 entre 30 et 40, etc. Au total, 10% seulement des parcelles appartiennent à la classe 1, et furent considérées comme réussies (sur la base d’une production moyenne de 50kg/palmier, soit 2 tonnes/parcelle, ce qui est économiquement viable). 80 % appartiennent aux classes 2, 3 et 4 et 10% à la classe 5. Les parcelles de cette classe furent considérées comme étant à refaire.

Par ailleurs et sur le plan social, la sédentarisation s’est traduite par un changement radical du mode de vie, avec accès à la scolarisation des enfants et aux soins de santé de base. L’habitat est désormais aggloméré sous forme de petits villages implantés le long de la route, sur laquelle on voit se succéder les villages de Réjim Maâtoug, d’El-Ferdaous, d’Ennasr, d’Essalam et enfin de Matrouha, le plus proche de la frontière algérienne. (fig. 2 et photo 1). Plusieurs services banaux et de proximité se sont également installés. D’anciens pasteurs, les premiers bénéficiaires des lots sont devenus agriculteurs irrigants et sédentaires. Toutefois, l’élevage n’a pas disparu, mais s’est intégré dans l’exploitation. A travers la construction de ces nouveaux territoires par le biais des grands aménagements hydrauliques, l’objectif de l’Etat depuis la fin des années 70 du siècle dernier, était aussi la formation d’une petite paysannerie ancrée dans ces territoires et attachée à sa terre. Dans cette zone frontalière, les soucis de marquage des frontières n’étaient pas absents de la politique de l’État. Des primes d’installation furent accordées à ces nouveaux paysans, destinées à subvenir à leurs besoins avant que l’exploitation n’arrive au stade de la production.

 Figure 2 : Image Spatiale de l’Oasis de Réjim Maâtoug

 

    Source : Google Earth

Photo 1 : Village d’El Ferdaous à Régim Maâtoug (Photo. A. Daoud 2008)

II.2. Gaspillage d’eau et hydromorphie

Pour le cas de Réjim Maâtoug, le problème fondamental reste le gaspillage et le surdosage des eaux d’irrigation. Cela se constate particulièrement dans les plantations de la première tranche où, initialement, aucun dispositif d’économie d’eau n’était installé. Face à cette situation, l’action de l’Office a consisté, dans le cadre d’un programme de réhabilitation, à équiper chaque parcelle de bouches d’irrigation, reliées à un canal principal muni de vannes. Un système de canaux secondaires est branché sur les bouches d’irrigation pour amener l’eau directement sous les palmiers. Les services techniques de l’Office estiment que ce dispositif, qu’ils appellent système d’irrigation gravitaire améliorée, peut économiser jusqu’à 30% d’eau d’irrigation. Une enquête directe[9] auprès des irrigants de l’oasis d’El-Ferdaous II, courant 2008, a permis de constater leur engouement pour ce système, avec lequel l’exploitant trouve plus de temps pour effectuer d’autres travaux comme le labour, le sarclage et l’épandage de fumier.

L’irrigation et l’excès d’eau génèrent des contraintes, dont la plus importante est l’eau de drainage. La pente entre le site des oasis et les alentours étant quasi-nulle, et en l’absence d’une dépression à proximité pouvant drainer naturellement les eaux d’irrigation, l’eau de drainage est collectée par le moyen de canaux enterrés, dans un bassin, d’où elle est ensuite pompée et déversée au moyen d’un canal, dans les espaces vides jouxtant l’oasis. Ces grandes quantités d’eau, livrées ainsi à l’évaporation, auront pour conséquences à terme l’augmentation de la salinité et la perte de fertilité des sols, sans compter les risques de contamination bactériologique qu’elles peuvent entraîner. A cela s’ajoutent les surcoûts de mobilisation des ressources en eaux générés par la mise en place, le fonctionnement et l’entretien de la station de pompage des eaux de drainage. Il va sans dire que les impacts économiques directs de la perte de fertilité des sols de ces nouvelles oasis sur leur capacité de production et sur les revenus à moyen et long termes des paysans sont importants, impacts aggravés par l’augmentation de la vulnérabilité de la ressource en eau en raison de la sollicitation excessive des nappes. En effet, il est communément admis qu’un hectare irrigué dans les oasis du Sud-Ouest tunisien consomme actuellement entre 20.000 et 23.000 m3/an, et Réjim Maâtoug ne fait pas exception à cette règle. Cette exploitation intensive des aquifères fossiles pourrait entraîner des phénomènes de drainance et une augmentation de salinité des horizons superficiels. L’intensification des prélèvements sur les réserves géologiques de la nappe du CT dans le Jerid et le Nefzaoua depuis 1980[10] a eu des conséquences négatives sur les échanges hydrodynamiques de cette nappe. En effet, cet auteur note que l’hydrodynamisme de cette nappe est régi par «  la pression de mise en charge des niveaux profonds captés par forages, et par la gravité dans la partie superficielle exploitée par puits de surface »[11]. La surexploitation des niveaux profonds entraînera la baisse de la piézométrie et, corrélativement, un appel d’eau des niveaux supérieurs, qui sera à l’origine de l’augmentation de salinité. En outre, l’intensification de l’exploitation à Réjim Maâtoug a entraîné une baisse de la piézométrie, observée depuis le milieu des années 1980, et estimée aujourd’hui dans une fourchette comprise entre 11,5 et 14,5 mètres.

Le gaspillage de l’eau d’irrigation provenant des nappes fossiles et les rejets des eaux de drainage ont crée une situation d’hydromorphie dangereuse. A l’intérieur même de l’oasis, l’hydromorphie touche, selon les services techniques de l’Office, environ 50 ha. Il faut noter que ces problèmes d’hydromorphie se retrouvent aussi dans beaucoup d’oasis algériennes du Bas-Sahara, en raison d’une topographie similaire[12]. Cette situation est paradoxale dans un environnement désertique.

III. Pour une autre gouvernance de l’eau dans les oasis de Réjim Maâtoug

III.1. Eau et construction des territoires, quelles limites ?

Les problèmes d’hydromorphie, de salinisation des sols, du rabattement du niveau piézométrique et de la salinisation des sols montrent encore une fois que la construction des territoires par l’eau dans les régions arides et hyper arides a des limites. Celles-ci s’imposent à l’homme à travers les contraintes omniprésentes de l’aridité. L’avenir des aménagements hydrauliques à Réjim Maâtoug passe par un nouveau mode de gouvernance des ressources en eaux et en sols, dans un objectif de durabilité. Il est peut être temps de changer l’échelle de la territorialisation, et de penser à une gestion transfrontalière et plus concertée du système aquifère du Sahara septentrional entre les trois pays concernés, Algérie, Tunisie et Libye. Ceci est d’autant plus impératif que des études récentes[13] ont montré que les secteurs les plus vulnérables de ce système sont ceux qui abritent les plus fortes densités de populations, et que, dans l’avenir, l’exploitation du potentiel hydraulique devrait tenir compte des risques de dégradation, et cela ne peut se faire « qu’au prix d’une rupture totale avec les régions traditionnelles d’exploitation intensive[…] 80% des prélèvements additionnels devront se faire dans des régions nouvelles et éloignées, essentiellement dans la partie libre de l’aquifère : 3,5 milliards dans le bassin occidental du CI, 0,6 milliards aux confins sud du CT en Algérie. Par pays, cette exploitation se décompose comme suit : 6,1 milliards de m3/an en Algérie, 0,72milliards de m3/an en Tunisie et 0,95 milliards de m3/an en Libye »[14]. Ces mêmes études ont montré que l’exploitation actuelle du système a rendu la zone proche des chotts algéro-tunisiens la plus vulnérable. De ce fait, si les choix actuels de construction des territoires uniquement par le biais de l’eau sont maintenus, cela exigerait éventuellement des transferts coûteux de cette ressource. Par contre, l’alternative d’une gestion durable devrait inclure la concertation entre les trois pays composant le bassin. En tout état de cause et dans l’immédiat, l’étude du cas de Réjim Maâtoug montre que pour diminuer la vulnérabilité de la ressource, il est possible de concevoir des aménagements visant l’économie de l’eau d’irrigation d’une part, et la réutilisation agricole in situ des eaux de drainage. La généralisation de l’équipement des oasis de Réjim Maâtoug par le système d’irrigation gravitaire améliorée, et l’équipement des oasis en cours de création nous semble être une bonne solution. Cela revient à terme à mieux maîtriser la demande. De plus, et dans la mesure où leur qualité chimique et bactériologique le permet, les eaux de drainage pourraient être réutilisées pour la production de fourrages. Cela revient à les considérer comme « une nouvelle ressource en eau »[15]. L’économie de l’eau d’irrigation ne peut avoir les résultats escomptés sans l’implication totale du paysan, car l’expérience a montré que les solutions techniques à elles seules ne suffisent pas si elles n’ont pas l’adhésion des principaux acteurs concernés. La participation paysanne à la gestion de l’eau, à travers leurs associations nous semble être un élément essentiel de cette nouvelle gouvernance, entendue ici dans le sens que lui donne Cosanday[16] qui la considère comme « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions, pour atteindre des buts discutés et définis collectivement ». L’application d’une tarification sur l’eau à Réjim Maâtoug serait parmi les moyens les plus efficaces de limiter le gaspillage, et de retarder l’échéance de la fin de l’artésianisme, car jusque là, l’eau est distribuée gratuitement. La tarification implique la prise en compte du coût réel de mobilisation et de distribution de l’eau. Il est évident que le pompage va entraîner une augmentation substantielle des coûts d’exploitation, ce qui justifie encore une fois la nécessité d’adopter un autre mode de gouvernance de l’eau, basé sur la participation consciente des irrigants à sa gestion, dans le cadre d’associations à intérêt collectif. L’eau a été et restera l’enjeu fondamental du développement dans ces régions arides. Faut-il encore rappeler qu’au moment où, dans des régions où les conditions climatiques sont plus clémentes, l’eau est payée cher par les irriguants, car sa mobilisation et son transfert reviennent cher, avec des problèmes de tours d’eau (Cap-Bon, Basse vallée de la Medjerdah, Sahel de Sousse), celle-ci est ici gaspillée, avec une irrigation sans limites, par submersion démesurée en quantités à l’hectare, démesurée en fréquence, tout simplement parce qu’encore fournie gratuitement. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que parallèlement à cette utilisation parfois minière de la ressource à Réjim Maâtoug, les méthodes d’économie d’eau adaptées à ce milieu désertique ne furent adoptées que tardivement. Outre l’épuisement de la ressource, la gratuité de l’eau à Réjim Maâtoug est en train de conforter une certaine attitude sociale des irrigants (venant aujourd’hui d’horizons géographiques divers) vis-à-vis de l’eau, qui va vers davantage de gaspillage que de gestion de la ressource en tant que patrimoine.

Photo 2 : Système d’économie d’eau dans l’oasis d’El Ferdaous II à Rejim Maâtoug (Photo A. Daoud, 2008)

 

 Photo 3 : Extension du front des plantations : oasis d’El-Amal à Réjim Maâtoug (Photo A. Daoud, 2008)

 

III.2. Le « projet territorial », alternative pour des territoires durables en zones désertiques

Aujourd’hui, il s’avère indispensable d’étudier l’opportunité de revoir tout le système de production oasien, tel qu’il a été transposé dans les zones pionnières à l’instar de Réjim Maâtoug, dans lequel le palmier dattier occupe la quasi-totalité des superficies, et duquel le paysan tire l’essentiel de ses revenus. Ce système implique l’insertion de plus en plus poussée de la région dans l’économie de marché, au moment où la quasi-totalité des maillons de la « filière dattes » échappe aux paysans de ces oasis. La diversification du système de production devrait viser une meilleure intégration de l’élevage ovin et caprin avec production de fourrages in-situ, l’introduction de l’arboriculture et du maraîchage sous les palmiers pouvant aider à diversifier les revenus et optimiser l’utilisation de l’eau. Si l’eau reste un élément fondamental pour le développement du Sud tunisien, il nous semble toutefois que dans les zones pionnières comme Réjim Maâtoug, la construction des territoires doit faire l’objet d’ « un projet territorial »[17], incluant, en plus de l’agriculture irriguée, d’autres activités pouvant diversifier les revenus des paysans et limiter la pression sur les ressources en eaux. La pluriactivité, déjà observée sur le terrain, constitue, dans la plupart des cas, une véritable stratégie paysanne. De même, la « mise en tourisme » de ces territoires pourrait constituer un important élément de ce projet territorial. Elle pourrait concerner la beauté paysagère, la pratique hydroagricole d’irrigation ou de cueillette des dattes, et comporter de l’animation événementielle, en rapport avec la culture locale. La mise en tourisme nécessite au préalable une bonne préparation de l’offre touristique, par exemple à travers une signalétique scientifique et promotionnelle ciblant les sites à visiter. C’est ainsi que le tourisme peut contribuer à intégrer les régions arides périphériques dans le territoire national, et, quel que soit le qualificatif que portera ce tourisme, rural, solidaire, durable, tourisme de géosite, il devra impliquer, outre les professionnels (agences de voyage, hôteliers, etc), les acteurs locaux dans les oasis, à travers leurs associations.

Conclusion

Au final, à travers l’exemple de Réjim Maâtoug, ce travail a montré le rôle des aménagements hydrauliques prônés par l’Etat dans la construction du territoire. L’accent a été mis sur les mutations sociales et spatiales induites par ces aménagements, ainsi que sur les contraintes environnementales liées à l’utilisation des eaux des nappes fossiles. Dans la conjoncture géopolitique actuelle, le marquage des frontières par des aménagements coûteux n’aurait peut-être pas trouvé de justification. Du mode de gouvernance futur de l’eau, privilégiant sa gestion patrimoniale avant toute autre considération, dépendra la durabilité de la ressource dans la zone aride et hyper-aride du Sahara tunisien. Ce mode de gouvernance de l’eau devrait prendre en compte le coût réel de mobilisation de cette ressource vulnérable, et les risques hydrologiques lies à son exploitation. Il sera au total une nouvelle adaptation à la sécheresse par la gestion de la rareté. Enfin, les territoires de l’eau dans les régions arides rencontrent de nombreux blocages, et l’alternative reste « un projet territorial » incluant, en plus de l’agriculture oasienne, d’autres activités. Les territoires de l’eau ne sauraient être durables si au départ, l’exploitation de la ressource ne répond pas aux critères de la durabilité. Cela est d’autant plus vrai que les ressources en eau du Sud Ouest tunisien sont fossiles, reçoivent une très faible recharge et, de surcroçoît, intensément exploitées.

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(1)- Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), Système aquifère du Sahara septentrional, gestion concertée d’un bassin transfrontalier. Tunis, OSS, 2008, Collection Synthèse, 51 pages.

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UNESCO Etude des Ressources en Eau du Sahara Septentrional. 6 volumes + annexes, Pub, Unesco, Paris. 1972.


Notes

[1] Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), Système aquifère du Sahara septentrional, gestion concertée d’un bassin transfrontalier. Tunis, OSS, 2008, Collection Synthèse, p.9.

[2] Unesco, Etude des ressources en eau du Sahara septentrional, Paris, Unesco, 1972, 6 volumes + annexes.

[3] Observatoire du Sahara et du Sahel, op.cit. Voir aussi la bibliographie de cette étude.

[4] idem

[5] Cf. Mamou A, Caractéristiques, évaluation et gestion des ressources en eaux du Sud tunisien. Thèse de Doctorat d’Etat. Sc. Nat. Univ. Paris-Sud. 542 pages. Mamou Ahmed et Kassah Abdelfattah, Eau et développement agricole dans le Sud tunisien, Tunis, Publication du Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales CERES, 2002, 286 pages.

[6] Mamou, A. et Hilaimi, A., Note sur les ressources en eau et leur exploitation à Rejim Maatoug, Ministère de l’Agriculture, Direction Générale des Ressources en eau, Tunis, 1996.

[7] Idem

[8] Cette efficience peut être estimée en termes de productivité du m3 d’eau d’irrigation. L’OSS estime, globalement et pour l’ensemble du bas Sahara, que cette efficience « est de 0,32 kg de datte/m3 d’eau pour le palmier dattier, alors qu’elle peut dépasser 0,5 ; de 0,02 kg de grain de blé/m3 d’eau pour le blé sous pivot, alors qu’elle peut dépasser 1,2 et de 2,5 kg de tomate/ m3 d’eau pour la culture de tomate en plein champ, alors qu’elle peut dépasser 6 », OSS, op.cit, p.33.

[9] Ben Moussa, Ch., L’eau et l’irrigation dans l’oasis d’El-Ferdaous II à Régim Maâtoug, mémoire de maîtrise en géographie, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax, 2008, Texte ronéo, 61 p.

[10] Mamou, A., « Le développement des zones sahariennes en Tunisie et ses incidences sur les ressources en eau » In Actes Séminaire les oasis au Maghreb, mise en valeur et développement, Publications du CERES, Tunis, 1995, Série Géographie, n° 12, pp. 71-86.

[11] Idem.

[12] Cf. Cote, M., « Des oasis malades de trop d’eau ? », in Sécheresse, Paris, 1998, n° 2, pp. 123-130 et Cote, M., « Des oasis aux zones de mise en valeur- l’étonnant renouveau de l’agriculture saharienne », in Méditerranée, N° 3-4, 2002, pp.5-14.

[13] OSS. op. cit

[14] Idem, p.19.

[15] Dubost, D. ; Moguedet, G. « La révolution hydraulique des oasis impose une nouvelle gestion de l’eau dans les zones urbaines », in Méditerranée, n° 3-4, 2002, pp.15-20.

[16] Cosanday, G., Les eaux courantes, Géographie et environnement, Collection Belin Sup. Géographie, Paris, Ed. Belin, 2003.

[17] Jadaoui M. ; Ouhajjou L. « Le tourisme dans les oasis, éléments d’un projet de territoire ». Communication au Colloque International : Tourisme oasien, formes, acteurs et enjeux. Ouarzazate (Maroc). 23-25 octobre 2008.

 

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