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Timimoun, évolution et enjeux actuels d’une oasis saharienne algérienne

Insaniyat N°51-52| 2011 | Le Sahara et ses marges | p.165-183 | Texte intégral


Timimoun, development and actual stakes in an Algerian Saharan oasis

Abstract: Timimoun, a Saharan oasis, the so called “capital of the Gourara” and relay town between the Touat region and the M’Zab, has met with a remarkable demographic growth since 1954. This demographic increase has found expression in an important spatial widespread, making the oasis move from rational ksour to a sprawling morphologically diverse and economically renewed Saharan agglomeration. This growth was linked to infrastructure development and change in administrative statute as well as its tourist role. A tertiary economy has won ground to the detriment of its agricultural activity which made up the historical foundation of its economy. The changes, past and present, for both agricultural and urban dynamics, make Timimoun a pertinent example to measure development methods in an oasis milieu.

Keywords: Palm grove - urbanization - socio economic changes - foggara - ksar.


Tayeb OTMANE: Enseignant, géographie et aménagement, Université d’Oran, EGEAT (Laboratoire des espaces géographiques et de l’aménagement du territoire)
Centre de recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
Yaël KOUZMINE : Ingénieur de recherche à l’INRA – Toulouse, géographe.


De nombreuses mutations ont caractérisé l’oasis de Timimoun au double plan social et spatial depuis les années 1950. Un certain nombre d’entre elles relèvent des effets classiques de l’urbanisation et de l’intégration territoriale en milieux désertiques, et sont donc semblables à celles connues par les autres oasis sahariennes algériennes ; d’autres mutations sont plus spécifiques et sont liées aux particularités locales qui engagent l’oasis et sa zone d’influence dans un processus de transformations multiformes.

La dominante rurale de l’oasis s’est progressivement réduite au profit de nouvelles activités économiques. La diversification économique et les nouvelles attractivités induites ont également joué à plein pour modifier substantiellement l’organisation sociale et spatiale de l’oasis qui se trouve aujourd’hui confrontée, notamment, à des problèmes de gestion de la fragile interaction entre l’homme et son environnement.

La palmeraie, qui représente toujours une composante essentielle du paysage visuel oasien comme identitaire de Timimoun, subit de manière croissante les affres de l’urbanisation et des carences de la gestion urbaine. Cette remise en cause du rôle prépondérant de la palmeraie dans le fonctionnement de l’oasis ne représente-t-il qu’un marqueur logique de l’évolution des oasis du Gourara ou constitue-t-il un bouleversement

plus profond du territoire oasien vers une nouvelle forme d’organisation spatiale en rupture avec les modes d’occupation séculaires du désert ?

Afin de répondre en partie à ce questionnement, nous analysons ici les mutations les plus symptomatiques de l’oasis de Timimoun depuis les années 1950, dans l’objectif de mesurer les réorganisations sociales et spatiales qui l’ont caractérisée, comme les enjeux actuels auxquels elle est confrontée.

1. Les fondements de l’oasis de Timimoun

Timimoun est la capitale historique du Gourara, située à 200 km au nord-est de la ville d’Adrar, chef-lieu de la wilaya à laquelle appartient administrativement la commune (carte n°1). En situation centrale dans le Gourara, à la limite est du Grand erg occidental, Timimoun a été historiquement un pôle d’animation des oasis environnantes structurées le long de la sebkha ou localisées dans l’erg (Taghouzi et Tinerkouk). Le peuplement des oasis du Gourara actuel résulte d’une succession historique d’apports ethniques divers.

Comme dans le reste du Sahara septentrional, les habitants primitifs des oasis du Gourara furent des populations noires vraisemblablement dont l’origine géographique est encore sujette à caution[1] qui passèrent progressivement à partir des IVe et Ve siècles sous la domination de berbères Zénètes, devenus sédentaires. Au côté de cette population berbère, vivait une population juive dans les oasis du Gourara et du Touat[2]. Dès le XIIe siècle, les oasis gouraries se sont vues adjoindre des populations arabes, issues de tribus hilaliennes[3], puis d’autres composantes arabes dans les siècles qui suivirent.

Par la suite, et plus récemment, des populations nomades issues de l’Oued‑Righ, du pays Chaamba, du M’Guiden et des zones steppiques algéro-oranaises, puis des réfugiés du nord maghrébin[4], vinrent s’implanter dans le Gourara.

 Carte 1 : Localisation de Timimoun

 

Timimoun était le centre commercial le plus dynamique du Gourara. A l’image de la région du Touat, cette zone était privilégiée par le commerce entre les nomades des Hautes plaines steppiques oranaises[5] et d’El-Goléa ; les dattes et les produits maraichers des palmeraies y étaient échangés contre le blé, le thé, le sucre et le beurre… Cependant, au-delà des denrées alimentaires et des produits semi-manufacturés, un commerce d’esclave prospérait dans la région[6], même si l’apport de ces populations dans le substrat local doit être relativisé, car « quelles que soient l’atrocité et l’ampleur de la traite terrestre par les voies de Mauritanie, du Touat ou du Fezzan, il ne faut pas oublier que la grande masse des esclaves noirs ne faisait que transiter dans les oasis pour gagner les villes et ports du Maghreb »[7].

A l’heure des débuts de la colonisation, le commerce de marchandise fut approprié par les Chaanbi qui suivirent l’implantation de l’administration française au Sahara. Les installations progressives de populations nomades et de Chaanbi dans le Gourara modifièrent la structure sociale de dominance Zénète[8]. Ce processus de peuplement a donné naissance à une hiérarchie sociale particulière ayant caractérisé cette partie du Sahara.

L’oasis gourarie se distingue par un mode d’occupation spatiale spécifique répondant aux exigences naturelles locales contraignantes, comme par une stratification sociale particulière.

Le mode d’organisation classique de l’oasis composée du ksar, de la palmeraie et de la foggara, constitue la réponse la plus adaptée, et historiquement pérenne, à ces contraintes désertiques. Comme l’essentiel des oasis sahariennes, l’implantation humaine dans le Gourara a répondu à deux facteurs concomitants, la possibilité de mobiliser des ressources en eau essentielles aux pratiques agricoles d’une part et l’existence de réseaux d’échanges, d’autre part[9].

 Photographies 1 : Les éléments de l’oasis

 

La mobilisation des ressources hydrauliques prend une forme particulière au Gourara par le biais des foggaras[10]. Ce système d’exploitation de l’eau distingue, à l’échelle algérienne, l’ensemble des oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt, par la spécificité du procédé ainsi que par son maintien, partiel dans certains cas, jusqu’à ce jour. Actuellement, 908 foggaras sont opérationnelles parmi les 1 398 foggaras recensées dans les trois ensembles cités ci‑dessus en 2004 par l’Agence Nationale des Ressources en Eau (ANRH). La rareté des précipitations - cette zone aride ne reçoit annuellement qu’entre 15 et 20 mm - a conduit les ksouriens à mobiliser l’eau des nappes souterraines par ce procédé de captation. Si la zone est privée d’eau de surface ou de pluies, elle est au contraire dotée naturellement d’un immense réservoir souterrain (Continental intercalaire). Cette nappe revêt par ailleurs un intérêt international, car chevauchant sur l’Algérie, la Tunisie et la Libye[11]. C’est à proximité des affleurements de cette nappe que se sont implantées les oasis à foggaras du Gourara, du Touat et du Tidikelt.

Afin de capter l’eau et pouvoir irriguer les palmeraies de Timimoun, 2 329 puits de profondeurs variables furent creusés ainsi qu’une cinquantaine de kilomètres de galeries (photographies n°1).

C’est au contrebas du M’Guiden, un reg, que le ksar de l’oasis de Timimoun fut implanté, le facteur topographique fut déterminant. Afin d’assurer un écoulement gravitaire de l’eau de la foggara, les jardins furent développés en bas de pentes à la limite de la sebkha, ce facteur ayant fortement conditionné par la suite l’évolution de l’oasis.

Les travaux titanesques de réalisation et d’entretien ne furent rendus possibles que par le biais de travaux collectifs (touiza) où l’investissement en main d’œuvre était proportionnel au volume d’eau accessible, une fois le système opérationnel. Néanmoins, la réalisation de ces foggaras s’inscrivait dans un contexte social particulier, où les harratine[12], main d’œuvre servile et vassalisée, assuraient en grande partie le travail de force nécessaire, comme l’entretien des jardins ; les propriétaires terriens, Chorfa ou Mrabtine, jouissant alors de la ressource hydrique et des productions agricoles.

Au-delà de cette photographie historique de l’oasis, les mutations sociales et politiques, engendrées par la colonisation et le pouvoir algérien, ont profondément modifié les structures sociétales des oasis, par la fin de l’esclavage (théorique en 1848), l’introduction du salariat et l’accession au pouvoir de populations jusque là partiellement asservies.

Dans le même temps, le contexte technico-économique évoluant, le rôle traditionnel des oasis de place d’échange et d’agro-système[13] fut remis en cause par la diversification des activités économiques et le renouveau de l’agriculture oasienne, tous deux engendrés, en partie, par l’intégration au territoire national et le désenclavement.

2. De la ruralité à l’urbanité, les mutations socio-spatiales de l’oasis

2.1. Évolutions démographiques et mutations de la structure de l’emploi

L’Atlas des départements sahariens rédigé par un service de l’armée française (1960), donne un aperçu intéressant de Timimoun à la fin des années 1950 : « Chef-lieu administratif de la région, Timimoun groupe un peu plus de 3 000 habitants ; la majorité, environ 2 000 vit entassée dans le “ksar”, noyau le plus ancien de l’agglomération : c’est là qu’habitent les Zénètes avec leurs métayers noirs. Ce ksar aux ruelles fort pittoresques s’oppose au “village” dont les maisons s’ordonnent au long de rues perpendiculaires : ses habitants sont arabophones et tous immigrés récents (de nombreux Chaanba de Metlili). Le village groupe les principaux commerçants, les services publics, tandis que les bâtiments administratifs (situés dans l’enceinte du Bordj) sont accolés au ksar et forment le trait d’union d’une ville qui est en fait double tant par son aspect que par l’origine ethnique et les occupations de ses habitants ».

La population de Timimoun a sextuplé au cours des cinquante dernières années passant, selon les statistiques de 3 000 habitants en 1954 à 20 607 habitants en 2008. La petite bourgade saharienne des années 1950 est devenue une agglomération urbaine à part entière suivant un processus généralisé au Sahara de « glissement du rural vers l’urbain »[14].

L’agglomération a connu une croissance démographique importante de 1966 à 1987. La croissance annuelle moyenne est passée de 4,3% pour la décennie 66-77 à 5,3% pour la suivante. Le fort accroissement enregistré sur la seconde période peut être expliqué par la natalité qui a caractérisé tout le territoire national ainsi que par l’apport extérieur des oasis de l’ensemble du Gourara comme de la sédentarisation des nomades des Hautes plaines steppiques. Timimoun s’est imposée historiquement comme le centre dynamique du Gourara et son rôle a été renforcé, ou conforté, par sa promotion en 1974 en chef-lieu de daïra, au sein de la nouvelle wilaya d’Adrar créée la même année. Cette promotion lui a permis de se doter en équipements et en infrastructures inhérents à ce rang administratif.

 

Le taux d’accroissement démographique a sensiblement baissé aux cours des vingt dernières années, il fut divisé par deux entre 1987 et 1998 (2,6%) par rapport à celui de la décennie précédente et atteignit 1,9% sur la dernière décennie (1998-2008), ce qui est inférieur à la moyenne de la wilaya d’Adrar sur la même période (2,5%). Ce taux, actuellement comparable au taux national, prouve que Timimoun connaît les mêmes tendances de stabilité démographique que les autres villes algériennes du fait de la limitation de naissances, du recul de l’âge moyen de mariage (26 ans en 1998 à l’échelle nationale), de la scolarisation, mais également des contraintes économiques qui pèsent de manière sensible sur les mécanismes de la natalité.

La population de l’agglomération de Timimoun représente en 2008 les deux tiers de la population communale (66,2%). Son poids relatif a connu une légère augmentation depuis 1987 (tableau n°2). Les agglomérations secondaires et les petits ksour ont perdu de la population entre 1998 et 2008 en enregistrant des taux négatifs (-0,9 %), s’agit-il de migrations vers Timimoun ou au profit d’autres régions ? La publication annoncée des statistiques du RGPH concernant les migrations entre 1998 et 2008 permettra de répondre à cette interrogation.  

Le changement de la structure de l’emploi de la commune de Timimoun est également remarquable (tableau n°3 et figure n°1). La situation s’est inversée en trente ans, passant d’une domination très nette du secteur agricole à une emprise marquée du tertiaire. L’emploi agricole fut divisé par deux entre 1977 et 1998, passant de 2 048 à 1 181 actifs. À l’inverse, le tertiaire doubla sur la même période. Ces mutations sont liées, d’une part, au renforcement du salariat dans l’administration, mais également dans le commerce et différentes activités tertiaires et, d’autre part, à la crise de l’agriculture oasienne. La régression du nombre d’actifs dans l’agriculture s’est prolongée au cours de la décennie 1987-1998. Toutefois, les données du recensement de 1998 concernant l’emploi sont problématiques, celles de l’agriculture sont apparemment sous-estimées et les autres secteurs ont été regroupés dans une seule catégorie, ce qui a tendance à biaiser partiellement l’analyse. Néanmoins, la tendance à la tertiairisation des activités économiques est un fait général pour les villes algériennes et en particulier au Sahara.

2.2. La promotion administrative et ses effets

La promotion administrative de Timimoun en chef-lieu de daïra en 1974 a renforcé son rôle de pôle attractif et dynamique. L’implantation des équipements administratifs d’échelon daïral (services de daïra, subdivisions des directions de wilaya…) ont participé amplement au gonflement du secteur tertiaire dans l’administration, les emplois offerts directs et induits ont attiré la population locale, voire régionale et nationale, notamment du fait de l’existence des primes du Sud accordées aux fonctionnaires s’implantant dans les wilayas sahariennes. De plus, la promotion administrative s’est accompagnée d’une dotation conséquente en programmes d’habitat et d’équipements scolaires, sanitaires et autres (lycée, centre de formation professionnelle, hôpital, polyclinique…). L’effet de cette promotion administrative s’est traduit par un afflux démographique important et une extension spatiale éclatée le long des axes routiers menant vers Adrar, Béchar, à El-Goléa ou encore reliant les ksour qui ceinturent la sebkha. En parallèle, le rôle de l’administration s’est affirmé avec le temps en se substituant à la structure locale traditionnelle, la Djemââ, dont le pouvoir décisionnel dans la gestion des affaires publiques s’est progressivement affaibli.

2.3. L’étalement urbain et la reconfiguration de l’agglomération

A l’image du bilan dressé au crépuscule des années 1950[15], deux types principaux de morphologies urbaines caractérisent la ville de Timimoun, l’ancienne forme d’habitat matérialisée par le ksar adossée à la palmeraie et l’extension entamée durant la période coloniale qui fut poursuivie de manière importante après l’indépendance (carte n°2).

La morphologie traditionnelle du ksar se démarque de celle de la ville récente sur plusieurs points. Les maisons traditionnelles de conception intravertie sont implantées de manière serrée et contigüe, séparées par des ruelles étroites et sinueuses qui se terminent souvent en impasses ou débouchent sur des places, Rahba, lieu de rencontre et de sociabilité pour les habitants du ksar. Cette forme d’urbanisation a produit un tissu contigu, qui occupe 43 ha environ, selon le dernier Plan Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (PDAU) de Timimoun.

L’extension urbaine qui a gagné le nord-est, le sud-ouest et l’est du ksar, s’est faite de part et d’autres des principaux axes routiers suivant une trame orthogonale développée à partir des années 1920, caractéristique de la période coloniale comme de l’urbanisation saharienne ultérieure conduite après l’indépendance algérienne. La création du village colonial en regard du ksar a constitué le premier développement de l’agglomération hors de son enceinte historique. Néanmoins, la plus grande part de l’urbanisation visible aujourd’hui est due aux extensions réalisées entre 1962 et 2006, auxquelles s’ajoutent les projets de développement urbain actuels au nord-est et au sud-ouest.

Les deux parties historiques de l’agglomération sont séparées par l’axe central de la ville qui représente un lieu constant d’animation et de circulation où les restaurants tenus par des immigrés kabyles côtoient les bâtiments administratifs, les hôtels et toute sorte de petits commerces. Cette urbanisation plus récente s’est étendue sur 600 ha environ, soit quatorze fois la superficie du seul ksar, tandis que la palmeraie s’étalait vers l’ouest, en gagnant la sebkha (carte n°2).

 Carte 2 : Le processus d’urbanisation de Timimoun

 

La partie récente de l’agglomération a concentré progressivement les principaux équipements développés par la colonisation mais également par l’État algérien. La centralité politique et économique s’est déplacée du ksar vers les nouvelles extensions habitées au départ essentiellement par des commerçants Chaanbi originaires de Metlili[16], bien que la population se soit diversifiée par la suite du fait de mobilités résidentielles depuis le ksar, ou d’apports des ksour environnants, voire même de régions voisines. Cependant, le ksar conserve une vitalité sociale et économique, tout autant qu’une valeur symbolique importante.

Au-delà de la césure morphologique entre les deux ensembles urbains, et à un niveau plus fin, c’est la structure même de l’habitat qui a évolué, dans l’utilisation des matériaux de construction, la composition des espaces de vie, qui traduisent une évolution de la vie rurale vers la citadinité, ou encore dans les équipements du foyer, évolutions qu’avait déjà pu analyser de manière précise Jean Bisson au milieu des années 1980. Le recensement de 2008 permet, par ailleurs, de préciser le taux d’équipement des ménages de la commune de Timimoun : 94% des ménages disposent d’un téléviseur, 74% d’une parabole, 92% d’un réfrigérateur, 12.5% d’un ordinateur et, enfin, 3.5% d’une connexion internet.

 Photographies 2 : Les mutations de l’habitat du ksar

 

Ces mutations ont également affecté le ksar qui s’est en partie recomposé sur lui-même[17]. À la différence de nombreux ksour algériens partiellement détruits, à l’abandon ou pour certains préservés par des rénovations menées sous l’égide du ministère de la Culture[18] mais désormais vides d’habitants, le ksar de Timimoun est toujours vivant, habité et pratiqué.

Ce ksar est depuis plus de trente ans le lieu de transformations majeures : sa structure traditionnelle est atteinte, les maisons traditionnelles en argile cèdent la place à d’autres construites en parpaing, le modèle des villes du nord est reproduit de manière stricte tout en préservant néanmoins les façades extérieures en leur offrant « un cachet ksourien»[19], par l’utilisation de torchis colorés (photographies n°2).

La réalisation des réseaux d’électricité et d’adduction d’eau potable ont nécessité des réaménagements, tout comme la réfection de certaines voies internes au ksar, qui furent pavées afin de faciliter la circulation viaire. L’intégration d’éléments d’un “confort moderne”, comme la recomposition sur eux-mêmes d’un grand nombre de logements du ksar ont participé de toute évidence à conforter le maintien d’une partie de la population en son sein, et ainsi à éviter des effets de mobilités résidentielles négatifs, qui auraient pu remettre en cause sa pérennité.

3. Une palmeraie en péril ?

Si le ksar a connu des mutations prégnantes depuis trente ans, la palmeraie de Timimoun subit de manière prononcée les affres de la croissance démographique. En effet, l’oasis de Timimoun est actuellement confrontée au rabattement de la nappe phréatique, à l’extension de la sebkha qui mite progressivement davantage la palmeraie, ainsi qu’à la désaffection paysanne. Ces évolutions relèvent de plusieurs facteurs explicatifs, et soulèvent clairement la question de la durabilité de l’un des éléments fondateurs de l’identité oasienne gourarie.

Un nombre de 21 foggaras totalisant 53 km de galeries souterraines traverse le tissu urbain du sud-est au nord-ouest et capte l’eau de la nappe du Continental intercalaire. Conséquence du rabattement de la nappe, le volume d’eau mobilisé par les foggaras est en diminution et les superficies des jardins irrigués en contrebas se réduisent également (photographies n°3).

Dix-huit forages ont été réalisés sur la même nappe pour alimenter la ville et les autres ksour de la commune. Le volume d’eau mobilisé en 2007 a été évalué à 35 337.6 m3/j, soit 409 l/s, dont la plus grande part est réservée à la ville de Timimoun. La population locale met en relation directe le tarissement des foggaras et la réalisation des forages. Certes, il existe une corrélation entre les deux phénomènes, mais le problème est également plus global et complexe. Le tarissement des foggaras a commencé bien avant la réalisation des forages par rabattement ou par manque d’entretien des galeries : la foggara d’Amraïer, parmi les plus importantes à Timimoun, qui mobilisait 15 l/s en 1900, avait déjà vu son débit se réduire à 11.8 l/s en 1950[20]. Au-delà de cet aspect local, l’exploitation de la nappe affecte l’ensemble des régions des trois pays concernées (l’Algérie, la Tunisie et la Libye). La pression sur l’eau est perpétuelle et le rabattement de la nappe s’accentue davantage du fait qu’elle subit actuellement un déstockage. Les possibilités de renouvellement existent, mais demeurent très limitées.

Ici l’urbanisation, et l’accroissement de la consommation en eau de la nappe, a eu des effets non négligeables tant spatiaux que sociaux. L’exigence naturelle liée au rabattement de la nappe d’eau a repoussé les limites des jardins de Timimoun vers les endroits topographiquement les plus bas, les zones salées (sebkha). Les jardins situés à proximité du qasri, un peigne répartiteur de l’eau, autrefois les plus avantagés en apport d’eau, se sont trouvés à une côte supérieure à celle de l’écoulement naturel de l’eau, ce qui a conduit à leur abandon progressif.

À ce facteur naturel s’ajoute la désaffection paysanne liée à des facteurs endogènes et exogènes. Les premiers relèvent des mutations de l’organisation sociale, stratifiée durant des siècles entre groupes de propriétaires non-agriculteurs et de harratine. La stratification sociale inégalitaire a poussé les harratine, non-propriétaires de l’eau et des terres, à quitter le travail agricole au profit du salariat offert dans la ville de Timimoun, comme à l’extérieur, dans les agglomérations de la région (Béchar et Adrar), dans les villes des hydrocarbures (région de Ouargla – Hassi-Messaoud ou Hassi-R’Mel) ou les métropoles littorales du Nord.

Les besoins de la ville en eau potable ont augmenté ainsi que leur corolaire, les rejets d’eaux usées. Un volume de 24 736 m3/j est rejeté quotidiennement dans la sebkha de Timimoun et ses effets se font sentir de manière prégnante sur la palmeraie. Cumulé au problème de rabattement de la nappe, qui pousse les jardins vers les zones les plus déprimées pour qu’ils bénéficient de l’irrigation gravitaire par foggara, les eaux usées de la ville, rejetées dans la sebkha augmentent en volume et gagnent progressivement les jardins qui l’entourent. Les cultures intercalaires ont disparu dans les jardins qui se trouvent au contact des zones salées. Le système de complantation avec palmier, céréales et maraîchage, souvent pratiqué par les agriculteurs, à tendance à se réduire à la seule culture du palmier. Cependant, même ce dernier qui est connu pour son adaptation au climat saharien et sa résistance à la salinité, se trouve menacé par l’augmentation croissante du sel dans le sol.

Photographie 3 : La palmeraie de Timimoun

 

Le facteur hydraulique n’a pas agi seul pour aboutir à la désaffection paysanne, la structure même de la propriété foncière a également joué en défaveur de l’agriculture. D’après le recensement général de l’agriculture réalisé en 2001, 787 propriétaires (57,7% du total) dans la commune de Timimoun possèdent moins de 0,5 hectare et 260 (19%) moins de 1 hectare.

Le rapport entre la population totale communale et la superficie productive est égal à 34 personnes par hectare ; la palmeraie qui répondait aux besoins d’une population réduite est devenue bien trop exiguë. Cela a poussé des agriculteurs à chercher, dans un contexte favorable d’ouverture économique, des emplois ou des revenus complémentaires en dehors du secteur agricole, comme elle a amené d’autres à vendre leurs propriétés ; des algérois ont trouvé dans ce type de transaction un bon marché pour investir en infrastructure touristique, ce qui peut annoncer un début du mitage de l’espace agricole.

Au-delà des facteurs naturels liés au rabattement de la nappe, à la salinité et à l’ensablement, l’entretien des foggaras est nécessaire pour les maintenir opérationnelles. Ce travail était auparavant l’une des tâches les plus pénibles des harratine, autrefois réalisé collectivement par touiza et par association. Ce processus de travail coopératif, néanmoins souvent réalisé sous la contrainte, a quasiment disparu en lien avec le délitement des structures traditionnelles de pouvoir, mais également du fait des autres mutations sociales oasiennes. Par ailleurs, la faiblesse des gains en débit obtenus après le curage d’une foggara ou de son extension, et l’absence de main d’œuvre qualifiée pour réaliser ce travail ont accentué le phénomène.

La commune de Timimoun a ainsi perdu 49 foggaras parmi les 173 inventoriées par l’Agence Nationale des Ressources en Eau en 2004. Par ailleurs, les foggaras qui parcourent le tissu urbain de la ville sont exposées à différentes formes de dégradation : détérioration du réseau de seguia, pollutions diverses et empiétement, voire destructions partielles dans le cadre d’opérations urbaines menées par les aménageurs comme par les habitants.

La croissance démographique qui se prolonge encore à l’heure actuelle, malgré un tassement relatif sur la dernière période intercensitaire, ne fera qu’amplifier un phénomène amorcé depuis plusieurs décennies.

Conclusion et perspectives…

L’agglomération de Timimoun a connu des mutations qui ont caractérisé de nombreuses autres oasis sahariennes algériennes telles qu’une urbanisation rapide, les mutations des hiérarchies sociales, l’ouverture et le développement du salariat, la réduction du travail agricole, le tout dans un contexte d’une volonté étatique forte d’aménagement et d’encadrement du territoire. Ces différents facteurs d’évolution ont participé à redessiner la morphologie de l’agglomération et de l’habitat, à en modifier la structure sociale comme l’origine de ses habitants, mais également à remettre en question le rôle et la fonction d’une palmeraie aujourd’hui menacée et marginalisée dans le fonctionnement économique urbain, bien que conservant une forte capacité d’identification sociale dans la vie collective.

Le caractère particulier de Timimoun réside, entre autres éléments, dans le maintien d’une population ksourienne importante du fait de la revitalisation du ksar par l’introduction d’éléments du confort urbain correspondants aux standards des autres agglomérations algériennes, mais également par la diversification des activités économiques.

Dans une wilaya caractérisée par un net déficit migratoire entre 1987 et 1998[21], la question du développement de l’emploi, comme les projets de développement territoriaux futurs constituent des enjeux centraux.

D’après les premiers documents de réflexion du futur Schéma National d’Aménagement du territoire à l’horizon 2025 (SNAT 2025), deux axes majeurs de développement devraient être renforcés dans les décennies à venir[22], l’agriculture, comme la préservation de la palmeraie n’y ayant pas une place privilégiée.

Le premier point a trait au développement du tourisme. La région qui recèle un important potentiel en matière de sites naturels ou anthropisés (ksour, palmeraies, Grand erg occidental…), de patrimoine culturel et immatériel (ziaras) ou de tourisme de découverte (méharées, trekking…), souffre d’un manque de valorisation national et international, mais également d’infrastructures d’accueil de qualité. Le développement d’une activité touristique plus affirmée peut constituer une piste de renforcement et de diversification de l’emploi, tout en permettant un maintien des éléments de l’identité oasienne par un développement local, intégrant et intéressant les habitants au processus. Le développement actuel d’une offre de service (agence de voyage), comme la rénovation annoncée du principal hôtel de Timimoun, présagent déjà d’une volonté locale allant dans ce sens.

La seconde piste de développement régional est liée à l’exploration en hydrocarbures systématisée dans le Gourara, tout comme dans le Touat. La découverte de ressources gazières en 2007 dans le bassin de Timimoun[23] a déjà des effets induits en matière d’emplois et d’activité économique dans l’hôtellerie, les transports ou le service aux entreprises. L’ouverture et la mise en exploitation de la raffinerie de Sbaa située au nord d’Adrar il y a quelques années, a généré un nombre d’emplois non négligeables pour les nationaux, comme pour les locaux. Reste à savoir aujourd’hui quelles sont les potentialités exactes en termes de ressources du bassin de Timimoun et par conséquent quels seront les impacts territoriaux sur l’agglomération et les communes avoisinantes, en matière d’emplois…

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Kouzmine, Yaël, Dynamiques et mutations territoriales du Sahara algérien, vers de nouvelles approches fondées sur l’observation, Thèse de doctorat en géographie, Université de Franche-Comté, 2007, 424p.

Kouzmine, Yaël, Villes sahariennes et migrations en Algérie, polarisations et structures spatiales régionales, in Bendjelid Abed (dir), Villes d’Algérie, Formation, vie urbaine et aménagement, Oran, Editions du CRASC, 2010, pp.127-138.

Otmane, Tayeb, Mise en valeur agricole et dynamiques rurales dans le Touat, le Gourara et le Tidikelt (Sahara algérien), Thèse de doctorat en géographie,  399 p., 2010.


Notes

[1] Camps, Gabriel, Les Berbères, Mémoire et identité, Arles, Babel-Actes Sud, 2007 (rééd.), 351p.

[2] Les sources varient quant aux dates et à l’ampleur des migrations juives dans la région. La qualité de refuge de la région a semble-t-il joué un rôle essentiel dans ces implantations. Pour des éléments plus complets : Oliel, Jacob, Les juifs au Sahara, le Touat au Moyen Âge, Paris, Editions CNRS, 1998, 188p.

[3] Bisson, Jean, Le Gourara, étude de géographie humaine, Mémoire n°3, Alger, Institut de Recherches Sahariennes, 1957, 221p.

[4] Bisson, Jean, 1957, op. cit.

[5] Despois Jean, « L’Atlas saharien occidental d’Algérie », in Cahiers de géographie du Québec, Laval, vol. 3, n°6, 1959, pp. 403-415.

[6] Malek Chebel, dans son ouvrage citant un rapport du Commandant Deporter de 1891, précise les tarifs auxquels s’échangeaient les esclaves sur les marchés du Touat et du Gourara à la fin du XIXe : « Petit garçon entre 4 et 10 ans : entre 150 et 200 francs-or ; 200 à 350 francs-or pour la fillette du même âge ; ensuite les prix s’échelonnaient entre 200 et 500 francs-or pour les jeunes gens des deux sexes. » Chebel, Malek, L’esclavage en Terre d’Islam, Paris, Hachette, 2007, 497p.

[7] Camps Gabriel, 2007 (rééd.), Op. cit.

[8] Pour preuve, dans les années 1950, après quelques décennies de colonisation, la composition socio-ethnique du Gourara était évaluée de la sorte : Zénètes : 28.8%, populations arabes : 24.7% et harratin : 46.5%. État-Major Interamées, Antenne de documentation géographique, Atlas régional des départements sahariens, 1960, 244p.

[9] Kouzmine Yaël, Fontaine Jacques, Otmane Tayeb, Yousfi Badreddine, « Étapes de la structuration d'un désert : l'espace saharien algérien entre convoitises économiques, projets politiques et aménagement du territoire », in Annales de Géographie, Paris, n°670, 2009, pp. 659-685.

[10] Néanmoins, cette méthode de captation des ressources en eau, vraisemblablement d’origine perse (Qanat), existe également dans d’autres milieux désertiques ou semi-désertiques au Maroc (Khettara) ou à Oman (Fallaj).

[11] Ould Baba Sy, Mohamedou, Recharge et paléorecharge du système aquifère du Sahara septentrional, Thèse de doctorat de Géologie, Université de Tunis, 2005, 261p.

[12] (Singulier : Hartani). « Quelle que soit l’origine du mot, je ne crois pas que l’on doive nécessairement donner un contenu étroitement ethnique à un terme qui a un sens socioéconomique : le hartani est le jardinier plus ou moins asservi par des conquérants berbères puis arabo-berbères. Il se trouve que ces conquérants sont de race blanche et que les asservis étaient des gens de couleur. (…) C’est par commodité de langage que géographes et ethnologues, ne faisant en cela que suivre les errements de l’administration, ont généralisé l’emploi du terme Haratine pour désigner l’ensemble des populations mélanodermes des régions sahariennes ». Camps Gabriel, 2007 (rééd.), Op. cit.

[13] Côte, Marc, (dir.), La ville et le désert, le Bas-Sahara algérien, Paris – Aix-en-Provence, Karthala – IREMAM, 2005, 306p.

[14] Bisson Jean, Mythes et réalités d’un désert convoité : Le Sahara, Paris, L’Harmattan, 2003, 479p.

[15] Cf. Infra.

[16] Bisson Jean, 2003, op. cit.

[17] Bisson, Jean, Jarir, Mohamed,  « Ksour du Gourara et du Tafilelt : de l’ouverture de la société oasienne à la fermeture de la maison », in Annuaire de l’Afrique du Nord, Aix-en-Provence, Tome XXV, 1986, pp. 229‑345.

[18] Nous pouvons citer les ksour de Mogheul, Taghit ou encore d’El-Ouata dont l’avenir et la pérennité ne sont pas encore assurés. Le caractère muséal ou patrimonial de ces ksour rénovés n’a pas encore fait à ce jour l’objet d’une réelle valorisation, permettant de développer une attractivité touristique comme une appropriation par les habitants des agglomérations proches.

[19] Otmane, Tayeb, Mise en valeur agricole et dynamiques rurales dans le Touat, le Gourara et le Tidikelt (Sahara algérien), Thèse de doctorat en géographie, 399 p., Université d’Oran – Université de Franche-Comté, 2010.

[20] Bisson, Jean, 2003, op. cit.

[21] Entre 1987 et 1998, la wilaya d’Adrar a connu un solde migratoire négatif de moins 21 000 habitants. Les données migratoires du dernier RGPH de 2008 ne nous sont pas encore connues au moment de la rédaction de cet article.

[22] Pour davantage d’informations sur cette question, se reporter à Kouzmine, Yaël, Dynamiques et mutations territoriales du Sahara algérien, vers de nouvelles approches fondées sur l’observation, Thèse de doctorat en géographie, Université de Franche-Comté, 2007, 424p.

[23] SONATRACH, rapport annuel 2008.

 

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