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L’évolution d’un quartier périphérique en centre d’animation : Debdaba (Bechar)

Insaniyat N°51-52| 2011 | Le Sahara et ses marges | p.185-196| Texte intégral


Bechar, the outer suburb evolution, Debdaba becoming an active commercial centre

Abstract : Algerian southern towns, settings for the Saharan populations’ daily life, both for ksour people or settled nomads, represent a preferential subject for study and analysis nowadays. In fact their socio spatial dynamism is the more dramatic due to its rapidity and extent. It has a most complex socio-demographic composition, for which a geographical analysis is of great interest in decoding the actors stakes in this urbanization process. Here is a town whose origin is a “simple ksar doomed to decline” at the beginning of the last century, and which in fifty years became one of the biggest Algerian Saharan towns. Situated between oued and mountain, the town of Bechar stretches today over more than 15 kilometers from north to south. It is therefore a town which has never stopped spreading founded on a tertiary and “fragile” economic activity because it depends on direct State investment and its role as county seat for the biggest territorial military region.
Debdaba, the town’s most important working class suburb nowadays seems to take on the aspect of a district doted with a peripheral centrality, a serious rival for the town centre.

Keywords:  périphérie - centralité - sédentarisation - quartier - Béchar.


Abdelkader HAMIDI :  Doctorant, géographie, Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie.


Du pôle structurant au centre-ville éclaté

La ville est faite de tensions permanentes entre la mobilité et la fixation, entre le cosmopolitisme et l’enracinement local, entre la centralité et la vie de quartiers.

Selon Bengherbi Mohamed[1], la ville à l’époque coloniale était faite de « ségrégation » puisque la population algérienne ou « indigène », l’habitait mais ne participait pas à sa dynamique urbaine.

Aujourd’hui la ville a changé. La « ségrégation » a peut-être disparu car les habitants des villes sont tous des Algériens, mais les fonctions qui font l’essence de ces villes ont profondément changé pour ne pas dire disparu car la ville n’est plus qu’un « réceptacle » d’habitat. Elle est désormais réduite à sa plus simple expression ! Or,  le logement ne crée pas la ville au sens anthropologique : « Les maisons font la ville, mais les citoyens font la cité » (J.J. Rousseau)[2].

D’une manière générale, la ville moderne et le centre-ville en particulier se définissent aujourd’hui par rapport au seul et presque unique paramètre économique. L’hyper-centre ou le C.B.D. (Central Business District) s’impose et le centre-ville perd son caractère d’espace plurifonctionnel : résidence, activité, échanges et récréation.

Dans les villes algériennes la notion de centre-ville est approchée selon la géographie et surtout l’histoire propre à chaque ville. Certes, dans la plupart de nos villes le centre coïncide avec la ville coloniale. Mais dans certaines villes de moindre importance comme Nédroma ou Mazouna, le centre traditionnel a su s’imposer et se maintenir comme centre-ville.

A Bechar, le centre-ville appelé jusqu’à ce jour « village » en référence à sa nomination d’origine : « village européen » en opposition au Ksar et au reste des quartiers dits « indigènes » tels que Debdaba et la Chaaba, est aujourd’hui dépassé ; il a perdu sa définition de quartier au sens social.

Cette « crise urbaine » multiforme de la ville algérienne dont parlent tous les spécialistes, trouve son expression dans une ville comme Bechar. Simple ksar jusqu’au début du siècle dernier, la ville s’est vue soudain propulsée, en moins d’un demi siècle, au rang de chef-lieu de région militaire dont les fonctions n’ont cessé d’évoluer.

Vue sur la place Lutaud ex Place des chameaux. Fin des années 1960

 

Au début des années 1980, l’opération de rénovation qu’a connue le centre-ville de Bechar a eu comme première conséquence l’émigration d’une population qui avait hérité de cet espace d’habitat au lendemain de l’indépendance, vers les autres quartiers. En témoigne le solde migratoire négatif de ce quartier en cette période (1977-1987) et qui était de (-4,94 %) alors que ceux de la ville et de Debdaba étaient respectivement de +1,11 % et de plus de +3%. Le taux d’accroissement du centre-ville pour la même période était de (-1,62 %), celui de la ville était de 3,94 % et de Debdaba égal à 3,69%.

La lenteur de cette opération de rénovation (près de 15 ans !) et la fermeture des uniques salles de cinéma au début des années 1990 ainsi que la construction récente de deux cités militaires avec des « bâtiments murailles » aux façades « aveugles » donnant sur les deux principales avenues du centre ville, ont fait perdre à ce dernier ses atouts d’attractivité. « La ville apparaît aujourd’hui comme ayant perdu son unité spatiale… Après la ville précoloniale mono centrique » (ksar)  « et la ville coloniale dualiste, » (ksar / village européen) « c’est la ville éclatée. Traduit- elle une société ayant perdu son unité ? »[3].

En tous les cas, cette crise urbaine semble se confirmer et s’étendre avec le temps, prétextant ainsi l’émergence d’autres centres d’animation. Emergence souhaitée et préconisée d’ailleurs par les derniers outils d’urbanisme et d’aménagement de Bechar tels que le Plan d’aménagement de la wilaya (P.A.W.) et le Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (P.D.A.U.)

Le nomade créa …la ville !

Les travaux entrepris par l’armée de colonisation dès son arrivée à Bechar en 1903 entraînèrent peu à peu une dynamique urbaine caractérisée par un afflux de population et la création « spontanée » de deux quartiers : au nord du ksar, le village européen et juif où se groupèrent des commerçants venus dans le sillage des troupes, et à l’ouest, un quartier « indigène » appelé Chaaba, abritant dans des taudis des travailleurs venus des ksour de la région et du Tell à la recherche d’une éventuelle embauche dans les chantiers de la ligne de chemin de fer et de la transsaharienne.

La présence des troupes à Bechar, devenu le quartier général de l’armée de colonisation au Sud-ouest, eut pour conséquence le développement de l’habitat et des équipements. Vers 1940, Bechar avait encore l’allure d’un vaste campement militaire très hétéroclite. Sa structure urbaine commençait à peine à s’organiser le long de l’axe principal allant de la gare ferroviaire à la sortie sud. Les quartiers constituant cette ville naissante étaient encore à l’état embryonnaire et assez distincts : le vieux ksar habité par une population exclusivement musulmane de cultivateurs et d’ouvriers vivant de la palmeraie sur les berges de l’oued Bechar ; au sud, un quartier de « gourbis » commençait à se former, abritant une population très pauvre originaire des différents ksour de la région et des Hautes Plaines steppiques du nord.

Dans les années 1950, Bechar s’affirme comme centre administratif et militaire. De nouveaux quartiers commencent alors à voir le jour. C’est ainsi qu’une cité résidentielle est bâtie pour les officiers de l’armée française et baptisée «Barga» du nom de la crête au pied de laquelle elle fut construite à l’ouest de la ville. De nos jours cette cité est devenue un véritable quartier à dominance militaire certes, mais contenant d’autres cités civiles.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les conditions socio-économiques des populations algériennes se sont dégradées. L’économie traditionnelle fut déstructurée et commença alors un exode de populations nomade et ksourienne, en quête d’emploi, vers la ville de Bechar. L’absence de débouchés engendra un entassement de populations avec son lot de misère. C’est ainsi que l’on assista à la naissance d’un nouveau quartier sur la rive gauche de l’oued Bechar.

Sédentarisation ou comment le nomade est devenu citadin

En 1954, le nombre des habitants de Debdaba était de 1615 ; il a atteint 13 185 en 1966. Cette évolution rapide peut être expliquée en partie par la sédentarisation forcée des nomades suite à la promulgation de la loi de 1958 interdisant le nomadisme.

La tribu des Ouled Djerir nomadisant depuis plus d’un siècle dans la vallée de Zouzfana au nord-est de Bechar, fut donc contrainte à se sédentariser. La plupart de ses membres s’installèrent alors dans leurs jardins sur la rive gauche de l’oued Bechar au lieu dit Debdaba, occupés jusqu'à lors par une population venue des ksour environnants et dotée du savoir-faire nécessaire pour l’entretien des palmiers dattiers.

D’autres populations rejoindront les Ouled Djerir, à la recherche d’emploi et ne pouvant à l’époque prétendre à un logement dans les autres quartiers de la ville : le ksar étant saturé et contrôlé par l’administration coloniale, le reste de la ville appelé « village » d’occupation exclusivement européenne et juive (A. Hanni. 2002), elles s’installent à Debdaba et à la Chaaba et plus tard Bechar Djedid autre quartier populaire occupé par les « nomades Doui Ménia» venus d’Abadla au milieu des années 1940 où ils trouvèrent l’opportunité du logement à bas prix. Ces populations des ksour de la Saoura et des petites bourgades du Nord et du Sud trouvent d’abord un logement provisoire à Debdaba en attendant de trouver un emploi dans un des nombreux chantiers de la ville, lui assurant ainsi une installation définitive en milieu urbain : « La maison en ville devient […] une possibilité de s’y fixer définitivement, en comptant sur une embauche possible… »[4].

Le jardin devenu îlot

« Dans les pays sous développés, les villes se sont développées le plus souvent sans aucun plan » (Santos, M., 1984)[5] pourtant « le plan d’une ville est en quelque sorte le résumé de son histoire… les quartiers (des villes des pays sous développés) ont souvent des plans différents en fonction des époques de construction »[6].

D’après Jean Bisson, « la croissance fulgurante des quartiers nomades relève d’un urbanisme spontané, à peine tempéré par le respect de la voirie… »[7]. En effet, l’histoire de la création du quartier Debdaba ne déroge pas ou presque à cette règle. Les propriétaires fonciers des jardins qui ont servi d’assiette à l’implantation des premières habitations, étaient les Ouled Djerir, tribu nomade du Nord de Bechar. Ils y ont construit leurs maisons en toub.

Les premiers îlots ne tarderont pas à se structurer selon l’organisation de l’espace nomade, « puisque chaque nouvel arrivant construit sa maison auprès de celle de son frère, de son cousin, de son oncle …»[8] avec toutefois la particularité de ressembler à la trame du ksar : habitations agglomérées et espace commun très réduit… Aussi le résultat sera d’ « une remarquable homogénéité » car en effet, les premières constructions ont été érigées sur ces parcelles de jardins situés sur les berges de l’Oued Bechar et exploitées jusqu’alors par des ksouriens pour le compte de ces nomades moyennant une occupation partielle en plus du cinquième des récoltes. Ces jardins « ont été les points d’ancrage de la sédentarisation et, partant, des premières formes de l’organisation de l’espace urbain »[9]. Tout cet espace est structuré suivant une trame agraire dont les ruelles débouchent d’un côté sur l’Oued et de l’autre sur la première rue tracée par l’administration coloniale (Rue Saadelli Belkhir ex. rue de la palmeraie). S’en suit une nouvelle bande d’habitat du même type traditionnel aujourd’hui rénové, dont les éléments structurants sont : la rue Emir Abdelkader et la place de la première mosquée à Debdaba qui est le point d’articulation de tout le quartier puisqu’elle est la première place ; c’est la plus animée du fait de sa proximité du pont central enjambant l’Oued vers le centre- ville de Bechar.

Malgré les efforts de structuration des espaces d’extension du quartier par la programmation des équipements, des cités et des lotissements avec une trame orthogonale tout en reprenant les caractéristiques de l’ancien tissu, le quartier se caractérise à ce jour par une forte densité, une typologie d’habitat à mi chemin entre le spontané des campements nomades et l’aggloméré des ksouriens. L’administration coloniale n’est intervenue dans ce tissu que pour matérialiser le tracé des principales voies. Ainsi aucune règle d’urbanisme au sens technique du terme n’a été imposée.

La densification de ces « îlots jardins » a été favorisée par :

  1. le tracé des voies principales qui n’a pas touché les grands îlots.
  2. la cession des terrains des anciens propriétaires ou de la Zaouia de Kenadsa aux nouveaux arrivants.
  3. l’élargissement des familles par accroissement démographique.
  4. la réduction au maximum des parcours ou passages nécessaires aux déplacements internes entre les maisons.

Quant aux façades donnant sur la rue, elles ont favorisé plus tard :

  • l’ouverture des locaux commerciaux et des garages
  • l’apparition de grandes fenêtres et de grands balcons.

Notons au passage que les occupants de ces logements donnant sur la rue sont des ksouriens métissés formant une large majorité compacte et dense de la population, qu’ils soient originaires du ksar même de Bechar ou qu’ils soient venus de Tindouf, d’Adrar, de Béni Abbès ou des autres oasis de la Vallée de la Saoura. La façade autrefois dénigrée par le nomade est devenue un enjeu économique capital.

Une occupation du sol dominée par l’habitat traditionnel

L’implantation, la conception et la distribution à l’intérieur d’un logement ainsi que les matériaux utilisés sont la conséquence directe d’une conception culturelle résultant d’une évolution socioéconomique et historique. Les principales causes qui ont présidé à la création du quartier Debdaba, comme nous l’avons vu, étaient la sédentarisation des nomades et la marginalisation de la population autochtone appelée « indigène » par l’administration coloniale.

De ce fait, l’urbanisation du site a été accomplie par « remplissage » des parcelles. On commençait par occuper un terrain aussi large que possible selon l’influence de la famille ou son poids social afin de permettre aux autres membres de rejoindre le premier occupant et procéder ainsi à la densification par ajouts horizontaux. Chaque famille tenait à rester entre soi (« choisis ton voisin avant de choisir ta maison »)[10]. La communauté de voisinage […] a pour corollaire l’accolement des haouch […] ; une vie de quartier dont on ne soupçonne pas l’intensité depuis la rue, est assurée »[11] à l’intérieur de l’îlot.

Les voies y sont orthogonales délimitant de grands îlots calqués sur une trame agraire dont la dimension des parcelles varie entre 100 m² et 200 m². Le parcellaire y est irrégulier marqué par les subdivisions des parcelles originelles.

Quant aux extensions récentes, la typologie y est totalement différente puisqu’elle est constituée des grands ensembles semi collectifs ou cités dont l’architecture est semble-t-il inspirée de celle du vieux Ksar de Bechar ! Ils ont été construits à la fin des années 1970, à l’initiative de l’Etat sur des terrains domaniaux délimitant le « vieux Debdaba » et rentrent dans le cadre de la politique post coloniale qui tout en prétendant rompre avec les anciennes pratiques se retrouve en train de reconduire « purement et simplement la réglementation française en matière d’urbanisme (Ordonnance du 31 décembre 1962) ». Le plan de masse y est compact, avec des ruelles couvertes par endroit desservant des logements et des espaces communs implantés à l’intérieur de la trame. La conception du logement n’a rien à voir avec celle des maisons du Ksar : superposés et imbriqués, sans cour intérieure avec des ouvertures réduites au maximum réduisant ainsi les possibilités d’éclairage suffisant des pièces, ceci expliquerait les transformations de ces logements dès le début par l’agrandissement des percées.

Ces logements sont dépourvus des commodités de l’habitat ksourien adapté à la vie dans ces régions du Sahara. L’objectif de réduire leur exposition au soleil, n’est pas atteint puisque deux façades au moins donnent sur l’extérieur. Ce n’est pas le cas des logements du Ksar. D’autre part, ces ensembles n’ont pas une trame qui s’intègre dans le tissu environnant. Ils feront plus tard à l’occasion de leur cession aux habitants (Loi de 1981 relative à la cession des biens de l’Etat) l’objet d’importantes transformations visant à les adapter au mode de vie dans ces quartiers populaires : « La libéralisation du parc immobilier dans les années 1980 afin d’impliquer les occupants dans l’entretien du cadre bâti a libéré les initiatives des habitants qui dans un souci d’une meilleure adaptabilité ont refaçonné, réaménagé tous azimuts leur habitation »[12].

De par leur architecture, leurs matériaux et leur composition, les constructions sont le reflet de la structure socioéconomique de leurs habitants.

Certes habiter, d’un point de vue anthropologique n’est pas le seul fait de se loger, mais le logement est le point d’ancrage sans lequel cette fonction d’habiter serait comme suspendue ou en sursis.

Les logements à Debdaba sont de type traditionnel et nous avons noté qu’à la périphérie de l’îlot, les maisons sont à deux niveaux alors qu’à l’intérieur, elles sont généralement d’un seul niveau et ont souvent leurs ouvertures vers l’intérieur (maison introvertie). Nous y rencontrons quelques maisons qui sont encore en « toub », témoins des premières occupations du site et des premières méthodes de bâtir dans le quartier. Le parcellaire y a suivi le tracé des anciens réseaux d’irrigation de la trame agraire.

Les mutations d’un quartier nomade

La vétusté de l’habitat traditionnel appelé souvent haouch, a nécessité quelques transformations. Elles ont été d’ordre structurel et ont touché principalement les matériaux sans toutefois changer la conception ou la distribution interne, puisque la maison traditionnelle à Debdaba garde ses caractéristiques d’origine. Toutefois, d’autres constructions de type « haouch contemporain » (construction à plusieurs étages) sont de plus en plus nombreuses le long des rues commerçantes.

Les mutations aussi bien sociales que spatiales qu’a connues le quartier à travers le temps ont donné naissance à une nouvelle conception de l’espace « habitat » et plus particulièrement sa reconstruction. « L’aboutissement de ce processus est un habitat dans lequel les habitants construisent l’espace à l’image qu’ils se font de l’urbanité»[13]. Mélange entre tradition et modernité par la reproduction du modèle ksourien (haouch) et l’ouverture sur l’extérieur (balcons, garage, et/ou commerce au rez-de-chaussée). Le matériau traditionnel, c’est-à-dire le «toub» a été remplacé par d’autres matériaux dits « durs ». Ainsi, malgré toutes les qualités prouvées des matériaux dits traditionnels (confort thermique, coût très réduit, poids avantageux, disponibilité…), les habitants se sont orientés vers les nouveaux matériaux pour les raisons suivantes :

  1. Ces matériaux sont plus résistants aux intempéries (les pluies notamment) que le « toub » ;
  2. Les habitants ne sont plus disposés à cause de leur nouveau mode de vie et de leurs activités, à organiser des « touiza» comme autrefois afin d’entretenir périodiquement leurs maisons traditionnelles.
  3. La difficulté de desserte par les réseaux divers a nécessité le réaménagement de cet ancien habitat et a donné prétexte à la reconstruction par des procédés et des matériaux de type moderne.

Rénovation ou transformations morphologiques à la recherche de nouveaux espaces

En cours de réalisation, les nouvelles maisons se retrouvent avec les caractéristiques des maisons traditionnelles à peine transformées : au lieu du toub, on construit avec du béton, on garde une certaine intimité des pièces intérieures par rapport à la pièce des invités…etc.

La transformation des habitations traditionnelles avec des moyens financiers souvent très modestes des ménages se traduit par des disparités visibles. En effet, certaines constructions ont subi de grandes transformations plus rapidement que d’autres. « Très souvent l’aspect extérieur des constructions […] est en contradiction avec les traditions de la société, les moyens financiers des résidents et les facteurs climatiques locaux…, ceci est d’autant plus étonnant que nous avons affaire, en général, à des classes moyennes non dénuées de bon sens. En outre, on peut voir partout des balcons inutilisés,… des fenêtres et des portes-fenêtres perpétuellement closes…et ce, dans un climat où il ne fait froid, qu’à peine trois mois sur douze… »[14]. La croissance de la cellule familiale est l’un des facteurs essentiels qui poussent vers la multiplication délibérée des pièces habitables et qui répond à « une véritable question d’anthropologie sociale et culturelle et concerne toutes les strates de l’armature urbaine algérienne »[15] et ce, quelque soit la nature du logement.

Les deux principales actions entreprises sont les suivantes :

  1. L’extension verticale des maisons par la montée en étages.
  2. L’ajout de pièces supplémentaires par le réaménagement de l’intérieur du logement.
  3. Le plan conçu par l’architecte n’est nécessaire en fait, que pour obtenir le permis de construire.

Vers un nouveau centre

Le degré d’équipement d’une ville, voire d’un quartier, révèle indéniablement le degré d’attraction de ce quartier ou de cette ville. En effet, plus la ville est dotée d’équipements nécessaires au déroulement de la vie urbaine, plus elle attire d’habitants, et inversement. L’équipement étant indissociable de la fonction d’habiter, il accompagne le logement dans toute analyse de l’espace urbain. « L’habitat n’est pas uniquement l’hébergement (logement), c’est aussi et surtout la production cohérente d’espaces de vie (emplois, prestations de services publics, convivialité sociale); c’est le cadre d’insertion et d’ancrage physique, économique et social des villes »[16].

Faute de disponibilité d’assiette à Debdaba, les pouvoirs publics ont fait construire une série d’équipements sur la seule bande de terrains domaniaux encore libre, orientée du nord au sud-ouest, à la limite de l’ancien tissu. Cette localisation s’imposait tout naturellement aux décideurs à cette époque, car tous les terrains à l’intérieur de l’ancien tissu étaient occupés. Ce n’était donc pas un souci d’accessibilité qui avait dicté ce choix.

Debdaba est doté de tous les équipements nécessaires au « bon déroulement » d’une vie de quartier.

De plus en plus d’équipements et de commerces

L’importance des équipements commerciaux réside dans le fait qu’ils comblent les besoins des habitants du quartier sans que ceux-ci ne soient obligés de se déplacer vers d’autres quartiers.

Debdaba dispose de deux marchés (souks). Le premier situé au centre du quartier (le plus ancien), le second est situé à la limite est de l’ancien tissu urbain, à proximité du cimetière du quartier. Il date des années 1980. Il contient 9 locaux. L’activité y est restée très faible jusqu’au début des années 2000, car les habitants préféraient l’ancien marché ou celui du centre-ville pour des raisons de disponibilité de produits d’une part et de proximité des moyens de transport qui étaient jusqu’à une date récente insuffisants, de l’autre.

Depuis deux ans environ, ce marché semble reprendre de l’importance grâce à une nouvelle répartition des marchés de quartier initiée par les autorités locales. L’inauguration d’une nouvelle agence de la SONELGAZ, d’une antenne administrative de la mairie, ainsi que d’une agence des PTT et la réutilisation des locaux des ex : Galeries algériennes fermées depuis leur construction à proximité de l’hôpital « Boudiaf », pour la tenue de foires, semblent avoir créé une nouvelle dynamique au quotidien. Nous sommes tentés de dire qu’un nouveau pôle commercial est en train de naître dans cette portion de l’espace du quartier Debdaba. Malgré cela, nombreux sont les habitants de Debdaba qui ont pris l’habitude de fréquenter d’autres marchés où la diversité, la qualité et les meilleurs prix sont, semble-t-il, assurés. Ceci montre la dépendance du quartier par rapport au centre-ville qui continue à exercer une attraction sur les habitants de Debdaba en matière d’approvisionnement en produits alimentaires.

Toutefois, une grande partie des commerces est localisée sur les axes principaux de Debdaba -Centre ou le Vieux Debdaba. En 1977, on y comptait 372 locaux commerciaux environ, répartis sur les axes sus cités et concentrés dans la partie centrale du Vieux quartier autour de la Place à proximité de la première mosquée et du marché ancien. Ce chiffre est passé à 628 commerces au moins selon nos estimations à l’issue d’une enquête terrain datant de 2008, avec pratiquement la même répartition et la même concentration.

Mais au delà des chiffres, ce qui nous semble plus intéressant à noter, sont la diversité et la disparité spatiale de ces commerces. En effet, nous pouvons faire au moins trois remarques à ce propos :

1- Hormis l’absence quasi-totale du commerce de gros, nous pouvons dire que presque tous les commerces sont présents à Debdaba.

2- Certes, les commerces sont concentrés dans le Centre du Vieux quartier, mais nous en avons rencontré qui traditionnellement se trouvent dans les centres tels que les commerces de luxe (Bijouteries, cosmétiques, librairies…etc.).

3- Des espaces urbanisés en périphérie ont favorisé l’apparition du commerce de gros, des ateliers de réparation et de production ainsi que d’énormes garages de stockage : « Les extensions des villes ont eu pour résultat l’apparition d’un tissu périphérique urbain totalement incohérent du point de vue de sa fonctionnalité donnant une image monotone du paysage urbain caractérisé par la multiplication d’ouvertures des fonds de commerce. Ainsi, il n’y a pas d’habitation du rez-de-chaussée donnant sur la rue qui ne s’est pas convertie en un local pour un commerce »[17].

D’autre part les « éternels » chantiers de la ville ont encouragé les nouveaux commerçants venus du « Tell » à s’installer et à investir dans ces nouvelles extensions.

Conclusion

« L’explosion » démographique a engendré des transformations structurelles au sein des habitations et fonctionnelles au niveau de la composition urbaine de la ville de Bechar en général et du quartier Debdaba en particulier. Le centre-ville appelé jusqu’à ce jour « village » en référence à sa nomination d’origine : « village européen » en opposition au Ksar et au reste des quartiers dits « indigènes » tels que Debdaba et la Chaaba, est aujourd’hui dépassé ; il a perdu jusqu’à sa définition de quartier au sens social. Quant au quartier Debdaba, et selon le plan d’aménagement de la wilaya, des efforts de recomposition de son espace doivent être consentis afin de créer « des espaces de centralité de niveau intermédiaire » dans le but de donner au quartier « une organisation urbaine » ![18]

L’analyse socio-économique de Debdaba, a fait ressortir une vocation tertiaire de ce quartier, alors que l’augmentation du taux de chômage d’un côté et les manifestations d’une nette amélioration du niveau de vie des habitants de l’autre, dénotent une contradiction qui interpelle et suscite des interrogations. C’est à se demander si nous ne sommes pas aujourd’hui à Bechar, en phase d’un schéma de croissance urbaine du centre-ville, rive droite – rive gauche, comme cela a été le cas d’autres villes beaucoup plus prestigieuses ?


Notes

[1] Bengherbi, Mohamed, Architecte, urbaniste, expert en patrimoine cité par Nabila Sadki, « Dossier : Aïn naâdja, Garidi, Badjarah, Bab ezzouar… Des cités dortoirs, symbole d’une « crise urbaine ». Quotidien national « Horizons » du 29/ 01/ 2005.

[2] Cité par Bendjelid, A., « Les modalités d’intégration sociale dans le processus de régulation urbaine au Maghreb. Le cas d’Oran. (Algérie) », in « Villes maghrébines en fabrication », Sous la direction de Boumaza.N., Paris, Maisonneuve et Larose, 2005.

[3] Côte, Marc, L’Algérie ou l’espace retourné, Algérie, Ed. Media – Plus, 1993, p.228.

[4] Bisson, Jean, «De la zaouia à la ville : El Biodh Sidi Cheikh, ou la naissance d’une ville nomade », in Petites villes et villes moyennes dans le monde arabe, URBAMA, 16-17, 1986, p.145, Université de Tours. France.

[5] Santos, Milton, Pour une géographie nouvelle, Paris, Ed. Publisud, 1984, 188 p.

[6] Beaujeu-Garnier, J., Géographie urbaine, Ed. Armand Colin – collection U., 1983, p.89.

[7] Op. cit.

[8] Idem.

[9] Idem.

[10] Dicton populaire usité en Algérie, pour insister et montrer l’importance du voisinage.

[11] Bisson, J., op.cit.

[12] Tahraoui, Fatima, « L’habitat en Algérie : conception et usage » in « paysages, peuplement et habitat /Modes de peuplement et habitat » /Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, 126e congrès, Toulouse, 2001, Terres et hommes du Sud. (document Internet).

[13] Côte, Marc, L’Algérie ou l’espace retourné, Constantine, Ed. Media plus - Constantine, 1993, p.267.

[14] Bendjelid, A., « Anthropologie d’un nouvel espace habité : enjeux fonciers et spatialités des classes moyennes à Oran et sa banlieue (Algérie », in Revue Insaniyat, n° 2, CRASC, Oran, 1997.

[15] Bendjelid, A., idem.

[16] Ministère de l’habitat et de l’urbanisme : Rapport sur les stratégies nationales de l’habitat. Document HTM (internet).

[17] Bendjelid, A., op. cit.

[18] URBAT (Bechar), P.D.A.U. 1996 de la commune de Bechar

 

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