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Faiza SEDDIK ARKAM : Le baraka et l’essuf : Paroles et pratiques magico religieuses et thérapeutiques chez les populations touarègues et sahariennes du Hoggar (Sahara algérien). (Directeur de recherche : Bertrand HELL). Doctorat, socio-anthropologie, 589

Il s'agit d'un travail important de 589 pages comprenant des tableaux, des figures, des cartes ainsi que plus d'une centaine de photographies personnelles qui sont autant de documents ethnographiques très intéressants. Le texte est clairement présenté, les idées s'enchaînent lisiblement à partir d'une structuration en trois parties cohérentes. La densité de ce travail et la qualité des données recueillies répondent pleinement au cahier des charges exigé d'un doctorat en socio-anthropologie. Le corpus de données ethnographiques présenté est de toute première importance et de nombreuses hypothèses interprétatives confèrent à ce travail un intérêt scientifique certain.

Les études de Madame Seddik-Arkam sur le monde touareg ont été entreprises dans le cadre de l'Université de Franche-Comté en 1998 (maîtrise, puis DEA en 2000). Forte de cette longue familiarité avec ce terrain la candidate a choisi de privilégier une restitution des matériaux ethnographiques. Le cœur du doctorat (partie 2 et 3, pp. 222-498) est construit sur la présentation des parcours biographiques des acteurs centraux de cette sphère des pratiques magico-religieuses, sur la description de certains rituels-clés ou encore sur l'évocation du "drame" personnel de quelques patients. Ce choix n'est pas fortuit et exprime un véritable positionnement méthodologique. Dès son introduction la candidate signale que les pratiques étudiées relèvent « d'une réalité sociale et ethnique multiple » (page 74) et que le milieu social retenu est profondément bouleversé par la modernité (sédentarisation, recomposition des normes sociales, etc.). L'objet anthropologique retenu ne peut dès lors s'observer qu'en tenant compte de la dynamique interne caractérisant « le paysage contemporain du magico-religieux » (page 35). Voilà pourquoi la candidate n'opte pas pour une monographie classique mais retient prioritairement, pour faire ressortir cette dimension dynamique du phénomène, comme informateurs privilégiés les principales figures de médiation (dans tous les sens du terme) présents dans le champ du thérapeutique religieux : une tagahant-devineresse (Aïcha Fatna), une "esclave" alliée des Kel Essuf (Tacheka), une tanesefert-guérisseuse (Khadija) et pour les hommes un chérif (Moulay Ahmed), un fqih (Adas), un taleb (Mahmoud etc.). La description du parcours des trois soeurs (Malika, Sakina et Naïma) permet, elle, de pénétrer dans ce que la candidate nomme à la suite de De Martino « la crise de la présence » des patients (pp. 225-237).

Choisir des informateurs et pouvoir recueillir des données sont deux choses différentes en ethnologie et tout particulièrement dans ce domaine très précis du monde de la possession, des références à l'invisible et de la manipulation d'un sacré ambigu. Or la candidate a su nouer des relations suffisamment étroites avec les officiants, elle a réussi à construire une position d'insider (selon le terme de Zara Neale Hurston) autant de conditions absolument indispensables à la réussite de l'approche de terrain. Une telle observation participante n'est pas sans poser des problèmes méthodologiques et la candidate prend soin dans une longue introduction - de manière très convaincante en mobilisant à la fois des auteurs sensibles à ce type de posture (Caratini, Devereux, De Martino, etc.) que ceux plus réservés (O. de Sardan, Bourdieu, etc.) - de traiter de la question de sa « subjectivité assurée » : cf. « la relation négociée » page 87, « la part du je » page 38, la demande « interactive » page 65, etc.

Cette demande réflexive accomplie la candidate propose dès lors un travail sur le vécu en profondeur des acteurs de la sphère moderne du thérapeutique magico-religieux à la fois totalement nouveau pour la population touareg du Hoggar et d'un très grand intérêt scientifique. Le texte fourmille de descriptions (cf. le rituel pour Koni page 423), de notations ethnographiques très riches (cf. le rapport entre la couleur noire et les Kel Essuf (pages 285, 411), la relation singulière entretenue avec les morts (page 403), l'ambivalence des usages du sang (pages 421-430) et de restitutions du parcours des malades (pages 225-237). Mais la candidate développe aussi une réflexion anthropologique très pertinente en suivant le fil de son ethnographie, en particulier sur le thème de la souillure comme marqueur de statuts, sur celui de la différenciation entre légitimité par le lait et légitimité par le sang et surtout le thème de l'inversion des pouvoirs masculins/féminins et du processus de reconnaissance sociale d'un pouvoir magico-religieux propre aux femmes. Et en définitive la candidate nous dresse un tableau tout à fait remarquable - étayé par un véritable terrain mené dans la longue durée et en profondeur - du jeu dynamique de la complémentarité des pouvoirs masculins et féminins dans l'univers touareg contemporain des recours thérapeutiques du sacré.

La candidate a, à juste titre, suivi le conseil de Roger Bastide (1972:127) : « Les cultes de possession ne doivent pas être étudiés à travers des idéologies occidentales... Il faut rester coller aux faits ». Soucieuse donc de ne pas tomber dans la facilité d'une grille de lecture réductionniste, la candidate multiplie les références anthropologiques et convoque de nombreux auteurs. Reste qu'associer des positions aussi divergentes que celles de Viviana Pâques, E. De Martino, Mircea Eliade, Françoise Héritier, etc. pourrait s’avérer problématique. Mais cette posture méthodologique, quoique dissonante au regard d’une certaine tradition très intellectualiste de l’ethnologie française (fortement marquée, rappelons-le, par la philosophie…) n’altère à mon sens en rien la qualité scientifique de cette thèse. L'exemple de V. Crapanzano est ici à citer : lors de la réédition en 2000 de son ouvrage sur les Hamadcha du Maroc (1973), cet anthropologue américain remarquait que toutes ses propres « spéculations théoriques » étaient caduques et "datées" mais que la valeur de sa recherche résidait maintenant dans la « vérité ethnographique » de sa recherche. Le doctorat présenté par Madame Seddik-Arkam est une excellent travail à la fois en raison de « la vérité ethnographique » qu'elle présente sur un objet très délicat à approcher, mais aussi par la pertinence anthropologique du débat que la candidate a su susciter tout en collant au plus près à son matériau de terrain.

Bertrand HELL

 

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