Insaniyat N° 59 | 2013| Famille : pratiques et enjeux sociétaux | p. 105-132 | Texte intégral
Isabelle GRANGAUD: IREMAM (CNRS/AMU, UMR 7310), Aix en Provence, France.
Malgré les vestiges matériels et culturels, qui ont bon gré mal gré traversé le temps, l’Alger ottomane peut paraître bien lointaine[1]. L’histoire contemporaine, depuis la conquête française en 1830, n’a pas seulement remarquablement bouleversé les repères de la société de l’époque précoloniale : elle a façonné les représentations que nous pouvons avoir de celle-ci aujourd’hui et l’image projetée, par comparaison, d’un monde vétuste. Cette distance, qui n’est pas seulement temporelle, mais faite de décrochages et de retournements qui affectent une histoire tourmentée, l’historien de la période ottomane ne peut que s’y confronter dans la mesure où, loin d’être neutre, cette distance est au contraire totalement partie prenante de la construction de son objet. Cela ne peut qu’affecter le cours de l’enquête historique. Loin de s’inscrire dans le déroulement tranquille d’une chronologie mettant en ordre une information sagement préservée par le temps, celle-ci doit d’abord et avant tout se donner les moyens de s’interroger, en tâchant d’en retracer les processus historiques, sur les oublis et les pertes de sens à propos d’anciennes pratiques, activités et institutions, dont on n’a plus même l’idée aujourd’hui. Un tel travail passe parfois par un détour du côté de pratiques sociales actuelles, familières, que l’on avait cru simplement « traditionnelles » et qui pourtant se révèlent être bien plus que cela, les traces d’une organisation politique qui, depuis, s’est perdue.
Dans les pages qui suivent, j’ai cherché à saisir les modalités de délégitimation d’une institution urbaine assez centrale dans la ville ottomane, la hawma, pour appréhender les pratiques et les langages tant sociaux que politiques de l’espace qui étaient constitutifs du rapport des habitants à leur ville. Mon enquête débute avec la mise en perspective d’un certain nombre de pratiques et de langages partagés aujourd’hui autour du voisinage et de la reconnaissance d’une appartenance commune à ce « quartier » que forme une hawma, affectant, quoique de façon informelle les modalités d’inscription dans l’espace de la ville d’Alger. Paradoxalement, cette entrée en matière par le très contemporain s’est imposée pour des raisons historiennes. Si les chercheurs tenaient effectivement compte dans leur appréhension de l’organisation urbaine ottomane de cette entité hawma, c’était cependant généralement selon une conception très mécanique, essentiellement spatialisée mais dont les dimensions sociales et donc dynamiques n’étaient pas mises en perspective. Tout se passait comme si se distinguait, d’une part, un certain nombre d’armatures administratives issues d’un modèle de ville islamique et / ou maghrébine, plaquées sur la société et, d’autre part, des pratiques sociales populaires anhistoriques, perçues d’ailleurs, selon cette division paresseuse des sciences sociales, comme un objet « folklorique » et relevant à ce titre plus proprement de l’anthropologie[2]. Il s’agissait pour moi au contraire de prendre au sérieux la dynamique de manifestations sociales, y compris les plus fluides, dans leurs rapports historiques avec les dimensions institutionnelles de leur pratique.
En l’occurrence, la mise à plat, même sommaire, des modes d’adhésion à cette forme de sociabilité fondée sur le voisinage trouve des échos dans des descriptions sociologiques plus anciennes et renvoie à un ensemble de droits liés à la communauté de résidence en un même espace dont les formalisations juridiques médiévales, et leurs prolongements ottomans ont eu des effets notables tout aussi bien sur les diverses dimensions sociales et politiques de l’appartenance locale que sur les formalisations même de l’espace physique de la ville.
Dans un deuxième temps, j’ai cherché à repérer ce qui, dans la lecture des sources disponibles à l’époque ottomane, a pu rendre si difficile a priori, aux historiens, la mise en perspective d’une telle institution. Partant, j’ai reconstitué l’histoire des modalités de production de la documentation de cette époque principalement conservée au Centre des archives nationales d’Alger dans le « Fonds ottoman », dont l’établissement initial conduit, en fait, au tout début de la conquête française. Cela m’a permis de saisir les conditions dans lesquelles une catégorie spatiale de « hawma » est utilisée par l’administration française du domaine publique, qui ne recouvre en fait qu’imparfaitement les hawma-s considérées dans la documentation produite par les instances ottomanes, avant la conquête. Or, la constitution de cette catégorie ne s’explique pas si on ne saisit pas l’impact, d’autant plus important qu’il n’est pas réfléchi, d’un nouveau rapport à l’espace urbain imposé par les conquérants et lié au seul effet de leur présence, en masse et guerrière, dans la ville.
Ce retournement de l’espace a « naturellement » entraîné la délégitimation d’une institution urbaine comme la hawma, rendue dès lors, du moins formellement, invisible. Dans un dernier temps je discute cette approche des transformations de l’espace, générées par la puissance coloniale au XIXe siècle, et conçues généralement comme étant le fruit de projets de réformes urbanistiques en profondeur. Pourtant, dans le cadre des premiers mois de la conquête d’Alger, les transformations considérables dont le centre de la ville a été le théâtre ne sont pas le fruit d’une conception réformatrice mais, en l’occurrence, le fruit de l’ignorance, associée à la nécessité toute physique de l’occupant de prendre place dans l’espace ; cette ignorance a eu pour effet, non seulement la mise en cause d’un espace social préexistant, mais encore, par défaut réflexif, son oubli et sa perte de sens.
La hawma : une institution oubliée
L’importance aujourd’hui de la référence à la hawma de la part des habitants d’Alger comme de ceux des villes algériennes mais aussi, plus largement, dans les villes maghrébines, pour caractériser certaines formes relationnelles liées au voisinage et à la co-résidence en même temps que l’espace lui-même dans lequel se déroule ces relations, a pour contrepartie une labilité dans ses formes et ses expressions, susceptible d’échapper à l’attention des observateurs des formes sociales de l’urbanité[3]. En effet, la hawma, dans les discours et les pratiques, paraît n’être pertinente que ponctuellement et se loger essentiellement au sein d’expériences précises et même personnelles de la vie urbaine, s’effaçant devant d’autres formes actuelles d’expressions de l’identité urbaine plus en phase avec les cadres administratifs de l’organisation de l’espace urbain. Cela explique sans doute le peu d’attention portée, dans les études sociologiques, à cette réalité qui n’est d’emblée effective ni dans les définitions formelles des identités (que surplombe la famille ou les catégories socio-professionnelles) ni dans celles de l’espace, recourant à d’autres catégories et oppositions duelles, tels espaces administratifs / informels ; quartiers riches / pauvres ; habitats anciens / récents, etc. La hawma ne se laisse pas saisir d’emblée dans les mailles des discours sociologiques ou urbanistiques les plus courants, aux prises avec les cadres et les problématiques d’aménagements à l’échelle de l’action de l’Etat, et plus généralement avec des dynamiques effectives depuis le XIXe siècle.
A contrario, l’ancienneté de la hawma ne fait que conforter l’idée des fondements archaïques (et dans tous les cas essentiellement traditionnels et passéistes) de ses manifestations, renvoyées à une dimension communautaire pré-urbaine[4], au risque de faire injure à la vitalité de ses manifestations contemporaines. Or, c’est en interrogeant la réalité actuelle de la hawma dans sa fluidité même, qu’il est possible de saisir la nature de ce « quartier », mais encore de faire le lien avec des références plus anciennes pour en saisir les fondements et tâcher de reconstituer les évolutions d’un tel phénomène urbain[5].
Prêtons un instant attention à l’étymologie du terme. La racine ha-wa-ma renvoie classiquement à la notion d’environnement, périmètre circulaire dessiné par le champ d’un regard, par exemple, ou encore correspond à une masse dense ou à un lieu densément pratiqué. La racine se décline en diverses directions mais il n’y a qu’au Maghreb que le terme hawma équivaut au mot quartier (du moins le traduit-on ainsi[6]), et les dictionnaires de la langue classique, tels le Lisan al-Arab ou le Kazimirski, ou moderne tel le Reig de 1983, ignorent ou ne retiennent pas cette acception du terme du moins pour le Machrek[7]. Le terme selon cette acception appartient donc aujourd’hui au registre de l’arabe parlé et précisément pour désigner un lieu de résidence : wash hiyya hawmtak ? À Alger veut dire : où habites-tu, littéralement « quelle est ta hawma ? ». En ce sens, le terme, plutôt qu’à des unités spatiales circonscrites, telles que le présuppose la notion de quartier, réfère plus précisément au fait du vivre ensemble en ville, et quelles que soient les zones de résidence urbaines : aussi bien dans le vieux centre urbain de la Casbah, que dans les zones d’habitation datant de l’époque coloniale ou encore dans les cités qui, plus récemment, se sont développées à la périphérie de la ville.
Que quelqu’un vous dise qu’il n’a plus de hawma, et il ne voudra pas dire pour autant qu’il est un sans domicile fixe, ni même n’aura définitivement perdu la trace de l’endroit où il habitait, mais plutôt qu’il aura perdu de vue les gens qu’il y fréquentait[8]. La hawma renvoie en effet très souvent à une expérience juvénile partagée avec d’autres enfants ou jeunes gens d’un espace défini par les lieux communs d’habitation, et l’exercice d’activités ludiques dans ce cadre[9]. Hawmtî, « ma hawma », correspond au quartier d’enfance, faits de liens étroits construits à la faveur d’une relation de voisinage entre enfants ou jeunes gens, renforcée souvent par la fréquentation de la même école. Dans ce contexte, il s’agit de petites unités de voisinage, à l’échelle d’une impasse, ou d’une ruelle, ou encore d’un immeuble, sans commune mesure avec les plus vastes circonscriptions que l’on désigne dans le langage administratif lorsque l’on réfère au hayy par exemple. La hawma désigne le lieu où, quotidiennement, l’on se retrouve dans les moments d’oisiveté, pour discuter ou jouer. Les enfants de la hawma s’identifient à une pratique commune de leur environnement résidentiel ; plus grands, ils se reconnaissent lors de réunions ou repas à caractère cérémoniel, lorsque par exemple l’un d’eux se marie, et invite l’ensemble des gens du « quartier » à partager un repas en commun, entre voisins (et précisément jeunes du « quartier »). Sous cet angle, l’angle de la pratique individuelle, la hawma n’existe pas d’emblée, on la fait ou pas, on investit cet espace social, ou pas. Elle n’a pas plus de réalité géographique préalable qu’elle n’a de réalité sociale préalable, du moins faut-il toujours la reconstruire, ou mieux la reconnaître, elle est la résultante de pratiques auxquelles on adhère plus ou moins activement.
La hawma n’existe pas en tout ni n’existe nécessairement partout, elle est un des langages partagés des gens de la ville. Elle forme un espace qui a un centre plus qu’une frontière, qui se formalise non pas à proprement parler géographiquement mais en vertu de ceux qui en sont. C’est la proximité activée qui construit l’espace de la hawma. Et la hawma qui construit l’appartenance urbaine : elle définit un groupe de reconnaissance, fondé non pas sur des liens familiaux mais sur des relations de voisinage - et qui le distingue des « étrangers », précisément les barrânî-s, ceux qui sont « au dehors ».
Encore, dans la hawma, y déploie-t-on des relations qui pour ne pas être d’ordre familial ne se confondent pas pour autant avec les relations amicales, ou professionnelles. La hawma n’est pas un lieu où l’on drague. Les relations entre jeunes se limitent essentiellement à l’espace de résidence, au sein de la communauté qu’ils forment entre eux, et celles à l’égard des filles, banât al-hawma, faites de déférence et de respect, s’associent aux mêmes codes de l’honneur que l’on déploie dans le cadre familial, et par lesquelles on défend la réputation du « quartier », celle des gens qui y habitent.
De même, à l’appartenance à la hawma sont associés des droits : droits à la défendre et à y circuler, droit encore à certaines formes d’appropriation, au moins symboliques, de l’espace. Parmi les anecdotes révélatrices à cet égard, un message télévisé relatif à la prévention de la sécurité routière, il y a quelques années, mettait en scène les cas d’infractions de la route au sein des espaces de résidence. On y voyait un homme pris en flagrant délit pour avoir pris un sens interdit, et arrêté par un policier. Le conducteur arguait que sa conduite était liée au fait qu’il se trouvait dans son « quartier » : rânî fi hawmtî, signifiant par là implicitement qu’il pensait pouvoir échapper aux sanctions prévues par le code de la route. De façon plus ou moins affirmée, les relations de voisinage se revendiquent d’une économie de droits et de devoirs fondée sur la co-résidence.
L’appartenance à la hawma renvoie donc à une expérience de l’appartenance locale, pleinement partie prenante d’une façon d’habiter la ville, de se représenter l’espace urbain à travers les formalisations d’un espace social, avec ses envergures, ses pratiques spécifiques, ses langages partagés et ses droits de voisinage, et qui pour n’avoir pas, en principe, de reconnaissance officielle, face aux lois nationales quand, ponctuellement, elles s’y opposent, n’en ont pas moins un poids social, et ne prétendent pas moins à une légitimité que l’on peut chercher à faire valoir. L’exemple cité ci-dessous montrait la mise à l’index de ces coutumes partagées, leur illégitimité, et en même temps, a contrario, soulignait précisément, par la mise en scène d’une telle situation, la dimension partagée de cette conception du bon droit de voisinage qui autoriserait à prendre un sens interdit.
Dans le même temps, le langage et les pratiques de la hawma sont perçus par ceux-là mêmes qui en usent, comme des expressions populaires, appartenant au mieux au domaine de l’oralité (soit de l’arabe dialectal) et du folklore[10], et faisant appel à des sentiments considérés comme relevant de la sphère quasi privée. Sa définition même, en tant qu’espace urbain exclusivement fondé sur des relations sociales, aux délimitations fluctuantes en fonction de la configuration et de l’intensité changeantes du réseau qui la meut (ce qui la rend difficilement cartographiable), lui donne tous les signes de l’informalité. Informalité que renforce le fait que la hawma à Alger, contrairement à ce qui existe dans les villes marocaines, ne relève pas de la nomenclature municipale contemporaine[11]. Celle-ci a intégré d’autres termes et d’autres réalités de découpage de l’espace urbain (en particulier, le terme moderne hayy pour désigner la circonscription à l’échelle la plus petite) et ne reconnaît aucune réalité institutionnelle à la hawma.
Cette description de la hawma à Alger aujourd’hui, trouve un écho très singulier dans l’observation entreprise par Roger Letourneau, un siècle plus tôt, en 1912, à propos des quartiers de Fès à la veille de l’instauration du protectorat français sur le Maroc. Il repérait deux types de quartiers : un premier type, qu’il disait « officiel », dont il proposait la cartographie, et un second bien différent. Ce dernier, le « quartier social » ainsi que Letourneau l’avait identifié, se définissait, selon ses termes, comme une « petite cellule qui doit sa vie aux liens personnels que le voisinage a établis entre ses habitants et qui, en cas d’événements importants, peut jouer un certain rôle politique »[12]. Dans sa volonté de repérer des armatures administratives et politiques, d’emblée peu visibles pour l’observateur extérieur (comme généralement dans les sociétés « pré modernes »), et pourtant essentielles aux yeux de ce spécialiste de la ville maghrébine, la description de Letourneau de ce qu’il appelait aussi, pour les distinguer des entités administratives (et fiscales ?) plus abstraites, les « quartiers réels » est remarquable par les proximités avec les fondements des hawmâ-s algéroises, à savoir l’impact des liens sociaux consacrés par l’appartenance locale, la cohabitation en un même lieu et le voisinage. L’auteur soulignait encore l’originalité, selon lui, d’une telle entité sociale quant à son inscription dans l’espace : à l’inverse des quartiers des villes françaises, ce qui délimitait ces « quartiers réels » les uns des autres n’étaient pas les rues qui bordent les pâtés de maisons mais le dos même des immeubles, la rue constituant au contraire non pas la frontière mais le cœur même de ces quartiers.
Cependant, on peut se demander si cette description, toute pragmatique qu’elle pouvait être, ne restait pas malgré tout prisonnière d’une certaine conception de l’organisation spatiale, modélisante, et de ses hiérarchies empruntées au modèle qui était familier à l’auteur, en négligeant de prêter plus avant attention aux fondements historiques de la conception de l’espace urbain qu’une telle entité sociale invite à revisiter. En effet, un éclairage renouvelé sur ce point nous est proposé par le travail plus récent d’un historien du droit médiéval, celui de Jean Pierre Van Staëvel à propos de l’organisation de l’espace urbain des villes du Maghreb[13]. Ce dernier s’appuie sur l’analyse d’un ouvrage du Xe siècle, compulsant les décisions des juristes malikites relatives aux rapports entre propriétaires de biens vicinaux et des propriétés à la voirie, qui constituera la référence de base en matière d’urbanisme au Maghreb jusqu’au XIXe siècle. Il n’est pas inutile de noter que c’est précisément dans les années qui suivent l’occupation française qu’est établie une ultime copie du texte médiéval[14].
C’est à partir de l’analyse des discours normatifs ainsi produits que Jean-Pierre Van Staëvel met notamment en perspective la hauteur des droits attachés aux usages des espaces urbains et conséquemment les conceptions qui sous-tendent les formes de qualification, d’organisation et de hiérarchie de l’espace. Plus précisément, son analyse tente de cerner les processus d’empiètement de la voie publique, dont résulterait en particulier la prolifération des impasses[15], qui ont généralement été considérées comme la caractéristique par excellence du développement anarchique de la ville islamique[16]. Il montre que cette idée d’anarchie s’est imposée par ignorance des logiques juridiques sous-tendant les transformations de l’espace, en considérant comme allant de soi l’existence d’un espace public inaliénable et ses empiètements comme, dès lors, des formes de privatisation indue par quelques-uns, aui auraient été permises par le laxisme des juristes[17], d’un espace ne pouvant en principe être approprié. Penser ainsi le rapport à l’espace consistait en fait à concevoir juridiquement la ville sur le modèle du droit romain. Or, Van Staëvel montre que la conception juridique de domanialité publique, telle qu’elle est conçue par le droit romain, à savoir : inaliénabilité, imprescriptibilité du domaine public, comprenant notamment le réseau viaire, ce principe n’était pas pertinent selon le droit malikite. Le critère fondamental que reconnaissait ce dernier résidait en fait dans la destination des voies, le degré de leur affectation à l’usage des passants et l’effectivité de cette utilisation. Le réseau viaire ne relevait pas d’emblée du « domaine public » mais du bien commun, et à ce titre théoriquement « non sujet à l’appropriation individuelle »[18] ; du moins distinguait-on les voies passantes utilisées par tous, de celles, ruelles ou impasses, fréquentées par les seuls riverains. Ce qui autorisait des propriétaires d’immeubles voisins à installer une porte à l’entrée de l’impasse qui les desservait était leur usage effectif de cette impasse, et de même pour ce qu’il en était des constructions depuis les immeubles mordant sur une voie passante. Dès lors qu’une voie n’avait d’usagers que ses riverains, ceux-ci étaient en mesure de disposer ensemble de cet espace, pour peu qu’ils s’entendissent sur ses nouveaux usages, en faisant recours à l’autorité juridique. J. P. Van Staëvel montre de cette façon que le processus d’empiètement sur la voie passante « serait beaucoup plus à mettre en relation avec les logiques et les stratégies d’utilisation des espaces de circulation, logiques et stratégies partagées par l’ensemble des habitants », juristes compris. Selon cette conception, la ville était faite d’espaces de proximité sur lesquels, en vertu de l’activité de voisinage, des droits d’usage collectifs étaient pratiqués à la discrétion des habitants et indépendamment du pouvoir central mais également juridiquement reconnus le cas échéant, ce qui contribuait à terme à la transformation de l’espace.
Cette perspective, qui pourrait être renforcée par l’analyse en terrain maghrébin de pistes de recherche initiées ailleurs dans les sociétés ottomanes depuis quelques années[19], donne une tout autre dimension aux pratiques aujourd’hui conçues comme folkloriques d’un espace socio-spatial comme la hawma : loin de résulter d’une pure pratique communautaire d’un type archaïque, tournant le dos à la ville, elle apparaît au contraire s’inscrire de plain-pied dans une certaine conception des modes d’usages et d’appropriation de l’espace urbain, fondés sur l’appartenance locale et les réseaux de voisinage. D’ailleurs, le terme hawma, à l’époque ottomane, et jusqu’à la conquête française, ne ressortissait pas simplement du langage commun. Il apparaissait souvent également sous la plume des ‘adûl et autres producteurs de la documentation juridique d’alors qui, mobilisant ce référent de proximité pour situer les immeubles, rendaient compte de sa pertinence dans leurs conceptions de l’espace urbain[20].
Ainsi, si la hawma est aujourd’hui une pratique informelle, il n’en a pas toujours été ainsi. Au contraire, ce que l’on observe actuellement paraît bien plutôt constituer la trace d’une ancienne institution fondée sur l’appartenance locale et les liens sociaux, par lesquels les gens pouvaient se faire reconnaître des droits « à la ville ».
Cette conception du « quartier» comme institution, fondée et dynamisée non pas sur une unité territoriale ou sur une identité ethnique particulière, mais sur les relations sociales de voisinage et des droits communs sur l’espace, s’est avérée être un phénomène assez développé à l’époque moderne et non pas seulement au Maghreb. Des études récentes ont montré sa vitalité dans les villes ottomanes, en particulier anatoliennes où, sous le nom de mahalle, ces quartiers constituaient des alternatives au principe des millets confessionnels et ethniques (forme communautaire que l’historiographie a longtemps et un peu trop systématiquement privilégié dans l’analyse urbaine) et un langage urbain souvent déployé au sein des tribunaux, qui ont laissé de nombreuses traces, là encore, dans la culture populaire urbaine d’aujourd’hui[21]. La dimension institutionnelle des pratiques sociales, qui dans les sources historiques et les traces contemporaines ne se rend pas visible d’emblée en tant que telle, invite le chercheur de l’époque moderne, pour en rendre compte, à prêter attention à des manifestations sociales apparemment discontinues quoique répétitives dans le temps, mettant en œuvre des langages partagés et des comportements fondés moralement et reconnus en droit[22]. Elle invite également à s’interroger, dans le cas de la hawma algéroise en particulier, sur les processus historiques qui ont contribué à sa délégitimation en tant qu’institution.
« L’espace retourné »[23]
Les études historiques sur les villes du Maghreb à l’époque ottomane ont restitué une image de la hawma généralement bien différente de la configuration de l’institution urbaine dont on a cherché à repérer, à partir d’une observation des manifestations les plus actuelles de l’identité urbaine, l’efficience ; soit entièrement perçue comme un espace familial ou ethnique cohérant de type proto-urbain (selon le modèle de la « ville segmentaire »), soit inversement comme un appareil instrumental du pouvoir central plaqué sur la ville, elle a le plus souvent été appréhendée comme une structure fixe, découpant le territoire urbain (et donc cartographiable), selon une division systématique et régulière de l’espace physique, sans souci des pratiques et des dynamiques sociales qui la façonneraient[24]. Pour une part, la lecture historique biaisée de la hawma dans une ville comme l’Alger ottomane est liée à la force du modèle de la ville islamique et à l’empreinte d’une vision par trop stable, mécanique et aux formes généralisées des institutions urbaines de la ville dans le monde musulman[25]. Selon cette perception, il n’était pas permis d’entrevoir ne serait-ce qu’un lien entre les hawmâ-s de l’époque précoloniale et celles actuelles[26]. Pour une autre part, l’invisibilité relative de la hawma actuelle dans les analyses de l’espace urbain, à fortiori en tant que trace d’une institution précoloniale disparue, est liée au fait que la recherche a été longtemps captivée par les effets majeurs sur les réalités d’aujourd’hui des processus de la modernité coloniale en matière d’urbanisme et de formalisation de l’espace tant physique que social[27].
Mais la vision tronquée de l’espace urbain ottoman par ses historiens s’est construite aussi, plus qu’on ne l’a dit, au contact d’une production archivistique née avec la conquête française. Cela tient au fait que l’on a eu tendance à considérer les premières productions administratives des conquérants français - en particulier lorsque cette production ne s’affirmait pas comme réformatrice mais au contraire prétendait reconduire l’organisation ottomane, a fortiori quand elle était en arabe - comme étant des productions pouvant donc être lues et interprétées comme l’état d’une organisation ottomane. Cela n’est pas propre à la question de l’espace urbain et de la hawma, Tout un ensemble de données produites au début de la conquête ont été perçues comme constituant un état exact de la situation précoloniale, d’autant plus que ces données étaient le produit d’une première organisation administrative qui va très vite disparaître – ce sont les cas de corporations par exemple, et des formes d’organisation du commerce, c’est le cas aussi de tout ce qui a trait à la propriété[28]. De cette façon, une circonscription de papier, sous le nom de hawma, a été inventée dans les premiers mois et les premières années de la conquête française, qui a durablement opacifié la teneur de ce qu’il en était avant 1830. Pour les historiens du moins ; car pour les gens de l’époque, c’est une autre histoire. Et c’est ce dont il nous faut rendre compte.
Dans les archives historiques de l’Algérie, de grosses quantités de titres de propriétés de différentes sortes - propriétés privées ou habûs[29], concernant différents types d’opérations sur les biens (héritage, vente, legs, dons, donations perpétuelles et locations de différents types) - relatifs dans une grande majorité aux propriétés immobilières et foncières d’Alger et de son arrière-pays, ont été conservées. La forme de cette conservation est, là encore, de façon dominante celle de sommiers (distinguant notamment biens habus et biens privés) rassemblant des résumés de ces opérations selon un classement géographique dans et hors de l’enceinte de la ville - et par quartiers ou plus précisément par hawma.
Cette documentation a généralement été considérée par les historiens comme constituant un fonds archivistique issu de la production d’institutions ottomanes, dont les traces matérielles de l’activité auraient ainsi été conservées jusqu’à nos jours. Cette perspective pouvait paraître d’autant plus plausible que les classements étaient en langue arabe et faisaient référence à une toponymie manifestement ottomane, de même que le contenu de la documentation était d’époque ottomane, pouvant remonter au XVIe siècle -période de l’instauration de la domination ottomane- avec cependant une partie des actes datant des premières années de la conquête française. A propos de ce fonds, dit aujourd’hui « fonds ottoman », il a dès lors, depuis l’indépendance de l’Algérie, été davantage question de discuter des modalités d’une dénomination le concernant qui l’inscrive dans la perspective plus vaste de la continuité de l’histoire nationale[30] que de mettre en perspective, dans le but d’en qualifier précisément le contenu au regard de cette histoire ottomane, les modalités de constitution et le sens de ces classements. Faute de l’élaboration d’un tel questionnement, la tendance des archivistes a consisté à opérer à diverses reprises des ordonnancements visant à nettoyer le fonds pour remédier, du point de vue de cette lecture nationale, à un certain nombre de désordres apparents. Ces opérations ont finalement contribué à « ottomaniser » ce fonds, quitte à présumer de façon un rien naïf d’une volonté sans faille des autorités coloniales françaises de préserver in extenso la documentation historique du pays.
Or, la constitution de ce fonds, en réalité, est postérieure à l’été 1830[31], elle est le produit de l’activité, d’une grande importance au regard du projet de la conquête française, de l’administration du domaine mise en place en octobre de cette année-là : repérer l’état de la propriété en vue de s’approprier les biens relevant du domaine public et de contrôler le bien fondé des conditions d’appropriation des propriétaires privées, sous peine, en cas de défaillance, de les adjoindre à la propriété publique. L’opération fut expressément algéroise. D’une part parce que, première prise parmi les villes du Beylik, Alger représentait durant les premières années, la seule véritable poche conquise à partir de laquelle se développa la première colonisation ; d’autre part parce qu’elle était considérée par les agents mêmes du domaine comme devant faire figure de modèle dans la perspective de la mise en place d’une administration à l’échelle de la totalité du pays. Evidemment, cette opération ne trouve naturellement pas les éléments disponibles visant à établir l’état de la propriété. La notion même de domaine public se heurta à des modes de qualification de la propriété et de possession qui ne s’adaptaient pas d’emblée au cadre qu’ils supputaient. Aussi bien, la documentation dont on dispose est à la fois le résultat de la volonté systématique d’établir un état de la propriété et la mise en forme première de cette catégorie jusque là inexistante de « domaine public ».
Par-delà cette dimension proprement batailleuse de la documentation, érigée en arme de combat dans le contexte conflictuel autour des droits de propriété auquel présida son élaboration, il en va de la façon, toute pratique, dont va être mise en œuvre la constitution de cet état de la propriété. A défaut de disposer d’un cadastre ou son équivalent, les autorités vont procéder à des campagnes de vérification auprès des propriétaires eux-mêmes, dont ils vont exiger qu’ils produisent, sous peine d’être dépossédés, les titres de propriétés permettant justifiant l’appropriation de leurs biens : « Pour constituer définitivement le Domaine, annonce l’intendant en chef au Ministre de la Guerre en janvier 1831, et arriver à une connaissance plus exacte des immeubles dont il se compose, il y aura lieu d’exiger la production de tous les titres de propriété avec soin d’en dresser l’inventaire, de les louer et affermer et d’en toucher les revenus pour le compte du Trésor »[32]. Toutes ces préoccupations et cette activité expliquent le classement géographique opéré à travers la documentation : il devait constituer le moyen d’un repérage, au moins approximatif, des biens dans l’espace, dont par ailleurs la mesure exacte des superficies n’était définie nulle part. D’où, une classification par quartier.
L’emprunt à la fois au vocabulaire (hawma pour quartier) et à la toponymie préexistante a pu amener à préjuger sans mal de l’usage, dans ce cadre, des catégories ottomanes de l’espace. Cependant plusieurs indices permettent de constater qu’il n’en est rien, et que les catégories ici considérées sont le produit d’une création d’autant moins visible qu’elle n’est pas pensée comme telle par ceux qui les utilisaient dans ce cadre. Ainsi, la liste des toponymes associés aux hawmâ-s s’enrichit de numéros : tels biens classés apparaissent par exemple sous la catégorie de la hawma numéro 9, préféré à l’emprunt d’un toponyme local. Autre hawma considérée, cette étonnante hawma mazkûra, soit « quartier susnommé ». Il ne s’agit pas d’un nom de quartier mais d’une désignation par défaut. Sous cette rubrique sont en fait classés des actes qui n’ont pas de référent de localisation parce qu’il s’agissait en fait seulement de morceaux d’actes, incomplets (il est parfois indiqué, que l’acte est brûlé, déchiré, etc…) dont la partie manquante contenait la localisation du bien. Autrement dit ce qui est rassemblé sous le nom de « hawma mazkûra », ce sont les biens dont les actes produits à l’intention de l’administration des domaines ne permettaient pas la localisation.
L’analyse de ces listes montre encore que c’est bien en partant des actes de propriété eux-mêmes, rassemblés sous chaque « quartier » mais avec le souci de regrouper des biens voisins que ces sommiers sont nés. Mais ces hawmâ-s, ne correspondent qu’imparfaitement aux référents de localisations utilisés dans les actes qu’elles rassemblent : en effet, la correspondance, peut exister, mais elle n’a rien de systématique. D’une part parce que la localisation d’un bien dans ces actes ne nécessite pas la référence à une hawma. Dans beaucoup d’actes par exemple la localisation d’un bien fait appel à des référents de proximité, « au dessus », « au dessous », « à côté », « en face », etc…, d’une mosquée, d’un marché, d’un hammam, d’une fontaine, etc… Ces référents spatiaux de proximité se substituaient à la localisation dans telle ou telle hawma, comme parfois de vrais équivalents (par exemple, « à côté de » pouvant remplacer « dans la hawma de » et vis-versa). D’autre part, même lorsqu’il était question de hawma dans la localisation d’un bien, il arrivait que ce ne soit pas de la même hawma que celle retenue comme base du recensement dont il s’agissait, mais d’un référent spatial englobé dans la première. Si bien que celles-ci pouvaient se composer de plusieurs des hawmâ-s telles qu’elles étaient désignées par les actes eux-mêmes. Finalement, alors que sont empruntés un vocabulaire et des toponymes locaux, l’organisation de la documentation ne recouvre pas les conceptions locales de l’espace. Cela apparaît en fait très clairement dans certains documents de ce même fonds, où on distingue les hawmât, telles qu’identifiées comme taxinomie par l’administration du domaine, des référents de situation locaux qui sont eux, expressément désignés sous la rubrique « quartiers arabes » (et sous cette rubrique, on trouve aussi bien des référents de proximité que des hawmâ-s). Enfin, le terme lui-même loin de ne concerner que des districts découpant l’espace urbain a été étendu à l’arrière pays de la ville : on retrouve ce terme pour classer aussi bien des espaces urbains que ruraux.
Ces différents éléments montrent une volonté d’ordre documentaire : il s’est agi, face à une documentation, les actes relatifs aux biens, dont les référents spatiaux apparaissaient labiles à des agents de l’administration peu familiers des langages locaux de l’espace (comme du reste des conditions de production de ces fameux titres de propriété abordés comme une production totalement équivalente à celle produite par les notaires français)[33], d’établir pour base de classement spatial, des unités à la fois plus vastes et plus stables de façon systématique, ce dont témoigne explicitement à longueur de feuillets, les sommiers ainsi constitués. En revanche, rien apparemment ne garantit que cela corresponde à la réalité d’un nouveau découpage administratif. Les transformations, d’envergure et très rapides, dont la ville fut alors le terrain n’ont en tout cas pas laissé trace d’une telle organisation. Celle-ci paraît être simplement de papier. Rien n’assure non plus que des limites géographiques de ces quartiers aient été strictement définies. Il semble donc bien qu’il s’agisse d’un classement visant à une visibilité dans l’enregistrement lui-même des actes.
Ce faisant, une telle production tourne résolument le dos à ce que, par-delà son inscription spatiale aux limites changeantes, pouvait véhiculer en fait de perception de l’espace physique, étroitement associé à l’espace social, les hawmâ-s d’Alger. Elle entérine en fait le processus de disqualification de cette institution urbaine de base, qui n’aura plus dorénavant d’existence qu’informelle. Or, ce « retournement de l’espace » a été rendu possible par un événement a priori minuscule, mais à l’impact énorme quant à ses conséquences, à savoir la dénomination et la numérotation des rues de la ville.
La bataille taxinomique ne se situe pas en réalité entre deux conceptions de la hawma, l’une d’époque moderne et fondée sur la commune appartenance locale et des droits associés à cette communauté, et l’autre imposée par le souci d’une conception renouvelée et plus rationnelle de l’administration urbaine. Cette opposition n’a pas eu lieu. En fait, une autre organisation de l’espace urbain, fondée non pas sur les quartiers, mais sur l’articulation du réseau viaire, s’était entre temps imposée. La rue constituait désormais le vecteur de l’organisation spatiale de la ville.
La force de l’ignorance
La rue est d’ailleurs bien présente dans le « fonds ottoman » : elle aussi constitue le fondement d’une classification, relative aux mêmes biens répertoriés par hawma. Mais cette continuité documentaire, et ce qu’elle pouvait signifier, ont peut-être d’autant moins focalisé l’attention des ottomanistes que cette classification est, elle, en langue française[34]. On peut se demander à juste titre si cette classification des biens par rue ne constituait pas le point d’aboutissement de l’opération de classement. C’est même manifestement à partir de la constitution des sommiers par hawma, parfois annotés par référence à un nom de rue, que cette classification fut établie. Mais celle-ci est tardive par rapport à la question qui nous occupe. Quoique non datée, elle n’est en tout cas pas antérieure à 1835, date à laquelle est mise en place une opération de nomination des rues puisant dans les stocks de noms nationaux (français) et militaires, ceux-là mêmes que l’on trouve inventoriés dans les archives du Domaine[35]. Or, cette opération n’est pas la première du genre[36]. Elle succède en fait à une opération bien plus précoce et précipitée, mise en oeuvre quelques jours à peine après l’entrée des troupes françaises dans la ville le 5 juillet 1830, dans un climat de violence et d’incertitude prégnantes.
Le rapport de l’Intendant en Chef, le Baron Volland, adressé le 12 janvier 1831, au Ministre de la guerre, présente une version optimiste « du mode de gouvernement provisoirement établi dans le Royaume d’Alger », alors réduit à cette ville et son arrière pays. Il vise à mettre en perspective les progrès de l’occupation, prenant ainsi part au débat mouvementé, qui agitait au même moment le Parlement à Paris, en faveur de la poursuite de la conquête[37]. « Un grand nombre de vues d’utilité publique ont été conçues » écrit-il à propos de l’administration intérieure de la ville, « peu ont été réalisées parce que le temps ne l’a pas permis. Cependant, on est parvenu à donner des désignations aux rues, et à opérer le recensement et le numérotage des maisons ». Nommer les rues et les numéroter fut donc une des premières entreprises des conquérants. Cependant, la référence à cette mesure, présentée comme une œuvre de salubrité publique mise en place par les nouvelles autorités municipales, et associée à cette autre préoccupation visant à recenser les immeubles, ne restitue en fait pas le contexte d’urgence dans lequel elle s’est véritablement imposée. Cinq mois plus tôt, soit une semaine jour pour jour après l’entrée de l’armée dans Alger, le prédécesseur de Volland, le Baron Denniée, adressa un rapport au Général en Chef qui fait l’état des questions abordées au sein de la Commission de Gouvernement, qu’il présidait et qui se réunissait quotidiennement depuis le 7 juillet. Le 12 juillet, date de ce rapport, correspond à un moment où l’administration française était loin d’être un tant soit peu consistante. Que l’on en juge au vu de la série d’entreprises mentionnées à cette date : la Commission « a entendu plusieurs des hauts fonctionnaires de l’ancien gouvernement » sollicités face à « la nécessité de prendre immédiatement une connaissance approfondie des détails de l’ancienne administration » ; ces derniers s’étant référés à leurs registres, la Commission « a décidé qu’elle désignerait des agents pour procéder sans délai à l’examen de ces registres » ; en ce même jour, la même Commission proposa la nomination d’un Comité des domaines pour l’administration générale des biens » ; Elle évoqua également le problème de la pénurie d’eau dans la ville, consécutive aux dégâts subis par les canalisations qui alimentaient la ville en eau, , engendrés par les soldats stationnés aux portes de la ville et, bien probablement, sous le soleil de juillet, assoiffés. L’un des premiers objectifs déclarés de la Commission depuis le 7 juillet était pourtant de trouver les moyens de loger les soldats en ville, ce qui explique les mesures prises en vue d’établir un état du domaine public… L’occupation de la ville était donc loin d’être stabilisée. Or, c’est dans ce rapport que la question des rues est abordée, faisant référence à une décision prise plus tôt encore : « La Commission a reçu du Comité central[38] l’avis que des mesures avaient été prises pour le balayage des rues et l’enlèvement des immondices. Le Comité s’occupe également de faire numéroter les maisons et de faire inscrire des noms aux extrémités de chaque rue. L’éclairage de la ville ne tardera pas à être organisé ». Le 11 juillet en effet, un ordre militaire avait été promulgué selon lequel « chaque habitant (était tenu) d’éclairer à ses frais le devant de sa maison, l’administration ne prenant « à sa charge que l’entretien de vingt falots disposés dans les rues principales »[39]. Ainsi le principe initial de nomination des rues s’imposa-t-il très tôt et selon des conditions laissées à la seule discrétion des habitants, pourvu qu’ils s’y adonnent. Cela explique que ces premiers noms de rues, dont les modalités d’inscription sur les murs, fragiles et artisanales, vont les rendre peu résistants au point qu’en 1835, ils seront presque tous effacés, empruntent directement aux toponymes locaux[40]. Cela explique encore qu’une telle mesure n’ait pas paru constituer une innovation majeure dans l’espace urbain. Du coup le caractère performatif d’une telle initiative, consistant à nommer la ville par ses rues, par le « retournement de l’espace » qu’elle imposait, est passé inaperçu, par comparaison avec les enjeux militaires autrement plus visibles au court de cette période, eux d’avantage associés rétrospectivement à l’activité conquérante et à la marque colonisatrice. D’autant que, avant d’être une initiative militaire planifiée, elle résultait d’un déficit de connaissance.
En effet, dans un contexte de guerre brutale et en l’absence de toute familiarité avec aucun des rouages de cette société, cette formalisation du réseau viaire dans la ville apparaît à la fois comme une issue cruciale et toute pragmatique : il s’agissait pour les conquérants de se donner les moyens de se repérer dans un espace dont ils ne savaient rien, dont ils ne comprenaient pas l’organisation et les langages, et pour lequel, les noms et les numéros de rues faisaient office de véritable fil d’Ariane[41]. La rue, elle, comme mode d’ordonnancement formel et normé de l’espace, s’était pourtant imposée depuis peu aux autorités militaires françaises. Lors de l’expédition d’Egypte, trente ans plus tôt, il n’en fut pas question : les relevés toponymiques s’attachèrent à la définition de l’envergure des quartiers du Caire et pas aux rues[42]. C’est que le réseau viaire, à Paris même, ne disposait pas d’une nomenclature alors très établie, compte tenu du fait que le système de numérotation des rues ne s’était pas imposé. Il sera mis en place quelques années après que les troupes de Napoléon aient quitté l’Egypte, en 1805[43]. En 1830, nommer et numéroter les rues apparaît pourtant aux conquérants comme le système le plus rapide, le plus efficace et le plus naturel pour pénétrer Alger.
Dans le prolongement direct de ce qui a motivé la formalisation d’un réseau viaire, Alger, fut encore, en un laps de temps très court, le théâtre de toute une série de mesures visant à naturaliser la ville. De vastes trouées furent ainsi opérées à travers le tissu urbain[44]. Une grande place, née de la destruction de toute la partie se trouvant en contrebas de la ville, fut aménagée. Enfin, dès le mois d’octobre de la même année, les plans d’un théâtre furent dressés, ainsi que le programme des réjouissances annoncé : y seraient joués des ballets et des opéras italiens[45]. Ces transformations, qui vont littéralement défigurer la ville, furent menées pour une grande part avant la fin de l’année 1830 et, signe relatif d’une certaine précipitation, avant même l’établissement des premiers relevés par le service du génie de l’armée de la topographie initiale[46]. En tout état de cause, avant même de répondre aux enjeux raisonnés du contrôle, il s’est agi de transformer en un espace praticable ce qui apparaissait comme un non lieu. L’un des porte-paroles des Algérois, Hamdan Khudja, l’avait bien compris, lui qui, alors qu’en 1833 il dénonçait dans un rapport adressé au Ministère de la Guerre le nombre d’immeubles détruits à Alger, affirmait que « cette ville n’a pas besoin de place »[47].
Sans doute n’est-il pas vain de comparer ce rapport à l’espace urbain à la façon dont, au même moment, les gouvernants français procédèrent à l’exil systématique des anciennes autorités ottomanes : il s’agissait encore une fois de faire place au nouveau conquérant. Et de la même façon que cette mesure fut regrettée par la suite[48], les transformations d’envergure subies par Alger seront plus tard dénoncées avec d’autant plus de vigueur qu’elles apparaîtront comme le produit d’une coupable cécité face à une écologie urbaine particulière, non française selon le mot de Feydeau, en 1860[49], et inadaptée à de tels aménagements. « L’erreur, écrit par exemple Lespès en 1925, dont 1es conséquences pèsent lourdement sur le présent, avait été de s’enfermer dès le début dans les limites de la vieille enceinte ». Car, ajoute-t-il, « la ville des Barbaresques était faite pour une civilisation absolument différente de la nôtre. Pelotonnée est craintive derrière ses murs, elle était ménagère de l’espace. La rue n’étant pas un lieu de promenade pour les passants ni un spectacle pour les habitants de la maison, se réduisait au minimum de largeur indispensable »[50]. Ces critiques, loin d’être une mise en cause de la colonisation, révèlent après coup un souci esthétique et patrimonial. Elles portent sur l’inélégance de transformations brutales qui ont amputé Alger de ce qui devait faire son charme pittoresque au regard du voyageur curieux.
De même, le processus de naturalisation de la ville s’est accompli en l’absence de la mise en œuvre d’une structure de production scientifique équivalente à l’équipée de savants qui avaient trente ans plus tôt suivi Napoléon au Caire, et produit sur l’Egypte un ensemble de connaissances conséquent. Genty de Bussy en 1839, évoque longuement cette alliance : « Pendant qu’il (Napoléon) vainquait aux Pyramides et au Caire, ceux-ci interrogeaient le climat et le sol, ceux-là les monuments et les âges, chacun avait pris son lot ». Puis, de s’interroger : « Pourquoi dès l’occupation n’avons-nous pas suivi cet exemple ? » et de proposer la création d’une Commission scientifique qui « peut rendre d’immenses services à la vraie science non moins qu’à la colonisation »[51]. Cette absence initiale de curiosité explique qu’à propos de l’Algérie, le savoir colonial se formalisa avec un décalage de dix ans[52]. Elle explique pour une part l’absence de trace laissée par ces transformations majeures de l’espace urbain. Mai du coup elle met aussi à nu une des grandes brutalités de la conquête : celle-ci ne résida pas dans des intentions plus ou moins bonnes, ni dans la mise en œuvre raisonnée de réformes, mais dans la nécessité des conquérants de se faire une place là où il n’y avait pas de place pour eux. Et sans doute, selon ce processus, la nomination des rues fut un phénomène d’autant plus violent qu’il eut un double effet : non seulement il mit radicalement en cause d’autres façons de pratiquer l’espace urbain, non pas seulement physiquement mais socialement et politiquement, mais encore, par défaut d’analyse du processus, il effaça le sens même d’un tel retournement, il le rendit naturel.
Après l’indépendance de l’Algérie, on procéda à une nouvelle nomination des noms des rues de la capitale comme de l’ensemble des villes du pays. La mesure était fondamentalement symbolique : la toponymie coloniale représentait la marque de la domination par excellence. Son inscription même dans le paysage algérien était l’occasion de manifester la colonisation. Mais ces réaménagements onomastiques avaient perdu de vue ce qui avait fondé premièrement les enjeux autour du réseau viaire, et comment, pour des raisons militaires, les rues avaient des noms.
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Notes
[1] Une première version de ce texte a été publiée en 2009 en anglais sous le titre « Masking and Unmasking the Historic Quarters of Algiers: The Reassessment of an Archive », dans l’ouvrage collectif édité par Celik, Z., and Clancy-Smith J. (2009), Walls of Algiers: Peoples, Images, and Spaces of the Colonial and Postcolonial City, Getty et University of Washington Press, p. 179-192.
[2] L’historien anglais E.-P. Thompson, a montré tout l’intérêt de faire usage des collections des folkloristes ayant amassé les témoignages de pratiques et récits populaires partagés par une communauté. Mais alors que ces éléments étaient entrepris par ces derniers comme les survivances de croyances ancestrales, E.-P. Thompson propose d’y déceler les modalités de langages politiques susceptibles d’orienter les questionnements relatifs à la connaissance des sociétés du passé. Il suggère en effet d’y voir des sources historiques toutes aussi importantes que les traces laissées par la documentation produite par les institutions du pouvoir central, et propres à permettre une lecture renouvelée de cette documentation.
[3] On est frappé par exemple du peu de cas fait de la hawma dans les études sur la ville. Les nombreux numéros de la revue Insaniyat, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, consacrés à l’étude des phénomènes urbains, illustrent assez bien ce phénomène de moindre intérêt. Voir notamment : Villes algériennes », n° 5, mai-août 1998 (Vol. II, 2) ; « Oran, une ville d’Algérie », n° 23-24, janvier-juin 2004. Par comparaison, les études marocaines font plus de place à ce phénomène urbain. Voir par exemple, Naciri, M. (1982) « La médina de Fès : trame urbaine en impasses et impasse de la planification urbaine », in Présent et avenir des médinas (de Marrakech à Alep), Tours, Urbama–Université de Tours (Fascicule de recherches n° 10-11), 237-254 ; Idrissi Janati, M. (2002) « Les images identitaires à Fès : divisions de la société, divisions de la ville », in Topalov, C. (dir.), Les divisions de la ville, Paris, UNESCO – Maison des sciences de l’homme, 347-372. Notons que la hawma des villes marocaines a aujourd’hui une réalité institutionnelle, avec l’existence d’un shaykh al-hawma, délivrant des certificats de résidence et des attestations de bonnes mœurs aux habitants de son quartier.
[4] Icheboudene, L. (2002), « De la Houma à la cité : une évolution historique de l’espace social algérois », in Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, Vol. XL, n° spécial, 59-74. Voir également, sur la perception négative de la hawma, les contributions dans Oussedik F. (dir.), Raconte-moi ta ville. Essai sur l’appropriation culturelle de la ville d’Alger, Alger, Enag Editions. Le modèle du soff tribal a également été appliqué à la ville pour décrire l’origine des oppositions entre quartiers observées à l’époque coloniale.
[5] Je me permets sur ce point de renvoyer à Grangaud, I. (2010), « hawma », in Topalov C., Coudroy de Lille, C., Depaule, J.-C. et Marin B. (dir.), L’aventure des mots de la ville à travers le temps, Paris, Robert Laffont, p. 573-576. Le développement qui suit résulte d’une enquête succincte menée à Alger et Constantine. Je remercie mes interlocuteurs, en particulier, et ils se reconnaîtront, Ali, Amel, Amina, Kamel, Khedidja, Malik, Nadia, Pierre-Yves et Sami, ainsi que, tout spécialement, mon frère Sélim.
[6] Notons que dans les journaux le terme (hawma, plur. Hawmât) est transcrit en français sous la forme houma.
[7] Ibn Manzour (1998) Lisan al-Arab, [XIIIe s.] réed. Beyrouh, Dâr al-ma‘arif Librairie du Liban ; Kazimirski, A. de B. (1860), Dictionnaire arabe-français Paris, Maisonneuve ; Reig, D. (1983) Dictionnaire arabe-français, français-arabe. As-Sabil, Paris, Larousse.
Le Kazimirzki, qui reprend en fait la notice de Lisan al-Arab, en la traduisant, note cependant au surplus qu’en Algérie « huma » désigne un quartier de la ville. Il faut se reporter à un dictionnaire de parler maghrébin comme le Beaussier, ou Prémare, pour que le terme désigne expressément un quartier. Beaussier M. (1958), Dictionnaire pratique arabe-français contenant tous les mots employés dans l’arabe parlé en Algérie et en Tunisie, [1887], Alger, La Maison des Livres ; Prémare, A.-L. de. (1993-1999), Dictionnaire arabe français - langue et culture marocaines, Paris, l’Harmattan.
[8] Prémare dans son dictionnaire d’arabe marocain, op.cit., signale que l’expression « il n’a pas de hawma » peut être utilisée aussi pour désigner un « apatride », ce qui, à une autre échelle signifie la même chose.
[9] Sur la sociabilité juvénile se déployant au sein des quartiers et son rôle dans la construction des identités politiques et militantes à l’époque coloniale, voir l’article de Carlier, O., (1988), « Espace politique et socialité juvénile: La parole étoiliste en ses quartiers, contribution à une étude du "nous" », in Carlier, O., Colonna, F., (éd.) Lettrés Intellectuels et militants en Algérie 1880-1950, Alger, OPU.
[10] On connaît, parmi les genres musicaux populaires et contestataires, l’émergence depuis quelques années du « rap houma ». Le terme hawma est volontiers annexé à des associations urbaines, telle l’importante structure Ouled Houma, association sportive et culturelle d’Alger.
[11] Voir supra., note 1.
[12] Letourneau, R. (1949), Fès avant le protectorat, Casablanca, Société marocaine de librairie et d’édition (Mesnil, impr. De Firmin-Didot), p. 213. Par ailleurs le même auteur s’est fondé sur sa bonne connaissance de cette vieille cité pour produire une synthèse sur les caractéristiques des villes maghrébines. Voir. Letourneau, R. (1957), Les villes musulmanes de l’Afrique du Nord, Alger, La Maison des livres.
[13] Van Staëvel, J.-P. (2001), Les usages de la ville dans l’occident musulman médiéval (IXe-XIVe siècle), doctorat d’histoire de l’Université de Lyon II; voir aussi du même auteur, (2000), « Le Qâdî au bout du labyrinthe : l’impasse dans la littérature jurisprudentielle mâlikite (al-Andalus et Maghreb, 3°/IX – 9°/XV° s.) », in Cressier P., Fierro M. et. Van Staëvel, J.-P. (éd.), Urbanisme musulman, Casa de Velâzquez –CSIC, Madrid, p. 39-63.
[14] Isâ b. Musa Ibn al-Imâm al-Tûtilî (323/934-35 – 380/990), Kitâb alal-qadâ wa nafy ad-darâr ‘an al-afniya wa-l-turûq wa l-mabanî wa l-sâhât wa l-shajâr wa l-jâmi‘. Le manuscrit de ce texte, qui constitue l’une des trois copies utilisées par J.-P. Van Staëvel se trouve à la BN d’Alger sous le titre « Solution de Malik relatifs aux propriétés urbaines et rurales et aux rapports des propriétaires entre eux et à la voirie, 1252 (1837) », côté 1292, 1er folio). Mais il venait probablement d’une bibliothèque privée de Constantine. Il a connu une première traduction en français par Barbier (1900-1901), « Des droits et obligations entre propriétaires d'héritages voisins ».Revue algérienne, tunisienne et marocaine de législation et jurisprudence, XVI, p. 9-15, 17-23, 42-56, 93-104, 113-144 et XVII, p. 65-84, 89-108. Dans sa thèse, J.-P. Van Staëvel, propose une révision de la traduction d’une partie importante du texte. Ce texte discute de toutes les formes d’aménagements et leurs conditions juridiquement admises de possibilité de l’espace urbain.
[15] « Le Qâdî au bout du labyrinthe … » op. cit., p. 39-40.
[16] Sur ce point, qui constitue un élément de base de l’analyse orientaliste des villes du monde musulman (l’anarchie urbaine), la bibliographie est abondante. Je me permets de renvoyer à quelques unes des multiples critiques, maintenant anciennes, de cette conception : Wirth, E. (1982), « Villes islamiques, villes arabes, villes orientales », dans La ville arabe en Islam, in Bouhdiba, A., et Chevallier, D. (dir), Tunis, Cérès, p. 193-225 ; Raymond, A. (1985), Grandes villes arabes à l'époque ottomane, Paris, Sindbad ; Ilbert, R. (1982), « La ville islamique : réalité et abstraction », in Les Cahiers de la recherche architecturale, 10/11, p. 6-14. Ces critiques mettent surtout en perspective l’incapacité du modèle de la ville islamique à tenir compte des contingences historiques, et au contraire l’existence d’institutions contrevenant à cette idée d’anarchie.
[17] Sur la discussion de ce point, opposant notamment Brunschvig, R. (1947), « Urbanisme médiéval et droit musulman », in Revue des Etudes Islamiques, p. 127-155), qui retient cette conception laxiste des juristes, à Van Staëvel, J.-P. voir Nejmeddine, H. (2003), « La rue dans la ville de l’occident musulman médiéval d’après les sources juridiques malikites », in Arabica, L, 3, p. 273-305.
[18] « Le Qâdî au bout du labyrinthe … » op. cit., p. 41.
[19] Notons par ailleurs que la responsabilité collective pénale reconnue aux propriétaires ou au locataire d’un immeuble, ou à l’ensemble des habitants d’un îlot a été formalisé plus spécifiquement par le droit hanafite et a contribué à façonner l’organisation des communautés de voisinage et pouvait, ainsi que le souligne Hülya Canbakal « former la base de contrats sociaux nouveaux entérinés par la volonté collective ». Voir, sur ce point, Baber, J. (1999), “Property as an Institution of Social Integration. Secular and Religious elements Hanafite law. Fonction and Limits of the Absolute Character of Government Authority”, in Id., Contingency in a Sacred Law, Brill, p. 189-218 ; Canbakal H. (2004), « Some Questions on the Legal Identity of neighbourhoods in the Ottoman Empire”, Anatolia Moderna Yeni Anadolu, X, p. 131-138. Le poids de ces considerations sur la formalisation des quartiers, voire des villes, a été surtout observé jusqu’ici en Orient et en Anatolie. Il semble bien, pourtant, qu’en terrain maghrébin, des phénomènes comparables pourraient être pris en considération.
[20] Le terme pouvait désigner de façon générique de vastes circonscriptions, mais plus souvent il renvoyait à des unités étroites, aux frontières mouvantes, constituant l’environnement immédiat d’une mosquée ou les habitations d’une même ruelle. Sur une telle définition de la hawma à Constantine à l’époque ottomane, voir Grangaud I. (2010), La ville imprenable. Une histoire sociale de Constantine au 18e siècle, Constantine, Editions Media Plus, p. 90 et suiv. ; sur Alger, Grangaud I., (2004) « Alger au miroir de ses sources ? Ce que le fonds d’archives de la Régence est à son histoire ottomane », in Alger, lumières sur la ville, actes du colloque international du 4 au 6 mai 2002 à l’EPAU, mai 2002, Alger, Editions Dalimen, Vol. 1, p. 35-42.
[21] Sur ce point, voir l’étude sur Adana au 18ème siècle de Isik Tamdogan, et le long développement qu’elle y consacre aux mahalle dans cette ville, notamment comme instance morale agissant en justice : Tamdogan, I. (1998), Les modalités de l’urbanité dans une ville ottomane, doctorat de l’EHESS, Paris, (non publié). Voir également le dossier fourni dirigé par la même auteur dans la revue Anatolia Moderna, n° X, notamment l’introduction de celle-ci (2004), « Le quartier (mahalle) de l’époque ottomane à la Turquie contemporaine », ibid, p. 123-125 et, concernant l’époque ottomane précisément, sa contribution sur « Les relations de voisinage d’après les livres de morale ottomans (XVe-XVIIIe siècles) », ibid, p. 167-177.
[22] Cette approche a été magistralement illustrée par Claude Cahen à propos de la mise en perspective d’un groupe social urbain, les ahdât, fondé précisément là encore, sur l’appartenance locale à Baghdad aux 9-12ème siècles, dont le rôle politique se distinguait notamment dans des périodes de crise sur la base d’une lecture fine des chroniques médiévales. Voir Cahen, C. (1958-59), « Mouvements populaires et autonomisme urbain dans l’Asie musulmane du Moyen-Age », in Arabica, V et VI.
[23] Allusion à l’ouvrage désormais classique du géographe Marc Côte, Côte, M. (1992), L'Algérie, ou l'espace retourné, Éditions Flammarion, Paris, qui met en perspective les phénomènes massifs de double retournement de l’espace algérien avec la colonisation puis l’indépendance.
[24] Voir Missoum, S. (1998), Alger à l’époque ottomane. La médina et la maison traditionnelle, Aix en Porvence, Edisud, 2003 ; Shuval T. (1998), La ville d’Alger vers la fin du XVIIIème siècle, Population et cadre urbain, Paris, CNRS éditions.
[25] Par contraste, on soulignera combien l’analyse précitée de C. Cahen, court-circuite d’emblée l’impact d’un tel modèle en montrant qu’il est le produit d’une lecture littérale d’un type de sources qui ne parlent pas de ce à propos de quoi les historiens ont eu tendance à les interroger.
[26] Tout se passait comme si les hawmât d’aujourd’hui dans leur apparat populaire ne pouvaient avoir de lien de parenté avec celles issue d’une infrastructure politique. Voir Icheboudene, L., op. cit.
[27] A l’échelle de l’Algérie, M. Côte, op. cit., Voir également, Benkada, S. (2004), « Savoirs militaires et modernité urbaine coloniale. Le rôle des ingénieurs du génie dans les transformations des villes algériennes : le cas d’Oran (1831-1870) », in Insaniyat, « Oran, une ville d’Algérie », n° 23-24, p. 135-150.
[28] A. Henia, à propos d’un travail sur la Tunisie ottomane, mais dont les résultats, notamment quant à la relecture assez systématique des concepts juridiques susceptible de permettre suivre les évolutions institutionnelles en matière de propriété, sont tout à fait opérants s’agissant de l’Algérie ottomane, a bien montré l’erreur faite par les historiens ottomanistes qui ont considéré des catégories fabriquées au moment de la conquête pour traduire des réalités locales comme étant des catégories ottomanes. Voir., Henia, A. (1999), Propriété et stratégies sociales à Tunis (XVIe - XIXe siècles), Tunis, Publications de la Fac. Des Sciences humaines et sociales de Tunis,.
[29] Le habûs ou waqf consiste en une donation à perpétuité qui à la différence des propriétés privées, ou malk, les rendent en principe inaliénables. Elles peuvent cependant faire l’objet de locations ou de locations à perpétuité (‘anâ’). La donation intègre souvent, avant que d’être dévolue à sa destination finale (qui est généralement une institution dont cette pratique assure le fonctionnement), des usufruitiers que désigne le donateur et qui généralement forment une lignée à venir, faisant courir l’usufruit du bien sur plusieurs génération jusqu’à extinction de la lignée.
[30] Sur le débat relatif à la dénomination de ce fonds d’archive ottoman, voir l’article de Soufi, F. (2000), « Les archives, une problématique de patrimonialisation », Insaniyyat Patrimoine(s) en question, n°12, (vol. IV, 3), p. 129-150, en particulier, p. 142.
[31] Sur les développements qui suivent, je me permets de renvoyer à plusieurs de mes travaux : « Alger au miroir de ses sources ? … », op. cit. ; id. (2008) « Affrontarsi in archivo. Tra storia ottomana e storia coloniale (Algeria 1830), in Quaderni Storici, n° 129, a. XLIII, 3, dossier sous dirigé par id., Società post-coloniali : ritorno alle fonti, p. 621-652 ; id., (2009), « Prouver par l’écriture. Propriétaires algérois, conquérants français et historiens ottomanistes », in Genèses, n° 74, dossier dirigé par Backouche, I., et Naepels, M., Faire la preuve, p. 25-45, id. (2012), « Dépossession et disqualification des droits de propriété à Alger dans les années 1830 », in A. Bouchène, Peyroulou, J.-P., Siari Tengour, O., Thénault, S. (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, Paris-Alger, Editions la Découverte/ Barzakh, p. 70-76.
[32] AOM, 1 E 10 (18 Mi 13), Rapport, Volland, B., « Notice sur le mode d’administration établi à Alger, 12 janvier 1831 », 25 f. Cela permet de comprendre la nature précise d’une partie du contenu de ce fonds : non pas le résultat d’une présumée activité notariale au temps des Ottomans mais le produit matériel de l’obligation faite à des propriétaires de prouver leur statut sur les biens concernés. Sur ces points, voir Genty de Bussy (1939), De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger, Paris, Typographie de Firmin Didot frères, 1er vol ; voir aussi Hamdan Khûdja, (1985) Le Miroir, Aperçu historique et statistique sur la Régence d’Alger [1833], introduction d’A. Djeghloul, Paris, Éd Sindbad, ainsi que le rapport bilingue de Hamdan Khûdja à l’attention du Ministère de la guerre à Paris, se trouvant dans le Centre des Archives de Vincennes sous la côte 1H20, et qui semble-t-il, dans la première édition de son ouvrage, en 1833, y avait été annexé. Le contrôle mis en œuvre ne tenait pas compte de ce que la possession d’un titre par son propriétaire n’avait rien de systématique et que ne pas en posséder ne présumait pour les Algérois d’aucune usurpation de propriété. L’analyse des modalités même de ces campagnes qui n’aboutirent pas et, par-delà, des conditions et des formes de la reconnaissance ou de la mise en cause des droits des propriétaires, fait l’objet de mon article « Prouver par l’écriture. Propriétaires algérois, conquérants français et historiens ottomanistes », op. cit.
[33] Sur ce point, voir la note précédente.
[34] Ce classement se présente sous la forme de tableaux. Voir notamment, Fonds des archives de la Régence d’Alger, microfilm 1MI 70, Centre des archives d’Outre Mer.
[35] Sur ces noms, voir la liste dressée ainsi que les conditions de leur établissement dans Klein H. (1910), Feuillets d’El-Djezaïr, Comité du vieil Alger [1910], Alger, Ed. du Tell, t. 1, p. 53.
[36] Elle est pourtant considérée comme telle officiellement, dans la mesure où, à cette date, le principe de la conquête est agréé et les mesures administratives prises le sont pour tout le pays. Voir Ménerville, M.P. de (1866), Dictionnaire de la législation algérienne. Code annoté et manuel raisonné des lois, ordonnances, décrets, décisions et arrêtés publiés au bulletin officiel des actes du gouvernement suivi d'une table alphabétique des matières et d'une table chronologique des lois, décrets, etc... 1830-1860, Paris, p. 671 (notices « voirie »).
[37] AOM, 1 E 10 (18 Mi 13), Rapport. Volland, B., « Notice sur le mode d’administration établi à Alger… », op. cit., Sur les événements de cette période relatifs à la conquête de l’Algérie, voir Julien, Ch.-A. (1979), Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 1 : conquête et colonisation (1827-1871), Paris, PUF.
[38] Le Comité central des syndics de la ville rassemble sept notables algérois nommés par la Commission le 8 juillet, en vue de disposer d’interlocuteurs susceptibles de renseigner sur les nécessités relatives à l’administration urbaine : « Il pourrait d’abord fournir tous les renseignements nécessaires à un régime administratif, territorial et local. En outre, il sera tenu de satisfaire par tous les moyens en son pouvoir aux besoins les plus urgents de l’armée et d’indiquer les ressources particulières de la Régences et de la ville d’Alger », AOM, F80 1670 A, « Procès verbaux de la Commission du Gouvernement », séance du 7 juillet 1830.
[39] Voir Feuillets d’El-Djezaïr…, op. cit.
[40] Ibid., A cette date, à l’heure de la mise en place plus formelle et dévolue à l’autorité municipale, il sera demandé aux habitants de rétablir ces noms à moitié effacés. Or, ces noms recoupent en grande partie ceux des noms des hawmâ-s.
[41] Notons d’ailleurs que, concurremment, on fit usage de traits de peinture, dont chaque couleur correspondait à une destination particulière. Feuillets d’El-Djezaïr …. p. 55.
[42] Voir. Raymond, A. (1980), « La géographie des hâra du Caire au XVIIIème siècle », Livre du centenaire de l’Institut français d’archéologie orientale, MIFAO, t. CIV, p. 417-431.
[43] A la fin du XIXème siècle, cependant, une initiative privée fut à l’origine d’un premier système de numérotation des rues de Paris : un diplomate allemand avait numéroté à ses frais toutes les maisons avec un système de fer à cheval. La numérotation débutait du côté gauche, remontait toute la rue de ce côté puis la redescendait ensuite de l’autre côté. Ainsi se faisaient face le premier et le dernier numéro de la rue. Le système actuel en revanche date 1805. Je remercie Maurizio Gribaudi qui m’a fait profiter de sa connaissance approfondie du Paris du 19ème siècle.
[44] Le procès verbal de la séance de réunion de la Commission de gouvernement du 23 juillet établit que « l’Intendant d’Alger expose à la Commission que les difficultés de communication entre les différents points de la ville rendent presqu’impossibles le service des hôpitaux et des subsistances. Il réclame en conséquence l’élargissement des principales rues, qu’il désigne, au moyen de la destruction des baraques dont elles sont encombrées. », F80 1670 A.
[45] 12 novembre 1830 : « Arrêté qui dispose que la direction du théâtre d’Alger sera donnée en entreprise, et qu’il y sera joué des ballets et opéras italiens », CAOM, F 80 1670A, Table analytique des actes du gouvernement d’Alger.
[46] Sur cette question, voir en particulier l’article d’A. Raymond, Raymond, A. (1981), « Le centre d’Alger en 1830 », in R.O.M.M., p. 73-84, qui souligne l’impossibilité de reconstituer précisément un état cartographique du centre de la ville, en l’absence de ce relevé topographique.
[47] Centre des Archives de Vincennes, 1H20, op. cit.
[48] Ce dont Genty de Bussy a pu quelques années plus tard souligner l’ineptie pour la bonne marche de l’administration a posteriori. Voir De l’établissement des Français dans la Régence d’Alger…, op. cit.
[49] Feydeau, E. (2003), Alger, étude, présentation de Pouillon, F., Paris, Éd. Bouchêne.
[50] Lespès, R. (1925), Alger. Esquisse de géographie urbaine, Alger, Carbonnel, p. 116, Voir également, Feuillets…, op. cit., et Feydeau, op. cit.
[51] De l’établissement…op. cit., p. 213-215.
[52] Ce qui est très frappant par exemple dans Bourguet, M.-N., Lepetit, B., Nordman, D. et Sinarellis, M., (1998), L’invention de la Méditerranée. Egypte, Morée, Algérie, Paris, Editions de l’EHESS.