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Insaniyat N°59 | 2013 | Famille. Pratiques et enjeux sociétaux  | p. 07-10 | Texte intégral 


La famille est, à la fois, sanctifiée et décriée,désirée et rejetée. Elle est de plus en plus surveillée dans ses moindres transformations. Objet de recherche des sociologues, psychologues, psychanalystes, psychiatres, ethnologues, anthropologues… Chaque discipline tente d’identifier son organisation, ses fonctions, ses mutations et distorsions.

Si jusqu’au XIXe siècle, l’intérêt scientifique se focalisait essentiellement sur sa constitution et son maintien pour préserver la cohésion sociale,consolider les liens de groupe et entretenir la séparation entre les catégories sociales, ces deux derniers siècles voient progressivement s’élargir les champs de son investigation.

En dépit de la modernité tant proclamée ou fantasmée et des changements ayant affecté son organisation, la famille demeurele projet convoité et le modèle des modèles de l’organisation sociale et psychique.  Le mariage, considéré socialement comme premier pas de sa constitution, reste le désir premier des jeunes hommes et femmes de toutes les cultures.

Compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, la famille tend à devenir multigénérationnelle, on n’est plus aux trois générations habituelles. Dans certains pays, on retrouve jusqu’à cinq générations cohabitantparfois en harmonie.

Unie ou désunie, en difficulté ou en harmonie, monoparentale, disloquée, recomposée, la famille reste incontournable pour une meilleure compréhension de la société et ses acteurs.

La revue Insaniyat s’est déjà penchée sur la famille puisqu’elle a édité un numéro thématique (n° 4, 1998), intitulé « Famille d’hier et d’aujourd’hui ». De nombreux projets et études réalisés par le Crasc ont abordé cette problématique de façon directe ou indirecte. Ne sont cités que les plus importants : « famille, éducation et changement social »[1], « Femmes et intégration socioéconomique »[2], « Famille et école »[3]... Ces recherches ont apporté des éclairages pluriels sur la famille et sa composante, sur ses difficultés et ses réussites. Ces projets ont pour la plupart fait l’objet d’une publication dans les Cahiers du Crasc. Comme la famille est une institution privée et publique, qu’elle est multifonctionnelle, ce numéro d’Insaniyat l’examine sous divers angles : celui de son évolution, de son inter-influence avec la question féminine, et des séniors.

A cet effet, quels sont aujourd’hui les pratiques et les enjeux sociétaux en rapport avec la famille ?

Badra Moutassem-Mimouni pose une problématique peu explorée en Algérie et au Maghreb. Il s’agit des personnes âgées et des enjeux de société soulevés par cette catégorie encore minoritaire dans les pays du Maghreb, mais qui augmente inexorablement. La famille, en pleine mutation, se nucléarise de plus en plus ; le nombre d’enfants de plus en plus restreint réduit le nombre de personnes susceptibles de prendre en charge les séniors, d’autant plus que l’espérance de vie s’allonge. L’auteure présente les prévisions des démographes, tâte les capacités de prise en charge institutionnelles, explore des vécus. Par cette approche, elle vise à sensibiliser les jeunes chercheurs ainsi que les pouvoirs publics pour devancer l’événement et se préparer pour apporter aux séniors les soins et la protection nécessaires à leur bien-être, et en fonction de leurs besoins spécifiques.

Sidi Mohammed Mohammedi, dans une approche originale, focalise son exploration sur la question de la prise en charge des personnes âgées dans deux cultures a priori situées aux antipodes l’une de l’autre, il s’agit de la société japonaise et de la société algérienne. En fait, les deux sociétés présentent des similitudes et des divergences en termes de prise en charge des séniors. Cette approche ethnographique ciblée apporte un regard nouveau et une problématique peu étudiée : au lieu de se demander que fait la famille pour le développement, l’auteur inverse la question : « que fait le développement pour la famille ? », et en l’occurrence pour améliorer la qualité de la vie des séniors.

Salem Maaroufi analyse la transmission générationnelle dans une population émigrée en France. Il questionne ce lien parents/enfants et la place du code linguistique en lien avec l’histoire de l’émigration. Pour l’auteur, le silence de l’émigré est lié, d’une part à des facteurs psychologique, une histoire personnelle, une estime de soi, et des compétences à communiquer : si l’éducation reçue a été suffisamment ouverte à l’échange et à l’expression de soi et de ses sentiments alors la parole est libérée chez les parents et chez les enfants ; et d’autre part, des facteurs externes en lien avec les sentiments d’acceptation/d’intégration ou de rejet et stigmatisation, ainsi que les sentiments de ses réussites et/ou de ses échecs. Pour l’auteur, cette situation ambigüe de l’immigré en France a amené la première génération au silence car n’ayant que le droit de « trimer » et de survivre, mais il était soutenu par le mythe du retour dans « son » pays magnifié par la nostalgie et la solitude. Ce silence sera transmis à leurs enfants, qui eux n’avaient ni la même trajectoire ni les mêmes inhibitions. L’auteur aborde également le deuil du « retour » qui s’effondre pour bon nombre de « chibanis » qui, à défaut de réaliser leur rêve impossible, cherchent un carré « musulman » où se reposer.

La femme, pierre angulaire de toute société, cristallise les résistances au changement, concentre les contradictions et les ambivalences comme le montre Ghania Graba dans un article qui fait la synthèse des tergiversations et des ambivalences du droit algérien qui depuis l’indépendance fonctionne de façon bicéphale : tous les secteurs de la vie socioéconomique sont régis par le droit positif alors que la famille est régie par la chari’a. Le Code de la famille ne sortira que plus de vingt ans après l’indépendance et, selon l’auteure, ce texte législatif ramène la femme à sa condition de mineure à vie, et ce, en dépit des contradictions avec la Constitution et la Charte nationale qui prônent l’égalité des droits et des devoirs entre les sexes. L’auteure s’interroge sur les changements dans la Constitution de 2008 : vont-ils impulser une dynamique qui permettra à la citoyenne de l'emporter sur la femme soumise ?

Maysoon Utoom aborde le corps de la femme. Au-delà du corps biologique, le corps de la femme est objet d’enjeux sociétaux, religieux, politiques, et économiques. Tradition et modernité s’entrelacent et se refoulent. La famille n’est jamais loin. En préservant le corps de la femme dans sa « pureté », on préserve la famille de mélanges jugés « impurs » ou « indignes » de la lignée d’origine. L’auteure, après une consultation bibliographique sur la place de la femme dans la culture moderne et une enquête ethnographique, montre comment à Amman (Jordanie) émergent trois modèles du corps de la femme : le corps prolongé (الجسد المُمتد) porteur des valeurs du groupe social où la femme reste fortement liée à la terre ; le corps libéré (الجسد المُتحرِر) qui pose des valeurs modernes de démocratie, de liberté, et de droits de l’Homme. Le troisième, c’est le corps fétiche (الجسد الفيتيش), objet de toutes les sollicitudes de la société consumériste. Le corps est surdéterminé et transcende ses fonctions biologiques et organiques pour aller à la symbolique signifiante ou à la réification marchande.

Dominique Gay-Sylvestre aborde, quant à elle, le corps objet sexuel dans l’éradication de la prostitution à Cuba. Les femmes, venant des campagnes où la misère et la pauvreté étaient telles, n’avaient d’autres issues que de se rendre en ville où elles deviennent la proie d’individus sans scrupules. La lutte contre la prostitution constituera une des priorités de l’État socialiste qui, dès sonavènement en 1959, va faire la guerre à cette réputation de bordel des Caraïbes que portait l’île comme un stigmate déteignant sur toute la population. De 1959 à 1967, l’auteure déroule cette lutte avec ses avancées, ses rechutes et ses rémissions. La prostitution n’a peut-être pas été totalement éradiquée, mais elle a été largement réduite. Elle relate ce long combat contre la pauvreté, le chômage, mais également contre les mentalités, les stigmatisations, et les rejets. La réhabilitation a touché autant les prostituées que les proxénètes.

Meriem Limam-Mohammedi montre les changements et transformations des rites et traditions chez les habitants de Ksar Tamerna (wilaya d’El Oued) qui ont quitté les habitations traditionnelles et se sont dispersés dans la région. L’auteure se base sur les monographies décrivant les us et traditions dans le ksar (du temps où il était encore habité et animé) pour les comparer à ses propres observations. Elle constate que certaines traditions ont disparu, d’autres se sont altérées, tandis que d’autres se maintiennent ou se transforment. Parmi les facteurs qui ont participé à ces changements, l’auteure relève l’urbanisation, l’éclatement des familles, et l’islamisme politique.

Ces textes montrent la complexité de la famille et la diversité des angles d’approche. La famille est le principal allié de l’Etat ; l’importance des solidarités familiales sont le garant du maintien de l’équilibre en son sein et autour de ses membres, et par voie de conséquence sur toute la société. Compte tenu de la primauté de la famille, moult questionnements restent ouverts et méritent un approfondissement dans d’autres livraisons d’Insaniyat.

Badra MOUTASSEM-MIMOUNI


Notes

[1] Moutassem-Mimouni, B. (dir.), (2008), Cahiers du Crasc, n° 27.

[2] Remaoun-Benghabrit, N. (dir.), (2006).

[3] Benamar, A. (dir.) (2010), Cahiers du Crasc, n° 25.

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