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Doris BONNET, Catherine ROLLET, Charles-Edouard de SUREMAIN (dir.), Modèles d’enfances. Successions, transformations, croisements, Éditions des Archives contemporaines, Paris, 2012, 248 p.

Lamya TENNCI | Insaniyat N° 59 | mars 2013 (Vol. XVII, 1) | Famille : pratiques et enjeux sociétaux|  p. 148-150


Cet ouvrage collectif regroupe, à la fois, des approches sociologiques, anthropologiques, historiques, psychologiques, et philosophiques. Il est enrichi par une préface, une introduction et treize contributions d’auteurs appartenant à différents champs disciplinaires et culturels.

Dans sa préface, A. Turmel commence son texte par une citation de Winnicott l’amenant à poser la question suivante : que reste-il au sociologue, à l’anthropologue ou à l’historien ? L’idée est de montrer que vers la fin du XIXe siècle, le monde scientifique a subi une division du travail importante ayant pour effet une appropriation des savoirs, et où les spécialistes psy se sont emparés de « l’enfant » comme objet d’étude privilégié. Le sociologue parvenait difficilement à produire un concept, il y arrive cependant avec celui de « socialisation ». L’auteur plaide pour une sociologie de l’enfance. Il propose de s’intéresser à l’enfance et de l’analyser comme un phénomène socio-historique, ou encore une construction historique variable dans l’espace-temps. Deux modèles de l’enfance se dégagent dans l’histoire occidentale, le modèle médico-hygiéniste et le modèle du développement basé sur la psychologie de l’enfant. La sociologie pourrait contribuer à l’enrichissement de ces savoirs en apportant un regard critique envers une psychologie développementale.

Dans leur introduction, D. Bonnet, C. Rollet, et Ch.-E. de Suremain relèvent que l’enfant est appréhendé à partir de la relation « mère-enfant ». Alors que les recherches en histoire et en anthropologie de l’enfance se sont intéressées au statut de l’enfant et aux modèles sociaux, culturels, politiques, et psychologiques, la place de l’enfant dans la famille s’inscrit dans une approche interactive ou il est acteur social, créateur, influençant les autres acteurs sociaux par le biais des relations intergénérationnelles et institutionnelles. L’exploration de ces contextes permet de rendre visible cette diversité des modèles et des représentations de l’enfance, du modèle de l’enfant du lignage, à celui de la chrétienté, de la nation, l’enfant personne ou celui de la psychanalyse.

Le premier modèle « l’enfant du lignage » a marqué les sociétés occidentales, en général, et les sociétés rurales et agraires, en particulier. L’enfant est considéré en tant qu’élément principal dans la survie de l’individu et de la communauté humaine, il est la propriété du groupe lignager et circule à l’intérieur d’un groupe de parenté. P. La Riva Gonzalez analyse les représentations de la petite enfance, en particulier celles du genre, dans une communauté des Andes du sud du Pérou. Devenir un être humain bien intégré à la société est le résultat d’une construction sociale du corps et de la personne grâce aux rites de passage.

Le modèle de « l’enfant de la chrétienté », explicité par V. Gourdon, analyse l’évolution et les mutations de la pratique de l’ondoiement qui est une forme simplifiée du sacrement de baptême administrée au nouveau-né. Ce modèle exprime aussi le contrôle de l’Église sur le lignage et donc la prise de pouvoir. Entre 1850 et 1950, les imagiers de la rue Saint-Sulpice à Paris inondent le pays d’images pieuses en proposant un modèle chrétien de l’enfant, et une conception idéale de l’enfance. S. La Rocca indique que cette imagerie est adressée directement aux enfants afin de les éduquer. L’auteure se demande si vouloir garder un enfant dans une innocence extrême serait adapté à la réalité, et ne pourrait pas nier en fait l’enfant lui-même ? Le modèle de l’enfant de la nation a émergé en Occident à partir du XVIIe siècle. Se construit alors une nouvelle vision de l’enfance encouragée par une évolution démographique désordonnée, et la mise en place d’une politique sanitaire. Cette protection de l’enfance répondait aux seuls intérêts de l’État car trop offensive. V. De Luca Barrusse apporte un éclairage sur la situation des enfants abandonnés dans la France du XIXe siècle en examinant son mode de gestion, ses mutations, et ses représentations collectives. À la même période, N. Bremand démontre que les premiers socialistes portent un regard différent sur l’enfance par rapport au modèle dominant de la bourgeoisie. Leurs idées innovantes en faveur de l’émergence du statut et des droits de l’enfant ont contribué à faire évoluer les attitudes à son égard. Au XXe siècle, une nouvelle vision de l’enfant fondé sur le psychologique se dessine progressivement pour évoluer vers le modèle de « l’enfant comme personne ». E. Razy s’intéresse à la pratique des sentiments dans la petite enfance en pays Soninké au Mali. Elle y explore le langage corporel verbal et non verbal au centre de ces interactions et met au jour le processus d’individuation de l’enfant s’articlant autour du modèle de l’enfant du lignage, et celui de l’enfant comme personne/sujet.

Face aux différentes dynamiques socio-historiques et culturelles, l’orientation vers un modèle unique de l’enfance est au centre du travail de S. Gojard. Elle étudie l’uniformisation des modèles de l’enfance à travers les apprentissages alimentaires. L. Pourchez, quant à elle, fait remarquer que le statut de l’enfant a connu une évolution rapide dans l’île de la Réunion, aussi bien dans les familles que dans les institutions. L’enfant serait passé d’un statut de personne « vulnérable » à celui d’« enfant-sujet » du fait aussi de l’évolution des pratiques familiales et institutionnelles. En Chine, G. Chicharro montre que la politique de l’enfant unique menée depuis 1979, les changements économiques et la mondialisation, ont entraîné un bouleversement des normes traditionnelles au sein des familles chinoises, et des transformations des regards et des pratiques.  

Sur un tout autre terrain, J.-Y. Kim se penche sur la situation de l’enfant métis dans la société sud-coréenne. Elle explique que le pays a connu trois vagues de naissances d’enfants métis correspondant chacune à trois moments historiques. L’enfant métis devient un objet social de par la mixité de son ascendance. Il est chargé d’un imaginaire social négatif par rapport aux représentations de l’enfant idéal. En se référant à une sociologie historique, J. Wouango analyse « la place du travail des enfants » au Burkina Faso dans les politiques de l’État. L’émergence de ces politiques rend plus compte de l’affaiblissement du modèle de l’enfant du lignage et de la discontinuité entre le modèle de l’enfant de la nation et le modèle de l’enfant sujet. Dans « Les enfants nés hors-mariage en Algérie », B. Moutassem-Mimouni analyse, dans une approche diachronique, les différentes transformations des modèles d’enfants à travers des indicateurs historiques, politico-juridiques, sociaux, et psychologiques. Cette lente transformation des catégories d’enfants privés de famille évolue vers une reconnaissance du moins difficile. À la fin de l’ouvrage, A. Badini s’intéresse aux applications des droits de l’enfant au Burkina Faso. Alors que la convention des droits de l’enfant de 1989 est fondée sur une représentation individuelle de l’enfant, le Burkina Faso s’inscrit à l’opposé des recommandations de la convention en privilégiant une dynamique du groupe. L’enfant est au cœur d’une représentation lignagère de l’organisation sociale qui caractérise le modèle villageois ancestral.

Cet ouvrage offre un ensemble de réflexions sur les différents modèles de la petite enfance. Une diversité des approches, des époques, et des lieux géographiques a montré que l’enfance se construit à travers des modèles sociaux tributaires de représentations culturelles, historiques, religieuses, politiques, et sociales. Les sociétés du XXIe siècle connaîtront d’autres modèles d’enfance influencés notamment par les nouvelles technologies de la procréation, les migrations internationales ou le métissage.

Lamya TENNCI

 

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