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« Parler…jeune : pour dire quoi ? » Retour sur une enquête menée à l’Université de Mostaganem

Insaniyat N°60-61 | 2013 | L’école: enjeux institutionnels et sociaux | p. 107-124| Texte intégral 


Speak…young people: to say what? Return on an investigation led at the University of Mostaganem

Abstract: The "youth" tab to qualify the socio-linguistic productions of the youth, or what by effect of mode they name today the youth public speech (es) seems to cause a problem for the specialists of the urban area (Calvet, 1994, Bulot, 2003, 2012) throughout the world, when it is not about a language / encoded language in linguistic / grammarian sense of definition, but more isolated sequences in the common language. By means of investigation in urban area (the university of Mostaganem), we seek to confront this finding / hypothesis with an amount of data collected in an attempt to understand where lies the specificity of this (new) way of using the circulating language; to see then, what social claim(s)/ expectation emerge behind this linguistic transformation exclusively tributary to the youth, what is it likely?
Acquired results initially reinforce in a way the formulated hypothesis and clearly monitor the code-switching phenomenon as a motor and at the same time as a socio-linguistic process strongly connoted and available for the youth to converse (language purposes) between themselves but especially to mark a form of rejection/rupture with the standardized language practiced in the ordinary (sociological purpose/identity) as well. The latter aspect guides usultimately to the reason for the existence of this type of urban practices that enlighten our sense,a form of mutation of the language that is not without a desire to interpret a socio-linguistic renewal supported by the youth.

Keywords: speak youth, socio-linguistic practices, urbanity, vernalization identity, linguistic mutation


Abdelnour BENAZZOUZ: Université de Mostaganem, Département de français, 27 000, Mostaganem, Algérie.


Les productions discursives du public des jeunes, ou ce que les observateurs spécialistes du terrain urbain s’accordent à étiqueter aujourd’hui (plus largement) certaines pratiques urbaines de « jeunes »[1], posent plus que jamais la question du changement langagier entre la déstructuration, la création, la néologie ou bien encore le calque (littéral) de mots/expressions d’une autre langue que celle initialement disponible : alors y a-t-il constatation d’un changement linguistique/langagier ou pas et (plus important encore), à quelles finalités communicatives, sociales, voire sociologiques ce type de productions socio-langagières urbaines nous renvoient-il (à fortiori, en contexte algérien vu la pluralité linguistique qui le caractérise) ? Et si l’on inversait le raisonnement, on se poserait alors la question du pourquoi de l’existence d’une nouvelle/autre façon de pratiquer la langue et surtout pour traduire quel malaise social (si malaise social il y a) ?

Nous essayons dans ce travail d’apporter quelques éclairages par rapport à ces interrogations que nous formulons en guise d’introduction à cette contribution. On tend, en effet, aujourd’hui, à isoler de plus en plus ou plutôt à identifier un certain nombre de pratiques linguistiques urbaines comme appartenant spécifiquement au public des « jeunes », mais ces productions sont problématiques ou bien posent problème à partir du moment où on cherche à les catégoriser ; en d’autres termes, l’on ne sait pas si on doit les taxer ou pas de « Parler(s) jeune(s) » mais, plus important, encore une fois, qu’est-ce cette « taxation » implique comme jugement/statut au sein du paysage urbain de la ville, algérienne plus particulièrement ?

Cette (première) catégorisation« pratiques jeunes » pose d’autant plus problème qu’il s’agit non pas d’une langue propre ou bien d’un langage codifié au sens traditionnel de la définition (davantage de chercheurs en la matière tendent désormais à l’affirmer : Bulot, 2012, Caubet et Miller, 2011) mais de termes, d’expressions isolées pour la plupart dans des séquences qui appartiennent à la langue admise de tous les jours. Concernant l’aire algérienne, on note un foisonnement de travaux portant sur la dynamique linguistique « bilingue » (arabe dialectal/français, Kabyle/français, arabe dialectal/kabyle) des locuteurs algériens, et notamment jeunes ; travaux qui sont entrepris un peu partout au niveau des universités algériennes[2].

Nous tenterons ainsi à travers cette contribution d’interroger cette notion assez controversée au travers d’un cas descriptif de cet usage particulier fait de la langue ordinaire via quelques productions relevées chez un échantillon de public de locuteurs algériens jeunes (les étudiants), où il est à noter la présence de deux codes linguistiques que ces derniers utilisent de façon alternée dans une même prise de parole.

Mais avant toute chose, il importe de prime abord de situer sur le plan de la simple définition ce type de productions que l’on attribue au public des jeunes, produit donc de l’urbanité. Dans un article paru dans les Cahiers Pédagogiques dans le numéro 453 sous le dossier « Étudier la langue », et qui porte le titre « Grammaire et parlers (de) jeunes - Quand la langue n’évolue plus... mais continue de changer », Thierry Bulot, citant le cas du français, emploie deux termes, celui de « langue » et celui de « parlers jeunes » afin d’en préciser la différence :

« D’abord parce que le terme langue renvoie en général à la langue de référence, tendanciellement à la norme (dont la norme scolaire) et que le terme parlers (de) jeunes renvoie pour sa part à l’absence de déférence à la norme ; les deux termes sont construits socialement comme des antonymes (des contraires) ou en tout cas comme des polarisations extrêmes des usages actuels du français… »[3].

Ainsi, la différence entre « langue » et « parlers jeunes » serait à chercher dans la distinction norme/variété(s) ; l’existence des/de parlers jeunes dans l’univers urbain, nous dit Bulot[4], s’explique par le facteur du changement lié à la dimension générationnelle (en sociolinguistique, il s’agirait de la variation de type diachronique) visant par-là les jeunes et leur innovation linguistique. Il explique que les parlers/pratiques jeunes sont perçus de deux points de vue assez contradictoires :

« Il semble qu’ils constituent à la fois le pire de l’avenir d’une langue (la disparition du beau langage par la contamination issue des parlers des jeunes sans respect pour l’institution) et à la fois le meilleur d’une langue (le trésor dans lequel, voire pour lequel, le génie d’une langue se manifeste) »[5]

Ces « parlers » jeunes représentent une forme générationnelle, c'est-à-dire qu’ils sont identifiés essentiellement et nécessairement comme appartenant au public des jeunes sous la double étiquette, celle de la valorisation comme celle de la minoration sociale :

« (…) sont à la fois un terme, une étiquette, une dénomination sociale tantôt minorante, tantôt valorisante qui permet de circonscrire un groupe (partiellement générationnel) voire de l’inscrire dans des relations spécifiques au langage, aux langues et à la spatialité marqué par la culture urbaine, et un ensemble de pratiques langagières qui font identité pour un ensemble très variable de locuteurs déclarés ou non déclarés »[6]

Bulot ne manque pas aussi de souligner que le parler jeune ou des jeunes doit toujours s’envisager au pluriel :

« On sait, de toutes les façons, qu’il n’existe pas un parler jeune (comme une unique variété homogène), mais autant de pratiques différenciées que les stratégies identitaires de chacun requièrent »[7]

De leur côté, dans leur contribution dans la revue Economia n° 12, de Juillet-Octobre 2011, et qu’elles intitulent « « Parlers jeunes » entre street language et branchitude », Catherine Miller et Dominique Caubet, signalent que le phénomène/culture des parlers dits « jeunes » est apparu à partir des années 1990, le processus de la mondialisation aidant, c'est-à-dire en ayant pour support des technologies comme le téléphone portable ou bien Internet. Les deux auteures dressent deux axes basés sur deux modèles associés à l’espace urbain, où elles notent un aller-retour permanent :

« (…) a) le parler des jeunes en rupture avec la société mainstream (street language) associé aux ghettos ou quartiers défavorisés. Et b) le parler des jeunes « branchés » associés aux espaces créatifs et médiatiques. Quel que soit le degré de réalité ou de fantasme, les parlers jeunes « branchés » ne peuvent être légitimes que s’ils se revendiquent et disent s’inspirer d’une culture de la rue, issue des quartiers défavorisés »[8]

Citant, entre autres le cas égyptien, Catherine Miller signale que les parlers jeunes, par-delà l’impact fort de la rue (la culture hip hop entre autres), toucheraient davantage les milieux estudiantins bilingues, (ce qui constitue le cas d’étude abordé ici), c'est-à-dire un public jeune universitaire bilingue :

« Le phénomène des « parlers jeunes » semble alors concerner principalement une population estudiantine urbaine[9], relativement bilingue qui joue sur l’alternance des langues (mélange arabe-anglais ou français)»[10] 

Au Maroc, selon Dominique Caubet, le terme « parler jeune », , n’est pas repris par les médias (sous-entendu, n’est pas reconnu, c'est-à-dire n’ayant pas de statut officiel/déclaré), mais il y aurait la constatation par « le discours commun qui s’accorde sur le fait que les jeunes parlent de façon différente, incompréhensible pour les adultes et que les pratiques linguistiques changent très vite »[11]

La même constatation est à relever en ce qui concerne le terrain algérien, nous semble-il où ces pratiques dites jeunes n’ont pas également de statut (reconnu/avoué) dans le paysage urbain/médiatique/officiel de la ville algérienne.

En s’appuyant sur ce qui a été mentionné plus en avant, nous faisons le choix de structurer notre intervention en deux temps : tout d’abord, relever la « spécificité » de la production jeune ou des jeunes (le descriptif). Dans un second temps, nous poserons la question de la finalité sociale/sociologique (l’interprétatif) liée à ce type de productions issues de l’urbanité, c'est-à-dire essayer de comprendre le pourquoi de leur existence où l’idiome du français, est mis à bonne contribution afin de souligner une dimension réellement « démarcative » par rapport au parler dit ordinaire de la société, cela d’autant plus que notre public de jeunes nous le rappelons, est bilingue. 

Plus concrètement, ces productions peuvent se lire selon deux hypothèses majeures :

1-La première est celle qui lie la pratique jeune au principe de la communication (la fin communicative)[12].

2-La seconde est celle qui postule une volonté de « démarcation » de cette pratique jeune par rapport à la langue dite ordinaire, « circulante » (la fin identitaire)[13].

Présentation de l’enquête de terrain

L’enquête[14] a ciblé un groupe de cinq jeunes étudiants, tous inscris en parcours de licence française à l’université de Mostaganem. Ces enquêtés jeunes avaient été retenus du fait que, lors de la pré-enquête réalisée en terrain, ils nous avaient déclaré constituer un groupe[15]. Nous avons donc choisi d’approcher ce groupe, via des représentations socio-langagières, pour voir comment s’effectuerait la « mise en mots » de leur façon de faire usage de la langue dite ordinaire ; en d’autres termes, tenter d’étudier ce qui ressort de leur discours épilinguistique comme indice de leur conscience linguistique en relation avec la structure d’appartenance commune qui est le groupe des pairs.

Le groupe d’étude se compose de cinq membres, trois filles et deux garçons[16]. Nous avons fréquenté le groupe durant plusieurs semaines afin de tenter de dresser son réseau relationnel. Notre contact avait été facilité grâce à un membre (Yasmine)[17] qui a énormément permis notre intégration parmi eux, en dépit de quelques réticences au départ de certains membres.

La part du corpus que nous retenons ici (les entretiens) a été recueillie par la technique de l’entretien semi-directif[18], technique adoptée parce qu’elle permet de faire parler au maximum le sujet informateur. Les entretiens se sont tous déroulés à l’université de Mostaganem, lieu d’études de ces jeunes. Le guide d’entretien comporte des questions qui portent sur diverses thématiques mais ces dernières sont toutes en relation avec la façon qu’ont les jeunes de parler la langue de tous les jours, et se sont succédées dans l’ordre suivant : a) la façon de parler -b) quel(s) terme(s) pour dire le mélange -c) le cryptage du langage -d) le groupe et l’étranger. Il s’agissait en effet pour nous de passer en revue différentes manières de signaler l’appartenance au groupe.

Résultats et interprétation 

La façon de parler « jeune » se résume (rait), à une action davantage sur des mots que sur une langue avec une véritable grammaire, selon les dires des enquêtés, et cela traduit, entre autres, à travers le procédé de la déformation adjectivale (Enoncé1, 2)[19] qui revêt une dimension essentiellement ludique pratiquée par les garçons de la bande à l’encontre des filles. Apparait aussi l’aspect de « l’humour » qui s’attache à la prise de parole (le but étant de ne jamais se prendre au sérieux).

Enquêteur : qu’est-ce qui vous parait spécifique dans votre façon de parler ?

E 1 : « C’est plus des paroles, des mots éparpillés, isolés ». (Sofiane)

Enquêteur : vous pouvez me donner des exemples ?

E 2 : « par exemple « / m: i n waĥda[20] fi/ les filles / tahdeer/ (quand une des filles parle)[21], on lui dit: / t :e surt/ (t’es sûre) pour la taquiner un peu , ou quand une des filles s’énerve, on lui dit:/ nerv/ »( pour énerve toi) » (Sofiane)

Nous retrouvons aussi la stratégie de la « verlanisation », technique qui sert une finalité de dérision entre pairs (Enoncé 3). Aussi à travers les déclarations, se dégage un regard épilinguistique (discours sur le discours) sur la façon de parler à l’intérieur du groupe (les filles), sous-tendu par une conscience des indices de catégorisation socio-linguistique (Enoncé 4). Parler la langue correctement signifie parler un langage classique, c'est-à-dire perçu comme trop raffiné par (et pour) les jeunes :

Enquêteur : Et au niveau des phrases, vous faites aussi des déformations ?

E 3 : « oui, on dit : « c’est le compte qui geste » (pour c’est le geste qui compte), « laisse béton » (pour laisse tomber) /teeni/ (aussi) « phocotopie » (pour photocopie), « meuf » (pour femme: réalisé avec altération), on dit souvent « reste /tren :ki: l/ , /m: in w: aĥed / (quand quelqu’un) il veut se la jouer (reste tranquille : réalisé selon une sorte de cliché mélodique avec « dénasalisation » de la voyelle). Aussi, « il, c’est top méga grave cool » (Sofiane).

E 4 : « Les filles, elles disent, par exemple, « qu’est-ce que /tsu/ (tu) dis » ? (Sofiane)

La déformation/verlanisation[22], comme stratégie conversationnelle entre locuteurs jeunes, traduit implicitement une volonté de « se dire » autre et autrement à travers la désignation des objets et des personnes. L’on retrouve la dimension de la dérision qui semble constituer la règle dans la prise de parole chez eux. À noter aussi que cette désignation se pratique dans l’excès, surtout quand il s’agit de nommer l’autre, qu’il soit familier ou étranger au groupe des pairs. D’autres fonctions sont à comprendre et à faire valoir, à travers cette surenchère verbale (qui passe ici par la succession/superposition d’adjectifs de la valorisation) comme la « mise en scène » voire la spectacularisation de« soi » et de l’ « autre » dans le groupe (« il, c’est top méga grave cool »).

À travers cette (sur)valorisation d’un des membres du groupe par ses pairs se cache une certaine solidarité intrinsèque et, semble-il, nécessaire à l’existence du groupe et qui peut passer par une reconnaissance mutuelle. « Il »prend ici la valeur de « tu » ; l’autre n’est donc jamais directement ni explicitement nommé/sollicité, ce qui souligne la dimension essentiellement ludique qui s’attache quasi-systématiquement à cette production jeune. Ainsi, on assiste à une déformation/déstructuration des règles grammaticales de base, qui opère chez ces jeunes comme une stratégie de démarcation sociale qui passe par le linguistique ; le linguistique qui permet encore une fois, de se dire autrement en disant l’autre. À noter au passage (Enoncé 3) que la technique de la verlanisation[23] s’opère ici essentiellement en français et revêt ainsi une fonction doublement[24] cryptique. Ce procédé de la « verlanisation » constitue pour ces jeunes un moteur essentiel de créativité et de perpétuelle déconstruction des unités signifiantes de la langue.

Mais il faudrait dire aussi, que la dimension de la minoration (voire la charge) sociale via le cryptage qui est exprimée derrière ce type de constructions « verlanisées », a cédé le pas à une dimension purement ludique ; ces mots, expressions sont devenus, pour la plupart des termes très repris et ont même dépassé le cercle des jeunes pour atteindre un cercle plus large, celui du parler populaire.

À noter, la profusion et l’abondance de la création lexicale où, le français est largement présent (Enoncé 5), ce qui fait que nous obtenons en fin de compte une production lexicale innovante par « association linguistique » qui viendrait beaucoup plus du contact entre l’arabe dialectal (langue maternelle des enquêtés) et le français (langue seconde apprise à l’école). Le mélange de codes devient de ce point de vue, un registre qui souligne pour ces jeunes la spécificité de leur parler jeune. Quelques exemples proposés viennent illustrer ces propos :

Enquêteur : Est-ce vous avez des formules…formules « mélangées » (arabe/ français) qui soient de votre création ? Vous pouvez me donner des exemples ?

E 5 : « oui, on en pas mal »

-/rããk film/[25] (Sofiane)

-/rããk bezzaf/ [26](Sofiane)

-/film laεeeb/ [27](Amine)

-/šri : ki/[28](Sarah)

-/tgesaar  liba : chlor/[29] (Ahmed)

-/t arf/ / [30](Ali)

-/morsowããt/[31] (Wassila)

-/bombax/[32]  (Sofiane)

-/pããtex/ [33](Yasmine)

Ces attributs fonctionnent aussi selon un procédé double de valorisation/ dévalorisation, toujours selon le principe de l’exagération, voire de la surenchère verbale :

1-Valorisation des membres du groupe entre eux (/rak film/ : t’es trop).

2-Dévalorisation de l’« intrus », de l’« étranger » de l’ « autre » (/Patex/ : t’es une peau de colle).

Mais aussi cette matérialisation (discours) de la façon de parler marque clairement une frontière par rapport au parler ordinaire qu’ils jugent le plus souvent « trop correct », et dans le même mouvement cherchent à introduire une dimension de dérision d’abord vis-à-vis d’eux même, et c’est en soi une façon de parler la langue, de jouer aussi avec les mots et leur sens. Il apparait donc une nette conscience des indices d’appartenance sociale ; en traçant clairement la frontière entre « ce qui correct » et du coup acceptable du point de vue linguistique de leur point de vue, et « ce qui ne l’est pas » (ou « ne le serait pas » surtout), ces jeunes assignent à leur parler une fonction et une dimension purement sociologique voire « hiérarchisante » à l’intérieur du paysage urbain :

E 6 : « Quand on dit, par exemple : c’est le compte qui geste, c’est quand on ne veut pas se prendre au sérieux, quand on est fatigué de parler trop correct » (Yasmine)

Le sens se crée à travers l’association inédite des mots et émerge au fil du jeu des répliques entre les jeunes, mais aussi à travers le mélange de codes, qui intervient dans le cas de ces locuteurs algériens comme une nouvelle ressource langagière par-delà la simple juxtaposition d’énoncés dans les deux langues ; l’arabe dialectal servant de base de création, sans cesse alimenté par des emprunts/calques empruntés au français. La déstructuration de la langue, comme stratégie réputée « jeune » est une façon de souligner le refus de la langue circulante, ordinaire telle qu’elle se pratique, et en même temps une façon ou un mode d’appropriation de celle-ci par le biais de la transformation.

Louis Jean Calvet[34] évoque le terme de we code qu’il oppose au they code, termes qu’il emprunte à Gumperz : 

« (…) ces « we code », au sens défini par J. Gumperz, étaient construits à partir d’un «they code », mais les locuteurs des « we code » (jeunes) les alimentent d’éléments empruntés à leur langue maternelle. Il y a donc un double mouvement : utilisation de la langue de référence (arabe dialectal) comme base (notamment de néologie), et emprunts d’éléments (du français) qui sont en quelque sorte véhicularisées, mis dans un « pot commun langagier »[35].

Ce qui est important à dire est que le mélange de codes constitue pour ces jeunes une ressource langagière supplémentaire en plus de l’usage séparé des deux codes. Poser la question (à ces jeunes) du regard sur la façon de parler bilingue nous permet d’abord de « matérialiser » la langue et par là même, de pouvoir noter les différentes représentations qui se dégagent à travers cette « mise en mots » de l’acte de parole.

Enquêteur : quel regard avez-vous sur le fait de parler arabe dialectal et français en même temps ?

E 7 : « Pour nous, c’est un « mélange complet », un peu d’arabe, un peu de français, un peu des deux quoi » (Wassila)

Le procédé nominatif de la façon de parler[36] jeune par les « jeunes », se fait à l’aide de termes approximatifs voire flous (« un mélange complet »), ce qui indique, d’une part, cette difficulté chez eux de nommer explicitement et clairement leur pratique linguistique, et d’autre part, que ces locuteurs ne se représentent pas leur pratique linguistique comme « unie », dans le sens d’une seule langue, mais bel et bien un va et vient entre deux codes linguistiques, où le sens est à chercher encore une fois dans les associations inédites de mots, de segments et d’expressions que peuvent proposer les jeunes en vue d’une appropriation spécifique de ces deux codes disponibles immédiatement pour eux.

L’énoncé ci-dessus, traduit aussi la représentation d’un discours commun, résultat d’un consensus entre tous les membres du groupe qui est repris par l’un d’eux comme étant la réalité représentationnellement « matérialisée » par les termes de « mélange » et de « complet ». La nomination de la pratique « langue » se fait ainsi de manière « consensuelle » chez ces jeunes ce qui indique encore une fois le sentiment de solidarité qui alimente sans cesse le groupe et qui lui assure sa nécessaire cohésion. Aussi nommer ici la langue, sa langue c’est lui donner un versant social, même si nous relevons le terme de « mélange » qui apparait comme vague mais qui renseigne sur une conscience de l’existence de deux codes, de deux langues qui sont utilisées non pas séparément mais ensemble. Le mélange de code (qui critiquant au passage, la théorie du modèle linguistique uni et cohérent qui se suffit/irait à lui-même) est une preuve que la langue n’est pas un système figé mais une « actualisation » dans les usages (qui émerge dans et par l’interaction) comme un objet plus complexe et qui inciterait via le contact entre les langues, à la création et au jeu avec les mots par les mots, c'est-à-dire au jeu avec le sens des mots.

Ce qui est serait à l’ordre de cette étude, ce n’est plus la/les langue(s) en présence (dans le répertoire des locuteurs jeunes algériens), mais l’activité, ou bien la capacité (procédures) au travers de laquelle ces jeunes parlent, c'est-à-dire produisent « de la langue » ou plutôt du langage propre à eux avant tout.       

Le cryptage du langage fonctionnerait donc de façon consciente chez ces jeunes, même s’il n’intervient pas de manière systématique ; mais c’est précisément cette action volontaire qui donne à ce type de pratiques jeunes toute sa dimension « nécessairement » identitaire puisqu’elle cherche à construire une différence sociale/sociétale :

Enquêteur : éprouvez-vous quelquefois le besoin de masquer ou de « crypter » votre langage dans des situations et à des moments précis de la conversation ?

E 8 : « oui ». (Yasmine).

Enquêteur : le faites-vous consciemment ou inconsciemment ?

E 9 : « on le fait quelquefois mais consciemment » (Yasmine).

À travers le comportement sociolinguistique des enquêtés (l’aspect crypto ludique), se dessine une fonction d’identification à la structure commune « la bande » : « À l’université, on parle notre langage, à notre façon, et on se comprend très bien » (Yasmine).La fonction cryptique se voit donc supplantée par celle identitaire plus prégnante et plus importante à leurs yeux (signaler son groupe d’appartenance). La pratique dite« jeune » se meut ainsi dans un espace et cet espace est bien circonscrit dans la conscience de ceux qui s’en réclament. Le fait aussi de déclarer « on parle notre langage » renforce aussi l’idée (et la conscience) d’une pratique représentée singulière et partant spécifique à une communauté sociale.

Deux constations ressortent donc :

1-Ce langage existe, du moins pour ceux qui s’en réclament.

2- Il est associé et circonscrit à un espace : le lieu des études.

Bilan 

Au final de cette présentation, nous avons tenté d’exposer quelques aspects qui pourraient caractériser les productions socio-langagières que l’on prête aux jeunes (nous ne prétendons nullement définir ici ce qu’est un parler jeune), d’en soulever plutôt quelques éléments à la réflexion du linguiste tout autant que du sociolinguiste, en adoptant une posture descriptive avant tout, mais aussi interprétative quelquefois d’une forme réelle semble-il de mutation de la langue.

La stratégie communicative/conversationnelle adoptée par ces jeunes consiste pour l’essentiel en des procédés de déformations volontairement opérés soit sur des mots, soit sur des énoncés entiers ; procédés d’hybridation/déformation, voire de verlanisation très usités d’ailleurs chez les jeunes de manière générale (Bulot, (2004), Miller, Caubet, (2012)). Parmi ses caractéristiques aussi, nous relevons le mélange de codes qui constitue en soi une ressource langagière importante voire capitale pour ces locuteurs jeunes algériens, mais aussi le recours quasi-systématique à l’humour, à la dérision, aussi la surenchère verbale où rien n’est jamais pris au pied de la lettre à l’intérieur du groupe de référence.

La création/innovation lexicale résulte surtout, nous l’avions vu, des ressources disponibles au travers du mélange arabe dialectal/français et où surtout le français est largement mis à contribution (le registre code-switching). En ce qui concerne l’aire algérienne, l’on peut avancer que la principale source et le moteur d’innovation pour les jeunes Algériens est bel et bien l’alternance codique, intrinsèquement et nécessairement liée à l’histoire politique du pays. Par ailleurs, ces différents procédés disent visiblement une certaine façon de parler la langue ordinaire par ces jeunes, c'est-à-dire de « communiquer entre eux » et surtout une certaine façon de dire les choses et de se dire (tout simplement) à travers le bricolage constant des ressources qui leur sont immédiatement disponibles, avec toutes les possibilités de sens qui peuvent s’offrir du fait du croisement de ces deux codes (c'est-à-dire de création lexicale que l’on reconnait aux jeunes), et c’est là, nous le pensons sérieusement, le véritable terrain de démarcation langagière pour ces jeunes où ils ont la possibilité de surfer sur les mots et leurs sens qu’ils bricolent constamment afin de jouer mais aussi pour de marquer une/leur différence par rapport à la langue qui se pratique couramment et surtout « correctement ».

L’on est en mesure d’avancer en ce qui concerne le présent cas, qu’il s’agirait plus d’une action sur la langue circulante, une action qui implique un changement dans les mots et surtout dans le sens qui leur est accordé au final par un procédé de bricolage et de perpétuelle (re)contextualisation. Mais aussi, par-delà le simple jeu avec les mots (le ludique), la frime devant les pairs, ou la déformation/verlanisation des mots de la langue (le cryptique), il apparait clairement que la dimension sociale(identitaire) est bien là, puisqu’il s’agit d’une revendication/attente sociale, celle peut être de la reconnaissance d’une autre forme de la langue qui peut exister (même si elle n’est pas, (bien évidemment) reprise par le reste de la société : « (…), on parle notre langage, à notre façon, et on se comprend très bien »). Cette inter-compréhension entre membres d’un même groupe laisse supposer cette revendication qui est tacite mais qui est exprimée par-delà les mots, pour dire encore une fois qu’une autre façon de parler la langue est possible voire admise.

Pour résumer 

1-Ce type de productions jeunes serait à situer (et à comprendre donc) d’abord comme une réaction immédiate au parler ordinaire, la déstructuration/déformation dit une réelle volonté de démarcation et partant d’une forme de revendication sociale chez ces jeunes. Ces jeunes semblent revendiquer implicitement un espace géographique et en même temps symbolique (l’université) au travers d’un code linguistique et d’une attitude sociale.

2-Le fait de taxer ces pratiques de « jeunes » recèle de la valorisation, puisqu’elle les situe dans le paysage urbain, et en même temps cette taxation recèle paradoxalement de la minoration voire de la stigmatisation, mais il semblerait que ce parler dit « jeune » ou des jeunes pourrait disparaitre si jamais la taxation « jeune » venait à se perdre au niveau des usages[37]

Perspectives 

Quelques questionnements au final de cette brève présentation en guise de commentaires à cette production jeune pour le moins emblématique tout autant que problématique : Qu’est-ce qui relèverait donc réellement de la production dite « jeune, jeunes » ? Est-ce que l’innovation, la créativité, la déformation sont des critères suffisants, (les seuls critères pour ainsi dire) pour catégoriser une pratique linguistique comme appartenant au public des jeunes ?, où est la constante de ce type de parler, pour pouvoir l’identifier/le taxer de « parler/langage jeune » ?, ou alors la constante serait à chercher(paradoxalement)dans la perpétuelle déformation des mots, la création et autres procédés néologiques, ou plus simplement une certaine déformation phonétique des mots de la langue. Plus important encore, qu’est-ce qui se dessine nécessairement derrière le remaniement langagier, en termes de charge sociale en contexte algérien réputé pour sa pluralité linguistique et socio-linguistique ? Si en France, beaucoup de chercheurs en la matière tendent de plus en plus aujourd’hui à percevoir la production jeune comme une réaction (sociale) par rapport au processus de minoration/marginalisation dont sont victimes les jeunes des cités[38] (Bulot, Caubet, Miller, 2004), en Algérie, le contexte est différent, et les revendications sociales ne sont de fait pas nécessairement les mêmes (il faut dire ici que c’est là un terrain propice à la réflexion des linguistes/sociolinguistes algériens).

C’est pour cela que décrire ce type de pratiques de l’urbanité est insuffisant, il faut aller plus loin en essayant de cerner et surtout de comprendre les conditions qui président au déclenchement de ce type de productions « jeunes »[39], qui se meuvent dans le terrain algérien[40]. Il est vrai aussi que la pratique jeune est « un phénomène, un produit de la culture urbaine ou de l’urbanisation sociolinguistique, un produit pas toujours facile à catégoriser ni à étiqueter, par ce que beaucoup plus complexe que sa simple manifestation linguistique » (Bulot &Messaoudi, 2003).

On pourrait également se demander quel avenir prédire à cette pratique dite « des jeunes » si ce n’est d’affirmer qu’elle peut trouver une forme de réhabilitation par le biais du succès que rencontrent certains vocables, succès qui les fait accéder au cercle plus large et plus constant du parler populaire (ce qui est le cas pour des termes comme /škriki/(« mon partenaire », plus littéralement « mon pote ») terme  qui est rentré donc dans les usages et est repris partout aujourd’hui).

Mais si l’on inversait le raisonnement : Du fait même qu’elles se sont imposées comme faisant partie(de plus en plus) du paysage linguistique de la ville (cette pratique jeune s’illustre aussi aujourd’hui à travers les forums de chat sur Internet, comme Facebook et Skype, mais aussi à travers la chanson jeune et le rap (Miller, Caubet, 2011) ; aussi par le fait même de les attribuer plus spécifiquement à une tranche de locuteurs (les jeunes), se pourrait-il que ces productions dites jeunes  puissent nous renvoyer à quelque chose de plus profond que le simple remaniement langagier dont on voudrait (à tout prix) les taxer ? En d’autres termes, qu’elles peuvent renseigner sur une réelle mutation de la langue ordinaire,(combien même menaçante pour les tenants/défenseurs d’une langue française pure et correcte (Bulot, 2012) et arabe au passage, même si pour le cas de ces jeunes, c’est l’arabe dialectal qui est le plus sollicité comme idiome de référence et de création, une mutation dont les jeunes s’en font ici les principaux porte-parole aujourd’hui et demain semble-il?

Ce qui se lit à notre sens derrière le (simple) remaniement langagier qui caractérise la production jeune, c’est, la revendication tacite mais pressante d’une reconnaissance identitaire « spécifique », ou plutôt de la reconnaissance de la pluralité de la composante identitaire du sujet algérien dont la tranche des jeunes est ici une des expressions emblématiques.

Dans le cas de ces jeunes (et des locuteurs algériens de manière générale), ce n’est pas l’arabe standard qui est la langue d’expression (et de l’expression identitaire du coup), mais deux autres idiomes, l’arabe dialectal (langue maternelle des algériens non reconnue comme telle) et le français (langue-héritage de la colonisation française, langue effective non reconnue également comme telle).  

Pour conclure, la production socio-langagière jeune ou des jeunes en Algérie, c’est bel et bien la problématique linguistique (et nécessairement identitaire) du sujet algérien qui cherche à travers les multiples expressions socio-langagières (du fait de la richesse de son répertoire linguistique), une ou son algérianité, une algérianité qui se vit non pas dans le mythe de l’unicité/authenticité mais au contraire dans une pluralité linguistique qu’il voudrait pleinement reconnue et assumée…

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Notes

[1] Le terme « jeune » figure ici volontairement en caractères italiques pour signaler que pour notre part, nous ne reprenons pas systématiquement à notre compte l’étiquette « parler jeune », et que nous nous inscrivons dans le débat autour de cette désignation. L’emploi volontaire des guillemets signale par ailleurs, que la notion « parler jeune » ne fait pas encore consensus auprès des spécialistes du terrain urbain.

[2] Nous citons, à titre informatif, quelques travaux d’universitaires autour de la question du Bilinguisme, de l’alternance codique et du rapport au français à la société algérienne :

À l’Université de Tlemcen, la thèse de doctorat de Zakaria Ali-Benchérif (2008-2009) autour de la question de l’alternance codique (arabe dialectal/français) chez et entre des locuteurs immigrés et non-immigrés. Ce travail a été entrepris afin de comprendre les stratégies d’accommodation linguistique que peuvent mobiliser ces locuteurs hétérogènes afin de communiquer entre eux. À l’Université de Tizi-Ouzou, nous retrouvons, entre autres, les nombreux travaux de Tahar Zaboot sur la pratique langagière de locuteur(s) bilingue(s). À l’Université de Constantine, le cercle d’activités du SLADD autour des travaux de Yasmina Cherrad et deYacine Derradji sur les questions de contact des langues et de la situation des langues en contexte algérien entre pratique effective et pratique scolaire. Mais aussi des travaux de magister sur le phénomène des « SMS » chez les étudiants comme forme de parler jeune (Ilhem Benslimane), aussi le mélange de code dans la publicité radiophonique à l’échelle nationale (Sorror Boussehal), ou encore un autre travail de magister qui traite de la pratique jeune dans la ville de Batna, intitulé « Le français dans le « parler des jeunes » en zones urbaines ; cas de la ville de Batna (Meriem Seffah). À l’Université d’Alger, on retrouve essentiellement l’équipe de la Professeure Assia Lounici, composée de doctorants en collaboration avec Thierry Bulot (Rennes 2), qui travaille sur les questions de contact de langues et leurs implications sur le découpage socio-spatial des territoires urbains à l’intérieur de la ville d’Alger. À l’Université de Mostaganem, nous avons le travail de doctorat de Azzedine Malek sur le dispositif graphique « bilingue » à l’intérieur de la ville de Mostaganem. Nous citons également le travail de doctorat de Ibtissem Chachou sous l’intitulé : « Aspects des contacts des langues en contexte publicitaire algérien : analyse et enquête sociolinguistique », qui traite de la question des stratégies et codes linguistiques investis en milieu publicitaire dans les journaux francophones et arabophones algériens. Nous citons, bien évidemment, quelques-uns des nombreux travaux publiés dans la revue Insaniyat (Crasc) qui traite de la question de l’alternance codique, et notamment les articles du Professeur Lakhdar Barka  : « L’interlangue dans les caricatures de Slim : le phénomène Bouzid », mais aussi « L’alternance codique négociée : muse créatrice d’Oran ».

[3] Bulot, T. (2012), « Grammaire et parlers (de) jeunes- Quand la langue n’évolue plus…mais continue de changer », in Les Cahiers pédagogiques, n° 453 sous le dossier « Étudier la langue » (en ligne). URL : http://Lescahiers pédagogiques.htm, consulté le 15/09/2012.

[4] Les cinq dimensions liées au changement de la langue selon Thierry Bulot (2012), sont les suivantes :

a/Le changement lié à l’appartenance effective ou -seulement déclarée à un groupe social (dimension diastratique). ; b/Le changement lié au lieu d’où l’on parle et où l’on parle (une région, une ville, un quartier...) (dimension diatopique).c/Le changement lié à la perception située des différentes personnes engagées dans une interaction (dimension diaphasique) ; d/Le changement lié aux pratiques conformes au genre - le sexe social - accepté ou dénié ; » (dimension diagénique) ; e/Le changement lié à la dimension générationnelle (dimension diachronique).

[5] Ibidem.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Miller, C., Caubet, D. (2011), « « Parlers jeunes » entre street language et branchitude », in La revue Economia, n° 12, juillet-octobre p. 69-71 [en ligne]. URL :<http://Archives publications des chercheurs.htm>, consulté le 10/09/2012.

[9] Miller, C. (2005), Questions de contact, questions d’identité. Pour une sociolinguistique du monde arabophone. Les dynamiques linguistiques urbaines de la vallée du Nil, Soudan et Égypte (Synthèse et orientation de recherches), dossier présenté en vue de l’habilitation à diriger des recherches, Université de Provence, 2004-2005 (source Internet : tel-00150391, version 1 - 30 may 2007), p. 232.

[10] Miller, C., Caubet, D. (2011),  « Parlers jeunes » entre street language et branchitude », in La revue Economia, n° 12, juillet-octobre p. 69-71 [en ligne]. URL :<http://Archives publications des chercheurs.htm>, consulté le 10/09/2012.

[11] Idem.

[12] Calvet, L.-J. (1994), Les voix de la ville : introduction à la sociolinguistique urbaine, Paris, Payot, p. 40.

[13] Ibidem.

[14] Il s’agit d’une enquête initialement menée dans le cadre d’un mémoire de maitrise (magistère) entre l’année 2008 et l’année 2009. Cette dernière avait consisté en des questionnaires et des entretiens. Mais le corpus que nous soumettons ici à l’analyse ne concerne, nous le précisons, que les données du volet « entretiens ».

[15] Du moins, ils se revendiquent comme tel, d’où une conscience d’appartenance commune.

[16] Respectivement : Yasmine, Sarah, Wassila, Sofiane et Mohamed.

[17] J’ai été présenté par cet enquêté comme une ancienne connaissance.

[18] Comme le souligne Jacques Bres (1999) : « Une seule question initiale la moins contraignante et la moins orientée possible, à laquelle l’interviewé doit répondre, l’enquêteur n’intervenant dès lors plus que pour assister l’interviewé à accoucher de sa parole par des régulateurs (mm, oui, hochements de tête, etc.) et des relances (lorsque l’interviewé marque une pause de fin de tour, reprise de ses derniers mots sur un ton non conclusif l’engageant à poursuivre). La longueur de cette réponse-entretien est parfois fixée à l’avance » (Bres, 1999 :65).

[19] Enoncé1 renvoie au texte à : E1, (déclaration de l’enquêté interrogé).

[20] Conventions de transcription : INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), Paris.

[21] Les traductions qui figurent en français et entre guillemets sont de l’auteur.

[22] Déformation/verlanisation : À la base, il s’agit de l’inversement des syllabes (de leur ordre) dans les mots pour donner un caractère cryptique à l’unité lexico-sémantique (le mot). (Calvet, 1994).

[23] Cette technique de la « verlanisation » (le recours aux mots du verlan) était au départ surtout le propre des jeunes des citées défavorisées en France et ailleurs en occident pour signifier l’exclusion (voire l’auto-exclusion) sociale et urbaine à travers le cryptage de leur langage (des vocables comme keuf pour flic (policier)). Désormais, ce procédé tend de plus à se banaliser et à perdre du coup sa dimension essentiellement cryptique, puisque des vocables comme meuf (pour femme) et keuf (pour flic) ont bénéficiés avec le temps d’une large médiatisation auprès de tous les jeunes issus de quartiers défavorisés ou de quartiers dits « huppés ».

[24] D’abord, parce que ces jeunes s’expriment dans une langue qui leur est essentiellement étrangère, ce qui suppose la maitrise préalable de cette dernière, mais également la connaissance des codes de cryptage de leur parler par les autres locuteurs étrangers au groupe ; même si la finalité première semble être le jeu et la dérision : « quand on dit par exemple, : c’est le compte qui geste, c’est qu’on ne veut pas se prendre au sérieux, quand on est fatigué de parler trop correct » (Yasmine).

[25] Traduction : (T’es (tu es) irrésistible) : le mélange arabe dialectal/français. On note ici aussi l’influence des programmes télévisés.

[26] Traduction : « T’es (tu es) trop... » : calque littéral de l’expression en français familier (t’es trop).

[27] Traduction : « Je la connais celle-là » : calque littéral de l’expression en français familier à l’origine : je connais le film, influence aussi de la télé.

[28] Traduction : « Mon partenaire, mon pote » : Ce vocable réalisé en arabe dialectal est très usité et très repris chez les jeunes. Et plus étonnant encore son extraordinaire diffusion dans quasiment toutes les sphères de la société algérienne.

[29] Traduction : « Tu me la joues Bachelor » : on reconnait là aussi l’influence de la télé réalité, référence faite à la célèbre émission de télé-réalité : Bachelor.

[30] Traduction : « Morceau » : calque intégral de l’expression (assez vulgaire et de son sens) en français.

[31]Traduction (Des filles craquantes) : Ce mot « morsow », au pluriel, qui en arabe dialectal est féminin, prend la marque spécifique du féminin pluriel : /morsowããt/.

[32] Traduction : « une bombe » : mot résultant d’une suffixation parasitaire (lexique de l’exagération) pour souligner la surenchère verbale entre pairs.

[33] Traduction : «  une colle » : référence faite à la colle (forte) de marque « Patex » pour dire d’une personne qu’elle n’est pas la bienvenue dans le groupe (lexique de l’exagération) pour souligner là aussi la surenchère verbale entre copains du même groupe.

[34] Calvet, L.-J. (1994), Les voix de la ville, Paris, Payot p. 42.

[35] Ibidem.

[36] L’expression est traduite littéralement de l’anglais «Ways of speaking », qui était proposée par Gumperz, J. (1989), Engager la conversation. Introduction à la sociolinguistique interactionnelle, Paris, éd. Minuit, coll. le sens commun., p. 20.

[37] Miliani, H. (1999), « Quelques réflexions sur l’urbain », in Cahiers de Linguistique et de didactique, Oran, 20, p. 3-5.

[38] Bulot, T., Caubet, D., Miller, C. (2004), « Introduction. Parlers jeunes et jeunes urbains : le nécessaire inventaire », in Parlers jeunes, Ici et Là-bas (Pratiques et représentations), Paris, l’Harmattan, p. 7-16.

[39] Bulot, T., Messaoudi, L. (dir.), (2003), Sociolinguistique Urbaine, Frontières et Territoires, Paris, Proximités Éditions Modulaires européens.

[40] Benazzouz, A. (2007), Essai de lecture sociolinguistique d’un parler jeune en groupe à l’université de Mostaganem, mémoire de Magistère, Université de Mostaganem, département de français, EDAF (École doctorale algéro-française), p. 100

 

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