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Insaniyat N°8 | 1999 | Mouvements sociaux, Mouvements associatifs | p. 01-04 | Texte intégral


Les sociétés développées post-industrielles ont connu des mouvements sociaux que les spécialistes s'accordent à distinguer généralement entre d'une part, ceux classiques incarnés par le mouvement ouvrier et syndical produit du capitalisme industriel et ses excès, et d'autre part, les nouveaux mouvements sociaux qui se caractérisent par des actions collectives de protestations (organisées ou non) extra syndicales. Les particularités de ce deuxième type de mouvement résident dans la nouveauté des problèmes qu'ils posent, les domaines qu'ils investissent, les catégories socioprofessionnelles qu'ils mobilisent, les stratégies qu'ils adoptent dans la manière de gérer les conflits et enfin le caractère ponctuel et conjoncturel dans lequel ils s’inscrivent[1].

Beaucoup d'auteurs dans ce domaine soutiennent la thèse selon laquelle l'émergence des nouveaux mouvements sociaux en Europe et notamment le renouveau du mouvement associatif, est le fait du processus de désyndicalisation et de la crise que traverse le monde ouvrier ainsi que la représentation politique[2], même si d'autres chercheurs, T. E. Tixier par exemple y voient un nouveau souffle et une redynamisation de l'action syndicale en France vues les marges de manœuvre et son repositionnement dans le monde du travail actuel et à venir[3].

Par ailleurs, les pays sous-développés et notamment les sociétés maghrébines ont vécu ces deux dernières décennies un foisonnement sans précédent du phénomène associatif, véritable vecteur d'un nouveau mouvement social.

On peut lier cette boulimie associative au Maghreb a deux facteurs principaux:

1- Tout d'abord, durant la structuration de l'Etat-nation, les excès de l'hégémonie de la puissance étatique sur les institutions, sa conception globalisante de l'ordre social et surtout les a priori défavorables, ont freiné toute tentative d'autonomisation de groupes sociaux et des actions collectives organisées ou non en extériorité de l'Etat.

2- Les bouleversements socio-politiques et économiques ayant caractérisé les anciens pays d'Europe de l'Est qui ont abandonné leur orientation socialisante et opté pour un projet de société libérale et pluraliste, ont influé sur les décideurs de ces sociétés.

Historiquement donc, le phénomène associatif dans les sociétés du Maghreb est Lin phénomène relativement récent et très peu analysé. D'autre part, beaucoup de similitudes sont perceptibles dans les sociétés des pays formant le noyau constitutif du Maghreb (Maroc. Algérie, Tunisie), notamment dans leurs agglomérations urbaines où les populations voient leurs centres d'intérêt multipliés.

Des espaces nouveaux sont investis : social, culturel, religieux, droits des femmes, droits de l'homme, les problèmes identitaires (amazigh), professionnels, environnement etc. et toutes les catégories sociales sont interpellées et concernées.

A cet effet, on ne peut qu'être submergé par une multitude de questions pertinentes, parmi lesquelles nous signalerons

  • En quoi le développement du mouvement associatif qui a vu le jour ces deux dernières décennies dans les sociétés maghrébines, exprime-t-il une rupture voire une dynamique réelle de changement par rapport à la période précédente?
  • Est-ce qu'il s'agit d'un moment particulier dans la construction de l'Etat/nation qui annonce une nouvelle conception dans les modalités de gestion des rapports entre Etats et sociétés ?
  • En d'autres termes, est-ce qu'on peut considérer actuellement le phénomène associatif comme un lieu privilégié et un cadre organisé d'apprentissage de culture démocratique d'où peut émerger progressivement une « société civile »[4] multiple et émancipée, capable de s'imposer et d'influer sur les décisions importantes qui la concerne, en jouant un rôle actif de médiateur et de relais entre les attentes nombreuses et diverses de la population et les pouvoirs publics ?
  • Le fait associatif obéit-il à d'autres stratégies du pouvoir, voire de dépendance dans le jeu politique, ce qui risque fort de le décrédibiliser par les sociétaires et par la suite le rendre éphémère et très vite démodé?

Telles étaient les préoccupations de départ d'un projet de coopération entre les équipes de l'Institut Maghreb Europe (Université Paris 8) et du CRASC d'Oran sous les directions respectives de M. René Gallissot et Omar Derras autour du thème : «le mouvement associatif en Algérie et dans l'immigration ».

L'ambition des deux équipes portait sur une révision des grilles de lectures sur "les mouvements sociaux"  en Algérie en centrant les recherches sur le mouvement associatif dans une double perspective

- D'abord en tant que phénomène nouveau qui caractérise par son ampleur ce qu'on appelle généralement, société civile.

- Ensuite l'objectif se veut aussi une approche comparative avec les expériences dans ce domaine des deux pays voisins (Maroc et Tunisie), et une mise en parallèle avec le mouvement associatif et les expressions culturelles de l'émigration maghrébine vivant en France.

Les contributions réunies dans ce n0 8 de la revue INSANIYAT et consacrées aux mouvements sociaux et associatifs tentent de répondre aux interrogations susmentionnées sans toutefois avoir la prétention d'épuiser tous les aspects combien nombreux et complexes touchant à ce thème. En effet, beaucoup d'interrogations d'ordre théoriques et méthodologiques restent à appréhender et élucider telles que le problème des typologies des nouveaux mouvements sociaux, les classifications des associations, les distinctions et les critères objectifs qui définissent les mouvements classiques et nouveaux dans les sociétés maghrébines[5] enfin les associations informelles et non déclarées.

Ce numéro est structuré en plusieurs volets: tout d'abord par les questions de méthode traitées par R. Gallissot qui aborde sous un angle historique le rapport mouvements sociaux et mouvement associatif dans la relation Etat/Société au Maghreb, en développant le sens et les formes qui les caractérisaient durant trois grandes périodes l'étape pré-coloniale avec la constitution de confréries et les corporations, suivie de la période coloniale avec le passage du communautarisme identitaire et ethnique aux collectivités politiques induites par le modèle nationaliste étatique, et enfin la troisième étape, post-indépendante et qui voit se confronter l'hégémonie étatique avec ses stratégies, et les multiples tentatives d'autonomisation et de socialisation extra-étatique, des différents groupes sociaux.

Le deuxième volet de ce numéro est surtout consacré aux études circonstanciées en commençant par le cas tunisien avec N. Sraieb qui fait une analyse des associations culturelles durant la période coloniale dont la fonction essentielle était la production des sociabilités politiques avec pour révélateur des itinéraires d'acteurs privilégiés dans l'action associative.

Le cas algérien est illustré par six exemples celui de M. Remaoun nous nous retrace les multiples luttes des femmes algériennes au sein des associations féminines pour arracher leur droit et leur émancipation. Ensuite O. Derras nous fait un état des lieux du fait associatif à Oran, à partir de trois thèmes principaux: les traits généraux d'une centaine d'associations, les composantes sociales d'encadrement, enfin la manière dont les responsables d'associations se représentent, évaluent le fait associatif en Algérie. B. Salhi a choisi le cas de la Kabylie pour montrer qu'en réalité les groupes concernés par un processus de modernisation comme l'association ou le parti politique rebondissent sur eux-mêmes en réinvestissant les nouveaux instruments et peuvent aussi produire et mettre en œuvre des processus de retraditionalisation. En d'autres termes il n'existe pas de rupture définitive dans les changements des sociétés anciennement colonisées. D. Boulebier nous propose une réflexion sur la pertinence donnée à l'articulation et le lien entre trois instances à savoir le football, l'urbain et la démocratie en s'appuyant sur quatre idées forces pour démontrer cette problématique. S. Benkada nous propose une monographie détaillée de l'Association de géographie et d'archéologie d’Oran (1818 /1998) une des rares sociétés savantes qui a continué ses activités après l'indépendance, en mettant en relief le rôle joué par les nouveaux acteurs du champ culturel dans la réappropriation de ce lien de sociabilité du savoir hérité de la période coloniale. Et enfin B. Senouci nous présente un témoignage sur l'émancipation d'une association et ses rapports « utilitaires» avec les autorités locales et centrales.

Par ailleurs M. Rollinde consacre son article au mouvement "amazigh" au Maroc, en montrant les stratégies adoptées par ce mouvement et comment il s'adapte en réagissant à l'hégémonie étatique. L'analyse des discours produits par le mouvement « amazigh » en fonction de l'état des rapports de forces ayant marqué chaque étape, soutiendra cette approche.

Le cas de la communauté maghrébine en France est abordé par G. Prévost qui nous fait une analyse fouillée de l'évolution de l'association, de l'émigration, en France en partant de l'hypothèse du principe d'une théorie fondée sur le travail pulsionnel des processus d'anto-organisation où il démontre que les associations maghrébines en France sont considérées comme support institutionnalisé des formes d'anto-organisation qui font l'objet du jeu et enjeu du pouvoir, par le biais d'instrumentalisation, et de récupération et, comment les tentatives d'autonomisation en réaction aux stratégies d'institutionnalisation du mouvement associatif émergent et prennent formes.

Enfin, nous clôturons cette approche thématique par une synthèse portant sur les principaux courants relatifs aux théories des mouvements sociaux et les actions collectives de mobilisation. D. Le Saout nous présente en effet les différentes approches de formes d'actions protestataires produites en Europe et aux USA, et pour combler l'incapacité des théories des mouvements sociaux à embrasser les problèmes propres aux études empiriques sur l'action collective de protestation, il nous invite à prendre en compte deux éléments importants la dimension historique et le poids des déterminations sociales de l'activité tactique, dans toute action de mobilisation protestataire.

Omar DERRAS


Notes

[1]- Voir TOURANE, A..- Découvrir les mouvements sociaux.- in une action collective sociaux.- Ed. PUF, 1993.- p.p. 17-38.- Voir aussi les travaux de R.Galissot notamment dans le n°98/1990-4 de la Revue l’Homme et la société.

[2]- BERTHELEMY et ION soutiennent que l’activité associative se renforce sur les décombres du mouvement syndical… il concerne l’état d’anomie avérée ou diffuse qui règne dans certains secteurs de la société.- S. Juan «le fait associatif» revue sociologie de travail, vol.41. avril/juin 1999.- p.199.

[3]- Op.cité.- p.p 53-60.

[4] - Sur cette notion voir GALLISSOT, R..- Abus de société civile: Etatisation de la société ou socialisation de l’Etat.- in Revue l’Homme et la société, n°102, 1999/4

[5]- ROLLINDE, M.: propose une approche qui prend l’analyse de l’interférence des deux types des mouvements sociaux in cahier n°1 de l’I.M.E consacré sur les Mouvements sociaux au Maghreb, 1997.- p. 8.

 

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