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La "Société savante"; rupture et continuité d'une tradition associative : le cas de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran

Insaniyat N°8 | 1999 | Mouvements sociaux, Mouvements associatifs | p. 119-128 | Texte intégral


"The Learned society" ; rupture and continuity of associative tradition : the case of the Oran Geography and Archeology society

Abstract : After having, for more than a century, shared the colonized Algerian intellectual field with university establishments, the "learned" societies, stopped all activity after independence, except paradoxical/y in Oran. In this town which had neither the university prestige of Algiers, nor the intellectual glory of Constantine, the local knowledgeable society was preserved and reactivated, as it was the Oran society of geography and archeology. This Oran exception has allowed us this to underline the role played by the new actors in the cultural field the day after independence, notably members of the teaching profession in the reappropriation of this place of sociability and knowledge, inherited from the colonial period.

Keywords : agriculture, rural, agricultural land, collective properties


Saddek BENKADA : Sociologue-historien.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Au lendemain de l’Indépendance, le transfert de souveraineté et les passations de pouvoirs se sont déroulés avec plus ou moins de bonheur dans les institutions et les organismes publics. La remise en marche de la machine politico-administrative et économique avait pu être confiée aux rares cadres et personnels qualifiés que la colonisation avait chichement formés, quant il n'avait pas fallu, trop souvent, dans certaines situations tout improviser. Il n'en fut pas, malheureusement de même pour la prise en charge des nombreux groupements et structures non institutionnelles, en l'occurrence, les associations.

Alors que le déficit et le manque en cadres pour la gestion administrative, économique, technique ou autre, a pu être pallié et même résolu par des politiques d'enseignement et de formation, la prise en charge des associations qui relève à l'évidence de la pratique sociale d’une élite produite par un assez long processus de socialisation politique et culturelle, notamment, n'a pu être opérée.

Il faut préciser que, parallèlement à leur domaine de compétences (fonctionnaires, cadres, professions- libérales), de nombreux Européens investissaient le champ associatif dans toute sa diversité. Comme le fait remarquer Rémy Knafou, généralement pour ses adhérents, une association,

«s’érige en signe extérieur de responsabilité: ils doivent, en retour par leur notoriété, se porter garant de son prestige. »[1] En somme, «l'association joue un peu le rôle d’une vitrine sociale pour ses adhérents [...] leurs promotions professionnelles et honorifiques sont (...) régulièrement mentionnées lors de l'Assemblée générale annuelle, car il est admis que les distinctions de ses membres rejaillissent sur une société. »[2]. Le départ massif des Européens ne peut, seul, en aucune façon expliquer la disparition au lendemain de l'Indépendance de nombreuses associations. Ce phénomène trouve son explication dans l'absence de cadres et de militants associatifs suffisamment forts culturellement pour prendre la relève des Européens et assurer ainsi le passage en douce vers l'algérianisation de ces associations, tout en assurant la continuité de leur activité et en préservant leur patrimoine.

Il est vrai également que dans l'ensemble, les Algériens, sauf quelques rares exceptions, avaient été difficilement acceptés dans certaines associations, même aux grands moments de la "fraternisation franco-musulmane", et encore moins a y occuper des fonctions de direction ou de gestion.

Cela fut particulièrement le cas dans des associations de types "sociétés savantes". Composées majoritairement d'officiers, d'universitaires, de membres de profession libérales, alliant pouvoir politique, prestige social et érudition, elles formaient une sociabilité intellectuelle de longue tradition[3], impossible à trouver dans la société algérienne de ces premières années de l'indépendance. C'est ce qui nous permet de comprendre pour une grande part les raisons qui ont amené ce type d'association, à interrompre après l'été 1962, leurs activités, et pour certaines à cesser même d'exister définitivement : la Société historique Algérienne, à Alger[4], ou la Société Archéologique à Constantine par exemple.

Pourtant certaines associations ont continué à fonctionner durant les premières années de l'Indépendance, jusqu'à leur prise en charge totale par des adhérents algériens. Ce fut le cas des "Rotary-Club" et de certaines associations de sport d'élite (tennis, aviron, équitation etc.). Ce fut également le cas de la Société de (géographie et d'Archéologie d'Oran, qui constitue, en tant que société savante, "l'exception oranaise".

1. Une association fille de son temps: sa création

La Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran avait été pendant près d'un siècle, l'une des trois plus importantes "sociétés de pensée", qui ont dominé le champ intellectuel de l'Algérie colonisée, aussi bien par la qualité de leurs représentants et que de leurs bulletins respectifs et qui ont contribué, comme le note Omar Carlier, « pour beaucoup à l'émergence d'une véritable intelligentsia européenne en Algérie, dont la dynamique est brisée par la guerre d’indépendance. Ce sont respectivement les Sociétés de (Géographie d’Oran et d'AIger et la Société Archéologique de Constantine »[5]

En effet, c'est à l'initiative de l'officier de marine et directeur du port de Mers-El-Kébir, le lieutenant de vaisseau Trotabas (1828-1897), qu'est fondée lors de l'Assemblée générale constitutive du 15 Avril 1878, une Société de Géographie de la province d'Oran. D'emblée, ses fondateurs lui assignent pour objectif : «de faire connaître l'Algérie, c'est le but principal pour lequel nous nous sommes constitués, déclarent-ils, répandre les connaissances géographiques qui se rapportent à notre belle colonie, énumérer ses richesses naturelles, citer les progrès de la colonisation, ceux dont elle est susceptible encore, provoquer les oeuvres utiles, patronner comme nous le faisons en ce moment les grands projets de l’ avenir Algérien: telle est notre mission, elle est assez belle pour que tous les hommes de progrès aient à coeur de venir à nous de nous aider dans l'accomplissement de notre tâche. »[6] Véritable profession de foi saint-simonienne s'il en fut, avec quelques relents colonistes, il faut bien le reconnaître. Rien de particulièrement étonnant à cela, si on sait que le premier président d'honneur fut Auguste Pomel[7], exilé en Algérie en 1852 par l'Empire à cause de ses idées républicaines et socialistes. Il faut cependant souligner, que la loge maçonnique locale, l'union Africaine; n'a pas été pas totalement étrangère à la création de la Société. Elle en a fourni les principaux fondateurs, dont le président Trotabas, lui-même[8], En 1878, elle figurait alors, parmi les six sociétés de géographie qui furent fondées cette année là en France[9] après celle de Marseille (1876) et avant celle d’Alger (1880)[10]. Elle a été aussi la quatrième société savante créée durant les cinquante premières années de la colonisation, après la Société Archéologique de Constantine, fondée en 1852 ; la Société historique Algérienne en 1856, et en 1863 la Société de recherches scientifiques devenue par la suite l'Académie d’Hippone. Toutes ces sociétés savantes, comme le fait remarquer Gabriel Esquer, « Nous les retrouverons après l'année 1880. La création d'un enseignement supérieur en

Algérie ne leur a pas été dommageable. Tout en accueillant les travaux des pré- universitaires, leurs revues ont contribué à publier ceux des continuateurs de l'école pré- universitaire de recherches en Algérie.»[11]

En 1881, la dénomination initiale de la Société est complétée et changée en celle de Société de Géographie et d'Archéologie de la province d'Oran. Cette extension de l'appellation de la Société ai l'archéologie, nous la devons au commandant Louis Demaeght[12] 12 qui dès son installation à Oran, s'était voué passionnément aux vestiges romains de l'Oranie. Frappé par l'état dans lequel ils se trouvaient, il se donne pour tâche de les recueillir et de les réunir. Dès son entrée à la commission administrative de la Société, il impose l'ouverture de la Société à la vocation archéologique. A force de persévérance, il réussit donc à faire adopter par l'assemblée générale au 17 Mai 1881 la nouvelle appellation sous laquelle elle reste connue jusqu'à nos jours. De ce fait, la Société rompt avec son statut initial de Société de Géographie et acquiert désormais le statut d'une société savante pluridisciplinaire.

Sa mise en conformité avec la loi sur les associations du 1er juillet 1901 ne s'est effectuée qu'en 1903 (déclaration d'existence publiée dans le Journal officiel da 3 avril 1903), en désignant la Mairie d'Oran comme siège. Ce n'est qu'en 1922, après 37 ans de démarches, qu'est enfin reconnu à la Société le statut d'établissement d'utilité publique (décret du 29 mai 1922).

En 1960, son président Charles Goetz, lui indique comme nouvel objectif de «concourir dans son rayon d'action aux progrès des sciences géographiques, archéologiques, historiques et de toutes celles se rattachant à ces trois branches. Elle s'occupera plus particulièrement de la province d’Oran, de l'Algérie et de l'Afrique du Nord.»[13].

2. Son activité durant l'époque coloniale

De 1878 à 1962, quinze présidents se sont succédés à la tête de la Société. Ceux qui avaient le plus contribué à son rayonnement scientifique et à son ouverture sur le monde, furent le lieutenant-colonel Derrien[14], président de 1896 à 1904, le docteur Jules Gasser[15] de 1905 à 1912 et François Doumergue[16] durant deux mandants de 1912 à 1920 et de 1924 à 1928. Le mandat le plus long fut celui du docteur Georges Sicard (1936-J949). Le dernier président fut Charles Goetz (1960-1962).

Il est cependant bien vrai que les différents présidents qui s'étaient succédé à la tête de la Société, ne furent pas tous d'égale valeur scientifique. Aux pionniers, érudits et hommes de terrain ont succédé des notabilités issues du barreau et de la médecine. Ce qui avait fait dire, en 1928 à F. Doumergue que. «Si des hommes de science qui en, firent un foyer réellement scientifique n'ont pas toujours eu des successeurs capables de les égaler, ils ont été au moins, continués par des hommes de bonne volonté qui, en conservant et en améliorant l'instrument, le tiennent et la disposition des capacités qui fatalement, se manifesteront au jour»[17].

L’avant-dernière liste d'adhérents publiée fut celle de mars 1939. Elle atteignit le nombre record des 699 membres; et la toute dernière liste publiée en 1945-1946, 533 membres[18]. Il faut aussi noter qu'à deux occasions des radiations pour des raisons politiques avaient été prononcées.

C'est ainsi qu'en 1942, sous la pression de l'administration vichyste, des radiations déguisées sous le motif de "défaut de paiement de cotisations", touchèrent 17 adhérents probablement d'origine juive ou appartenant à la franc-

maçonnerie[19] En 1961 (séance du 6 mars), fut exclu entre autres, l'abbé Bèrenguer, à l'époque ambassadeur du FLN en Amérique latine[20]

Lieu de sociabilité notabilitaire, dans laquelle prédominaient les membres des professions libérales et mie forte majorité d'anciens officiers de l'armée[21], la Société, se laissant voir comme l'expression d'une intellectualité doublement "provinciale" (par rapport à Paris et Alger), ne jouissait pas cependant de la faveur de tous les intellectuels qui ont séjourné à Oran (Albert Camus, Marc Ferro, Pierre Nora, Pierre Merlin), ni même d'ailleurs Jacques Berque, dont le père, Augustin Berque en fut membre et contributeur, par exemple sauf cependant pour les géographes, Maurice Benchétrit et Michel Coquery qui y adhérèrent en 1961, Il importe de noter que deux Algériens seulement choisis parmi les notables, figuraient sur la liste des premiers adhérents, Ah Mahieddine (185l-19l8)[22] et Mohamed Hadj Hassen (1819-1906).

Durant toute la période coloniale (1878 à I 962) ; la Société, n'accepta que86 adhésions d'Algériens, soit une moyenne d'une adhésion par an. La période qui reçut le plus grand nombre d'Algériens, 26 au total, fut la période 1903-1912, autrement dit celles des mandats des présidents les plus favorables à l'adhésion des Algériens ; à savoir ceux d'Auguste Mouliéras (1904-1905)[23] et surtout du Dr Gasser (1905-1912).

La Société fit publier depuis, l'année de sa création, en 1878, son bulletin statutaire trimestriel, le Bulletin trimestriel de la Société de (Géographie de la province d'Oran, dans lequel furent publiées (de 1878 à 1881) que des articles relatifs aux travaux géographiques, seule une infime partie était réservée aux travaux archéologiques. Cependant, suite au changement d'appellation de la Société, en 1881 il deviendra, le Bulletin de la Société de Géographie et d’Archéologie de la province d'Oran. Mais les "archéologues", non satisfaits du partage du Bulletin avec les "géographes", décidèrent en 1882 que les articles archéologiques et les études d'histoire ancienne soient imprimés à part sous le titre de Bulletin des Antiquités Africaines mais présenté sous la même couverture que le Bulletin statutaire. A la suite de la suppression de ce dernier, en 1885; la discipline archéologique ne sera plus traitée à part, elle se confondra désormais avec le reste des disciplines traitées par le bulletin statutaire trimestriel[24]. Ce dernier reflétait, en outre, la tendance idéologique dominante au sein de la Société. Les travaux publiés furent pendant très longtemps, le fait de contributeurs d'inspiration, d'idées et de culture pétries par l'idéologie coloniste de la IIIème République, où quelque fois l'amateurisme éclairé cédait la place à la propagande coloniale la plus outrancière, qu'encourageaient ouvertement Eugène Etienne et le général Lyautey. Toutefois, des occasions furent données à des contributeurs "indigènes", comme Si M'hamed Ben Rahal, El Hachemi Ben Mohamed, Abou Bekr Abdesselem Ben Choaîb, Le colonel Si Chèrif Cadi, Mahdad Abdelkader ou le sénégalo-mauritanien Ba Mahmadou Ahmadou pour faire connaître leurs travaux portant généralement sur la question indigène, le droit coutumier, l'ethnographie maghrébine et saharienne, l'histoire musulmane médiévale etc...

Cependant, les affrontements et les combats de rues que vivaient au quotidien les quartiers européens, pendant ce printemps de 1962[25], et les départs individuels de plus en plus nombreux de sociétaires vers la France, ont fini par ralentir l’activité de la Société et désorganiser son fonctionnement. A telle enseigne que la dernière Assemblée générale a été convoquée le 20 mai 1962 et la dernière séance du comité s'est difficilement tenue le 17 juin 1962. La recommandation émise durant cette séance ne devait laisser aucun doute sur la fin annoncée d'une époque et d'une entreprise intellectuelle, «celle réunion étant la dernière avant les vacances, le comité procède à un tour d'horizon, et étudie les perspectives d'avenir en raison de la situation politique et administrative [...] Le comité laisse le soin à son Secrétaire général de le convoquer lorsque les circonstances le permettront » Mais, la Société allait connaître un autre destin avec l'indépendance de l'Algérie.

Il importe cependant de souligner, qu’avant leur départ, certains membres du comité directeur, avaient poussé l'indélicatesse jusqu’à emporter avec eux des livres rares et précieux, et même à détourner les fonds de la Société à leur profit. Si son inestimable fonds documentaire (bibliothèque, cartothèque et archives) a pu miraculeusement échappé au transfert, au pillage ou à l'incendie par l'OAS, c'est en grande partie grâce à la vigilance, et au courage sans faille du docteur Léopold Geslin.

3. Sa réactivation -au lendemain de l'Indépendance

Les choses restèrent en l'état jusqu'au mois de mars 1966 lorsqu'un groupe d'intellectuels oranais, sous l’impulsion de Mohamed Hirèche qui venait d'être nommé Inspecteur général de l'instruction publique[26], et avec l'aide d'anciens sociétaires européens comme le docteur Léopold Geslin et Robert Masson, conservateur du musée municipal d'Oran; ont décidé de reprendre les activités de la Société en lui conservant toutefois son ancienne dénomination de Société de Géographie et d'Archéologie de la province d' Oran. Dès février 1966, des réunions, entre le Dr L. Geslin et Ahmed Neggaz, conseiller pédagogique, désigné par M. Hirèche, se tenaient régulièrement en vue de préparer l'Assemblée générale constitutive, qui s'était finalement tenue le 24 mars 1966. Le docteur Léopold Geslin en tant que représentant du dernier conseil d'administration, déclarait lors de cette Assemblée générale que, «la Société de Géographie et d'Archéologie de la province d'Oran, s'est arrêtée quelques mois pour reprendre haleine, mais aujourd’hui elle repart animée d'une ardeur toute nouvelle pour continuer ses activités, le pourrai dire, et contribuer aussi pour la modeste part au rayonnement de l'Ouest Algérien et de l'Algérie toute entière. »[27]

La nouvelle assemblée constitutive regroupa 222 membres dont 54 Européens parmi lesquels 6 anciens membres[28]. Après lecture des statuts, l'Assemblée générale élira à l'unanimité 24 de ses membres au Conseil d'administration, celui-ci, conformément aux statuts élit son bureau, composé comme suit

Président: Mohamed Hirêche

1er Vice-président: Hadj El Mahdi El Bouabdelli

2em Vice-président: Abdelatif Benchehida

Secrétaire général : Ahmed Neggaz

Trésorier: Hadj Abdellcader Abed

Archiviste-bibliothécaire : Docteur Léopold Geslin

Secrétaire pour la section géographie et histoire : A. Benyelles

Secrétaire-adjoint peur la section géographie et histoire: Redouane Rahal

Secrétaire pour la section d’archéologie: Robért Masson

Secrétaire-adjoint pour la section archéologie : le père Lethielleux

L'agrément lui fut accordé par la Préfecture d'Oran, sous la déclaration de "Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran", publié dans le Journal Officiel n°43 du 31 mai 1966.

La réactivation de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran coïncida en cette année 1966 avec un autre événement important, qu'est la création de l'Université d'Oran; dont de nombreux enseignants et chercheurs trouvèrent et continuent de trouver auprès de la Société, grâce à son précieux fonds documentaire et à la qualité intellectuelle de ses membres, une inestimable collaboration scientifique et culturelle. Le secrétaire général de la Société, Gustave Vuillemot ne prophétisait-il pas en 1956, que «la création projetée, d'une université à Oran donnerait sans doute à la Société de Géographie et d'Archéologie un regain d'intérêt ». Il ne croyait pas si bien dire, ou plutôt prédire.

En 1975, Hadj Abdelkader Boualga, inspecteur de l'Académie d’Oran, succède à M. Hirèche, à la présidence de la Société. Homme de culture, ami et élève de Jacques Berque, il avait su donner à la Société l'aura intellectuelle qui lui convienne. Son successeur en 1992 et actuel président de la Société; Redouane Rahal, avocat, renoue en quelque sorte avec la tradition familiale puisque déjà au siècle dernier, son arrière grand-oncle le célèbre homme politique et intellectuel Si M’hamed Benrahal (1858-1928) en fut membre et collaborateur aux travaux appréciés.

Aussitôt élu, le nouveau Bureau décida de reprendre la publication du prestigieux Bulletin de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran. Le premier numéro concernant l'année 1966, tut imprimé dans les anciens ateliers de l'imprimerie Léon Fouque, imprimeur traditionnel du Bulletin depuis 1894, et pris en charge en 1962 par la Société Nationale d'Edition et de Diffusion (SNED). Par la suite, le Bulletin tut imprimé par différents imprimeurs non spécialisés dans le domaine de l'impression des périodiques scientifiques, ce qui a immanquablement diminué de sa qualité typographique; mais sans toutefois rien perdre de sa valeur scientifique. Il continue d'aborder aborder les sujets les plus variés de la connaissance historique et géographique, il constitue de ce fait une inépuisable mine d'informations et un outil de recherche incontournable. Malgré l'irrégularité de sa parution (la dernière publication remonte à 1988),

Prestigieuses sociétés savantes et universitaires dits monde, prouve à souhait l'audience dont il continue de jouir.

Pour conclure, il apparaît cependant clair que la réactivation au lendemain de l'indépendance de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran ait été le fait de nouveaux acteurs du champ culturel, composés majoritairement des membres de l'enseignement. Ces derniers qui, de part leur affiliation culturelle (rôle émancipateur de l'école et du savoir) et de part leur socialisation politique, notamment par la militance au sein des instances syndicales et/politiques. Etaient à même au lendemain de l'indépendance, à incorporer un lieu de sociabilité et de savoir qui était, par le passé, à de rares exceptions, exclusivement réservé aux Européens; et d'un mode particulier de structuration du savoir et des idées qu'est le bulletin de la Société.

Il faut toutefois reconnaître qu’actuellement, la fonction sociale et culturelle d'une société savante et culturelle, telle que la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran a beaucoup de mal à faire reconnaître son véritable statut de lieu de mémoire-savoir, dont le rôle est de, « créer une légitimation de savoir même et susciter un discours de légitimation savante, unificateur des mémoires l'histoire. »[29] On peut dire sans ambages qu'aujourd'hui, elle ressemble sur beaucoup de points à ces "sociétés d'antiquaires" évoquées par Maurice Agulhon, où «l'érudit de province [...] peut fort bien être motivé davantage par le plaisir familier de retrouver des confrères que par l'attrait de la dissertation archéologique qui sera ce soir là au programme. Ceci est de tous les temps. »[30]


Notes

[1] KNAFOU, Rémy.- L’invention du lieu touristique: la passation d’un contact et le surgissement spontané d’un nouveau territoire.- Revue Géographie Alpine, n° 4, 1991.

[2] - BOURDEAU, Philippa.- Une mémoire alpine dauphinoise, alpinistes et guides, 1875-1925.- Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1988, cité pat Rémy Knafou, op.cité.

[3] - CHALINE, J.P..- Sociabilité et érudition: les sociétés savantes en France.- Paris, Ed. du Comité des Travaux Scientifiques et Historiques, 1995.

[4] - En fait, en 1972, des historiens de la Faculté des Lettres d’Alger ont tenté de réactiver la S.H.A, en plaçant notamment la Revue d’histoire et de Civilisation du Maghreb sous son égide. La création du Centre National des Etudes Historiques a mis un point final à cette expérience.

[5] - CARLIER? Omar.- Socialisation et sociabilité, les lieux du politique en Algérie (1895-1954).- Oran, URASC ? 1992. P. 122. NOTE 97.

[6] - MONTBRUN, Théodore.- A nos lecteurs.- B.S.G.A.O.. 1885, p.11.

[7] - POMEL, Auguste (1821-1898), paléontologue et géologue, fut interné en Oranie en 1852 pour ses idées républicaines et socialistes. Il obtint après la chute de l’Empire plusieurs mandats électifs. En 1878, il fut nommé président d’honneur de la Société et membre du Comité du Transsaharien parrainé par la S.G.A.O.

[8] - «Les fondateurs de la Société dont les noms suivent nous ont été conservés par le frère Bouty furent au nombre de 14: Trotabas, président; Kramer, vice-président; Delinon, trésorier; Jacques, secrétaire; Cély; Gouin;; Puimègue; Bouty, Garnier Hugonnet et un futur frère: Rouire». SEBBAH, Lucien.- La Franc-maçonnerie à Oran de 1832 à 1914.- Paris, Aux Amateurs de Livres, 1990.- p.437.

[9] - Les cinq autres sociétés crées en France en 1878, sont celles de Montpellier, Rouen, Mancy, Bergerac et Périgeux. En Europe et au cours de la même années, furent créées celles de Saint-Gall, Berlin, (géographie commerciale), Berne et Hanovre.

[10] - «Le développement de telles sociétés savantes a sans doute marqué les activités intellectuelle et scientifique françaises pendant tout le XIXe siècle (…) Allant plus loin en citant La Société de Géographie de Paris qui a, entre autres, suscité les premières grandes explorations de l’Afrique par les prix qu’elle offrait comme par exemple celui que reçut Duveyrier qui «découvrit» Tombouctou», Lucien Sebbah.- op.cité. p.437.

[11] - ESQUER, Gabriel.- La vie intellectuelle en Algérie.- in Simoun, n° 26, mai 1957. p.28.

[12] - DEEGHT, Louis (1831-1898). Né à Dunkerque en 1831, il termine sa carrière militaire en 1879, comme chef de bataillon, commandant du Bureau de recrutement d’Oran. Il fut admis comme membre de la Société l’année même de sa mise à la retraite. Archéologue et épigraphiste de grand talent, il s’imposa aussitôt par son érudition, il fut nommé membre de la commission administration, le conseil d’administration de l’époque. Lors de l’Assemblée générale du 24 mai 1880, Demaeght fut élu vice-président. Sollicité plusieurs fois pour prendre la présidence de la Société, il déclina toutes les propositions et se contenta du poste de secrétaire général, pour se consacrer entièrement à ses travaux archéologique. Il fut l’auteur de nombreux articles (travaux originaux et comptes rendus) et d’autres ouvrages édités par la Société. Il meurt en avril 1898, quelques jours seulement après la célébration du vingtième anniversaire de la S.G.A.O.

[13] - Séance extraordinaire du 16 novembre 1960. Discours d’inauguration du nouveau local de la Société (actuel local du 7 boulevard de Tripoli, sous-sol du Marché Michelet).

[14] - Le lieutenant-Colonel Isidore Derrien (1839-1904) consacra presque toute sa carrière à des travaux de géodésie en Algérie, en Palestine et en Afrique. Il collabora avec le colonel Pierre à la jonction trigonométrique de l’Algérie avec l’Espagne.

[15] - Dr, Jules Gasser (1865-1958), Chirurgien et notable en vue, fut plusieurs fois maire et sénateur d’Oran. En 1946, il brigua la Présidence de la République.

[16] - DOUMERGUE, François (1858-1938) Né en 1858 à Carcassonne, instituteur de formation, il demande en 1886 un poste à Oran. Il adhère en 1898 à la Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran Membre du comité en 1900 il est élu président en 1912 et réélu en 1924. Naturaliste, il a consacré ses recherches à la faune et la flore de l’Oranie. Il s’est également intéressé à la paléontologie et à la géologie de la région oranaise. Sa mort en 1938 fut «une grande perte pour la S.G.A.O.. pendant longtemps il lui avait consacré son temps et ses travaux que pour beaucoup de personnes, elle s’incarnait en lui». (C. Kehl, BSGAO-1939

[17] -DOUMERGUE, F..- Préface au Bulletin du 50ème anniversaire.- 1928.

[18] - «Le père Pancloux s’était déjà distingué par des collaborations fréquentes au bulletin de la Société géographique d’Oran, où ses reconstitutions épigraphiques faisaient autorité» Albert Camus. La Peste, Paris, NRF, 1962. bibliothèque de la Pléiade.- p. 1294.

[19] - Le régime de Vichy mit en place un extraordinaire arsenal de textes répressifs et exclusionnistes contre les juifs et les sociétés secrètes, et limitatifs des libertés, notamment la liberté d’association, dont le champ d’application fut étendu à Algérie, à savoir: -Décret n° 996 du 2 avril 1942 motifiant le décret du 6 août 1941 rendant applicable à l’Algérie le décret du 9 février 1941 relatif aux associations professionnelles de fonctionnaires.- Loi n° 532 du 1er mai 1942 portant interdiction de certaines fonctions à l’Algérie de la loi du 10 novembre 1941 sur les société secret n° 1339 du 1er mai portant application à l’Algérie de la loi du 10 novembre 1941 sur les sociétés secrètes.- Décret n° 2337 du 30 juillet 1942 étendant à l’Algérie les dispositions de la loi du 8 avril 1942 modifiant la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[20] Berenguer (Alfred). Né en 1915 à Lourmel (actuel El Amira). Prêtre catholique, licencié de Lette Classiques (1938), professeur au Séminaire d’Oran (1940-1942). Rejoint les rangs du FLN, il fut délégué du Croissant rouge algérien de 1959 à 1960 en Amérique latine et représentant du GPRA pour le même continent de 1959 à 1961. De 1962 à 1964, il fut député à l’Assemblée Nationale Constituante. Il s’installe à Tlemcen, où il enseigne au lycée Benzerdjeb jusqu'à sa retraite. Après une longue maladie, il fut transfère en France, où il décède quelque jours après, le 14 novembre 1996. Il fut inhumé à Tlemcen.

[21] - un mois avant sa démission de la présidence de la Société, le lieutenant-colonel Derrien, avait fait part des démarches qu’il avait faites auprès du ministère de guerre, dans le but d’obtenir pour les officiers, l’autorisation de faire partie de la Société et de publier leurs travaux dans son bulletin. Répondant favorablement à sa demande, le ministère de la guerre autorisait par une circulaire du 2 avril 1904, «des officiers et assimilés à faire partie de la Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran et à publier, sans autorisation ministérielle préalable, les résultats de leurs travaux dans le bulletin de la Société.».

[22] - BENKADA. Saddek.- Ali Mahieddine, un notable oranais entre la résistance –dialogue et résistance –résignation. Bibliographie et Histoire sociale en Algérie XIXe – XX siècle – Oran, URASC, cahier n° 5.-pp. 86-98.

[23] - MOULIERAS, Auguste Né à Tlemcen en 1855, mort à Oran en 1931. professeur de la chaire d’arabe à Oran. Conservateur du musée d’Oran, président de Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran (1904-1905). Il ouvre en 1904 une crise au sein de la Société, en multipliant contre le gré de la majorité des membres, des initiatives en faveur de la campagne d’Eugène Etienne pour l’occupation du Maroc, en proposant notamment, de créer une «Ecole de sociologie marocaine» à Oran, et une «séction orano-marocaine» de la Société. Il fut remplacé en 1905 par le Dr Jules Gasser.

[24] - BENKADA, Saddek.- Une mémoire culturelle: le Bulletin de la société de géographie et d’Archéologie d’Oran (1878-1988). in «les revues de Sciences Humaines et Société au Maghreb».- ouvrage collectif (en préparation), Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, Tunis.

[25] - Sur cette période trouble de l’histoire de la ville, voir: Katz (Joseph). L’Honneur d’un Général. Oran 1962. Paris, L’Harmattan. 1993.- 368p.

[26] HIRECHE, Mohamed Né le 8 mars 1914 à Ammi-Moussa (Wilaya de Relizane), mort à Oran le 28 avril 1982. licencié en sciences, il fut professeur de science naturelles au lycée d’Oran, où il fera 1948 la connaissance de Marc Ferro, avec qui, il activa dans le mouvement des libéraux oranais. En 1952, il est nommé proviseur du lycée de Tiaret. Il retourne en 1957 à Oran, comme censeur du lycée Ardaillon (actuel Lycée Benbadis). Mais, son adhésion à la cause nationale, et sa participation effective aux grèves, lui valurent une suspension de six mois et demi, et son expulsion en France, où il enseigna au Lycée Carnot. Il rentre en Algérie dans les premiers mois de juillet 1962, et rejoint directement Tlemcen, ou il occupera le poste de proviseur du lycée Franco-musulman. En octobre 1962, il fut nommé Inspecteur de l’Académie d’Oran. Il devient en 1966 inspecteur générale de l’instruction publique.

[27] - GESLIN, Léopold.- Allocution faite lors de l’assemblée générale du 24 mars 1966.- BSGAO, 1966.- Publiée in La République du 25 mars 1966.

[28] - à savoir: Eugène Cruck, Léopold Geslin, Paul Goetzinger, Melle Jasseron, Camille Kehl et Robert Masson.

[29] - NIMIER, G..- Mémoire et Société.- Paris, Klinesieck, 1987.- p.142.

[30] - AGULHON, Maurice.- Le Cercle dans la France bourgeoise 1810-1848. étude d’une mutation de sociabilité.- Paris, A. Colin, 1977.- p.59.

 

 

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