Insaniyat N° 71 | 2016 | Varia | p. 75-115 | Texte intégral
The quarter between territorial representations and socio-political practices - The case of Essalah, a district north of the city of Siliana (northwestern Tunisia) Abstract:Notwithstanding the territory contributed to define the notion of citizenship in modern times, it is desirable to mention that the influence of territory in the sense of citizenship is different today. Political territory and its representations, pillars for citizenship founding, now hold a little of importance. The emergence of different notions such as urban citizenship, global citizenship as well as the adoption of urban districts of life quality charters witness the emergence of new values and of different territorial and political practices. The question arising now is to know the impact remaining by territory and more precisely by quarter in the definition of local and urban citizenship. On the basis of interviews undertaken with people involved differently in the local life of their quarter, it may happen to determine the kind of the relationships existing between socio-political practices and territorial representations. The analysis of these representations and practices thus makes it conceivable to emphasize the evolution of defining citizenship and its relationship with territory on the one hand and the contours of contemporary city on the other hand. Keywords : Citizenship - urban - district - social representation - neighborhood - sociability. |
Khmais ZOUHAIER:Doctorant, rattaché à l’équipe EMAM, UMR 7324, Université François-Rabelais de Tours et CNRS. Le sujet de la thèse en cours, sous la direction de Pierre Signoles, est le suivant : « La dynamique de la production des quartiers populaires périphériques et les enjeux de leur aménagement dans une petite ville du Nord-Ouest tunisien : Siliana ».
« Le territoire existerait-il sans le support des espaces de vie,
sans les déplacements individuels, les cheminements
et les pratiques routinières du quotidien,qui donnent corps et
consistance à toutes les formes de rapports spatiaux ? »[1]I
Introduction
Siliana, une petite ville du Nord-Ouest de la Tunisie, a subi une multitude de transformations depuis l’indépendance de la Tunisie (il y a 60 ans), à savoir l’augmentation rapide de sa population[2], l’arrivée assez massive de nouvelles populations relativement diversifiées (des ruraux, en majorité, portés par l’exode rural) mais aussi des fonctionnaires et des citadins mutés à la ville à partir du moment où elle fut promue chef-lieu d’un nouveau gouvernorat en 1974[3]. L’étalement urbain et l’apparition de nombreux nouveaux quartiers de différents types a constitué une périphérie urbaine diversifiée mais à dominante populaire. Il est donc question de s’interroger sur la manière dont ces quartiers populaires périphériques sont appréhendés par leurs populations : Quelles représentations ces dernières s’en forgent ? Quels symboles et quelles valeurs elles leur attachent?
Cet article se veut une contribution aux réflexions portant sur la question des représentations territoriales. Associant la sociologie et la géographie, il s’inscrit dans les débats sur le thème de la territorialité et l’appartenance à l’espace le plus « localisé » (ou micro-local), dans le cadre actuel de la globalisation et du grand bouleversement de la mondialisation. La notion de territorialité constitue un champ à partir duquel il est possible d’analyser le problème de l’appartenance d’une population par rapport à des référents identitaires et par rapport à la citadinité. Elle s’impose comme une figure nouvelle de l’analyse des rapports à l’espace. L’article portera ainsi sur les micro-territorialités des classes moyennes, mais aussi sur l’articulation des niveaux sociaux, cognitifs et affectifs du rapport à l’espace urbain afin de saisir le contexte dans lequel s’inscrivent les comportements spatiaux. Son objet est de décoder la manière dont les citadins appréhendent le quartier. L’étude s’appuiera sur Essalah, un quartier populaire situé au nord de la ville (carte n°1). Nous traiterons donc les différentes formes de rapports à l’espace en nous posant, à prime abord, la question selon laquelle comment les citadins appréhendent aujourd’hui leur quartier, et plus particulièrement de quelle manière les citadins adultes se représentent cet espace dans lequel ils ont le plus souvent passé toute leur vie.
Or, comprendre un espace de vie, un territoire donné, exige de re-construire la (les) représentation(s) mentale(s) de la situation décrite par ceux qui habitent ou qui y usent. Ainsi, de point de vue méthodologique, et pour dégager et interpréter les représentations du quartier par sa population (résidents et non-résidents), nous nous sommes appuyés sur des entretiens semi-directifs et un exercice de production graphique en adoptant, pour l’analyse, celles que nous estimons plus riches de représentations. Les dessins relatifs aux représentations de l’espace se révèlent parfois être un outil extrêmement riche, et nous les avons utilisés avec précaution en vue de détaler le risque de surinterprétation[4]. Ainsi, partant du propos de Denis Jodelet[5], selon lequel « les représentations sont des modèles intériorisés que le sujet construit de son environnement et de ses actions sur l'environnement », nous avons demandé à nos interviewés de dessiner au moins trois images représentatives de leur quartier (Essalah) et d’en élire, par la suite, une qui représente (parle) le plus ce quartier. Le fait de dessiner trois images représentatives (ou plus, selon la volonté de l’interviewé), donne au dessinateur la possibilité de stimuler son activité imaginaire en essayant d’inscrire le maximum possible d’informations dans ses images mentales. Alors que le fait d’en choisir et d’en retenir qu’une seule image mentale, permet, selon nous, de découvrir la représentation synthétique du quartier résultant de l’activation, sous l’impulsion d’un stimulus, d’un ou de plusieurs éléments d’information multi-sensoriels préalablement stockés en mémoire à long terme. Ce qui participe à une meilleure compréhension de l’imagerie mentale de chaque individu en train d’imaginer son quartier. Cette imagerie mentale est, en effet, « une forme singulière de représentation mentale permettant à l’esprit humain de conserver et de manipuler l’information extraite de son environnement, [mais aussi] une modalité de la représentation mentale qui a pour caractéristique de conserver l’information perceptive sous une forme qui possède un degré élevé de similitude structurale avec la perception » (Denis, 1989).
La première partie de l’article, en s’appuyant sur les données issues d’entretiens semi-directifs menés sur le terrain, mais aussi sur la notion de « quartier » et de « houma » dans des travaux antérieurs, étudie les représentations, les usages de l’espace, les liens de solidarité et de sociabilité en tant qu’éléments faisant la force du quartier . La deuxième, en s’appuyant sur la notion d’« identité », essaye de faire ressortir les caractéristiques identitaires du quartier étudié et établit le statut de ces mêmes éléments en tant que fondateurs de l’identité du quartier. De là, nous discutons les manifestations de l’identité à partir des représentations et des pratiques territoriales. Dans la troisième partie, nous analysons les pratiques territoriales en relation avec les engagements socio-politiques des habitants du quartier. Il s’agit d’examiner dans quelle mesure le quartier en question représente un territoire politique et d’analyser, également, les pratiques territoriales de personnes engagées différemment dans la vie de la cité en vue de vérifier si les descriptions et les appréciations du quartier diffèrent ou non selon la nature de l’engagement politique et les niveaux multiples de cet engagement : les usages du quartier n’étant pas figés, nous discutons la capacité de certaines formes de leurs engagements socio-politiques à expliquer leurs représentations et leurs pratiques territoriales ainsi que sa complémentarité avec d’autres capacités de constructions territoriales et aspects de territorialités pour former des énoncés innovants, mais aussi des pratiques territoriales innovantes.
Carte n° 1 : Situation du quartier Essalah dans la ville de Siliana
Représentations, usages de l’espace, liens de solidarité et de sociabilités font la force du quartier
Dénommer son quartier exprime ses représentations et son attachement en dépit des lassitudes
Interroger les représentations territoriales des individus constitue un moyen de contourner le défi méthodologique que pose la définition du quartier, en mettant le doigt sur la dimension subjective du quartier[1]. Selon Noschis, « le quartier est une réalité dans la mesure où il assouvit l’imaginaire dans des lieux précis »[2]. Cette conception est d’autant plus intéressante que penser les représentations revient à identifier l’imaginaire territorial et politique relié à un espace de vie spécifique.
Or, tout le monde ne vit pas de la même façon sur un territoire donné. Selon les cultures, un territoire est représenté et vécu différemment. Ainsi, s’interroger sur le sens que revêt un territoire pour l’individu revient à questionner le rapport que celui-ci entretient avec une entité territoriale spécifique. Plus spécifiquement, ce rapport est constitué de représentations mentales, images individuelles et collectives basées sur des pratiques, des repères, des symboles et l’expérience individuelle du sujet dont elles émanent.
Dans le cadre de notre réflexion, deux dimensions des représentations sont retenues. La façon dont l’individu nomme son milieu de vie constitue le premier indicateur. La nomination permet l’expression de la réalité du milieu de vie et de son sens dans la vie quotidienne de l’individu. De plus, la nomination exprime le degré d’appropriation et de connaissance que l’individu a de ce même milieu[3]. C’est-à-dire que la dénomination territoriale reflète le sens accordé par l’individu à son environnement[4]. C’est donc un moyen de savoir si le nom donné à l’espace vécu par l’individu revêt un sens, voire un sens politique.
L’appréhension de l’espace de vie peut également se faire à travers l’identification des sentiments qui y sont rattachés. Cela constitue notre second indicateur. À ce titre, le fait d’aimer ou de ne pas aimer son quartier -et l’analyse des raisons à l’origine de tels sentiments, est une façon de savoir comment l’individu se sent dans ce quartier tout en interrogeant l’intensité de son sentiment d’appartenance[5]. Dans le cas d’Essalah, le fait d’aimer ou de ne pas aimer ce quartier permet de saisir la réalité du territoire appréhendé et le jugement que l’individu porte sur son milieu quotidien.
Pour saisir ces deux dimensions de représentations, maintes questions ont été posées aux enquêtés à propos du quartier dans l’enquête par questionnaire que nous avons réalisée en 2012. La première question était la suivante : « comment s’appelle votre quartier, et que veut dire sa nomination ? ». À cette question, toutes les personnes interrogées ou presque (95 %) ont été en mesure d’apporter une réponse. Autrement dit, pour ces citadins, le quartier constitue bien, tout d’abord, un espace de référence, un lieu de mémoire et les représentations que l’on en a font et défont la mémoire de ce lieu. Le quartier constitue un support essentiel à la connaissance de la ville en tant qu’émergence interactive et dynamique entre la ville et le citadin. De ce fait, son existence en tant que réalité et représentation est consubstantielle tant à la ville qu’aux identités locales. L’extrait d’entretien avec Mahmoud, F., un habitant d’Essalah, est à cet effet révélateur :
« C’est un nouveau quartier de Siliana, considéré comme l’une de ses extensions vers le nord, qui côtoyait jadis une élévation de terre appelée Debbou, aberration de « Dépôt » (« Debbou el Francisse ») [dépôt des Français], où l’armée française déposait son logistique qui arrivait par des hélicoptères, et tout près de « Firmet El Malti » [la ferme du maltais] sur la colline El Krifat au nord de la ville de Siliana, et où coulait une eau fraîche et limpide de la source qui avait le même nom « Ain El Malti,
et à mi-chemin entre la ville de Siliana et Ain El Malti, il y a Oued Temrit qui traverse une terre fertile cultivée de blé, celle des Ouled Sassi Abid .
Quant à la nomination de ce quartier, croyez-moi, elle est infantile, c’est-à-dire que ce sont les enfants de Siliana qui l’ont baptisé ainsi.
Avant d’être bâti, durant les années 1970, les garçons allaient au dépôt d’ordure à l’ancien Debbou el Francisse, situé au pied de la colline El Krifat (connue aussi par le nom de colline Essalah) pour ramasser ce que bon leur semblait utile et rentable (boîtes en aluminium, fils de cuivre, bouteilles en plastique, etc.) et le revendre aux grands ramasseurs. Et ils se trouvaient en face d’une dizaine, voire d’une centaine de chiens errants ; juste en remontant la partie de terre élevée. Le jet de cailloux permettait d’éloigner la horde de chiens pour arriver au lieu des « trésors » : « Des chiens enragés ! » Disaient les plus âgés pour empêcher les plus petits de les suivre, « Allez retourner au quartier ! » Et ils s’assuraient ainsi de s’accaparer du peu qu’ils pouvaient restituer, destiné soit aux jeux, soit à la vente.
Quand les garçons, par des jours de vacances, estimaient que le dépôt est vide et qu’il n’y avait rien à récupérer, ils passaient des journées entières à jouer avec les chiens, provocation par des jets de pierres et fuite et c’est le « sauve qui peut » ; on peut bien imaginer les réflexes des chiens, car on peut les faire éloigner comme on peut les faire courir derrière (…). À la fin des années 1970, des rifiyins [des ruraux] sont venus des rifs [des campagnes] et des régions aux alentours de Siliana pour s’installer dans ce quartier, et commença alors al bină al ghayir kanouni ou al bină al faoudhaoui ou al bină al âachouaï [la construction illicite, illégale, spontanée], et des maisons poussèrent sur les lieux comme des champignons; alors, les pauvres garçons du quartier trouvèrent une solution à leurs petites bourses ; ils allaient chercher l’eau depuis Oued Temrit ; pour les constructeurs, dans des tonneaux au prix de quelques millimes[6], et le soir, revenus au quartier, ils faisaient les comptes : «moi, j’ai gagné 2000 millimes dans mon travail à Essalah»; disait l’un, « moi j’ai fait plus que toi parce que je suis allé à Essalah à la tombée de la nuit, il y avait une dalle et un chantier nocturne », lui dirait l’autre, … Et c’est ainsi que le terme Essalah courait sur les langues et la nomination nouvellement construite devenait populaire.
Aujourd’hui encore, à la rencontre d’un citoyen -pas silianien- partout ailleurs et en lui disant que tu es de Siliana, il te dira : « est-ce que tu habites au quartier Essalah (par opposition à El Fassad [la corruption]), là où il y a plusieurs bandes de clochards et de criminels, ou tu habites au quartier Ennour [lumière] (par opposition à Edhlem [obscurité]), ou au quartier Gaâ El Mezouid [fond de la musette, fond du sac] ? Quels drôles de noms de quartiers vous avez à Siliana !! », Ce qui m’a laissé, pas mal de fois, un peu vexé. Et du coup je me pose la question : n’est-il pas arrivé le moment de changer la nomenclature des lieux à Siliana ? ».
[Entretien avec Mahmoud, F., homme de 49 ans, père de 4 enfants, le 02/08/2012 au café].
On pourrait donc croire, d’après cet extrait d’entretien, que ce quartier, situé en périphérie de Siliana, est pauvre et est composé en majorité par des gens venus de l’arrière-pays et qui se sont installés dans des conditions illégales, c’est-à-dire sans titre foncier. Le nom même du quartier pose problème pour certains habitants, puisqu’il paraît assez dépréciatif, désignant pourtant l’antonyme de « corruption ». C’est, pour Mahmoud, F. par exemple, un quartier qui rassemble « plusieurs bandes de clochards et de criminels ».
Pour Amara, un autre interlocuteur habitant à Essalah, ce quartier recouvre des réalités bien différentes. Sa nomination lui apparaît riche de sens. C’est un territoire fait de la juxtaposition d’un cadre spatial et d’un contenu social liés entre eux par des réseaux utilitaires, relationnels et affectifs :
« Mon quartier s’appelle Essalah. Le mot Essalah veut dire la droiture, la bonté, la sécurité et l’intégrité de tout défaut. Les gens, depuis leur venue pour s’installer dans ce coin de la ville, ont été des gens de droiture, de bonne volonté, de bonté et de bonne foi, et c’est de là qu’il a tiré cette nomination d’Essalah. Ils s’aimaient et aimaient cet endroit. Ils s’entraidaient. Certes, il y avait quelques problèmes de terres et à l’accaparation de lots de terre parfois illégalement, mais on arrivait toujours à s’entendre. Avant, les gens étaient pauvres mais ils s’entraidaient. Ils ne faisaient pas tant d’histoires. Maintenant, il y a beaucoup d’histoires à cause de l’argent.
Essalah était un beau quartier à y vivre, s’il y avait eu de l’emploi, des projets de développement, des usines à un nombre suffisant à Siliana, il n’y aurait jamais autant de problèmes, ni de pauvreté ici, ni de crimes. Que ce soit des silianiens ou d’autres gens étrangers. On n’avait jamais pensé à aller vivre à la capitale, au Sahel ou là-bas en France, parce qu’on vivait bien ici.
Les silianiens étaient très commerçants. Et ce fait n’est pas étrange ou nouveau, car Siliana était à l’origine un souk, souk el Khémis[7]. La vie économique de la ville était entre les mains des ruraux venant de ses environs, de Makthar, de Bargou, de Kesra, de Sidi Bourouis[8], etc. Les citadins étaient très contents de leur présence dans la ville. Leur vie aussi était très aisée, même les pauvres dans les campagnes vivaient correctement. Maintenant après la révolution, j’espère que ce pays va quand même s’en sortir bien un jour. Si ce pays s’en sort un jour, si la vraie paix y règne, je crois que beaucoup de gens y retourneront, beaucoup, surtout les gens âgés. Malgré le nombre d’années qu’ils ont vécu loin de Siliana ou là-bas à l’étranger, beaucoup de gens comme moi souhaitent retourner vivre à Siliana les années qu’il leur reste à vivre. Ils n’ont pu quitter leur pays, sans jamais penser à y retourner. Nous n’oublierons jamais notre pays et notre origine. »
[Entretien avec Amara, 58 ans, père de 4 enfants, le 04/08/2012 à son domicile].
Ainsi, il semble que l’un des traits caractéristiques de cette représentation de l’espace est la nomination des lieux-dits. Les noms des quartiers évoquent non seulement le milieu physique, ses fonctions et les conditions d’établissement des populations, mais renseignent aussi sur une mémoire de ce lieu qui révèle une certaine cohésion sociale traduisant un profond sentiment d’enracinement et d’appartenance au lieu-dit.
Essalah, un territoire représenté et vécu différemment : Pratiques spatiales, solidarité et sociabilité dans le quartier
Essalah, un territoire de « forte » solidarité sociale ?
Plusieurs recherches ont montré que les réalités contemporaines du voisinage et du quartier se présentent sous des formes sensiblement différentes et ce, selon que l’on se situe au centre-ville ou en périphérie ou selon que l’on est dans un quartier populaire ou aisé. Ce qui est encore valable dans le cas de Siliana et de ses quartiers périphériques majoritairement populaires.
Dans une périphérie populaire telle que celle de Siliana et telle qu’Essalah, le voisinage et le quartier constituent des espaces de grande familiarité et de fortes interconnaissances. Les échanges sociaux, les relations d’entraide et de solidarité entre habitants y sont particulièrement développées par nos interviewés à Essalah. Nous en reprenons ici, à titre d’exemple, quelques extraits d’entretiens :
« « Salam [salut], (…) à mon avis ahsen houma fi Siliana w fi tounes [la meilleure houma à Siliana et en Tunisie] hiya houmitna [c’est notre houma] à Essalah. Hiya ahsen houma fi tounes el koll ; min Benzart el Tatouine [c’est la meilleure houma dans toute la Tunisie ; de Bizerte à Tataouine] (…) Quand tu demandes à quelqu’un, surtout parmi les jeunes en chômage, par exemple, pourquoi il veille jusqu’à des heures tardives dans le quartier et en dehors de chez lui, s’il se sent en sécurité et en paix dans son quartier ou non, il te répondra en te disant : « c’est normal madem ena fi houmti [puisque je suis dans ma houma]. Mais ça me fait mal, beaucoup même, de voir quelqu’un de mes voisins souffrir sans pouvoir faire quelque chose et dire Allah ghaleb [Dieu est puissant]. Pour moi, on ne doit pas rester passif, et si j’aurais la possibilité d’aider, je le fais tout de suite. (…) J’aime beaucoup offrir des cadeaux à mes voisines. Alhamdoulilleh [Dieu merci], je me fais plaisir avec le peu que j’ai. En aidant les mères des familles nécessiteuses dans ma houma, je me fais plaisir, j’oublie mes peines pour eux et je me concentre sur autre chose. Il n’y a rien de plus beau qu’ettadhamen [la solidarité], (…) c’est pour ça que je m’entoure des gens que j’aime et qui m’aiment.
[Entretien avec Farid K. jeune chômeur de 41 ans, père de 3 enfants, le 09/07/2012 au café].
C’est donc dans cette perspective de nostalgie d’appartenance à la « houma » au sein d’Essalah que se situent les propos de nos interlocuteurs. En effet, de ce passage d’entretien, il convient de signaler que « le terme « houma » traduit un ordre social, il désigne un sentiment d’appartenance à une identité communautaire de proximité spatiale à l’intérieur de l’espace social de la ville. La proximité spatiale et sociale prend ici le sens de fratrie et de grande famille, où les rapports de voisinage ont un sens sacré. Se référer à la « houma » c’est [donc] à la fois inventer, créer son espace quotidien et être inséré dans une communauté de quartier, qui prend le sens d’un vaste cercle de relations et de paysages familiers »[9]. Et « aujourd’hui, le terme « houma » n’a pas disparu du mécanisme de fonctionnement des liens sociaux dans l’espace public de la ville (…). La « houma » reste dans l’imaginaire collectif l’espace communautaire idéal de la ville. Elle constitue une composante importante de la mémoire du tissu urbain »[10]. Dans cette même perspective, les informations recueillies du terrain montrent que le mot « houma » désignait une ou deux rues où vivaient de l’ordre de quarante ou cinquante personnes, dont la parentèle habitait la même houma ou un autre tout proche.
a. Un territoire d’attachement d’usages et de « forte » sociabilité
Plus encore, cette espèce d’espace constitue pour ces habitants un lieu de multiples usages. Ainsi, pour ne citer que quelques chiffres, près de 90 % des personnes interrogées ont effectué des achats dans au moins un commerce de leur quartier au cours de la semaine précédant l’enquête et 60 % en ont fréquenté au moins trois différents ; 65 % déclarent se promener régulièrement dans leur quartier ; 57 % exercent à proximité de leur domicile des activités culturelles, artistiques, sportives ou militantes ; près d’un individu sur deux est sorti (le soir) au moins une fois dans son quartier au cours du dernier mois précédant l’enquête, pour aller au restaurant, pour participer à des manifestations sportives ou culturelles, ou bien encore pour se rendre chez des amis, des collègues de travail ou des membres de sa famille ; et près d’un habitant sur deux également fréquente régulièrement les cafés de son quartier, le plus souvent accompagné par des proches ou par d’autres connaissances.
Essayant d’étayer les indices d’usages et de sociabilité au sein d’Essalah en tant que territoire d’étude, d’y relever les signes de l’attachement et l’identité aux lieux au sens développé par Proshansky, Fabian et Kaminoff[11], le sens du lieu[12], la sensibilité environnementale, le sens de l’identité communautaire[13], ou le simple attachement aux lieux[14], nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de quelques personnes rencontrées dans ce quartier. Celles-ci racontent :
Nabil, étudiant en troisième cycle, Paris, interviewé à Siliana en mai 2008
« J’ai toujours l’intention de retourner vivre à Siliana parce que je pense que je peux être utile, beaucoup plus utile à Siliana et en Tunisie qu’en France. Parce que là-bas, il y a des milliers de gens qui sont comme moi, que ce soit au niveau professionnel, y en a des tonnes, mais ici, à Siliana, non il y en a très peu donc je pourrais être plus utile ici que là-bas. En plus, Siliana, mon bled, c’est autre chose. Si vous voulez, quand on y va pendant les vacances, on est très heureux, quand on repart, ça fait mal au cœur... »
Hassan, 43 ans, un travailleur silianois en France, interviewé à Siliana en mai 2008
« Depuis que j’ai divorcé il y a un an, je suis célibataire, pas vraiment célibataire, je suis divorcé on va dire, je vis seul, j’ai pas encore rencontré une autre âme sœur comme on dit, et la vie en France c’est à double vitesse en fait, il y a des fois où je me sens bien dans ma peau, je suis content d’être en France, et il y a des moments où je ressens une solitude qui fait que je sens la nostalgie du pays, l’esprit du pays, surtout de mon quartier Essalah, c’est-à-dire la communauté, être entouré de ses amis, de sa famille, de tous les membres, et cela fait que parfois en France, je me sens solitaire. Là-bas en France, on est plus isolé . Si notre envie c’est de développer notre soi, c’est mieux dans les pays développés ; si notre envie c’est de développer le nous, c’est mieux là-bas. Mais, on a tous un côté nostalgique par nature, la vie dans sa propre communauté et le sentiment d’être entouré de ses amis, de sa famille, c’est incomparable. Alors, c’est pour cette raison, c’est mieux que je sois à Siliana, et Essalah en particulier… Cette vie sociale ça me manque toujours quand je suis à l’étranger, y a toujours la famille, les voisins à qui je pense souvent on rigolait ensemble, on allait ensemble au centre-ville, au café, on se rendait visites les uns aux autres, on s’entraidait, c’est ça qu’on appelle la vie sociale (…) dès que j’arrive à Siliana, pour moi Essalah était le signe de la liberté, je me sentais l’un des plus à l’aise. Je l’adorais ! C’est l’un des plus beaux lieux de rencontres, de détente, c’est un lieu très rare. Parce que dans mon immeuble en France, je ne connais presque personne ; des fois je vois des gens, je me disais « est-ce qu’ils habitent là ou pas » ? Cette chaleur que j’ai vue dans mon quartier Essalah et au bled généralement, je crois l’être humain en a besoin, quand même. Pour vous c’est pas pareil parce que vous êtes née dans ce pays, vous avez grandi dans ce pays, vous avez grandi dans cette atmosphère. Moi j’ai grandi, la famille était pauvre, dans une houma pauvre également, mais cette chaleur humaine ça remplace l’argent, si vous voulez. »
Fathi, 37 ans, un travailleur silianois en France, interviewé à Siliana en juin 2008
« La nostalgie, ça m’est arrivé plusieurs fois. Je me suis dit : « je suis venu faire quoi ici ? Mais quel con ! C’est pas facile de venir, mais c’est pas facile de repartir. Retourner chez moi et dire quoi à ma femme ? (…) » Une fois, c’était il y a quelque temps, j’en avais marre, ce qui me manque le plus ici c’est que fi houmitna à Essalah j’habite à deux pas de la verdure de la nature à l’extrémité d’Essalah[1]. Le quartier « ouvre » vers la belle nature vers des montagnes. C’est la campagne, ça me manque beaucoup, ça me manque… »
Tarek, 40 ans, père de deux enfants, interviewé le 26 juillet 2012 au café
« J’aime beaucoup ce quartier, parce que chacune de ses rues embrasse nos souvenirs, nos voisins, les méchants et les bons, nos épiciers qui nous livrent avec le petit carnet de crédit, notre boucher qui cède face à nos caprices; il répondait à celui qui veut avoir les côtelettes, comme celui qui veut avoir le gigot, etc. sans oublier notre boulanger qui nous garde à côté les meilleurs pains tous chauds, ou le café plein à craquer de gens, avec l’odeur d’un bon « cappuccino » et la saveur d’un bon café arabe, ou le serveur qui connaît toute ta vie et qui te servait sans que tu lui demandes parce qu’il connaît déjà ton boisson... ou les enfants qui te cassent la tête avec le foot devant chez toi, ou encore les fêtes où tout le quartier est invité, et parfois même pas invités mais tous tes voisins sont là... et quand on est grand on sera attristé pour avoir perdu tous ces bons moments de convivialité. »
Saïf., G., 17 ans, un élève d’Essalah (1ère année secondaire), printemps 2008
« (…) il y a des quartiers très bien dans ma ville. Moi, j’habite à Essalah, un quartier très sympathique où il y a des endroits excellents. C’est un quartier où on peut faire facilement du sport, le jogging, parce qu’il y a de la nature tout autour.
Il est situé près d’une grande place où il y a un marché deux jours par semaine (le mercredi et le jeudi toute la journée). C’est un marché assez grand et animé où on peut acheter des produits frais et où il y a beaucoup de monde.
Dans ma ville et dans mon quartier, Essalah, il y a plein de cafés où tout le monde peut se rencontrer et se connaître (…). Il y a aussi Dar Etthakafa [la maison de la culture], un centre culturel où on peut faire de la musique, du théâtre, de la danse… On peut, par exemple, prendre des cours de musique, de danse, etc. C’est un centre culturel très dynamique où on peut rencontrer beaucoup de jeunes. Les jeunes aiment cet endroit parce qu’il y a plein de choses à faire et aussi parce qu’ils peuvent se réunir dans la salle polyvalente. C’est une salle où il y a des tables, des chaises et des fauteuils.
Fi houmitna [dans notre houma], à Essalah, il y a aussi le centre de l’informatique pour enfants. Là-bas, on apprend à utiliser l’ordinateur, l’internet, etc. Mes amis et moi fréquentons souvent ce centre, on y vit comme des membres d’une même famille. Aussi, ensemble, nous jouons souvent le foot fi nahj’na [dans notre rue] ».
Il ressort de ces passages d’entretiens que la ville et plus particulièrement ce quartier représentent un point d’ancrage substantiel et cognitif, mais aussi un point d’ancrage des pratiques habitantes urbaines, et en particulier des pratiques d’approvisionnement, même si (là aussi) ces pratiques ne sont pas exclusives. La « houma » constitue ici une « forme d’usage de l’espace identitaire »[1]. Et il importe également de considérer la qualité de vie dans le quartier perçue à travers les représentations collectives et individuelles concrétisées par des marqueurs territoriaux. La raison pour laquelle nous allons à un endroit plutôt qu’à un autre, la manière dont nous nous orientons, les bruits et les odeurs que nous percevons, constituent autant d’expériences qui jouent un rôle important sur les émotions esthétiques et l’attachement ressenti. Finalement, ce sont elles qui donnent sa signification à notre environnement. Celui-ci est une catégorisation de l’expérience, que le concept d’identité de lieu, place-identity exprime bien »[2].
Représentations, usages de l’espace, liens de solidarité et de sociabilités forgent l’identité du quartier
Des pourtours d’une notion floue : l’identité
Il faut noter que « le concept d’identité ne doit pas s’utiliser sans précaution »[3]. En effet, « il convient de réfléchir sur cette notion avant de s’en servir, comme le recommandait Lévi-Strauss dans son essai [de définition de l’identité] : « L’identité se réduit moins à la postuler ou à l’affirmer qu’à la refaire, la reconstruire, et […] toute utilisation de la notion d’identité commence par une critique de cette notion »[4]. D’une autre part, « si nous consultons le Petit Robert, l’identité est « le caractère de ce qui demeure identique à soi-même ». Mais cette définition ne nous satisfait pas. Le terme dépasse de beaucoup toute tentative de définition ; il reste flou et difficile à cerner »[5].
En outre, dans sa définition la plus simple, l’identité est, selon le dictionnaire « Larousse », un « caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité : Personne qui cherche son identité »[6].
Ainsi, partant de l’analyse des discours des interviewés à Essalah, on a vu émerger des éléments qui ont forgé l’identité du quartier : les représentations partagées (valeurs sociales, valeurs politiques, etc.), les pratiques spatiales, les liens de sociabilité et de solidarité.
Des représentations aux manifestations de l’identité
D’autres questions ont été, également, posées lors de nos entretiens, comme : « Décrivez-moi votre quartier ?» ou « Aimez-vous votre quartier, et pour quelles raisons ? ». Parmi les réponses qui ont été apportées, on peut citer la focalisation accrue sur des représentations identitaires différentes. Mises en lien avec la forme et le contenu de la représentation mentale, ces réponses ont été très variées. L’échantillon retenu se compose de personnes engagées différemment dans la vie de la cité : un groupe est en lien avec l’institutionnalisation du quartier (les membres du Comité du Quartier Essalah : CQE), un autre ne l’est pas (les membres de l’Association du Développement de Siliana-Nord : ADSN)[7]. Dans le cadre de cette réflexion, les résultats sont issus d’une enquête menée à l’automne 2013 et l’hiver 2014 dans la ville de Siliana auprès d’un échantillon de 30 personnes. Cette analyse permet de savoir si le quartier -tel qu’il est institutionnalisé- est un territoire qui a du sens pour des personnes dont on ignore le lieu d’implication (ADSN), d’une part et pour celles qui s’impliquent dans cette institutionnalisation, d’autre part (CQE).
À la question « Aimez-vous votre quartier ? », les réponses sont très différentes selon la nature de l’engagement. De façon générale, les membres du CQE revendiquent leur attachement au quartier de façon plus forte que ceux de l’ADSN. Du côté des membres du CQE, les sentiments rattachés au quartier sont des sentiments très forts. D’autres expriment leur attachement, en soulignant qu’ils ne souhaitent pas le quitter ou que le quartier représente pour eux une forme d’investissement.
Du côté des membres de l’ADSN, les réponses sont beaucoup plus mitigées généralement monosyllabiques. D’autres affichent leur désamour du quartier ou encore ne donnent des réponses ni affirmatives, ni négatives. L’analyse des raisons expliquant la nature des sentiments reliés au quartier éclaire ces réponses. Les membres du CQE aiment leur quartier en raison des particularités et de l’identité du quartier. De façon systématique, les membres de l’ADSN rattachent les sentiments liés à leur milieu de vie au fait d’y être installés depuis longtemps ou au fait d’y être nés. Le quartier est donc pour eux un territoire d’attachement et d’identité. Les représentations mentales du quartier réalisées par les membres de ces deux groupes (ADSN et CQE) sont, à cet égard, représentatives.
Dessin n° 1 : Représentation mentale de Salem (membre du CQE)
Source: Enquête de terrain, automne 2013 et hiver 201
Dessin n° 2 : Représentation mentale de Wael (membre du CQE)
Source : Enquête de terrain, automne 2013 et hiver 2014
Dessin n° 3 : Représentation mentale de Mohamed-Ali (membre de l’ADSN)
Source : Enquête de terrain, automne 2013 et hiver 2014
Dessin n° 4 : Représentation mentale de Achraf (membre de l’ADSN)
Source : Enquête de terrain, automne 2013 et hiver 2014
Dessin n° 5 : Représentation mentale de Majdi (membre du CQE)
Source: Enquête de terrain, automne 2013 et hiver 2014
L’analyse de ces représentations mentales souligne clairement que le quartier ne détient aucun sens, excepté le bâti, pour le membre de l’ADSN (dessins de Mohamed-Ali et de Achraf (n° 3 et 4)). Les dessins sont dénués de toute forme de vie humaine, les lieux représentés ne sont pas parfois identifiés (le cas du dessin n° 4 -de Achraf - représentant le centre urbain « administratif, social et religieux » d’Essalah)[1]. A contrario, le membre du comité de quartier perçoit son quartier comme un lieu vivant, agréable à vivre, doté d’une identité propre (dessins n°1, 2 et 5 (de Salem, Wael et Majdi)). Toutes ces représentations sont donc liées à la nature de l’engagement sur la scène locale. Le membre de l’ADSN exerce son activité en dehors de son quartier, à l’inverse du membre du comité de quartier. L’exposition des résultats de notre enquête signale, également, que le quartier revêt un sens bien différent selon le type d’engagement individuel. L’institutionnalisation du quartier semble fonctionner pour les personnes qui s’investissent en son sein, contrairement aux personnes qui s’investissent à l’extérieur de leur milieu de vie. Ces différences semblent en réalité reposer sur un choix, celui d’habiter[2]. En effet, de façon systématique, les membres de l’ADSN rattachent les sentiments liés à leur milieu de vie au fait d’y être installés depuis longtemps ou au fait d’y être nés.
Z.K. : « Et pourquoi vous l’aimez ce quartier ? »
Majdi (membre du CQE) : « J’aime vivre à Essalah, parce que je me sens bien ici, parce qu’il y a une qualité de vie différente de celle dans les autres quartiers de la ville, un goût différent de vivre ici. Et puis on a un environnement qui est quand même relativement agréable. »
Mongi (membre de l’ADSN) : « Ça fait 35 ans que je vis dans les environs. »
Karim (membre de l’ADSN) : « Je l’aime [mon quartier] parce que c’est le quartier d’à proximité de là où je suis venu au monde, c’est la sorte de gens avec qui je me tiens, c’est pourquoi j’aime mon quartier, Essalah. »
En réalité, on peut penser que pour les membres du CQE, « le choix d’habitat se fait en fonction de valeurs géographiques, comme celles du bien-être et de la qualité de vie »[3] (Berdoulay, 1995), alors que les valeurs des membres de l’ADSN s’expriment plus en termes de nécessité d’habiter. Les entretiens soulignent que ces adhérents de l’ADSN ont appris à aimer leur quartier et que l’attachement à ce milieu de vie est dû au fait d’y résider depuis longtemps :
Z.K. : « Et pourquoi vous l’aimez ce quartier? »
Chokri (membre de l’ADSN) : « C’est parce que j’y suis depuis très longtemps. (…), disons qu’on a eu des voisins un petit peu difficile dans le voisinage mais à part ça... ».
Z.K. : « Ce quartier, est-ce que vous l’aimez ? »
Jamel (membre de l’ADSN) : « Non, je ne l’aime pas, je vais vous dire personnellement si j’avais le choix je serais au centre-ville, ou carrément en dehors de la ville ».
Visiblement, il y a une certaine nécessité du fait d’habiter chez les membres de l’ADSN, non un véritable choix du lieu d’habitat. Au contraire, les entretiens réalisés auprès des membres du CQE montrent clairement que leur lieu d’habitat relève d’un choix :
Tarek (membre du CQE) : « Moi, je suis content d’être du quartier, et puis je suis aussi content d’avoir fait le choix, alors que je n’avais pas d’enfants, d’habiter le quartier même si les gens que je côtoyais me disaient si tu penses avoir des enfants, ils n’auront pas de cour, c’est dangereux la circulation et j’ai fait le choix d’habiter Essalah ».
Pratiquer son quartier, manifester son identité
L’observation que nous avons effectuée à Essalah permet de constater que l’unité de base de la vie communautaire était définie par l’espace, et cet espace était très étroit. C’est souvent l’espace de la « houma ». Dans ce quartier, les habitants disaient : « fi houmitna » [dans notre houma] (…) nous faisons ceci ou cela ». Les cheikhs [vieux] de ces houmas conservent toujours leurs lieux de rencontre, que ceux qui ont été fréquentés depuis leurs premières venues dans la ville. Souvent, sous les murs de l’une des habitations d’un nahj [d’une rue], une rue où l’on comptait deux ou trois échoppes, mais où l’on trouvait souvent suffisamment de piétons s’appropriant de différentes façons la rue, des cheikhs [personnes âgées] jouant un jeu populaire, etc. (photographies n°1 et 2). Par leurs pratiques, en jouant la kharbgua[4] par exemple, ces cheikhs manifestent le vécu rural, affirment les liens de sociabilité qui les unissent et reconstituent des liens de voisinage ruraux dans l’espace urbain.
Liens de sociabilité, pratiques et manifestations rurales en milieu urbain : Re-constitution des liens de voisinage ruraux en milieu urbain
Fig. 1 : Quartier Essalah en 1979 : des personnes âgées jouant
la Kharbgua au bord de la rue au bord de la rue
Sources : M.Tarhouni, photographe amateur à Siliana, archives, 1979.
Fig. 2 : Quartier Essalah en 2012 : des personnes âgées jouant
la Kharbgua au bord de la rue au bord de la rue
Sources : Z. Khmais, 2012
Fig. 3 : Quartier Essalah en 1979 : des jeunes jouant le football dans la rue.
Sources : M. Tarhouni, photographe amateur à Siliana, archives, 1979.
Fig. 4 : Quartier Essalah en 1979 : une femme préparant, dans la rue, le pain tabouna[1]
Sources: M. Tarhouni, photographe amateu à Siliana, archives, 1979.
Fig. 5 : Quartier Essalah en 1979 : Des femmes qui s’approvisionnaient de l’eau potable d’une borne fontaine commune installée à l’extrémité d’une rue.
Sources : M. Tarhouni, photographe amateur à Siliana, archives, 1979
Ces populations sont restées fidèles aux principes de systèmes organisationnels de leurs localités d’origine, tant sur le plan familial (solidarité du groupe), social (relation de groupe) que culturel (mode de vie relationnel). De ces aspects se dégage une continuité de la vie au village en milieu urbain. Ainsi, le quartier renvoie souvent à une forme de ruralité laquelle est parfois chargée de connotation péjorative dissimulée sous une nomination appréciative, liée au sous-équipement et à l’insalubrité qui caractérisent les quartiers sous-intégrés dans le territoire urbain. Il est fréquent d’entendre des expressions : « il parle comme au rif [la campagne] » ; « il se comporte comme un rifi [un campagnard] ». Le quartier ici, est plus une circonscription sociale que territoriale, puisqu’il constitue « une catégorie d’aire géographique qui relève de l’espace vécu d’une certaine communauté d’appartenance et d’une représentation de celle-ci avec des lieux repères et des lieux centraux »[1]. C’est donc un espace où se rencontrent pour s’affronter ou pour se combiner, les représentations collectives du monde rural et du monde urbain.
Ainsi, à la différence de ce que l’on a observé dans les ensembles résidentiels sécurisés (à Ennozha par exemple), la rue est ici le lieu de la quotidienneté, le point de rassemblement de la sociabilité autour de certains lieux-clés de pratiques sociales diverses (les cafés, les jardins publics, les espaces publics, la rue, les boutiques, etc.). Ces pratiques nous informent souvent plus que les paroles ou les dessins de représentations mentales sur l’identité d’un groupe social donné et sur la nature de sa sociabilité. Ici, la rue, par exemple, forme un support matériel de la communication entre résidants et de la construction sociale du groupe. Ce qui va de pair avec les propos de Capron[2] selon qui :
« La rue constitue une extension du logement due à l’exiguïté du logement et au niveau d’entassement. [Son] appropriation constitue tout autant une stratégie de survie qu’une modalité populaire d’occupation d’un espace support de sociabilité de voisinage. L’objectif est double: l’épanouissement individuel et familial, la cohésion sociale du groupe »[3].
Si on se fonde sur ce raisonnement, dans quelle mesure le quartier d’étude (Essalah) représente-t-il un point d’ancrage pour les habitants ?
Le cas d’Essalah montre que, si les pratiques et l’expérience urbaine des habitants des quartiers populaires sortent du quartier, ces citadins continuent à se penser eux-mêmes en tant que groupe. Autrement dit, comme pour « les quartiers ouvriers traditionnels », le quartier fait ici très largement communauté. Il « constitue […] le pôle premier de l’identification et de l’attachement, même s’il n’est pas exclusif d’autres ».
Le quartier que nous avons étudié est donc loin de constituer un cas d’une entité délaissée par ses habitants. Pris dans leur ensemble, ces citadins apparaissent d’ailleurs fortement attachés à leur quartier et davantage attachés à leur quartier qu’à leur logement. Invités à indiquer si, en cas de déménagement, ils regretteraient « beaucoup », « un peu » ou « pas du tout » leur quartier, 53,1 % des habitants interrogés en 2004 ont, en effet, répondu qu’ils regretteraient « beaucoup » leur quartier, 32,9 % « un peu » et 14 % seulement « pas du tout ». En revanche, à la même question posée à propos du logement, 38,4 % des enquêtés seulement ont répondu qu’ils regretteraient « beaucoup » leur logement, 43 % « un peu » et 18,6 % « pas du tout ». Et là encore, on retrouve des distributions très proches dans l’enquête effectuée en 2013.
Bien souvent, le degré d’attachement au quartier de ces citadins apparaît étroitement lié aux rapports affectifs qu’ils entretiennent, sous forme d’usages et de relations, avec leur lieu de résidence. Mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, les retraités qui se caractérisent par un fort attachement à leur quartier ont rarement tendance, dans les contextes urbains observés, à être des « habitants de quartier ». Autre illustration, mais inversée, les « artistes » qui ont volontiers tendance à fortement investir leur quartier déclarent rarement qu’ils regretteraient beaucoup leur quartier en cas de déménagement, sans doute parce qu’ils sont davantage attachés aux attributs du type de quartier dans lequel ils se trouvent qu’aux singularités du quartier dans lequel ils résident.
Ainsi, lieu de pratiques et d’usages variés et souvent pluriels (cafés, maison de la culture, centre de l’informatique, etc.), le quartier se présente également ici comme un lieu dans lequel les habitants entretiennent volontiers des relations de sociabilité. Pour ne citer à nouveau que quelques chiffres, 90 % des personnes enquêtées entretiennent des relations de voisinage à l’intérieur de leur quartier, dans leur houma et/ou en dehors de leur houma; et près de 60 % entretiennent des relations avec des membres de leur famille, des collègues de travail ou -et c’est le cas le plus fréquent (49,3 %)- des amis résidant dans leur houma ou dans une autre houma du quartier. Et dans ce domaine des sociabilités, comme dans celui des usages, les données de l’enquête réalisée en 2002 confirment très largement ces résultats.
De même, une pratique ou un usage à un moment donné du quartier n’implique pas de le fréquenter toujours. Ainsi, Hassan, un habitant du quartier, avoue :
« (…) cette vie sociale ça me manque toujours quand je suis à la capitale (Tunis) pour une question de travail. Y a toujours la famille, les voisins à qui je pense souvent. On rigolait ensemble, on allait ensemble au centre-ville, au café, on se rendait visites les uns aux autres, on s’entraidait, c’est ça qu’on appelle la vie sociale. (…) dès que je reviens à Siliana, pour moi Essalah était le signe de la liberté, je me sentais des plus à l’aise. Je l’adorais ! C’est l’un des plus beaux lieux de rencontres, de détente, c’est un lieu très rare ».
Essalah constitue souvent un passage obligé pour des citadins (jeunes, adultes ou vieux). Pour autant, les usages du quartier ne sont pas figés. Leurs pratiques, les liens de solidarité ou de sociabilité qu’ils nouent ou même leurs représentations participent à forger l’identité du quartier.
La sociabilité dans le quartier était, elle aussi, parfois limitée à une seule rue, et aux endroits où les groupes de pairs se réunissaient. Les habitants d’Essalah n’étaient parfois « chez eux » que dans les rues de leur quartier. « Nous » et « eux » coïncidaient avec « ici » et « là-bas ». Mais, cette définition relationnelle du « nous » pouvait déborder le voisinage, car les hommes étaient aussi impliqués dans une sociabilité d’atelier et les habitants avaient le sentiment d’appartenir à un lieu semblable à beaucoup d’autres quartiers ouvriers, comme le révèle l’entretien suivant avec Mouldi H. ; 32 ans, résidant dans le quartier :
« C’est le lieu de ma résidence, le quartier où je suis né. C’est l’histoire de mes parents et je la revis aussi avec eux ; C’est ma vie, je fais partie du quartier, cela fait partie de mon existence. »
[Extrait d’entretien avec Mouldi H., instituteur, école primaire Essalah, septembre 2009].
Ainsi, en soulignant en outre le registre de l’identité qui réside dans les termes et expressions « nous », « eux », « ici », « là-bas » et « fi houmitna » [dans notre houma], « ma résidence », « le quartier où je suis né », « l’histoire de mes parents », « ma vie », « je fais partie du quartier », « cela fait partie de mon existence », on peut ici trouver un écho à notre propos dans l’assertion de Pierre Signoles qui, en ce sens et citant Paul Villeneuve, indique que :
« l’identité d’un groupe se construit dans le rapport à l’autre [et à l’espace de vie], et […] cette identité est toujours concrétisée dans un territoire, quelle que soit la configuration de celui-ci. Qu’il s’agisse d’une minorité ethnique « ghéttoisée », de femmes confinées au territoire domestique […], le partage d’un lieu alimente puissamment la construction de l’identité. »
Il convient donc de préciser que les habitants enracinés, par exemple, ont un rapport affectif et fusionnel aux lieux par la médiation de l’histoire personnelle. En effet, chez près de 12% des interviewés, la perception du lieu de résidence est nettement positive. Ils exposent explicitement l’importance du quartier comme élément de bien-être, l’attachement vigoureux au lieu et la volonté de ne pas déménager.
« Ici, c’est mon quartier, ici c’est ma maison, je vis ici, je vivrai ici et je ne mourrai qu’ici (…) »
[Extrait d’entretien avec Mourad H., 57 ans, ouvrier, résidant à Essalah depuis 1981]
Cela traduit le solide particularisme de ces résidants conforté par la quasi-absence d’items se référant aux qualités ou aux défauts du quartier. Ces avis expriment aussi l’appropriation du lieu dans un rapport fusionnel où l’histoire individuelle et familiale joue un grand rôle. Souvenirs d’enfance où les personnes ont la sensation de prolonger la vie de leurs aînés, de mener une relation affective avec le quartier et la conscience que celui-ci représente un peu de soi, une identité.
Ceci explique finalement que, de toutes les personnes interrogées, ainsi que le réseau associatif local, s’emploient à faire vivre le quartier, dans sa réalité géographique, dans l’identité locale du groupe, mais aussi dans le vécu social à travers les actions d’échange, puisque « c’est à travers l’action locale que beaucoup retrouvent leur identité »[1]. Du coup, ces échanges s’inscrivent dans une apparence territoriale capable de structurer les identités collectives et individuelles. C’est ainsi que J. Lorthiois[2] insiste, par exemple, sur le fait que l’identité locale -qui selon nous s’appuie sur des réseaux relationnels de proximité- représente le premier niveau de la conscience de soi et des autres.
Bref, ce modèle -qui a été élaboré à partir de l’observation d’un quartier singulier : l’une des zones périphériques et de désorganisation sociale, des zones situées loin du centre-ville, habitées principalement par une population laborieuse à bas revenus, soumise à un processus de rénovation urbaine plus ou moins radical, dans les années 1990- ne constitue donc, sans doute, qu’une « représentation » de la réalité sociale des quartiers d’autrefois.
Ainsi, attribuer au quartier Essalah une dimension identitaire exclusive, est bien une simplification qui occulte les nombreuses dimensions fonctionnelles ou temporelles, qui font la richesse et la vie de cet espace. Cette approche traduit une logique de séparation et de classification. Michel Lussault prétend, alors, qu’« exciper de l’identité d’un objet spatial (quel qu’il soit), c’est entreprendre de le distinguer, au sens fort du mot, en postulant qu’il peut être repéré et reconnu à certains signes qui, d’emblée, le particularisent ; on le pose alors en une place singulière dans l’ensemble constitué par la mise en série de tous les objets spatiaux »[3]. Ce n’est donc pas tant la densité des commerces que les effets de cette densité qui produisent de l’identité.
Cette composante identitaire existe principalement à travers les représentations collectives qui en sont données, qu’elles soient politiques, médiatiques ou de l’ordre du sens commun, et l’investissement qu’en font les usagers. C’est donc l’aspiration à un quartier, combinée au sentiment d’appartenance, plus ou moins fort, qui fondent Essalah.
Quand les pratiques territoriales diffèrent selon les engagements socio-politiques
L’analyse des représentations territoriales permet de comprendre le sens et la signification politique et territoriale que l’individu a de son quartier. Les représentations territoriales sont donc susceptibles d’expliquer une partie des pratiques de l’individu, des pratiques tant territoriales que politiques.
Le quartier et la question politique : Essalah, un territoire politique ?
Le rapport que l’individu entretient avec son milieu de vie, généralement appelé territorialité[4], peut être compris comme l’ensemble de ce que l’individu vit quotidiennement. Partant de là, je voudrais rapidement esquisser, ici, les formes de cette territorialité problématique dans le quartier étudié, et tâcher d’en montrer comment les individus expriment une certaine territorialité politique, comment l’évolution de certaines idées et de certaines pratiques peut forger une certaine identité du quartier. Dans le cas d’Essalah, il faut dire que dans son évolution, cette territorialité a été confrontée à des événements majeurs, comme on va le voir, cette évolution permet de considérer l’actualité particulière de la « question territoriale » dans ce quartier d’étude. C’est sur la base de cette évolution, et de la reterritorialisation à laquelle elle conduit, que l’on peut comprendre les directions dans lesquelles se sont déployés les discours rassemblés dans nos enquêtes de terrain.
Il semble, d’après nos observations de terrain, que l’ancrage des habitants dans la société silianienne reposait sur leur participation au système politique local : bien que très pauvres, certains habitants avaient une place dans le système politique silianien et un ancrage politique de classe. En effet, le quartier a été le point de départ des luttes ouvrières citoyennes pendant les événements de 27 et 28 novembre 2012 à Siliana[5], le lieu où la prise de conscience politique s’est faite en premier, et qui a structuré les luttes dans les autres quartiers de la ville (photographies n°6 et 7). Cela a donc fondé, à la fois, une appartenance à la ville et une appartenance « de classe ». Le quartier est relativement excentré, éloigné des autres quartiers. C’est un espace où les relations familiales et sociales sont imbriquées et répondent à des nécessités précises : le regroupement en nombre permet une filiation, une mémoire de l’occupation du sol, qui donne une forme de légitimité à la présence des habitants contre la menace d’expulsion puisqu’une bonne partie des habitants n’ont pas de titre de propriété du sol.
Fig. 6 : événements de 27 et 28 novembre(1)[1]
Source : http://www.crif.org/fr/revuedepresse/siliana-la-cocotte-minute-sociale-tunisienne/33804)
Fig. 7 : événements de 27 et 28 novembre(2)
Source : http://www.slateafrique.com/99265/tunisie-affrontements-entre-manifestants et-policiers-siliana
Ainsi, il semble qu’il existe une solidarité, une culture d’affiliation, de communauté : plusieurs manifestants -en majorité d’Essalah- regroupés dans l’espace public, devant le siège du gouvernorat, au centre-ville, autour d’un groupe de jeunes leaders, également originaire d’Essalah, pour unir les efforts autour de réclamations d’un meilleur développement local. Ce groupe de jeunes leaders a décidé d’effectuer une marche symbolique de protestation de cinq kilomètres en direction de Tunis, exigeant un meilleur développement local et le départ du gouverneuret ce, après cinq jours d’émeutes dans la ville qui, selon les médias, « ont mis en lumière les espoirs déçus de la révolution de 2011, en train de se transformer en une poudrière sociale difficile à désamorcer par les islamistes au pouvoir »[1]. L’identité du quartier s’est donc forgée à partir de ce partage de l’espace et des pratiques liées à une communauté relativement pauvre et sur le partage d’une condition et d’idées politiques, le quartier ainsi que la ville et la région étant un bastion du Front socialiste de gauche.
Cet exemple permet de montrer que le quartier et le politique[2] entretiennent des relations privilégiées. Ceci nous amène à interroger la nature de cette relation. Plus précisément, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le quartier influence l’engagement politique individuel à l’échelle urbaine. Cette question est d’autant plus intéressante que l’engagement politique individuel semble aujourd’hui relativement faible si bien que l’on peut être tenté, au-delà des arguments traditionnellement avancés, de comprendre la faiblesse de l’engagement politique sous un angle nouveau.
Des descriptions du quartier différentes selon la nature de l’engagement politique ?
Les personnes interrogées établissent une description détaillée du quartier, riche en informations. Cette description correspond souvent à une certaine représentation de ce quartier. La nomination diverge selon le type d’engagement. En effet, dans le cas des comités de quartier (CQ) -par exemple- en tant qu’instances de contrôle (politique), les membres parlent de leurs quartiers, en distinguant cette échelle des autres échelles territoriales. La référence à la ville de Siliana est fréquente. Elle intervient dans la description du quartier dans presque la moitié des entretiens, à titre de comparaison. Le quartier est plus rarement nommé. À contrario, les membres de l’ADSN décrivent de façon diverse leurs quartiers. Ainsi, une multitude de termes apparaît : secteurs, hay [quartier], houma, etc.
L’analyse des informations et des réponses fournies à la question « Si vous deviez décrire votre quartier, comment le décririez-vous ? » met en évidence de nettes divergences entre les adhérents du CQE et ceux de l’ADSN, dans leur façon d’aborder et, finalement, de « vivre » le quartier. Cinq constats majeurs peuvent être retenus.
Premièrement, les descriptions du quartier fournies par les membres du CQE sont plus précises et détaillées que ne le sont celles des affiliés à l’ADSN, généralement moins précises, plus courtes et floues. Cette différence peut trouver une explication dans la nature de l’engagement politique qui caractérise ces deux groupes de personnes. Les membres du CQE sont, en raison de la nature de leur engagement, amenés à fréquenter le quartier et à enrichir leur connaissance à ce sujet. À l’inverse, les bénévoles du développement social (ADSN) s’investissent plus rarement dans leur quartier, leur lieu d’implication est dépendant de la nature de l’organisme, si bien que ceux-ci ne fréquentent pas autant leur milieu de vie que ne le font les adeptes du CQE.
Deuxièmement, l’ensemble des descriptions s’attarde sur les caractères socio-économiques du quartier ainsi que sur sa position géographique, comme l’illustrent les exemples ci-dessous :
Ibrahim A. (membre du CQE) : « Oui, j’espère qu’il y aura pas trop de changement avec le temps. Y a un beau mélange, un caractère multiculturel, multi-social, c’est une belle école que ce quartier. J’ai peur que cela devienne un « guitou » [un ghetto] à populations défavorisées. Malgré qu’il n’est pas bien desservi en services, c’est un quartier où il y a de bons coins, c’est un quartier qui a du vécu, on voit les traces du temps ».
Khalil D. (membre de l’ADSN) : « C’est un quartier un peu éloigné du centre-ville. Ici, c’est un vieux quartier, moi j’ai demeuré ici depuis à peu près 30 ans, j’ai jamais changé de quartier, c’est un quartier autant commercial que résidentiel, à un moment donné, on a eu beaucoup de petits commerçants, comment je pourrais dire ça et comme ça évolue, les commerces évoluent, ceux-là sont disparus et remplacés par d’autres, plutôt par des grandes boutiques, c’est un quartier qui est assez pauvre, on pourrait pas dire pauvre, mais c’est parce qu’on a beaucoup de gens qui sont scolarisés, ça fait donc deux catégories différentes ».
Troisièmement, une grande différence entre les descriptions des membres du CQE et des membres de l’ADSN réside dans le jugement porté sur leur milieu de vie. Des considérations d’ordre esthétique viennent s’ajouter aux deux thématiques précédentes. Ces considérations sont de deux ordres. On remarque, tout d’abord, des jugements de valeurs, exprimées en termes de beauté ou laideur du quartier et des considérations sur la présence de la nature dans le quartier, exprimée essentiellement en termes d’espaces verts ou d’espaces bleus, dont la présence nous informe sur la nature du paysage considéré dans le quartier.
Les jugements esthétiques sont toutefois peu nombreux au sein de notre échantillon mais davantage présents chez les membres du CQE que chez les membres de l’ADSN. À titre d’exemple, peut-on citer cet habitant d’Essalah (Wael ; membre du CQE) : « ben mon quartier, c’est un quartier qui est beau », ou cet autre résidant du même quartier (Walid ; membre du CQE) : « c’est un très beau quartier, certes périphérique et populaire, mais sans être trop bruyant ». Les considérations esthétiques qui ressortent le plus souvent sont liées à l’évocation de la nature, des jardins, arbres ou cours d’eau, éléments constitutifs du quartier :
Khaled (membre du CQE) : « Ce qui nous a fait décider à nous installer ici, c’est la verdure, c’est qu’il y a beaucoup d’arbres, c’est un quartier avec des arbres matures, et pour nous, c’est très important de vivre dans un environnement comme ça ».
Montassar (membre du CQE) : « Un quartier plein de verdure, y a beaucoup d’arbres, on est bien situé du point de vue géographique parce que le jardin public est à notre portée dans le sens de la vision si vous voulez, avec sa fontaine, ses jets d’eaux et ses allées, alors c’est très attrayant (…). J’ai moi-même participé pas mal de fois dans l’amélioration et la restauration de ce jardin ».
L’analyse des représentations mentales confirme de tels propos puisque la majorité des dessins réalisés par les membres du CQE font mention de la présence d’un ou plusieurs espaces verts ou bleus. Plus encore, certains représentent leurs quartiers par un ou plusieurs arbres (dessins n°1 et 2).
Quatrièmement, l’influence du paysage dans le quartier est confirmée par la beauté du panorama que plusieurs personnes vantent, comme le soulignent ces propos et les représentations mentales ci-dessus. Cet élément est absent des propos et dessins des membres de l’ADSN (dessins n°3 et 4) :
Néjib (membre du CQE) : « J’aime bien marcher dans toutes les rues, j’aime beaucoup les rues d’Essalah où on a la vue de Djebel Serj depuis le nord de la ville, mais j’ai le privilège d’habiter sur le bord d’Oued Temrit, alors je le vois tout le temps ce djebel, maintenant j’aime bien passer sur cette colline un peu plus au nord d’Essalah me permettant de mieux voir les beaux reliefs tout autour de Siliana, c’est un bel endroit. J’ai souvent pensé inviter des gens d’ailleurs pour venir voir la beauté du lieu ».
Montassar (membre du CQE) : « Ça m’est arrivé quelquefois d’aller voir le lever du soleil sur cette colline au nord, et je n’étais pas tout seul pendant l’été ou à la fin du printemps, c’est des endroits que j’aime beaucoup. Il y a aussi le Silo et sa terrasse permise parfois à l’accès de photographes amateurs, puisque ses échelles ainsi que ses escaliers sont bien protégées par des cages, un des endroits hauts où l’on peut voir la ville dans sa plaine entourée par les montagnes très proches. Je ne sais pas si vous savez où c’est, pas tellement loin du lycée à l’est du quartier Essalah. Il y a aussi d’autres endroits où, avec des petits aménagements, on peut voir presque toute la ville ».
À l’inverse, les représentations mentales des membres de l’ADSN mentionnent plus rarement la présence d’espaces verts ou bleus et témoignent d’une utilisation différente du milieu de vie, qui semble s’exprimer davantage en termes de services (dessin n° 3).
Enfin, il ressort de ces réponses et dessins qu’il y a une véritable demande sociale de paysage de la part des membres du comité de ce quartier. Cette demande est plus rarement présente chez les membres de l’ADSN.
Mahdi (membre du CQE) : « les coins que j’apprécie le moins dans le quartier, hum disons que c’est les petites rues, qui sont par-là (entre le boulevard 18 janvier et la place du dispensaire et le bureau de poste du quartier, pas partout mais ces rues sont petites et assez étroites à sens unique, avec des poteaux électriques visibles, c’est vraiment pas extraordinaire comme esthétique... au point de vue décoration des maisons y a rien de spécial non plus, une chose que je n’aime pas non plus qu’on retrouve dans d’autres quartiers aussi que je trouve pas beau, c’est des entrées de stationnement, ça dépare soit que c’est des entrées comme là, une entrée ajourée si on peut dire ou c’est avec des barrières ou des portes cochères mais disons que moi je préférerais ne pas avoir aucune entrée de stationnement...».
Mohamed-Ali (membre de l’ADSN): « C’est un quartier euh domiciliaire avec des maisons qui datent d’environ 20 ans et moins. C’est un quartier avec beaucoup de jeunes familles, c’est un quartier que l’on peut tout de même qualifier de jeune, euh c’est un quartier qui, pour moi -étant un amateur de la nature- manque de nature. Quand je suis arrivé là, y avait encore quelques terrains qui n’étaient pas bâtis, mais en deux ans tout a changé, tout s’est bâti ».
L’exposition des résultats issus de ces réponses souligne de nettes divergences entre les personnes qui s’engagent dans le domaine politique et celles qui s’engagent dans le domaine du bénévolat. S’il semble que certaines de ces divergences soient liées à la nature de l’engagement politique, l’analyse plus fine des résultats des entretiens amène à considérer une réalité autre.
Plus encore, ces réponses soulignent l’impact très divergent de l’institutionnalisation d’un territoire. Les membres du CQE, en raison de leur fonction, sont amenés à connaître et à se déplacer dans le quartier. De plus, il convient de mentionner que le conseil de quartier a pour objectif, entre autres, d’institutionnaliser le quartier (Bherer, 2003). Les membres du CQE sont ainsi les acteurs de cette institutionnalisation : le quartier est alors une notion qui a du sens pour eux. C’est un territoire politique qui correspond en réalité à un territoire vécu, et que l’on se représente comme tel. Concernant les membres de l’ADSN, la réalité de l’institutionnalisation est toute autre. Ils font du bénévolat dans un organisme qu’ils choisissent et le territoire d’implication n’est pas réellement choisi. Bien souvent, les territoires sont à l’extérieur du quartier, ce qui induit généralement une connaissance moins précise de cet espace. Pour eux, le quartier n’est pas un territoire d’engagement, ni un territoire vécu. L’analyse des représentations mentales conduit à des résultats semblables. Les dessins réalisés par les membres du CQE témoignent d’un territoire borné et très détaillé (en termes de territoires pratiqués notamment). À l’inverse, les membres de l’ADSN ont réalisé des dessins beaucoup plus épurés, représentant parfois la ville en son entier, parfois même sans mentionner de lieux pratiqués (dessin 4).
Conclusion
Aux termes de notre réflexion, il ressort que vouloir cerner les caractéristiques des personnes qui vivent une relation significative avec leur milieu, permet de constater que ces personnes sont attachées à leur milieu et en possèdent une représentation approfondie, détaillée et souvent positive. Elles s’y sentent en sécurité, se déclarent liées à des endroits particuliers (les endroits personnels spéciaux) et ont tendance à y inviter d’autres personnes. De plus, leur habileté à percevoir les détails des paysages est très raffinée et elles sont portées à s’impliquer personnellement dans des actions d’amélioration et de restauration. Pour ce qui est de leurs expériences passées, ces personnes attachées à leur environnement ont vécu, dans leur entourage, des relations de qualité avec des personnes, des moments importants de contact intime avec la nature, ou elles ont participé à une démarche communautaire de modification des lieux, pour les rendre adaptés aux besoins humains. Il arrive aussi qu’elles aient été touchées par un désastre environnemental ou qu’elles aient assisté à des cérémonies culturelles ou à d’autres événements qui ont stimulé leur imagination. Enfin, elles ont été marquées par l’influence de parents ou d’amis sensibles à l’environnement. Bref, un territoire peut donc devenir un lieu, un endroit qui détient une signification affective pour ses occupants.
En d’autres termes, le quartier est au centre des préoccupations des citadins silianiens, qu’ils soient administrés ou administrateurs. On ne peut pas clairement affirmer que la relation particulière -quasi mystique- qu’entretiennent les citadins avec leur quartier n’existe plus. En fait, le quartier constitue toujours un élément de fierté et un lieu de sociabilité primordiaux pour ceux qui y habitent et pour ceux qui y passent. Seulement, de plus en plus, l’uniformisation des fonctions urbaines tend à démanteler les vieux quartiers populaires.
D’un autre côté, l’identité du quartier est également visible dans ce quartier périphérique. Seulement, habiter dans ce quartier n’est pas considéré comme une réussite sociale mais plutôt comme un échec. On réprouve son propre quartier car c’est parfois l’image de l’espace où j’habite qui me conduit à l’échec. Aussi, le quartier et la politique semblent entretenir des liens privilégiés. L’analyse des résultats préliminaires d’une enquête menée auprès de 30 personnes dans la ville de Siliana et engagées différemment dans la vie de la cité a souligné le rôle du quartier dans la détermination du comportement politique. Plus encore, le quartier semble intervenir dans le choix d’habitat et devenir, en réalité, par extension, un véritable choix politique. De tels constats, que la poursuite de notre recherche doctorale viendra compléter, invitent sur les traces de Debarbieux, par exemple, à re-penser le rôle des individus dans la construction du quartier.
Par conséquent, on peut penser que le choix d’habitat, qui repose sur un imaginaire territorial spécifique[3], induit indirectement la façon de « vivre » un territoire, mais plus encore le potentiel de réussite d’une forme d’institutionnalisation du quartier, de territorialisation d’une politique, voire même le choix de l’engagement politique à l’échelle individuelle. En effet, si le choix d’habitat révèle un capital spatial et social différent, il intervient indirectement dans l’engagement :
« l’habitat se présente donc de manière homomorphe aux processus politiques, qui organisent un espace situé, lui aussi à l’interface des stratégies d’acteurs et des enjeux sociétaux. On peut donc s’attendre à ce que les fonctionnements complexes de ces deux types d’espaces se ressemblent et se combinent »[4].
Ces différences s’expriment également dans les représentations mentales. Il y a peu de présence humaine dans les dessins des membres de l’ADSN, contrairement aux dessins des membres du CQE qui donnent davantage l’impression qu’ils conçoivent leur quartier comme un village dans lequel les liens sociaux sont beaucoup plus visibles comme indiqué dans les dessins n°2 et 5 (représentations mentales de Wael et de Majdi (membres du CQE)).
Au final, il est donc clair, comme l’a précisé Thierry Ramadier, que « les représentations sociales du quartier de résidence, ses représentations spatiales ainsi que celles de la ville dans sa globalité, et enfin l’échelle et la nature de l’attachement au lieu, ont permis de dégager deux figures du rapport à l’espace : l’une qualifiée de rapport centripète, l’autre de rapport centrifuge depuis le quartier de résidence. Ainsi, les résultats obtenus introduisent le rapport à l’espace comme un processus qui participe à la construction d’un style de vie, sur lequel s’étaye la mobilité quotidienne. Ce regard dynamique de la relation individu/espace urbain permet de montrer que la mobilité quotidienne ne s’exprime pas uniquement selon un continuum où le citadin est plus ou moins mobile, mais qu’elle se structure selon les motifs qui génèrent les déplacements urbains. On constate effectivement qu’une mobilité centrée sur la consommation se différentie de celle orientée vers la sociabilité et le rapport à l’espace urbain du citadin »[5].
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Notes
[1] Selon un article de presse paru dans la revue de presse (crif), sur le site : http://www.crif.org/fr/revuedepresse/siliana-la-cocotte-minute-sociale-tunisienne/33804
[2] Le politique, terme qui se distingue de la politique et d’une politique, est un concept qui vise l’organisation des sociétés humaines. Il implique l’existence d’un espace social, essence de la vie collective et qui constitue le véritable objet de la science politique : l’étude de l’organisation et du fonctionnement de pouvoir au sein d’une société. C’est un « phénomène propre aux êtres humains qui consiste principalement -mais non exclusivement- à vivre en cité, en État » (Boudreau Philippe et Perron Claude, (2002) : « Lexique de science politique », éd. Cheneliere/Mcgraw-Hill, Montréal, Qc., p.150).
[3] Lefebvre, H. (1972), La pensée marxiste et la ville, Paris, Tournai, Casterman. Collection Mutations, Orientations.
[4] Lévy, J. (1994), p. 247
[5] Ramadier, T. (2002), « Rapport au quartier, représentation de l'espace et mobilité quotidienne: le cas d'un quartier périphérique de Québec-ville », in Espaces et sociétés, 2002/1, n° 108.
[1] Suite aux événements de 27 et 28 novembre 2012, des milliers de manifestants silianiens se regroupent dans le calme, lors d’une grève régionale le 30 novembre 2012 en matinée, pour une marche symbolique de protestation de cinq kilomètres en direction de Tunis, exigeant un meilleur développement local et le départ du gouverneur.
[1] Denieuil, P.-N. (2003), p. 9.
[2] Lorthiois, J. (1996), Diagnostic local de ressources, éditions du Papyrus.
[3] Lussault, M., (2003), « Identité spatiale », in Lévy, J. et Lussault, M., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin.
[4] Di Méo, G. (2003), Annales de Géographie, t. 112, n° 631.
[5] Ces luttes sont survenues lorsque des policiers faisaient usage de chevrotine pour disperser des manifestants qui exigeaient, lors d’une grève régionale, un meilleur développement local et le départ du gouverneur.
[1] Brunet et al., (1993), Les mots de la géographie – Dictionnaire critique, Montpellier, Reclus, 2ème édition, p. 518.
[2] Capron, G. (2006), territorialités urbaines et territorialisation en Amérique latine : les résidences sécurisées ou fermées et la fragmentation socio spatiale, Éditeur(s) Département de géographie de l’Université Laval.
[3] Idem., (2006).
[1] Le pain tabouna est un pain tunisien artisanal cuit le long des parois d’un four traditionnel en terre cuite, lui-même appelé tabouna.
[1] Ce centre urbain regroupe la Mosquée Abdelmalek, le dispensaire Essalah, le Centre de l’informatique pour enfants et un bureau de poste de quartier.
[2] Lévy, J. (1994), « L'espace légitime : sur la dimension géographique de la fonction politique », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris.
[3] Berdoulay, V. (1997), « La Formation de l'école française de géographie, 1870-1914 », Paris, CTHS, Espace géographique, Volume 26 Numéro 3 p. 288.
[4] La kharbgua est un jeu populaire largement connu en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Il s’agit d’une sorte de jeu de dames, mais un peu moins sophistiqué, qui suscitait l’intérêt de nos grands pères.
[1] Bouaouina, N., Feninekh, K., Ghodbani, T., Hernàndez Gonzàlez, E., Houllier-Guibert, Ch.-É., Clarisse, L., Msilta, L., et Roland, J. (2007), Ville représentée, ville pratiquée, Edition Boock, p. 8.
[2] M. Proshansky, H., Abbe, K., Kaminoff, F.-R., (1983), “Place-identity: Physical world socialization of the self”, Journal of Environmental Psychology, Volume 3, Issue 1, March–December, p. 57-83.
[3] Benoit, C. (2008), p. 146.
[4] Lévi-Strauss, p. 58
[5] Ibid., (2008), p. 146).
[6] Article consulté sur le site internet : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais
[7] Les résultats que nous présentons sont les résultats préliminaires d’une enquête plus vaste menée dans le cadre de notre thèse et dont l’objectif principal vise à saisir l’influence des représentations territoriales sur la détermination du comportement politique individuel à l’échelle locale.
[1] Essalah étant un quartier périphérique au nord de la ville de Siliana, à proximité de terre agricoles fertiles en direction de Gaâfour, une délégation au nord du gouvernorat de Siliana.
[1] La notion de quartier est une notion ancienne, dont la pertinence est encore de nos jours très largement débattue. Or, définir le quartier parait ainsi un exercice aussi ambitieux que délicat. Selon Paulet, « il est impossible d’analyser le quartier sans le replacer dans les discussions qui ont opposé -et qui opposent- les spécialistes de la ville »
Paulet, J.-P. (2002), Les représentations mentales en géographie, Paris, Anthropos,
p. 112. De plus, l’acception du quartier dépend également de la discipline et du contexte dans lesquels on se situe. L’exposition des travaux majeurs réalisés sur le quartier permet de saisir la complexité qu’une telle notion recouvre et son évolution, une notion encore ambiguë et problématique. Ambiguë et problématique parce qu’elle renvoie à une chose et à son image, à ce qui est vu et à une manière de voir. Elle contraint à concevoir la connaissance comme construction, comme un rapport au monde qui ne peut échapper à la médiation. Le quartier n’en demeure pas moins une notion médiatisée, dont le sens semble varier dépendamment des contextes et des disciplines dans laquelle elle prend place. Pour une critique de la notion de quartier, Cf. Lussault, M. (1993), « Le mythe du quartier », Cahier de la MSV, p. 9, série 3 : extraits de revues et conférences, 1995, n° 21.
[2] Noschis, K. (1984), Signification affective du quartier, 2ème édition, Paris, Klincksiek, p. 45.
[3] Mondada, L. (2000), « Décrire la ville, La construction des savoirs urbains dans l'interaction et dans le texte », Collection Villes, Paris, Anthropos, p. 172.
[4] Debarbieux, B. (1889), « Imagination et imaginaires géographiques », Encyclope et de Gembloux », Revue des questions historiques.
[5] Gumuchian, H. (1989), « Sémiotique de l'Architecture, penser l'espace », in Revue de géographie alpine, tome 77, n° 4, p. 457-458.
[6] Un millime est l’unité monétaire qui correspond à 1 sur mille du dinar tunisien.
[7] Souk El Khémis (marché du jeudi) est une appellation ancienne de Siliana, une petite ville dans la Tunisie tellienne ex-coloniale (noyau urbain construit par l’autorité coloniale). Elle était -à l’origine de sa naissance et de sa formation- une bourgade coloniale, une petite ville sans héritage industriel, mais avec une forte tradition commerciale (puisqu’elle était un Souk hebdomadaire pendant la période coloniale ; Souk El Khémis ; marché du jeudi).
[8] Makthar, Kesra, Bargou et Sidi Bou Rouis sont des villes Chefs-lieux de délégations appartenant au gouvernorat de Siliana, situées respectivement à 30 kms, 33 kms, 18 kms, et 32 kms au sud (Makthar et Kesra), au nord-est (Bargou) et au nord-ouest (Sidi Bou Rouis) de la ville de Siliana.
[9] Bouaouina, N. (2007), p. 29-30.
[10] Ibid., p. 30.
[11] M.Proshansky, H., Fabian Abbe. K., and Robert Kaminoff, R. (1983). “Place-identity: Physical world socialization of the self”, Journal of Environmental Psychology, Vol. 3, p. 57-83.
[12] Hay, R. (1998), “Sense of place in developmental context”, Journal of Environmental. Psychology, Vol. 18.
[13] Hummon, D. (1992),”Community Attachment : local sentiment and sense of place”, in Altman and Low, Place Attachment, Plenum Press, New York, p. 253-278.
[14] Low, S., Altman, I. (1992), “Place attachment : a conceptual inquiry”, in Altman and Low, Place Attachment, Plenum Press, New York, p. 1-12.
[1] Di Méo, G. (1999), « Géographie sociale et territoires », in Annales de Géographie, vol. 108, n° 608, p. 441.
[2] La population de la ville de Siliana ne dépasse pas en effet, aujourd’hui, les 30 milles habitants (25122 habitants en 2008 selon le tableau d’évolution de la population urbaine de la ville de Siliana, commune de Siliana).
[3] Siliana a été promue au rang de chef-lieu de gouvernorat le 05 juin 1974.
[4] Cette expérience faisait partie de notre méthodologie initiale de terrain dans le cadre de notre thèse de doctorat.
[5] Jodelet, D. (1991), La représentation sociale. Un concept au carrefour de la psychologie sociale et la psychologie, Paris, PUF.