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Patrimoine foncier et processus de péri-urbanisation autour d'une ville traditionnelle. Le cas de Ksar-el-Kébir

Insaniyat N° 28 | Espace - Acteurs sociaux  - Altérité | p.05-31 | Texte intégral


Estate patrimony and the peri-urbanization process of a traditional town: the example of Ksar- el-Kebir (Morrocco)

 Abstract: Urbanization in the Tingitane peninsula is not new. But the extent and the forms of urbanization cover several aspects; Even within one single space, the development of towns is sometimes conflicting (Ksar/Larouche).In a local fringe context where mental boundary is partly integrated in the building of a political religious economic and social identity, Ksar was able to keep its economic liveliness and its social cohesion. This, in spite of a colonization of poverty and an absolute marginalization since independence until 1975 The hydro agricultural changes and the social economic mutations brought about by irrigation, the improvement of dry land and the taking off of the agro industry have considerably affected the process of peri urbanization in the region. This thanks to the presence of local actors whose dynamism takes its energy from urban land property real estate and the agro industry. By different methodological approaches this article treats the processes and mechanisms of peri urbanization around the Ksar, a town deeply enrooted in its local border context.
The analysis perceived by the author shows how the heritage of traditional practices whether of social ,economic, religious or political nature, influence the forming of local identity   and future spatial restructuration; It equally shows the territorial structures and local dynamics can generate a peri urbanization process in so much complex as strategic.

Key words: land property system - urban production - traditional town - peri urbanization - local actors - mental boundary - agricultural dynamism.


Mohamed BEN ATTOU : Université Ibn-Zohr, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines – Agadir.


Introduction

Le Bas-Loukkos comprend surtout la plaine de Ksar El Kébir et une partie des basses collines du Pré-Rif. C'est incontestablement, la zone la plus fertile dans tout le Nord-Ouest marocain. Le développement agricole a débuté dans cette région avec la colonisation dans le cadre de cultures spéculatives pour l'approvisionnement du Complexe Industriel de Larache [1] et il a terminé avec la mise en application du plan sucrier 1975-2000. Les Changements hydro-agricoles et les mutations socio-économiques apportés par l'irrigation, l'amélioration des terres bours et le lancement de l'agro-Industrie ont considérablement influencé le processus de péri-urbanisation[2] dans la région. Ceci grâce à la présence d'acteurs locaux[3] dont la dynamique puise son énergie du sol, de l'agriculture, du commerce de gros et du commerce parallèle, mais aussi du foncier urbain et de l'agro-industrie. L'objet de cet article n'est pas de mesurer les conséquences de l'irrigation et de l'aménagement hydro-agricole sur la péri-urbanisation. Un tel sujet est déjà consommé. Sa bibliographie, à l'échelle du Maghreb, est abondante. Mais, de fournir quelques éléments de réflexion quant au processus de péri-urbanisation lui même dont les mécanismes remontent, dans le temps, à des éléments certes difficiles à identifiés mais, plus pertinents: les héritages historiques tout comme les dimensions économiques et sociales et la profondeur religieuse interviennent différemment dans un processus de péri-urbanisation. Cette dernière sous son aspect spatial n'est, en fait, que l'aboutissement d'un processus rendu possible par l'interaction de mécanismes complexes d'évolution. Or, en se limitant à l'aspect spatial, beaucoup de chercheurs ne font que formuler des propositions éthérées et des critiques faciles basés sur des approches techniques souvent statistiques approximatives. Les unes et les autres ne tenant aucun compte de l'ensemble des mécanismes régissant un processus.

Vu sous cet angle, Le Bas-Loukkos s'offre avant tout, comme un espace naturel de contact entre la plaine et la basse montagne. C'est un espace à "caractère frontalier" entre "bled Siba" et "bled Makhzen" d'une part; entre la zone de protectorat français et la zone de domination espagnole d'autre part. C'est surtout un espace qui reste historiquement et administrativement jusqu'à 1975, voir même jusqu'à aujourd'hui à caractéristiques frontalières[4]. Dès lors, on pourrait se demander comment se caractérise le processus de péri-urbanisation dans une zone à caractéristiques frontalières ?

L'identité locale du Bas-Loukkos s'est forgée, bien entendu, sur la base de rapports de force et de relations qui se sont établis entre groupements humains hétérogènes[5] avec des rivalités politico-tribales créées justement par le contexte physique de marges et animées, voir conditionnées, par le religieux. Quels sont alors les pouvoirs mis en place par le biais de ce brassage ? Sont-ils légitimes ? Quels sont leurs rapports à la ville, à l'économie et à la société ? Il est vrai, Ksar compte aujourd'hui plus de 150 000 habitants. Il est facile d'affirmer que la modernisation agricole du Bas-Loukkos a contribué depuis 1975 à la transformation du contenu économique et social d'une bonne partie de la population rurale et, que le commerce, le foncier, l'immobilier sont des valeurs sûres pour la monétarisation de l'économie rurale en faveur de la péri-urbanisation. Cependant la question fondamentale qui reste toutefois posée : est ce qu'il s'agit d'un processus strictement lié à l'irrigation, c'est-à-dire à une décision prise au niveau supérieur. Dans ce cas comment expliquer, à l'échelle du Maghreb, les nombreuses expériences vouées à l'échec ? Ou bien, il s'agit d'un processus produit par l'histoire et par l'environnement local. Processus aboutissant à un contexte dont les éléments sont capables de se prendre en charge tout en intégrant ou en rejetant l'irrigation pour produire de l'urbanisation péri-urbaine ? Si c'est le cas, s'agit-il d'une péri-urbanisation structurée et contrôlée, ou bien d'une péri-urbanisation sauvage se nourrissant elle même d'une crise d'identité qui s'est développée chez la population rurale du fait de l'injection du capitalisme agraire, généré par l'irrigation, dans les formations sociales.

Si la deuxième hypothèse s'avère juste; peut-on affirmer que c'est le résultat d'un dysfonctionnement quelconque dans le processus contextuel local ? Dans tous les cas, où puise la péri-urbanisation son énergie ?

Méthodologie d'approche

En tenant compte du contexte local et surtout de la péri-urbanisation en tant que processus d'interaction sociale, politique, religieuse et économique plus complexe qu'un simple aspect spatial limité à la morphologie de l'habitat, à la population résidente et aux infrastructures, l'analyse préconisée dans cet article est à la fois rétrospective et prospective. D'un côté, cette analyse s'articule autour du repère et du suivi du profil général des principales familles kasraouies à travers les travaux des historiens (El Bekri, Naciri, Henares, Miège, Taoud, Akhrif, Ferhat, Alfiguigui…) des anthropologues (De Cuevas, Michaux-bellaire, Salmon, Alvares-Guenoun…) et des sociologues (De Morla, Figueras, Ventura…). D'un autre côté, elle se base sur les résultats d'une enquête de terrain sur la propriété foncière citadine que nous avons réalisée, en 1986, sur l'ensemble de la province de Larache. Enfin le dépouillement des listes nominatives des lotisseurs urbains à Ksar entre 1960 et 1997 (Annexe 1) fut indispensable pour mener à terme la démarche méthodologique préconisée dans cet article. L'idée de base sur laquelle la recherche bibliographique a été conduite fut animée du même souci autour duquel le travail de terrain fut construit, à savoir rendre visible les acteurs par le biais de leur nom de famille.

Le repère nominatif des acteurs du système d'action à l'œuvre dans la ville comme dans la campagne à travers notre recherche nous a permis d'opérer une identification presque parfaite des acteurs individuels dans le temps et dans l'espace. Ainsi, cette approche certes de longue haleine[6], nous semble avoir le mérite d'apporter des précisions quant à la question pertinente qui fait quoi ? Qui souvent, reste dans de nombreux travaux, implicitement posée ouvrant ainsi le champ à des interprétations souvent erronées ou approximatives.

I. Le Bas-Loukkos entre frontières mentales et péri-urbanisation

Zone de contacte entre "bled Makhzen" et "bled siba" ou zone de contexte frontalier, le Bas-Loukkos jusqu'en 1975 a toujours été considéré par les pouvoirs publics et vécu par les habitants comme zone périphérique.

1- La frontière mentale, une composante identitaire favorable à la péri-urbanisation

La frontière comme élément structurant dans l'évolution de la société du Bas-Loukkos est doublement importante. D'une part, elle a composé dans la construction de l'identité "Habti". Les événements historiques du 15ème au 20ème siècles le prouvent. D'ailleurs, les émeutes de 1984 et 1992, particulièrement violentes à Ksar, sont la dernière épisode d'une longue série d'agitations. D'autre part, l'action des acteurs dans la ville comme dans la campagne témoigne jusqu'en 1975, début de l'intervention publique dans le Bas-Loukkos, d'une autonomie quasi- absolue de la part des acteurs du système d'action à l'œuvre. En effet, le rôle des acteurs locaux dans la diffusion de l'urbanisation est indéniable. L'exemple du Bas-Loukkos est à cet égard très significatif. A Ksar, les acteurs locaux ont contribué par le lotissement ou par le jeu de la spéculation à l'élargissement de l'espace urbain et péri-urbain de 250 ha en 1956 à plus de 600 ha en 1990 (Fig.1). Ceci peut être considéré comme un exploit considérable si l'on sait que la colonisation espagnole n'a, pour des raisons de sa stratégie politique et religieuse, pratiquement pas laissé derrière elle d'héritage urbain à Ksar.

2- Le foncier urbain, l'un des moyens sûres de l'autonomie locale: quand la péri-urbanisation est un enjeux foncier

La situation frontalière de Ksar a énormément influencé la politique spatiale coloniale. En effet, à leur installation à Ksar en 1912, les Espagnols n'étaient ni agriculteurs, ni même rentiers de la terre, mais de simples spéculateurs de terrains non concernés par les Habous. Le gros du contingent espagnol fut une population militaire constituée souvent de "petits blancs" obligés de recourir à la contrebande entre les deux zones de protectorat pour pouvoir survivre[7]. En plus, dès leur installation, les Espagnols se sont trouvés face à une médina authentique chargée d'histoire, structurée (Charia et Bab el Oued), fonctionnelle et surtout entourée par un espace péri-urbain lui aussi produit d'un processus aussi bien politico-religieux que socio-économique caractérisant une zone à la fois périphérique et frontalière. En effet, dans un espace péri-urbain hérité, la localisation de chaque entité à une signification. Le développement des terres habous mêlées à la propriété privée (Gharset, Bled) est l'aboutissement d'un processus de stratégie reposant sur un système foncier ouvert (Fig. 2) développé par les pouvoirs locaux pour atténuer les effets néfastes des nombreuses confiscations marquant le retour du pouvoir central. En s'appuyant sur la légitimité religieuse, "habousser"[8] avec jouissance à vie ou limitée est une stratégie qui permet d'éviter les confiscations. Le replis foncier vers les bases arrières situées en montagne chez les Béni-Arouss, les Béni-Zekkar ou chez les Ahl Serif est aussi une stratégie de s'approprier "la terre-banque" pour pouvoir reconstituer le patrimoine foncier dans la ville ou dans la plaine en utilisant soit le pouvoir politique ou économique soit la légitimité religieuse. Le site des bidonvilles quant à lui, n'est pas le fait du hasard. Si les douars situés, en 1950, au nord de la ville (Douar Hssisne, Sidi Bel-Abbès, Ferfara) sont le fait d'un exode rural qui a débuté avec la colonisation ; ceux du sud de la ville (Rouafa Oulia, Rouafa Soufla, Azib El Bou, Douar Askar), sont d'origine politico-religieuse. Leur installation dans le Bas-Loukkos remonte au début du 16ème siècle[9] lorsque les marabouts et zaouias commencèrent à organiser le Jihad contre les Portugais[10]. Cependant, leur affirmation dans le sud de la ville se situe de 1679 à 1727, lorsque le pouvoir central attribua le gouvernement de Ksar et de Larache à des caïds Rifains[11] pour des raisons politiques.


Donc, face à cet espace urbain et péri-urbain à forte identité mentale où se mêle le religieux avec le politique et le sociale. La colonisation espagnole n'avait, dans la limite de ses moyens, aucune chance de pénétrer un espace verrouillé par des pratiques sociales très symboliques[12] et par la complexité du régime foncier. Ainsi, la propriété espagnole se contenta de quelques bordures péri-urbaines situées le long des routes sortant de Ksar vers le nord et le nord-Est. Prévoyant l'extension de la ville vers le nord, les Espagnols comptaient revendre leurs acquisitions à d'autres Espagnols ou à des marocains en spéculant naturellement sur le prix du sol. Cette faible appropriation foncière de la part des Espagnols a laissé l'avantage de la propriété du sol aux marocains: vieille bourgeoisie terrienne kasraouie, notabilité religieuse, hauts fonctionnaires du Makhzen (Pachats, Caïds…) et collaborant avec les autorités coloniales. Ainsi la propriété citadine cumulée par les marocains jusqu'en 1956 atteint 1625 hectares[13].

Tableau n° 1: Propriété foncière kasraoui dans le Bas-Loukkos jusqu'en 1956

 

 Propriétés

 

Cercles

Propriétés héritées

En ha.

petite

moyenne

grande

total

Cercle de Ksar

51

637

760

1448

Cercle de Larache

18

159

-

177

Total

69

796

760

1625

Source: Enquête foncière, 1986

Grâce à leur système foncier ouvert, les vieilles familles kasraouies n'ont pas perdu beaucoup de leur patrimoine foncier malgré les nombreuses confiscations opérées par le Makhzen. Bien entendu, la protection consulaire à partir de 1880 a permis en partie la sauvegarde du patrimoine foncier de certaines familles (Taoud, Knatra, Ouezzani, Ben Harradia…)[14]. Toutefois, c'est la collaboration[15] avec les autorités coloniales qui a le plus permis de porter directement ou indirectement l'héritage foncier kasraoui cumulé à plus de 1600 ha. En effet, plusieurs stratégies ont été développées sous la colonisation pour acquérir le foncier urbain. La figure 3 montre comment la bourgeoisie terrienne kasraouie utilise la légitimité religieuse (Chadiliya et Alamiya surtout) pour investir le champ politique et créer des alliances familiales pour acquérir des biens fonciers, commerciaux ou agricoles[16]. Les Familles d'origine algérienne[17] et les Ben Jelloun étaient en fait, les seules familles à vocation agricole. Les autres familles sont devenues propriétaires par le biais du commerce ou en faisant intervenir leur légitimité religieuse et/ou leur statut politique.

3- Spoliation des terres habous et collectives entre 1956 et 1975 : naissance de la péri-urbanisation

Le sentiment de marge vécu par la population du Bas-Loukkos ainsi que l'obsession qu'ils ont développée pour l'acquisition foncière ont cultivé la symbolique de la terre. Celle-ci n'est pas seulement un moyen de richesse, "terre-banque". Elle est vécue comme symbole de respect (…Plus vous lui donnez, plus elle vous offre et plus vous en avez, plus les gens vous respectent…). Ainsi, elle a toujours occupé une place importante dans l'esprit et le cœur des gens. C'est pour cette raison que les rapports de forces entre le Makhzen et "bled Siba" s'établissaient toujours sur une base foncière.

Effectivement, une fois l'indépendance acquise, une bonne partie des terres appartenant aux ex-caïds et aux hauts fonctionnaires du Makhzen, qui ont collaboré avec le système colonial, a été confisquée par les autorités marocaines[18]. Ceci explique pourquoi le patrimoine foncier hérité de Ksar n'est que de 1625 ha. en 1956. Seulement, il s'agit pour plus de 90% de l'ensemble de cet héritage de la grande et moyenne propriété (à partir de 50 ha.). 69 ha. étaient en possession des petits rentiers.

Jusqu'en 1975, le patrimoine foncier kasraoui se complète de 3616 ha. Les revenus de la terre (patrimoine hérité) ont permis à la bourgeoisie kasraouie d'investir dans la terre. Cet investissement a revêtu plusieurs formes : achats aux étrangers pressés de regagner leurs pays (à Raissana surtout), achats aux marocains hâtés de liquider leurs propriétés de peur de les voir confisquées[19], association avec des étrangers (plaine de Ksar El Kébir).

Tableau n° 2: Propriété foncière kasraoui dans le Bas-Loukkos entre 1956 et 1975

 

 Propriétés

Cercles

 

Propriété constituée

En ha.

petite

moyenne

grande

total

Cercle de Ksar

160

1330

1927

3417

Cercle de Larache

51

148

-

199

Total

211

1478

1927

3616

Source: Enquête foncière, 1986

Cependant la procédure la plus utilisée et aussi la plus lourde de conséquence dans l'espace péri-urbaine de Ksar fut, sans aucun doute, le détournement au profit de la bourgeoisie terrienne, des propriétés habous et collectives[20]. La comparaison des situations foncières de 1950 (Morales et Cerralbo, 1958) et 1975 (Etude Electrowat-ORMVAL, 1975) montre qu'il n'en reste du patrimoine péri-urbaine habous de 1950 que des bribes en 1975. Ce détournement a amené la liquidation quasi systématique des habous et la dislocation des terres collectives surtout à l'est d'Aouamra, dans le sud de Raissana et partout dans le territoire des Ahl Serif. La situation foncière de 1975, montre les grandes superficies de terres melk qui, jusqu'en 1975, font encore l'objet de multiples contestations de la part des habous et des collectivités. 94% des terres ainsi acquises ont permis de constituer la grande et la moyenne propriété. La première (1927 ha.) fut constituée de vastes domaines de maraîchage, d'arachides, de melon, d'élevage exploités directement par la bourgeoisie agricole qui, à l'instar des grands copropriétaires étrangers, investit ses revenus dans la modernisation agricole. La seconde, la propriété moyenne (1478 ha.), est le fait de deux types de propriétaires : les grands rentiers et les spéculateurs qui vont accélérer le processus de péri-urbanisation autour de Ksar. La récupération des terres de la colonisation (remembrements de 1963 et 1973) et la réforme agraire de 1969 qui se sont réalisés au détriment du patrimoine foncier collectif, n'ont pas pu arrêter la domination foncière kasraouie. Au contraire, l'acharnement avec lequel la bourgeoisie a acquis la terre symbole de son existence, a suscité un mouvement d'exode de paysans. De ce fait, le patrimoine foncier kasraoui se complète de petites propriétés de migrants, soient 211 ha entre 1956 et 1975. Ce sont ces paysans qui vont constituer une partie de la population péri-urbaine.

4- Les acteurs privés kasraouis au service de la péri-urbanisation

Le dépouillement des dossiers de lotissements de Ksar que nous avons pu effectuer soit en 1991 auprès de la Délégation Régionale de l'Habitat de Tétouan, soit en 1997 auprès des Services d'Architecture de la Province de Larache, nous a donné la possibilité de cerner l'historique de l'urbanisation de Ksar depuis l'indépendance (plus précisément à partir de 1961) jusqu'à 1997. Cette source fournit des informations précises sur les lotissements (situation, date d'approbation, date de lancement, superficie, nombre de lots, taux d'équipement et de construction). Plus important, elle indique les noms des propriétaires-lotisseurs. Ce dernier renseignement est d'importance: il nous a permis de localiser les acteurs locaux. Depuis l'indépendance et jusqu'à la fin des années 70, l'évolution du tissu urbain de Ksar s'est effectuée exclusivement grâce à l'initiative privée.

Tableau n° 3: Lotissements privés réalisés à Ksar entre 1961 et 1979

Périodes d'approbation

Nb. de lotissements

Superficie en ha.

Nb. de lots

Taux moyen d'équipement

Taux moyen de construction

Années 1960

8

15

795

72.1

92.1

Années 1970

12

53

2919

72.5

89.3

Total

20

68

3714

  1. 3
  2. 7
 

Source: Délégation Régionale de l'Habitat de Tétouan, 1991

 

Pendant cette période, on peut distinguer deux rythmes d'urbanisation différents quant à leur dynamique:

- Une première période d'urbanisation lente correspond aux années soixante. Au cours de cette période, plusieurs douars se sont urbanisés, notamment ceux situés aux environs de Bab El Oued, le quartier des Hntas: Dar Dbagh, Gharset Sedraoui, Douar Bel Arbi, Sidi Bel Abès, Douar Halloufi et Ouehrani. Sur les sept lotissements réalisés pendant les années 60, cinq appartiennent aux vieilles familles kasraouies (Bel Arbi, Halloufi, Ouehrani, Tagmouti, Knatra).

Une deuxième période d'urbanisation rapide (années 1970) au cours de laquelle le front urbain avance sur les bidonvilles de Sidi Kamel, Gharset Ben Jelloun, Sidi Aissa El Mrina, Douar Hssisne, Ferfara, Dar Doukhane et douar Askar, donnant naissance ainsi à Hay Andalouss, Hay Al Massira, Hay Ben Rakkad. A cette période aussi, les élites locales (Taoud, Rmiki, Bakkali, Ben Taâllah, Odda, Tagmouti)[21] ont particulièrement soutenu le mouvement d'urbanisation puisque sur 28 lotissements réalisés, 16 appartenaient aux familles précitées, 11 à leurs associés et un lotissement seulement au habous (Bounoire).

A priori, si l'on considère que :

- la péri-urbanisation apparaît comme le résultat d'une forte consommation de bonnes terres agricoles en raison d'un recours excessif à un habitat individuel qui va du simple "casabarata"[22] à la villa en passant par l'immeuble;

- la péri-urbanisation est le réceptacle à la fois d'une émigration interne et d'une mobilité résidentielle "régulées" par un marché foncier et immobilier obsessionnel qui, est le résultat à la fois de la production d'une ascension normale dans la hiérarchie sociale et de pratiques irrégulières et clientélistes d'où la production de la ville légale et illégale ;

La péri-urbanisation est donc un phénomène mobile qui ne date pas d'aujourd'hui. Certes l'industrialisation tout comme la prolifération de l'informel dans les grandes villes ont donné plus de l’ampleur à la péri-urbanisation mais, dans les zones à caractère frontalier et les zones à fortes potentialités agricoles on peut parler dans les années 1970 de zones péri-urbaines. Le cas de Ksar-el-Kébir se prête bien à cette situation. En effet, dès la fin des années 1970, on peut déjà distinguer entre la ville proprement dite, constituée des deux quartiers de la médina, du quartier "européen" (Scrinia), des propriétés du Makhzen, de l'Etat espagnol ainsi que la propriété des colons et la zone militaire, en plus de la couronne péri-urbaine constituée du quartier, Al bario et des douars. Ces derniers sont installés sur les meilleures terres agricoles de la plaine de Ksar, et qui se sont urbanisés pendant les années 1970 à la faveur de l'initiative privée, selon un mécanisme foncier obsessionnel.

La ceinture des Gharset (Jnanates) entourant la ville (Gharset Sedraoui, Gharset Rmiki, Bled Ben Taoud) coupe bien entre celle-ci et la couronne péri-urbaine qui abrite du simple habitat clandestin des néo-citadins à des villas somptueuses comme celle de Chérif El Ouazzane à Dar Doukhane tout en passant par l'habitat économique et les nombreux "menzah"[23] verticaux de la principale notabilité kasraouie. La modernisation agricole puis l'intégration de cette première couronne à la ville pendant les années 1980 vont produire une nouvelle couronne péri-urbaine plus importante et fort conséquente.

II. Modernisation agricole et processus de péri-urbanisation

La modernisation agricole depuis 1975 et la réalisation des unités agro-industrielles dans le cadre du périmètre agricole du Loukkos ont certes bouleversé le monde rural et améliorer les conditions de vie des ménages ruraux dans la plaine de Ksar, le plateau Rmel d'Aouamra et les Basses collines des Totbas. L'Etat a injecté plus de 2900 millions de dh. pour la mise en place des équipements hydro-agricoles (76%) et l'infras­tructure d'encadrement agro-industriel. Toutefois, ce développement local doit aussi beaucoup à la dynamique des élites kasraouies. Ces derniers ont su, grâce à leurs disponibilités foncière et financière, développer une stratégie, unique en son genre dans tout le nord-ouest marocain, leur permettant de mobiliser la société rurale et de dynamiser l'économie urbaine tout en s'attribuant le soutien de l'administration locale. A l'amont, cette stratégie a permis la pénétration des élites kasraouies dans le périmètre irrigué, pas seulement en qualité de notabilité religieuse ou politique mais en tant qu'investisseurs d'un surproduit agricole accumulé sur lequel l'Etat, lui même, compte pour réaliser, dans un premier temps, son programme sucrier 1975-2000 et le développement des cultures intégrées et, pour couvrir, dans un deuxième temps, son retrait. A l'aval, la stratégie est simple : le surprofit maximum tiré de la terre et de la disponibilité d'une réserve considérable du capital privé - conjugués à une parfaite connaissance des milieux urbain et rural - sont progressivement investis dans le commerce de gros, la contrebande d'envergure, le bâtiment et l'acquisition de matériel agricole.

1. mobilisation de la société rurale et consolidation de la péri-urbanisation, quel lien ?

En 1986, le patrimoine foncier kasraoui dans la province de Larache était de 8394 ha. Plus de la moitié de ce patrimoine foncier (55%) était des propriétés de grande taille (> à 50 ha.). Il appartient à de gros propriétaires qui sont à la fois agriculteurs-éleveurs-engraisseurs, commerçants, rentiers, spéculateurs et notables locaux. Ces derniers possèdent également des propriétés de taille moyenne (10 à 50 ha.). Près de 38% de ce patrimoine foncier, soit 3153 ha furent accumulés entre 1975 et 1986.

Tableau n° 4: Propriété foncière kasraoui cumulée entre1975 et 1986 dans la province de Larache

 Propriétés

villes

Propriété constituée

En ha.

petite

moyenne

grande

total

Ksar

173

975

2005

3153

Larache

140

382

450

972

Autres

85

665

150

900

Total

398

2022

2605

5025

Source: Enquête foncière, 1986

Ceci confirme deux réalités: d'une part, l'obsession foncière chez la notabilité Kasraouie ; d'autre part, la pénétration de la bourgeoisie terrienne dans le périmètre irrigué du Loukkos. Cette pénétration a suscité de nouvelles formes de domination citadine. Cette fois programmées, étudiées, moins apparentes (location du matériel agricole), indirectes (redistribution de biens alimentaires, de produits manufacturés nationaux et d'articles de contrebande), mais sûrement plus efficaces pour prélever le surproduit agricole qui sera de nouveau réinvesti dans la modernisation agricole. Ce système bien définit, à la fois simple, souple et complexe s'articule aussi autour de rapports sociaux, le prestige individuel et le pouvoir. Ceci pour créer un développement conditionné caractérisé par la présence des acteurs à l'amont comme à l'aval, à la ville mais aussi à la campagne, avec l'Etat et avec les individus. Les "céréalistes"[24] comme les éleveurs-engraisseurs, les commerçants-rentiers et les agro-industriels sont tous des conservateurs prétendant au pouvoir. Leur stratégie comporte certes, des enjeux économiques, sociaux et politiques pour le contrôle de leur territorialité. Pour ce faire, les élites se basent sur leurs acquisitions foncières. Ici, élites et individus sont psychologiquement attachés à la terre. Pour les uns la terre est symbole de richesse, de respect et de pouvoir. Pour les autres, l'élite, parce qu'elle possède et investit dans la terre, est symbole de continuité. Cette continuité signifie aussi stabilité et sécurité. La stabilité existe tant que l'élite terrienne existe. Souvent pour que cette stabilité continue, les individus élisent les élites terriennes. Dès lors, la notion de territorialité chez l'individu se confond avec la personne de l'élite élue. Ainsi, au lieu de faire appel directement à l'administration locale ou aux organismes de crédits (CRCA, CNCA), les individus souvent passent par leurs élus. Sur la base de confiance et d'intérêts mutuels, s'établissent alors, des rapports sociaux de production, certes complexes, mais efficaces (achat de production sur pied, culture sous contrat, avance de crédits de culture, soutien matériel lors des fêtes religieuses ou personnelles, association, exploitation "bel khobza"…). Ainsi la notabilité terrienne arrive à mobiliser la paysannerie. L'exemple des "céréalistes kasraouis exprime assez bien les mécanismes qui régissent cette mobilisation. Le contact permanent des céréalistes avec la population rurale qu'ils représentent officiellement, leur permet de se comporter comme de véritables producteurs-grossistes maîtrisant le circuit de l'amont à l'aval. Ils produisent eux-mêmes les céréales. Se sont eux qui possèdent leurs moyens de transport, ainsi que les entrepôts de stockage. Leur activité ne se limite pas à la spéculation sur les prix du blé; certains sont actionnaires dans beaucoup de minoteries situées dans les grandes villes (Tanger en particulier); d'autres possèdent de petites minoteries à ksar et vendent de la farine directement aux citadins. Ainsi, les céréalistes arrivent à supplanter les organismes officiels de collecte comme l'ASCAM par exemple. Ils maintiennent leur rôle, grâce à leur dynamisme et à leur parfaite connaissance de


fonctionnement de la cellule familiale en milieu rural. Ils usent de tous les moyens financiers (crédits de dépenses familiales, prolongement des échéances de paiement, règlement en nature…) pour acquérir les grains. Le commerce soukier est la principale source d'approvisionnement pour les céréalistes. Raison pour laquelle chaque céréaliste dispose de trois à quatre "Jemal"[25] qui opèrent dans les souks pour son compte. A leur tour, les Jemal prennent à leur service un Reffad[26] et des Ouassit[27]. Ces derniers originaires des douars proches du souk de la tribu sont eux-mêmes agriculteurs. Leur tâche consiste à attirer la clientèle de leur connaissance vers leur Jemal. Ils sont payés en nature par ce dernier. Le rôle du Ouassit est primordial : il est en contact permanent avec le céréaliste puisqu'il est souvent membre de sa famille. Il joue un double rôle : d'une part, il contrôle indirectement le Jemal, d'autre part, il est le lien direct entre agriculteurs (population) et élites (élus). Dans la plupart des cas, le Ouassit est Moqadem, Cheikh ou Fquih du douar grâce à l'appui du céréaliste en quête toujours de légitimité et à l'intérêt objectif de l'administration locale qui doit être au courant de tout pour des raisons de sécurité. Bien que mal rémunéré, le Ouassit est très actif. Sa stratégie à lui est de garder son prestige d'homme important du douar. Souvent se sont les Ouassit qui préparent et soignent les campagnes électorales des céréalistes-élites, surtout à partir des souks des tribus qui sont aussi des points d'ancrage de l'administration locale vigilante et les lieux d'exercice des acteurs locaux.

Agissant ainsi, les acteurs locaux créent leur monde. Ce dernier basé sur l'intérêt économique, les rapports sociaux et les aspirations politiques, génère des modes de régulations socio-économiques de dépendance favorable à la péri-urbanisation. Le besoin des individus en services socio-éducatifs, hospitaliers, judiciaires font des Jemal, des Ouassit, des Reffad et de toute la chaîne intermédiaire des néo-citadins. La fidélité a un prix. Celui d'accéder à la propriété urbaine. L'acteur, notabilité terrienne a besoin lui de valoriser le sol urbain qu'il possède sans compromettre pour autant la spéculation foncière qu'il pratique. Il a besoin aussi d'une main d'œuvre bon marché presque intra-familiale pour tirer plus de bénéfices de l'agro-industrie dans laquelle il vient de se lancer (C.I.L, C.I.C.O.R, SOPRAM-FAHIM, NAFCO, S.I.A.D) comme actionnaires et/ou exploitants depuis le début des années 1980. Il a besoin finalement d'intermédiaires fiables pour mener à bien ses activités de contrebande. De tous ces besoins mutuels et de toutes ces stratégies individuelles, le besoin pour un troisième espace est né. Malgré leur faible revenu, et leur épargne dérisoire, les ménages kasraouis accèdent à la propriété que se soit directement ou par étapes, ou par le biais d'un crédit gratuit à long terme ou par solidarité familiale[28] ; qu'il s'agisse d'un lot ou habitat populaire, la différence importe peu, l'essentiel c'est de s'approprier le sol urbain. Pour ces individus, réussir socialement signifie acquérir la terre. Plus de 600 ha. de bonne terre agricole furent récupérés sous forme de petites propriétés par les rentiers kasraouis entre 1956 et 1986 en raison de l'exode rural.

2. L'espace péri-urbain : un terrain favorable à l'émergence de nouveaux acteurs-spéculateurs

Ksar a connu une troisième période d'urbanisation à rythme modéré mais complexe correspondant aux années 80. Pendant cette période, la première couronne péri-urbaine est totalement intégrée à la ville. Les équipement de base des gharset-jnanate et de la première couronne ont joué un rôle décisif dans les opérations de lotissement. En effet, la spéculation fut très active (2000 à 3000 DH. le m² en moyenne) et le prix du logement est tellement cher (400 000 à 500 000 DH. pour un logement de 100 m²) qu'il dépasse les capacités financières de la majorité des ménages kasraouis. Les gros agriculteurs, les commerçants, les professions libérales et les cadres administratifs récupèrent facilement ces logements, alors que les moins fortunés se rabattent vers une nouvelle couronne péri-urbaine ceinturant la ville au niveau d'Oulad Hmaid El Ksar au nord-est et au niveau du pont Oued Loukkos au sud -ouest. Cette nouvelle couronne connaît une double dynamique : d'un côté, elle subit le fait d'une urbanisation descendante caractérisée par la production de la ville illégale par l'auto-construction (Dar Doukhane, douar Bouchouika, Sidi Makhlouf); d'un autre côté, elle est le réceptacle d'une urbanisation ascendante rendue possible par les revenus permis par l'irrigation et la modernisation agricole (Oulad Hmaid, route de Tatouft, Route de Larache, Makhfar El Hazzan). Le nouvel espace péri-urbain est le terrain d'activités des héritiers deuxième génération des vieilles familles kasraouies. Encore, pendant les années 80, on les trouve associés à des fortunes nationales (Châabi, Bennani et d'autres) et/ou régionales (Arbaine, Hssissen …). Leurs activités tendent, désormais, plus vers la spéculation que vers l'acquisition de nouvelles terres ou vers la production agricole.

A vrai dire, la spéculation sur les terrains commence dès 1978. En effet, trois lotissements sont approuvés à cette date mais, jusqu'en 1991, aucun ne s'est réalisé. Pourtant le taux d'équipement de ces lotissements dépasse dans tous les cas 50%. Par exemple, les lotissements El Meknassi (Route de Rabat), Bennani (Route de Larache) et Châabi (Sidi Aissa Mrina) totalisant 47 ha. ont été approuvés entre 1980 et 1982. Mais jusqu'en 1991, leur taux d'équipement se limite à 30%. L'équipement quoique indispensable pour un lotissement, n'entrave cependant pas la construction. A Ksar, comme d'ailleurs partout au Maroc, il existe des lotissements terriblement sous-équipés (10%) mais construits à 70% (cas du lotissement Ben Jadd à Rouafa Oulia). Plusieurs lotissements n'ont pas été construits depuis 1978 parce que les travaux d'équipement sont volontairement arrêtés par les propriétaires pour déclencher des processus spéculatifs. La couronne péri-urbaine entourant Ksar souffre beaucoup du sous-équipement des lotissements.

Annexe 1

Liste des lotissements urbains réalisés à Ksar-el-Kébir entre 1960 et 1995

Lotissements

Lotisseurs

Situation

Date

d’approbation

En m²

Taux

d’équip

Taux

constr

1

2

3

4

5

6

7

El Halloufi

Bel Arbi

Florentina

Brital et Khom

El Kantri

El Ouehrani

Tagmouti

EL HALLOUFI

BEL ARBI A.

FLORENTINA

BRITAL Anc.

EL KANTARI

EL OUEHRANI

TAGMOUTI D.

Douar Halloufi

Rue Massira

Sidi Aissa

Caserne

Hay Massira

Hay Ouehrani

Azib El Bou

1961

1962

1963

1963

1963

1964

1968

10 403

40 000

49 268

11 281

8 000

18 207

15 814

95 %

80

40

50

90

60

90

100 %

100

60

98

90

97

100

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

 

 

20

21

22

23

24

25

26

27

28

29

30

31

32

33

34

35

Taoud

Rmiki

Essania I

Khandak Hass.

Kacem Lôudi

Ben Rakad

Boukhalfa

Atâ Allah

Ben Jelloun

El Ouafi et Bak.

Edemni

Essania II

 

El Ahmadi

Bakkalia

El Jaâdi

Atâ Allah

El Manzah

Engel

El Fassi

El Mehdi

El Allia

El Ghriki

El Kaissi

Bounoire

Odda

Ouilanti

Ben Haddou

Tagmouti

TAOUD D.

RMIKI B.

BAKKALI

BAKKALI

MZOURI et LOUD

BEN RAKAD

BOUKHALFA

ATAALLAH A.

BEN JELLOUN
BAKKALI R. et F.

EDEMNI A.

BAKKALI et OUEHRANI

EL AHMADI A.

BAKKALI A.

EL JAADI

Hérit. ATAALLAH

BOULAICH

ENJEL DRACIN

EL FASSI et Associé

Hérit. CHAABOUCH

Hér. BENMASSOUD

AZZAOUI M.

KAISSI J.

Habous-OUEHRANI

Héritiers ODDA

OUILANTI

Hér. BEN HADDOU

TAGMOUTI et

KHAZALI

Route de Larache

H. Essalam Mrina

H. Essalam Mrina

H. Essalam Mrina

Sidi Mekhlouf

Sidi Mekhlouf

.Aissa Ben Kacem

El Ferfara

Sidi Redouan

Rouafa Oulia

Sidi Bel Abbès

H. Essalam Mrina

 

Rouafa Oulia

Bir El Jouhara A.

Douar Ouehrani

Rue Massira

Route de la Gare

Dar Doukhane

Route de Rabat

Route de Larache

Rouafa Soufla

H. Essalam Mrina

Scrinia

Sidi Aissa Mrina

SidiAliBoughaleb

Dar Doukhane

Rouafa Oulia

Route de Tatouft

1972

1972

1972

1972

1972

1972

1972

1973

1973

1972

1974

1974

 

1974

1974

1975

1976

1977

1978

1978

1978

1978

1978

1978

1978

1979

1979

1979

1979

40 980

35 000

8 498

55 000

10 000

10 000

26 348

10 000

41 867

35 000

12 000

18 207

 

50 326

13 742

4 000

90 000

9 000

46 480

11 788

9 242

28 451

26 506

698

34 565

87 000

13 115

12 760

13 548

40

90

60

80

80

90

néant

50

50

90

50

60

 

50

100

70

100

70

40

50

60

60

100

néant

70

60

néant

50

80

90

95

80

97

100

100

5

70

80

95

70

97

 

90

100

100

70

60

néant

80

néant

néant

95

néant

50

80

néant

néant

90

36

37

38

39

40

41

42

43

44

45

46

47

48

49

50

 

 

51

52

53

54

Mahfar Hazzan

El Meknasi

Bennani

Abrrak

Ben Jaad

Amal

Salam I et II

El Bahja

Sbaii

Anoual I

Anoual II

Mzouri

Nassr 1er/2èmT

Jebaria

Yamama

 

Mrabat

Yasmina

Essalam

Souinia

BEL FASSI

MOUSSAID

BENNANI

EL FADEL

Hérit. BEN JAAD

ETAT

CHAABI

BEN RAKKAD et A.

SBAII A.

BEN KELL M.

BEN KELL M.

AZZAOUI-MZOURI

ARBAINE M.

THAR JEBAR

BEN RAKAD et BOUHOULI

Habouss

El GHARBAOUI Al.

BEN KOLLA

Hériters CHEDDADI

Mahfar El Hazzan

Route de Rabat

Route de Larache

Scrinia

Rouafa Oulia

Sidi Aissa Mrina

Sidi Aissa Mrina

Sidi Makhlouf

Douar Hssesen

Route de Larache

Route de Larache

Dar Doukhane

Ancienne Caserne

Sidi Bel Abbès

Sidi Bel Abbès

Dar Doukhane

Sidi Aissa

Route de Larache

Douar Halloufi

1980

1980

1980

1980

1980

1981

1982

1982

1982

1982

1983

1985

1985

1985

1985

 

1987

1989

1989

1989

13 800

26 488

303 530

6 678

40 418

95 675

140 000

10 000

2 000

18 050

6 207

75 757

100 000

60 000

22 006

 

112 700

50

13 240

8 800

20

10

60

30

10

80

10

70

60

100

50

70

30

70

20

 

80

néant

100

30

40

néant

néant

80

70

néant

néant

80

35

50

40

30

5

80

néant

 

néant

néant

30

30

 

55

56

57

58

59

60

61

62

63

64

65

66

67

68

69

70

71

72

73

74

75

76

77

78

79

80

81

82

83

84

El Menzah

Hssisnia

Rida

Badr

Rida

El ouarda

Ayachia

Oued Mâa

Anoual

Saâda

Chourouk

Belle-vue

El Wafa I

El Wafa II

Chaoui

Andalous

El Wahda

Drissia

Diouri

Fadl I

Fadl II

Essalam I

Essalam II

Nour I

Nour II

Mabrouka I

Mabrouka II

Mabrouka III

El Wahda II

El Hassania

HSSISSN A.

Hssissn et BEN JELL

MZOURI

RAJI M.

AZAKANE

ETAT

ASRA Fatima

ETAT

ETAT

ETAT

AZZAOUI

OUAZZANI

ZEKKAN

ZEKKAN

Héritiers CHAOUI

BEL AYACHI

D.H.U.T

TROMBATI

DIOURI

HéritiersTAGMOUTI

HéritiersTAGMOUTI

EL MEJDOUB

EL MEJDOUB

ZEKKAN

ZEKKAN

Héritiers KOJAIRI

Héritiers KOJAIRI

Héritiers KOJAIRI

SUNABEL

Sté HASSANIA

Sidi Redouane

Sdi Redouane

Rouafa soufla

Route de Larache

OuledHmaid-Ksar

OuledHmaid-Ksar

OuledHmaid-Ksar

Ancienne Caserne

Route de Tatouft

Route de Larache

Sidi Redouane

Moulay Ali Boug

OuledHmaid-Ksar

OuledHmaid-Ksar

Scrinia

Douar Hssissen

Route de Larache

Sidi Aissa B. Kac.

Sidi Aissa B. Kac.

Route de Tatouft

Route de Tatouft

Sidi Aissa B. Kac.

Sidi Aissa B. Kac.

Sidi Aissa B. Kac.

Sidi Aissa B. Kac.

Route de Tatouft

Route de Tatouft

Route de Tatouft

OuledHmaid-Ksar

Mly. Ali Boughalb

1990

1990

1990

1990

1990

1990

1990

1990

1990

1990

1991

1991

1991

1991

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1992

1995

1995

6 679

6 401

12 244

9 678

688

68 971

120 000

105 467

224 061

0 763

16 880

331

6 939

18 714

8 107

6 570

30 000

1 902

5 577

2 132

14 338

15 270

15 270

19 035

19 823

2 211

15 477

12 110

30 logm.

200 logm

5

10

10

47

néant

10

20

50

néant

5

30

10

30

45

5

20

80

40

20

60

60

40

40

20

20

20

15

15

60

60

Néant

30

45

60

10

20

30

80

30

10

60

50

70

80

45

70

85

60

50

75

80

90

70

65

45

80

60

50

100

100

 

Sources: dépouillement des listes nominatives des lotisseurs urbains à Ksar entre 1960 et 1995 -Délégation de l’Habitat et de l’Urbanisme de Tétouan (1960-1990); Service de l’Urbanisme de la Province de Larache (1991-1995).

La spéculation est un élément régulateur du marché foncier et immobilier fort conséquent sur la production urbaine et péri-urbaine ainsi que sur le développement des agglomérations. Par son jeu, l'initiative privée, dans un contexte local particulier, a réalisé entre 1960 et 1990 l'urbanisation de plus de 400 ha. en faveur d'une ville moyenne, soit 58 lotissement pour à peine 4 interventions publiques survenues à la fin des années 90. En l'absence, à Ksar, d'un programme social d'habitat pour le plus grand nombre, les acteurs kasraouis ont répondu à ce besoin. En effet, 55% des logements produits dans ce cadre pour la période 1960-1990, concernent de l'habitat économique pour 25% en faveur de l'habitat clandestin en dur et 15% pour l'habitat traditionnel et hispano-mauresque.

L'espace péri-urbain entourant Ksar va connaître un dynamisme particulier dès le début des années 90. Effectivement, à partir de 1990 et jusqu'en 1997, on assiste à l'apparition de 20 lotissements d'une consistance de 195 434 m² répartie entre l'habitat économique toute gamme (40%), l'économique pavillonnaire (15%), l'habitat social (15%), les villas (10%). Les immeubles tout comme le clandestin en dur occupent 5% chacun; tandis que 10% de l'ensemble des lotissements furent occupés par les bidonvilles. Ceci est le cas notamment des lotissements en situation de litige avec la population autochtone. Deux remarques sont à formuler d'après ces statistiques. La première concerne l'identité des lotisseurs. Autrement dit, La troisième génération héritière des vieilles familles kasraouies n'est pas vraiment notabilité terrienne. La contrebande et le trafic de la drogue ont déjà opéré un brassage de la société locale renversant ainsi la hiérarchie établie pendant des siècles. En plus, les relations de la nouvelle génération de propriétaires-héritiers avec la population rurale sont devenues très limitées. En effet, les nouveaux propriétaires (médecins, avocats, entrepreneurs, fonctionnaires, etc.) sont absentéistes. Pour eux, la terre n'a qu'une valeur monétaire purement spéculative. Le temps des "céréalistes" est désormais révolu. Ce nouvel ordre ruina le système de faire-valoir traditionnel qui fut basé sur les rapports sociaux de production. Ceci, ne laisse aucune alternative aux anciens "Chariq, exploitants Bel khobza, Ouassit, reffad, sauf celle de venir s'installer dans la couronne péri-urbaine entourat Ksar et s'adonner à la petite contrebande[29]. D'ailleurs, on remarque la faible présence des nouveaux héritiers lotisseurs entre 1990 et 1995. Les Kojairi et les Tagmouti sont présents, mais la majorité des lotisseurs sont de nouveaux acteurs, notamment des Tangerois-spéculateurs qui viennent blanchir dans le foncier et l'immobilier une partie de l’argent provenant du trafic de la drogue. Tantôt utilisant des prête-noms, tantôt alliés à des familles locales. Ces acteurs "invisibles " produisent les mêmes lotissements que ceux qu'on trouve à Tanger (Groupement Hassani, Résidences Zemmouri, Abdalas etc…) avec la seule différence que ceux de Ksar sont largement moins équipés puisque leur taux d'équipement moyen reste à niveau de 20%. La deuxième concerne le contenu et l'ampleur avec laquelle l'espace péri-urbain avance sur les terres agricoles. La couronne péri-urbaine nord, en effet, profondément dans la plaine de Ksar, c'est-à-dire dans le périmètre irrigué du Loukkos. La vitesse avec laquelle ces terres sont englouties est alarmante. La demande sur la résidence secondaire environnementale, le blanchiment d’argent issu de la drogue, la pratique de la contrebande, la défaillance du plan sucrier 1975-2000 et ses conséquences sur la paysannerie qui n'arrive toujours pas à intégrer le nouveau ordre agricole[30], sont autant de facteurs qui font aujourd'hui d'une plaine irriguée, un territoire de péri-urbanisation capable de déséquilibrer les structures économiques déjà mises en place[31]. La situation du parc de logement à Ksar en 1997 répond bien à une demande diversifiée se réalisant à priori dans la couronne péri-urbaine. L'éclatement de la cellule familiale des néo-citadins, la demande locative formulée à la fois par la main d'œuvre agro-industrielle et le secteur informel, ainsi que la résidence secondaire caractérisent l'offre en logements péri-urbains de consistances particulières. Tous les districts de la couronne péri-urbaine entourant Ksar regroupent des logements de plus de 5 pièces. Deux types de logements sont à distinguer: les logements locatifs[32] appartenant pour une bonne partie à des rentiers du loyers et les logements individuels (Villas, habitat social, immeubles, clandestin en dur). Le marché locatif de logements dans les districts constituant la couronne péri-urbaine est en plein essor. Moins de 20% seulement de la population résidentielle sont propriétaires. A Ksar, c'est une spécificité péri-urbaine puisqu'en moyen les Kasraouis sont propriétaires à niveau de 60 % dans l'ensemble. Le rythme d'extension avec lequel la couronne péri-urbaine empiète sur les terres agricoles a atteint son maximum. La situation juridique des lotissements réalisés à Ksar entre 1990 et 1995 est très délicate. Plusieurs lotissements approuvés pendant cette période, sont en situation d'instance en 1997. 205 ha. des terres agricoles sont revendiqués par l'Office Régional de Mise en Valeur du Loukkos en particulier. Certains domaines, jadis forestiers, sont revendiqués, comme terres collectives, par les communes rurales limitrophes de Ksar-Bjir.

Conclusion

Quoi qu'il en soit, on peut affirmer en tout cas que la péri-urbanisation n'est pas un fait spontané de l'exode rural et de l'anarchie urbaine. Au contraire, c'est un phénomène mobile et un processus complexe qui prend certes actuellement de l'ampleur surtout autour des grandes villes et des métropoles industrielles (Casablanca, Tanger, Agadir etc…) mais, peut être, il ne date pas d'aujourd'hui. Produit d'un contexte local souvent particulier, le processus a ses propres mécanismes d'évolution dans le temps et dans l'espace. L'exemple, presque pédagogique, de la péri-urbanisation dans le Bas-Loukkos à travers le cas particulier de Ksar El Kébir que nous venons d'analyser dans cet article, montre d'une part, comment l'héritage des pratiques traditionnelles qu'elles soient d'ordre socio-économique ou d'ordre politique ou religieux, influent considérablement sur la formation des identités locales et sur les restructurations spatiales futures. Il montre comment et avec quelle intensité, les structures territoriales et la dynamique locale peuvent générer des processus de péri-urbanisation tant complexes que stratégiques ; d'autre part, il montre combien l'approche méthodologique, la multiplication des angles de vision, la pluridisciplinarité et la recherche sur le terrain sont décisives dans l'étude d'un phénomène géographique aussi complexe que la péri-urbanisation.

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Notes

[1] Ce complexe industriel fut créé dès 1927 par la Banque Rotschild.

[2] La notion de péri-urbanisation est définie ici comme un troisième espace mobile étroitement dépendant de son échelle et de son contenu. Plus qu'un passage d'un espace agricole à un espace en voie d'urbanisation physiquement marqué par un habitat nouveau et un mode de vie citadin recherché, l'espace péri-urbain est un espace fonctionnel qui se distingue de la banlieue par la présence d'un système d'acteurs urbains dynamiques et puissants capables d'intégrer le foncier pour assurer à la fois la mobilité et l'intégration de ce troisième espace. Ce dernier n'est donc pas comme la banlieue, un phénomène strictement lié aux grandes villes. Un contexte local favorable tout comme les héritages historiques socio-économiques et politiques sont capables de générer un phénomène de péri-urbanisation.

[3] Sur l'identité, la dynamique et la stratégie des acteurs de Ksar voir M. Ben Attou, 1998: " Acteurs, stratégies et dynamique locale dans le Bas-Loukkos", In M.Berriane et A. Laouina, " Le développement du Maroc septentrional, points de vues de géographes", Revue Nahost Und Nordafrika n° 4, Perthes, pp.265-281.

[4] L'idée de Ksar, ville psychologiquement frontalière est intéressante dans la mesure ou elle permet de mieux saisir l'identité même de la ville. Celle-ci fut historiquement un espace de stratégie religieuse par excellence et d'adaptation sociale. C'est en fait, une "ville-rebelle" souvent indépendante du pouvoir central aux mains d'un marabout ou d'un prince révolté. Ayant évolué ainsi en tant que ville indépendante articulée sur une base économique solide (Habous), sur une territorialité d'essence spirituelle (Horm) fort bien hiérarchisée où l'activité s'assimile à la religion (Henta) et sur des pratiques sociales parfois relevant d'une psychologie sociale où c'est la mort qui organise la vie (Maraboutisme), la colonisation n'a pas pu se produire et s'imposer en terme urbain comme ailleurs. Ainsi, la zone de Ksar devient une frontière franco-espagnole où s'activent les circuits de la contrebande vers les deux zones de protectorat. De 1956 jusqu'à aujourd'hui, les pouvoirs publics ont adopté, à travers les différents découpages administratifs, le même tracé de l'ancienne frontière franco-espagnole comme limite administrative entre la province de Larache comprenant Ksar et la province de Kénitra comprenant Souk el Arba avant que ce dernier devient lui même province. C'est à dire une frontière psychologique entre un Maroc de tradition, de langue et de pratiques sociales fort bien influencé par le mode de vie espagnol lui aussi caractérisé par un gouvernement local espagnol intimement mêlé à la population et un Maroc francophone de tradition, de langue et de pratiques sociales. Ce mode de gestion territoriale renforça la coupure culturelle et activa davantage les circuits de la contrebande à partir des présides de Sebta et Mellilia, via Ksar, vers les zones Ouest et Sud du Maroc. Les émeutes des années 80 et 90 survenues à Ksar ne sont pas étrangères à l'identité kasraouie Pour plus de détail sur le Nord du Maroc voir De Mas P. 1962 et 1978, Berriane M. et Laouina A.1998. Voir aussi sur Ksar, Ben Attou M. 2005.

[5] Le Bas-Loukkos est un carrefour ethnique. Il compte six grands éléments : Les arabo-berbères, les Kotama, les Khlot, les Oudaia, les Béni Achquiloula et les Fassi-kasri.

[6] Cette recherche, soulignons le, a été conduite dans le cadre d'une préparation de thèse de Doctorat de l'Université François-Rabelais de Tours.

[7] La colonisation espagnole, rappelons le, n'avait pas les moyens de celle de la France. Entre 1912 et 1927, période de "pacification", les soldats espagnols du Bas-Loukkos y compris le fameux " tercio" cantonné à Tnin Sidi El Yamani et à Sebt Béni-Gorfet durent travailler dans les champs chez les populations autochtones pour pouvoir survivre.

[8] Il s'agit des biens concédés à des fondations religieuses, c'est-à-dire l'ensemble des propriétés immobilières "données" par le Sultan ou par des particuliers à une institution religieuse (mosquée, zaouia…), selon l'établissement qui reçoit le don, on peut distinguer deux types de habous : les habous koubra et les habous soughra. On est en présence du premier type, quand il s'agit des mosquées de la ville, que les campagnards ne peuvent louer, leur administration fut la fonction du Nadher. Quant au deuxième type, se sont les propriétés immobilières appartenant aux établissements religieux de la campagne et qui ne peuvent être louées que par les ruraux.

[9] La légitimité des chorfas Saadiens fut reconnue dans la région par les marabouts et la Zaouia Chadiliya dès la proclamation du souverain El Arej. Les marabouts assurent alors la propagande en faveur des princes saadiens, ils soignent leur popularité et négocient même des traités avec la confrérie Kadiriya de Fès. Le but principal de ce soutien réside dans le fait que les marabouts voulaient que les Saadiens fassent la guerre aux Portugais. La bataille de l'Oued El Makhazine (1578) fut l'aboutissement de cette politique.

[10] Ksar-el-Kébir, rappelons le, fut pendant près de deux siècles, le quartier général par excellence d'où s'organise l'action du Jihad à la fois organisée et maraboutique contre les Portugais notamment de Tanger et d'Asilah.

[11] L'élément Khlot majoritaire qui constitue la base de peuplement de tout le Bas-Loukkos avait aidé le marabout Khadir Ghailan dans sa révolte de 1673 contre le pouvoir central. Le retour de ce dernier se matérialisa par l'attribution du pouvoir local aux Rifains pourtant minoritaires dans la région. Ceci pour mater l'influence khlot dans son propre territoire. Ainsi, trois caïds ont marqué leur présence. Il s'agit d'Omar Ben Haddou Rifi (1679-1689), d'El Bitiani (1689-1695) et d'Ali Abdellah Rifi (1695-1727).

[12] Ksar et sa zone péri-urbaine comptaient pendant la domination espagnole plus de 120 marabouts. Dar Dbagh, El Mers tout entier ainsi que derb Jamâ Saida et fondaq Moulay Ali Boughaleb furent tous territoires " horm" interdits aux chrétiens et aux juifs.

[13] Enquête foncière, 1986

[14] Les sujets riches achetaient le titre de "protégé consulaire" grâce auquel, ils échappaient à toute confiscation foncière et à toute imposition de la part du Makhzen (impôts du Tertib, justice…)

[15] Trois exemples sont intéressants à évoquer à ce sujet. Il s'agit de nouveaux grands propriétaires: les Khalkhali, les Ben Harradia et les Rmiki. Hauts fonctionnaires à l'origine, ces familles ont collaboré avec le système colonial avant même son installation. En effet, Caïd de Ksar et grand ami du ministre Mnebhi, Abdelkader El Khalkhali dès 1904 comptait vendre aux Espagnols, une grande partie des terres qu'il avait accaparée grâce au soutien de Mnebhi. Nommé en 1905 Pacha de Ksar, El Haj Bousselham Rmiki facilita en 1911, au général Silvestre, l'occupation de Ksar. De ce fait dès l'installation du protectorat, la propriété kasraouie se complète des biens Makhzen et collectifs concédés par les autorités coloniales, comme récompenses à ces familles.

[16] La main mise des Rmiki sur le gouvernement de Ksar jusqu'en 1950, a été bénéfique pour d'autres notabilités locales à vocation politique comme Ghali Daoud, fondateur du Parti " Reformista" tout comme Ahmed Taoud, fondateur du Parti de l'Union Marocaine ou Ben Askar responsable de la Nadhara des habous.

[17] Il s'agit des Familles Chaouech, Ben Taâllah, Odda, Ouehrani. Une colonie importante s'est constituée à Ksar au cours 19ème siècle. A l'origine, ils étaient, pour la plupart, de hauts fonctionnaires chassés de la province d'Oran lors de la conquête espagnole en 1509 ou récemment, lors de la conquête française de 1830. Parmi les familles les plus riches, nous citons les Chaouech d'Alger et les Odda de Mostaganem. Ces deux familles détenaient une part importante des propriétés foncières de la région. Leur type algérien s'est assez bien conservé, par suite de la coutume de s'allier entre eux.

[18] Rappelons que cette initiative a touché uniquement l'ex-Maroc espagnol alors les Glaoui, les Mtugui et les Mkari dans le Haouz de Marrakech ainsi que les autres ont été épargnés. Ceci a renforcé davantage le sentiment de frustration chez pas mal de familles comme les Raissouni par exemple.

[19] Cas des Raissouni installés à Ksar et ayant des biens immobiliers à Jomâ Tolba, à Ksar Bjir et à Sebt Béni Gorfet

[20] Il ne s'agit pas ici d'un Etat dans l'Etat comme cela peut être interprété, mais tout simplement de l'un des cas de figure caractérisant l'anarchie des zones périphériques. D'une part, les registres des habous furent toujours, dans cette région périphérique, entre les mains de la famille Taoud de Jbel Hbib et ceci avant même l'installation du protectorat. La nadhara des habous fut pour des générations l'affaire de la Zaouia Alamiya. Les registres des habous ont fait plusieurs fois l'objet de falsification (Henares, 1950) en l'absence d'un pouvoir central et d'une administration permanente. D'autre part, l'absence de l'immatriculation foncière dans la majorité du Maroc espagnol, rend des plus difficiles tout essai d’évaluation.

[21] La comparaison des Annexes 1 et 2 permet de dresser le profil des acteurs-élites.

[22] Une sorte de construction basse constituée souvent de trois pièces sur une superficie totale de 40 m2. C'est en faite une procédure rapide introduite par les Espagnols dans espaces péri-urbains pour abriter d'abord la main d'oeuvre étrangère "Haoumat Nssara". Spatialement, c'est l'équivalent des trames sanitaires.

[23] Habitation située au milieu des jardins, haute de trois niveaux surmontés d'une terrasse. Les deux premiers niveaux sont constitués d'une grande pièce percée de nombreuses fenêtres basses protégées par des grilles de fer. Le dallage luxueux de cette pièce est importé de Fès, tandis que la faïence vient d'Espagne

[24] Grands gestionnaires traditionnels des vastes domaines de blé du secteur capitaliste et du sorgho

[25] C'est souvent un néo-citadin qui travaille pour le compte d'un céréaliste. Il enregistre les achats et paie les agriculteurs. Il est le premier responsable auprès du céréaliste. Le jemal est en quelque sorte un employé salarié.

[26] L'homme chargé de mesurer les céréales selon des unités de mesure traditionnelle (Abra, Rtal, Toumni…).

[27] Intermédiaire entre le Jemal et les agriculteurs.

[28] Il existe en fait plusieurs procédures de solidarité familiale. Les plus courantes sont celles pratiquées par les Khlot de Jomâa Tolba et de Ksar Bjir :

- Le partage immédiat de l'héritage foncier familier situé à la campagne et la récupération de la part de l'endetté par le/les membres de la famille contre une valeur monétaire fixée par la famille. La prise en charge de la/les " Thouila (s) " de l'endetté par les membres de la famille et le transfert de ses besoins de production annuelle directement pour le compte de l'endetteur pour une période déterminée selon l’importance de la dette. L'endetteur devient" Charik" avec les membres de la famille sur la/les thouila (s) de l'endetté pour une période déterminée.

- Le recours à la "Thouila" (256m2= 16mX16m) comme cadre d'assolement facilite le recours au foncier comme terre-banque (vente, achat, location, association…).

[29] La contrebande qui autrefois (années 70 et 80), était un moyen de richesse concernant peu l’élite, est devenue un moyen de survie qui touche beaucoup de monde, plus de femmes mais avec peu de moyens.

[30] Rappelons que l'assolement mis en place par l'ORMVAL en 1975 pour le développement des cultures sucrières et l'alimentation de la SUNABEL et de la SUCRAL n'est plus respecté dès le début des années 90. Ayant mis le pied dans le périmètre irrigué, la bourgeoisie terrienne kasraouie n'est plus motivée par le rendement de la betterave ou de la canne à sucre dont le prix de vente était resté figé pendant des années. En outre, les exigences des sucreries concernant le règlement en fonction du degré de concentration du sucre, ont poussé les agriculteurs à se désengager de l'assolement et de se tourner vers des cultures plus rentables comme les arachides et le fraisier. Ceci en établissant des contrats de production directement avec des firmes espagnoles qui assurent aussi le transport. Les petits agriculteurs qui n'ont pas le moyen pour s'aligner sur ce changement brutal et dont le rendement de la canne à sucre est insuffisant sont progressivement attirés par les prix élevés du sol péri-urbain, offerts par les lotisseurs. Ainsi de bonnes terres agricoles sont transférées chaque année à l'urbanisation.

[31] La SUCRAL d'Aouamre ainsi que la SUNABEL de Ksar réduisent fréquemment leur capacité de production de sucre par manque de la canne à sucre et de la betterave.

[32] La location va d'une maison de 2 à 3 niveaux à une pièce. Selon le site de la demeure, la nature des locataires et le genre de propriétaire.

 

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