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Auguste Veller, Monographie de la commune mixte de Sidi Aïch (1888), Paris, Ibis Press, 2004, 94 pages.

La préface de Fanny Colonna suivie de la présentation de Djamil Aïssani et Judith Scheele ne sont pas de trop pour aborder ce modeste et précieux ouvrage écrit dans les années 1880 par un jeune instituteur sur la région de Kabylie où il accomplissait sa mission pédagogique. Précieux à plus d’un titre, comme l’expliquent les présentateurs : d’une part, parce que le manuscrit en a été retrouvé par hasard, et arraché in extremis à la disparition totale à la faveur de l’incendie qui a ravagé une ancienne école française de la région; d’autre part, parce qu’il comble de façon appréciable l’insuffisance des informations concernant le secteur de Sidi Aïch. Cependant, sa portée va bien au-delà, dès lors qu’il est accessible au plus grand nombre. Il devra en particulier contribuer à ce «mouvement “d’invention des sources”» que F. Colonna observe dans la société algérienne actuelle qui, sans doute, est obligée à une telle démarche pour surmonter son état de crise notoire.

Du point de vue historique, l’importance de ce livre est également indiscutable. Il renseigne sur la colonisation française, bien sûr, mais surtout, sur l’un de ses instruments privilégiés, les instituteurs français (et, plus tard, indigènes), ces «missionnaires laïques» en charge de son ambition civilisatrice des peuples. De fait, peut-être par leur ambiguïté même, ces instituteurs furent vraisemblablement les meilleurs intermédiaires entre la France coloniale et les populations autochtones; ils furent aussi les plus persuasifs quant à la «bonne foi» avec laquelle elle réalisait son œuvre de conquête la plus profonde, la plus durable, celle des «esprits».

Cela étant – et le fait mérite d’être souligné, comme le font à bon escient les présentateurs -, cette monographie produite par un instituteur métropolitain récemment débarqué dans la colonie relevait d’une sorte de «tradition» d’écriture qui avait commencé en France même. Dès les années 1860 en effet, les instituteurs exerçant dans les campagnes étaient incités par le ministre de l’instruction publique à rédiger des monographies de «leur» village conformément à un schéma établi (description géographique, activités économiques, description ethnographique, démographie), à même de répondre à une exigence de «rigueur scientifique» et d’«exhaustivité». Or, l’on sait, par ailleurs, que cela correspond à la période où le pouvoir central, tout préoccupé de venir à bout des particularismes linguistiques et culturels locaux pour asseoir l’Etat sur des structures inébranlables, s’est attaché à intégrer les régions dans un «moule» identitaire commun, notamment, par l’imposition d’une langue nationale appelée à supplanter les langues régionales (ou «patois»), ce, déjà dans les cours d’écoles où celles-ci finiront par être bannies. C’est dire qu’il existe une similitude indéniable entre le processus colonial opérant à l’extérieur des frontières de l’hexagone et l’entreprise de centralisation, d’uniformisation linguistique et socioculturelle - d’aucuns ont parlé d’«endocolonialisme» -, qui se menait à l’intérieur.

En définitive, ce livre – y compris les quelques photographies anciennes insérées à la fin - nous apprend plus sur la pensée, la vision, les pratiques et les idéologies coloniales, que sur le pays de Sidi Aïch et ses habitants séculaires tels qu’ils furent en eux-mêmes. Son intérêt étant ainsi précisé, il constitue à coup sûr un document original dans tous les sens du terme.

auteur

Nadia Mohia


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