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La mémoire audiovisuelle et cinématographique : un patrimoine en péril

Insaniyat N° 12 | 2000 | Patrimoine(s) en question | p.149-158 | Texte intégral


The cinema and audiovisual memory a dying patrimony

Abstract : Our study evolves around the problems related to the ressources of film and audiovisual patrimony inestimable documentaries  disappear everyday.An audiovisual memory, and a whole patrimony (which ave essential sources of reference and knowledge, and tools of analyzing and understanding our society) will be out of reach if urgent measures are not taken to safe guard such documents.
This treasure, that cannot be replaced, constitutes not only the roots, the memory and the sources of inspiration of a whole country, but also a favored tool for analizing the world we live in.
By preserving this important documentation, we can be aquainted with the social, cultural and political events that have occurred thoughout history.

With digital equipment, a national and local plan for the keeping,  management and communication of the cinema and audiovisual patrimony should be set forth. This is precisely what interests us in our  research


Mohamed BENSALAH :  Enseignant en Sciences de l’Information et de la Communication, Université d’Oran Es-Sénia, 31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


«Le patrimoine est une part essentielle de la mémoire des hommes d’aujourd’hui, et faute d’être transmise aux générations futures dans sa richesse et dans sa diversité, l’humanité sera amputée d’une partie de leur conscience de sa propre durée».

(Extrait de la Charte Européenne du patrimoine Architectural. 1975)

Compte tenu des aléas de l’histoire et de la négligence des hommes, d’inestimables fonds patrimoniaux audiovisuels et cinématographiques ont fini par disparaître. Certains, anciens ou récents, et plus particulièrement ceux sur support filmique, ont subi une dégradation irréversible. De nombreuses œuvres cinématographiques de qualité, sources essentielles de références et d’informations et clés pour l’analyse et la compréhension des sociétés, ont été quasiment perdues et pour toujours. La disparité des archives artistiques et culturelles et, dans certains cas, leur dissémination massive, ont fini par mettre en danger la pérennité des mémoires collectives. Dresser, dans ces conditions, un inventaire exhaustif de cette mémoire vivante du XXème siècle n’est guère chose aisée. Il n’existe en effet ni recherches précises, ni études poussées ou synthétiques sur le sujet.

Depuis les années 30, nombreux ont été les centres d’archives et les cinémathèques qui ont vu le jour en Europe (quarante pour les dix neuf pays de la Communauté Européenne). Dans la plupart des pays du Machrek et du Maghreb, les structures de conservation et de restauration de films et de produits audiovisuels sont quasi-inexistantes, exceptées en Egypte et en Algérie où de modestes espaces de stockage ont réussi à voir le jour durant ces dernières décennies. Mais si ces structures gardiennes de la mémoire ont fini par être reconnues pour les missions patrimoniales qu’elles accomplissent (travaux de collecte, de catalogage, constitution de collections documentaires associées aux films, tels que, affiches, photographies, scénarios, maquettes…) cela ne veut point dire pour autant qu’elles bénéficient de sources de financement suffisantes. Très souvent, les crédits nécessaires à la préservation, à la sauvegarde des collections et à la valorisation du cinéma en général et du patrimoine national en particulier, font cruellement défaut.

La problématique archivistique audiovisuelle

Quelle que soit la terminologie qui la désigne, la problématique archivistique audiovisuelle est aujourd’hui une réalité et un enjeu de société. C’est sous ce double point de vue que nous l’abordons. Sujette à des querelles d’écoles et à des controverses techniques multiples, la question a ouvert la voie à des champs de réflexion dont l’avenir ne saurait démentir l’importance.

Problématique relativement récente comparée à celle de l’imprimé, l’archivistique audiovisuelle soulève des enjeux culturels, politiques, économiques et financiers d’une ampleur jusque là insoupçonnée. Le développement fulgurant des nouvelles technologies, la multiplication des réseaux et des supports de diffusion et l’accroissement exceptionnel de la demande d’images, reposent avec acuité la question de la sauvegarde, de la conservation et de la valorisation des archives audiovisuelles et cinématographiques. Si, pour les historiens et les philosophes, ces documents sont l’expression d’une trace matérielle qui, au même titre que l’archive écrite, doit être protégée, pour les grands groupes de communication, ces supports sont devenus stratégiques car générateurs d’une plus value économique. La concurrence effrénée des multinationales qui tentent de s’accaparer le plus grand nombre de droits sur ces œuvres en est la preuve évidente. Ainsi donc, la valeur patrimoniale et la valeur commerciale des archives audiovisuelles et cinématographiques se confirment.

Les gravures, les œuvres plastiques, les illustrations des manuels scolaires, les affiches, les cartes postales et les bandes dessinées, tout autant que les productions cinématographiques, vidéographiques et radiophoniques du dernier siècle constituent une part non négligeable de nos trésors patrimoniaux. Ces matériaux, qui véhiculent des contenus, des connaissances ayant une valeur culturelle, historique et esthétique, sont devenus les nouveaux façonneurs de l’histoire contemporaine. Complémentaire du travail sur la mémoire écrite et les sources orales, l’image offre en plus un éclairage particulier sur le vécu des hommes et une meilleure mise en perspective de l’histoire. En effet, elle révèle les non-dits d’une société, ses fantasmes et ses phobies. L’exemple du cinéma colonial est très révélateur à ce sujet. Le conditionnement des conduites humaines et la subversion de l’histoire sont aisément perceptibles à travers les représentations fantasmatiques concoctées à partir des vecteurs iconiques et sonores.

Les films de fiction et les images d’actualité - propagande cinématographiques, constituent d’édifiants témoignages sur ce que chacun pouvait entendre et voir et donc sur ce qui pouvait atteindre la conscience des spectateurs venus se divertir dans les salles de cinéma des grands centres urbains coloniaux et lors des projections en plein air organisées à l’intention des indigènes vivant à la périphérie des villes. Les images filmées durant cette époque ne sont cependant pas toutes accessibles. Très souvent, lorsqu’il est question de guerre où des mouvements sociaux importants les collages d’images d’archives excluent toute scène sujette à caution. De ce fait, une mise en perspective historique demeure difficile tant qu’il y a rétention de l’information visuelle et auditive. Les scènes d’arrestation, de déportation, de torture et de persécution sont précieusement conservées dans des blockhaus à l’abri des regards curieux. Un gigantesque travail sur la mémoire audiovisuelle reste à faire. Il est inconcevable que les historiens d’aujourd’hui ne puissent pas avoir accès aux archives audiovisuelles. Il importe donc de valoriser les édifiants témoignages d’actualités filmées et les films documentaires qui dorment sur des étagères poussiéreuses depuis des décennies, alors que les historiens manquent cruellement de matière première vivante.

Le récent engouement pour les émissions liées à l’actualité historiographique réalisées à partir d’archives audiovisuelles témoigne de ce retour à l’Histoire grâce à la télévision. En France, c’est en 1974 qu’un véritable intérêt s’est fait jour pour l’Histoire[1]. Les archives redevenues à la mode ont incité les responsables des chaînes et les acquéreurs potentiels de documents audiovisuels à constituer, à partir des services d’archives, des bases de données pour la consultation et l’exploitation des fonds. Ceci dit, malgré l’intérêt manifeste témoigné par les chercheurs et les universitaires pour l’Histoire, la guerre d’Algérie demeure encore un sujet difficilement accessible en raison du contentieux archivistique algéro-français.

A la veille de l’indépendance, ce sont près de deux cent mille cartons, soit environ 600 tonnes de documents d’archives algériennes traitant de tous les domaines de la vie administrative, politique, culturelle, économique et sociale du pays qui ont été transférées en France. Ce transfert massif du patrimoine national d’un pays qui venait de recouvrer sa liberté pose un problème réel de souveraineté. Les multiples démarches initiées par les autorités algériennes en vue de récupérer les fonds patrimoniaux du pays, ont abouti à la mise en place d’un processus de restitution établi sur trois phases: la première en 1967 a permis la récupération de 450 registres. La seconde en 1975 a facilité le retour de 153 cartons et enfin la troisième en 1981 a comptabilisé 133 registres[2]. L’accès à cette mémoire étant strictement contrôlé, la guerre d’Algérie est devenue une guerre oubliée, une guerre sans images. Il a fallu attendre les années 70 pour qu’une génération de cinéastes commence à briser le tabou[3].

Sauvegarde des fonds patrimoniaux audiovisuels et cinématographiques

La restauration des films anciens sur support nitrate de cellulose entamée depuis une décennie nécessite des moyens de conservation onéreux en terme de ressources humaines et financières. La FIFA (Fédération Internationale des Archives du Film), tout comme l’ACE (Association des Cinémathèques Européennes) qui regroupe une cinquantaine d’institutions et l’UNESCO ont sonné maintes fois l’alarme afin que des mesures urgentes soient prises pour la sauvegarde et la conservation des productions audiovisuelles et cinématographiques. L’opération nitrate a constitué une première étape dans la voie de la restructuration des produits filmiques pour enrayer la dégradation des supports et limiter les risques d’incendie.

Ces premières mesures constituent une reconnaissance de l’urgence et de l’intérêt de mobiliser tous les efforts nécessaires pour conserver le contrôle et assurer l’intégrité du patrimoine audiovisuel et cinématographique. Mille neuf cents fonds d’archives européennes recensées à ce jour abritent la mémoire audiovisuelle européenne[4]. Mais ces trésors s’enrichissent considérablement et la gestion se révèle de plus en plus problématique.

Avec l’instauration du dépôt légal obligatoire – un exemplaire de référence est systématiquement déposé afin de protéger les films à valeur économique immédiate – à partir des années 50, les fonds cinématographiques se sont considérablement développés. Le dépôt légal des œuvres qui constitue l’élément fondamental pour la constitution des fonds patrimoniaux soulève cependant de nombreuses interrogations. Il ne s’agit pas simplement d’accumuler des milliers de kilomètres de films, tous formats confondus, mais de valoriser ce patrimoine fragile encore largement inconnu et qui subit les aléas du temps.

Au-delà de l’archivage des films et émissions sur support audiovisuel, une politique de conservation doit intégrer des activités de restauration, de recherche et de catalogage. Toutes ces actions exigent cependant de gros investissements matériels et financiers, des équipements analogiques et digitaux nécessaires au transfert des archives sur les nouveaux supports, et enfin un personnel spécialisé dans les domaines du numérique et des techniques multimédias. La valorisation du patrimoine audiovisuel ne peut donc être envisagée et résolue à l’échelle d’un seul pays.

Les Européens ont bien compris la complexité de la situation[5]. Pour faire resurgir les images du passé et l’immense richesse historique et culturelle européenne, ils ont commencé par unir leurs efforts et leurs moyens. L’exigence de conservation du patrimoine a fini par l’emporter dans de nombreux pays. A côté des musées pour la peinture et la sculpture, à côté des théâtres et des conservatoires, ils ont commencé à créer des médiathèques, des filmothèques, des photothèques et des vidéothèques, lieux de mémoire et éléments essentiels du dispositif de communication institutionnelle qui proposent, sous des formes diverses, la reconstitution d’une mémoire audiovisuelle collectionnée dans des espaces ouverts à tous.

L’intégration des images dans les collections des bibliothèques publiques, initiative née aux Etats-Unis et au Canada, où elle fut largement répandue dans les années 70, a servi de catalyseur en France où l’introduction des médias audiovisuels dans les bibliothèques françaises remonte à l’année 1977, avec l’ouverture de la bibliothèque-médiathèque du Centre Georges Pompidou à Paris. A partir de cette date de nombreuses vidéothèques thématiques ont vu le jour à côté des médiathèques généralistes. Des fonds documentaires, consultables sur place, offrent désormais la possibilité à un public de plus en plus important d’accéder directement aux sources du savoir sur supports visuel et auditif.

L’importance des archives est maintenant reconnue dans l’univers audiovisuel, au plan communicationnel comme au plan culturel. Dès les années 60, les chaînes de télévision qui produisaient des milliers d’heures d’images et de sons chaque année, ont commencé à constituer, à partir de montagnes d’archives, leurs propres fonds documentaires où les documents répertoriés faisaient l’objet d’une protection optimale. Ces derniers, aujourd’hui générateurs de profits, ne serait-ce que par l’exploitation des droits d’auteurs font l’objet d’une attention toute particulière. La clientèle intéressée par ce nouveau patrimoine iconique et sonore, peut y avoir accès de plusieurs façons : soit directement auprès des services d’archives des chaînes télévisuelles, soit par le biais des banques de données. On peut également y accéder par CD Rom, par le biais d’Internet ou par des consultations plus conviviales. Systématiquement, le matériel existant est transféré sur support numérique pour une meilleure conservation et une plus grande disponibilité.

Les archives cinématographiques et audiovisuelles.

Un patrimoine en danger

La sauvegarde du patrimoine filmique et audiovisuel de l’Afrique et du monde arabe n’a que très récemment fait l’objet d’une attention particulière et encore seulement dans certains pays. Jusqu’à une période récente, le Machrek était considéré comme le premier producteur de films de l’espace méditerranéen, avec l’Egypte en tête de liste. Avec la création, en 1935, des studios «Misr», l’actualité filmée a commencé à faire l’objet de stockage. L’industrie du cinéma qui allait naître donnera une véritable impulsion à cet art naissant.

La conservation des films et des actualités filmées, ne fit cependant que très tardivement l’objet d’une attention particulière. Grâce au concours du PIDC[6], des travaux de recherche et de sauvegarde ont été menés en collaboration avec l’Organisme Général de l’Information et le Centre National du Cinéma égyptien. Aucune structure de conservation et de préservation, digne de ce nom, n’existe au Machrek. La Jordanie, le Liban et la Syrie ne disposent ni de ressources propres, ni de programme de restauration, exception faite dans la région pour Israël.

Au Maghreb, la cinémathèque algérienne, créée en 1964, avec le soutien d’Henri Langlois et de la cinémathèque française, constitue la seule institution de la région à avoir pour vocation essentielle la collecte, la sauvegarde et la diffusion des œuvres du patrimoine cinématographique universel et national. Près de 13 villes possèdent actuellement une salle de répertoire. Mais la diffusion culturelle semble l’emporter sur la conservation et la restauration du patrimoine audiovisuel et cinématographique. Son fond documentaire est composé de 10.000 titres, longs métrages de fiction, dont environ 1% seulement de production nationale.

Les courts métrages et les documentaires sont au nombre de 5000, dont 10% de production nationale. La cinémathèque algérienne dispose par ailleurs d’un important fond documentaire, composé d’affiches, de scénarios, et de photographies. Mais, sans lieux de stockage répondant aux normes universelles de conservation et en absence d’un personnel qualifié à même de prendre en charge les délicats travaux de restauration, la cinémathèque algérienne est vouée à terme à une disparition certaine. Signalons par ailleurs, l’énorme difficulté liée la disparition des principaux négatifs de films aujourd’hui disséminés à travers les différents laboratoires étrangers, surtout français, italien et de l’ex-RDA. Enfin, compte tenu du non-respect du dépôt légal de copies de films produits en Algérie, et du peu d’intérêt manifesté par les pouvoir publics à l’égard du patrimoine audiovisuel et cinématographique, cette situation dramatique risque de perdurer.

Longtemps réclamé, le blockhaus pour la conservation des films, selon les normes en vigueur ailleurs, n’a jamais vu le jour. Les copies, fragiles et inflammables, conservées dans des conditions exécrables, sont toujours sujettes à des changements de température et à des taux d’humidité qui à terme, risquent de causer de gros dommages. Les faibles subventions accordées par l’Etat, ne permettent ni l’achat de nouvelles copies, ni la restauration des films anciens en circulation. Avec la dévaluation constante du Dinar, le prix d’acquisition d’une copie d’un long métrage, même en droits non commerciaux, représente une petite fortune, impossible à réunir, puisque la Cinémathèque algérienne, ouverte au public le plus large, ne peut augmenter indéfiniment le prix du billet d’accès, celui-ci n’étant déjà pas à la portée des bourses des plus humbles.

Le patrimoine télévisuel algérien est aussi en danger. Alors que les laboratoires de traitement de la pellicule ont quasiment disparu, l’essentiel de la production télévisuelle s’effectue sur support vidéo. Or, la longévité des archives vidéo est très limitée, quelques dizaines d’années tout au plus. Par ailleurs, la révolution technologique rend très vite caduc un matériel technique parfois à peine utilisé. De ce fait, toutes les productions anciennes sur bandes magnétiques risquent de disparaître à jamais de nos écrans, en raison de la non compatibilité des appareils de lecture. Enfin, les conditions de stockage de la production télévisuelle sont loin d’être idéales.

Comment dans ces conditions espérer restaurer un patrimoine audiovisuel en péril, et le rendre accessible à tout un chacun ? Des solutions urgentes s’imposent si l’on veut permettre à la Cinémathèque algérienne, la plus importante d’Afrique et du monde arabe, de jouer son vrai rôle. Sauver cette institution, revient à revoir sa nature juridique et donc à annuler l’Ordonnance de 1967, aujourd’hui obsolète. Une Fondation alimentée par des fonds publics et des fonds privés serait certainement plus appropriée pour mener à bien cette délicate mission.

Côté cinématographie, la situation n’est guère plus enviable. Le désastre est total. Toutes les structures qui régissaient le cinéma national ont été éliminées. Les réalisations filmiques, qui ont été, des décennies durant, la fierté des cinémas arabe et africain, ont fini par disparaître des affiches. Aujourd’hui, ce sont les copies des anciens succès qui risquent à leur tour de disparaître à jamais, tout comme le parc national des salles de cinéma qui a été bradé au dinar symbolique.

Au Maghreb, seule la cinémathèque de Rabat, créée en 1995, poursuit les mêmes objectifs que la cinémathèque algérienne. Mais ne disposant d’aucun moyen, son existence et ses missions sont devenues très précaires. Son fond d’archives dispose à peine de 100 longs métrages de fiction, et de 400 courts métrages et documentaires. En Tunisie, le problème est beaucoup plus simple. Il n’existe pas de cinémathèque. Une filmothèque, rattachée au Ministère de la Culture, disposant d’environ 500 longs métrages et de 1.000 courts métrages et Documentaires, fait triste figure, face aux célèbres Laboratoires de Gammarth et aux non moins célèbres Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), le rendez-vous incontournable de toute la cinématographie méditerranéenne et africaine.

En plus de la rareté de la production cinématographique, et donc de l’indisponibilité de copies de films, s’ajoute la difficulté de constituer des dossiers relatifs au recensement des négatifs. Enfin, l’absence de statut financier régissant ces fonds patrimoniaux, élément déterminant pour la relance du secteur, ne permet pas de valoriser le patrimoine audiovisuel et cinématographique maghrébin. Paradoxalement, les centres d’archives d’outre mer, et plus particulièrement celui d’Aix en Provence, en ce qui concerne l’Algérie, possède un important fond documentaire, composé de films en 16 et 35 mm, qui proviennent essentiellement des Services de Diffusion Cinématographique (SDC) algériens, créés pendant la seconde guerre mondiale. Ces fonds concernent l’Algérie des années 40 à l’indépendance[7]. En tout, 97 titres en 35 mm, dont 27 en couleurs et 174 titres en 16 mm, dont 44 en couleurs. Sont également inventoriées des copies, sur support VHS, (environ, 130) pour visionnage au niveau du service audiovisuel de l’université d’Aix en Provence.

Le service des colonies fait l’objet d’identification, d’analyse et de catalogage des films réalisés avant l’indépendance des anciennes colonies françaises[8]. Toute une production sur l’Algérie, inconnue du public a été découverte. Elle retrace la réalité de l’époque avant 1914[9].

Les enjeux de la numérisation

Les fonds conservés dans les médiathèques offrent aujourd’hui des facilités de consultations plus actives, proches de l’imprimé. L’appropriation individuelle du produit audiovisuel fait de ce dernier un outil de connaissance et un instrument de médiation culturelle irremplaçable. La mise en réseau et la connexion des centres d’archives qui alimenteront dans le futur les bibliothèques vont, en rendant la consultation plus aisée, répondre de bien meilleure façon aux besoins des utilisateurs, universitaires et chercheurs disséminés aux quatre coins de la planète.

L’introduction du numérique dans les pratiques archivistiques représente un enjeu pour la conservation, la gestion et la communication du patrimoine télévisuel. Au regard de la nouvelle donne de la mondialisation des images et des sons et de l’avènement du numérique, la restauration, la gestion, la consultation et la commercialisation des archives se trouvent facilité. L’archivage permet de répondre à l’augmentation de la demande d’images liée à la démultiplication des canaux et rend désormais possible la croissance de nouvelles chaînes et notamment l’émergence des chaînes thématiques. Ces dernières ont, de plus en plus besoin de fictions, de documentaires, et de documents d’actualités disponibles immédiatement sur support numérique de qualité irréprochable.

Des logiciels de recherche de plus en plus puissants offrent, par ailleurs, de nouveaux services numériques, comme par exemple les recherches sur les systèmes d’indexation d’images automatiques. Un procédé[10] permet d’effectuer des restaurations de documents audiovisuels de façon automatisée. En France, le projet d’inforoute[11], en cours à France TV, va permettre de stocker les journaux télévisés dans leur intégralité et faciliter leur consultation en temps réel. Signalons enfin le projet Européen Dephes, retenue par la Communauté Européenne qui va aider à concevoir, à expérimenter et à évaluer un environnement pédagogique multimédia destiné à l’enseignement et à l’apprentissage de l’histoire dans les établissements secondaires de trois pays d’Europe.

Les nouvelles technologies appliquées à la sauvegarde et à l’exploitation de l’héritage audiovisuel Européen, si elles règlent les problèmes d’ordre technique, elles ne peuvent être d’aucune aide pour les problèmes d’ordre juridique, commercial et d’éthique patrimoniale. Les producteurs et les programmateurs qui essaient d’avoir l’accès, le plus large possible, aux fonds patrimoniaux, tentent de trouver des solutions en élargissant ces fonds et en facilitant leur accès. C’est ce qui ressort du projet pilote «Capmed» initié par l’INA qui assure en France l’entretien d’un patrimoine audiovisuel de quelques 700.000 heures. Cette mémoire conservée et restaurée est rediffusée et ré exploitée sans cesse. L’Institut, fort de cette vocation patrimoniale, de la demande importante d’images d’archives, a présenté son projet lors de la rencontre de la Conférence Permanente de l’Audiovisuel Méditerranéen (COPEAM) qui s’est tenue à Sites. A l’instar d’autres télévisions méditerranéennes, l’ENTV (Algérie) s’est inscrite comme partenaire du projet. Depuis lors, de nombreuses actions de formation, de recyclage et d’évaluation ont été entreprises.

Les enjeux qui sous-tendent le projet CAPMED sont de trois ordres:

- Un enjeu patrimonial (mise à niveau, sauvegarde et restauration des matériels d’archives sur l’ensemble de la région) avec une harmonisation des formats documentaires et une amélioration de l’accessibilité de fonds qui seront alors directement exploitables.

- Un enjeu de valorisation de ce patrimoine sous exploité et ignoré.

- Un enjeu culturel. Le marché s’internationalisant de plus en plus, le risque s’accentue de voir ce patrimoine marginalisé.

En bref, il s’agit pour les organisateurs de mettre sur pied un service simple et rapide d’accès aux fonds d’archives audiovisuelles méditerranéennes. Le dispositif est aujourd’hui en action[12]. Il contribue à servir à l’implantation progressive de plates formes expérimentales de restauration numérique « nécessaires à la sauvegarde de certains supports particulièrement dégradés. A terme, il pourrait favoriser l’implantation d’une industrie du numérique et une logique industrielle. Cette démarche d’industrialisation de la restauration numérique de films s’exprime pour l’optimisation de toute la chaîne de traitement de l’image dans le domaine du numérique, du scanner au retour sur film. Tout ceci a conduit à développer la création de logiciels spécifiques actuellement utilisés dans le domaine de l’image numérique. Ces derniers détectent les défauts ou dégradations (rayures, poussière, voiles, instabilités…) et appliquent les corrections appropriées pour chaque image et séquence d’images. Ce travail de restauration va de plus en plus nécessiter la participation des historiens du cinéma, des conservateurs et des archivistes.

L’importance stratégique des archives nous incite à établir de toute urgence un plan de sauvegarde car notre patrimoine audiovisuel et cinématographique est en danger. La valorisation des fonds documentaires est indispensable pour retrouver et enrichir les racines et la mémoire[13]. En assurant la postérité de ces matériaux, en les sortant de l’oubli et en les rendant accessibles à tous, nous contribuerons à éclaircir notre passé et donc à mieux comprendre notre présent.


Notes

[1] «Les Lundis de l’Histoire», «Parole d’Histoire», «Bouillon de Culture», «L’Histoire en direct», «Les brûlures de l’Histoire», «Histoires parallèles», «Passé simple», «Les Mercredis de l’Histoire»: des émissions qui tentent de répondre à un devoir de connaissance de l’histoire et de parvenir à une compréhension globale des événements, en cassant les idées reçues et les tabous.

[2] Les résolutions de l’ONU, (No 1514 et No 2635, des années 60) admettent le statut rétroactif des nouveaux Etats à la période antérieure à leur indépendance.

[3] Bertrand Tavernier avec «Coup de Torchon», un portrait féroce de la colonisation; Francis Girod avec «l’Etat Sauvage» une dénonciation du néocolonialisme; Alain Corneau avec «Fort Saganne» une mise à nu des pratiques guerrières par indigènes interposés durant la guerre 14/18 et enfin «Chantons sous la Pluie» de Jean Jacques Annaud qui lève le voile sur le silence des colons et sur la férocité des occupants Français et Allemands à l’époque de la colonisation.

[4] Près d’un million de titres du cinéma mondial dont la moitié de productions Européennes constituent cette richesse.

[5] La Communauté, le Parlement et le Conseil Européen, ainsi que de multiples Associations portent une attention particulière à la valorisation du patrimoine audiovisuel Européen.

[6] PIDC : Programme International pour le Développement de la Communication de l’UNESCO.

[7] Cf. catalogue édité par le SDCA, pour les titres produits jusqu’en 1954 – Alger Gouvernement Général, 1955. En ce qui concerne les années 1954 à 1978, un deuxième inventaire a été établi par D. Ledoux sur Catalogue (Cf. Dépôt d’Aix en Provence, 64p, multigrafié).

[8] Lire à ce propos Revue Archives de l’Institut Jean Vigo, cinémathèque de Toulouse sous direction de F. Chevaldonné.

[9] CNC Service des archives du film du Bois d’Arcy.

[10] L’ «avrora automated restoration of originel film and video archives» développé en association avec la BBC et les Universités de Delft et de Cambridge.

[11] Détenu par l’INA (Institut National de la Communication Audiovisuelle).

[12] Le projet CAPMED piloté par Nancy ANGEL, coordinatrice de la commission Patrimoine de la COPEAM.

[13] Films sur l’Algérie tournés avant 1914; retrouvés et traités par le service des Archives du film, du Bois-d’Arcy. (Cf. travaux de Hachemi Zertal):

Vues Lumière (1986) – Prière du Muezzin, Anes, Marché arabe, Place du gouvernement, Rue Bab Azoun, Le Port.

Vues Lumière (1903) – Le Président de la République (Emile LOUBET) à Alger, le cortège, les défilés de chameaux, la visite de Biskra...

Films de fiction (1912) – Les moukères, les cireurs obstinés, la haine de Fatimeh, la vengeance Kabyle, la fiancée du Spahi, la belle princesse et le marchand.

Documentaires (1912/1913) – Journée d’une Musulmane, Constantine.

 

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