Préfacé consécutivement par Koichïro Matsuura, Directeur général de l’Unesco et Aboubakr Benbouzid, Ministre de l’Education nationale, cet ouvrage collectif, fruit d’une coopération dans le domaine de l’éducation, entre l’UNESCO et le Ministère de l’éducation nationale (M.E.N.), comprend trois sections rassemblant 15 interventions de 13 auteurs et propose en annexe une grille d’évaluation des nouveaux manuels.
Koichïro Matsuura, signant la première préface, met l’accent sur le programme d’appui à la réforme du système éducatif algérien, amorcé en 2003, visant, selon ses termes, à renforcer les capacités des cadres algériens, à assurer l’amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation des jeunes. En misant sur la refonte de la pédagogie, la rénovation des programmes et des manuels scolaires, la formation des formateurs et l’élargissement de l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, la réforme pourrait répondre, selon le directeur général de l’UNESCO, aux enjeux et défis d’assurer une plus grande pertinence de l’éducation dans une société en pleine mutation.
L’ouvrage qui nous est donné aujourd’hui à lire, affirme Aboubakr Benbouzid, dans la seconde préface, vient à point nommé non seulement pour marquer une pause réflexive sur l’état d’avancement du programme de réforme, mais surtout en tant qu’il témoigne, par son haut niveau épistémologique, de la qualité de la coopération entre l’Algérie et l’Unesco.
La première partie sous le libellé «L’école algérienne à l’épreuve du nouveau monde» rassemble six contributions. Le texte d’ouverture: «Changement social, représentation identitaire et refonte de l’éducation en Algérie» est signé par Noureddine Toualbi – Thaâlibi. La réforme de l’éducation en Algérie, affirme-t-il peut mettre fin à cette ambivalence des valeurs qui, bien qu’elle ait pu être sociologiquement compréhensible, fut à l’origine des nombreux dysfonctionnements observés. Rappelant, avec détails, l’importance stratégique des nouveaux modèles scolaires appelés à supplanter les schémas traditionnels de formation, il explique pourquoi l’école algérienne qui s’était longtemps « barricadée » derrière une série d’atavismes culturels et idéologiques, fait à présent l’objet d’une réforme structurelle. Pouvons-nous, avec Noureddine Toualbi– Thaâlibi, à l’aube du nouveau système éducatif, voulu ouvert sur le monde et structuré autour des valeurs de la modernité tant intellectuelle que sociale, espérer avoir barré définitivement la route aux anciens réflexes de conservation idéologique et culturelle?
La seconde contribution, à valeur documentaire «Introduction aux enjeux et défis de la refonte pédagogique en Algérie» est de Sobhi Tawil qui après voir rappelé le contexte de la réforme, les choix pédagogiques et méthodologiques, a procédé à une description du dispositif d’accompagnement. Insistant en particulier sur le principe organisateur des nouveaux programmes, à savoir «l’Approche par compétences» (A.P.C.), l’auteur commence par évoquer la série de rencontres ayant servi à préciser ces choix qualifiés de fondamentaux avant de retracer les différentes étapes de mise en œuvre et de décrire les stratégies mises en place. La mémoire de la réforme est restituée avec force détails à tous ceux qui estiment avoir raté une étape dans la mise en œuvre du processus.
Le texte de Farid Adel portant sur «l’élaboration des nouveaux programmes scolaires» tente de clarifier la méthodologie en vigueur dans la conception et la réalisation de ces outils pédagogiques essentiels. L’auteur décrit les missions des différents organes impliqués dans le processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’accompagnement des programmes; et ce, en référence aux différents contextes déterminés par les principaux conseils, le calendrier pédagogique, l’organisation, le projet d’établissement, etc…
«Le livre scolaire et sa nouvelle vision», texte signé par Ahcène Lagha, fait un état des lieux des conditions de publication du livre scolaire. De la première à la seconde génération de manuels, l’évolution méthodologique est rendue perceptible par l’auteur qui rappelle que l’UNESCO, à travers le Programme d’appui à la réforme du système éducatif (P.A.R.E.), a accompagné l’INRE (institut national de recherche en éducation) tout au long de l’année scolaire 2004, dans le processus d’homologation des publications et de validation de la grille d’évaluation, rendue effectivement opérationnelle.
Achour Seghouani a axé son texte sur l’évaluation de la réforme du système éducatif à travers un dispositif fournissant aux décideurs un certain nombre d’indicateurs leur permettant de suivre l’évolution de la qualité de l’enseignement et de mesurer l’impact des nouveaux programmes et de la nouvelle par compétences. Du suivi de la réforme à l’évaluation des élèves, beaucoup d’incertitudes semblent se dégager de l’article. L’auteur, chargé de l’évaluation au quotidien, s’interroge s’il faudrait parler actuellement d’évaluation des compétences, sachant qu’elle est essentiellement basée sur une pédagogie de l’intégration que nombre d’enseignants et d’inspecteurs n’ont pas encore intégrée.
Antoine Sayah soulève la problématique de l’enseignement de la langue arabe et de sa rénovation à travers, d’une part la définition de son champ disciplinaire et d’autre part l’apport de la didactique. Reprécisant le domaine d'étude de cette langue, l’auteur refuse de le limiter à l’arabe littéraire, l’étendant à l’étude des dialectes arabes utilisés dans l’expression orale et de ceux qui font l’objet d’une transcription, essentiellement dans la poésie populaire. Il souligne que toute formation des enseignants de cette langue doit être accompagnée d'une formation parallèle des inspecteurs et des chefs d’établissements qui risqueraient de constituer, sans cela, et de façon inconsciente, des obstacles insurmontables au changement souhaité.
La deuxième partie, consacrée aux instruments de la refonte, débute par un texte d’Olivier Maradan sur la nécessité d’un curriculum national défini par les compétences, qu’il présente comme un instrument de lutte contre l’échec scolaire et de compréhension du plan d’études national. Les procès d’intention faits à l’approche par les compétences, conclut-il, cachent souvent un vieux combat idéologique à propos du rôle de l’école dans la société, du poids de la différenciation face à la lutte pour l’égalité des chances et contre l’échec scolaire
Xavier Roegiers, dans un texte consacré à l’évaluation selon la pédagogie de l’intégration, répond par l’affirmative à la question de savoir s’il est possible d’évaluer les compétences. C’est un «oui, mais» à condition que les compétences soient rédigées de manière à pouvoir être évaluées, que leur nombre soit limité et que les épreuves d’évaluation soient elles-mêmes constituées de situations complexes. Le recours à ces situations est selon Roegiers la seule voie qui conduit à l’évaluation des compétences; toutefois, il y a un prix à payer: c’est celui du changement de pratiques d’enseignement et d’évaluation.
Mohamed Miled propose quelques éléments d’un cadre conceptuel et méthodologique d’aide à la conception d’un curriculum selon l’approche par compétences. Rappelant la démarche préconisée par Xavier Roegiers pour l’écriture des programmes, il reprécise pour le lecteur les trois principales entrées d’un curriculum ainsi que les principes de base de l’approche par compétences. A partir d’un exemple d’O.T.I. (objectif terminal d’intégration), extrait des programmes tunisiens, il procède à une démonstration de la dérivation des compétences impliquées et à l’identification des ressources mobilisées. Il conclut en déclinant les conditions et modalités de mise en place de l’A.P.C. (approche par compétences).
Le second texte de Xavier Roegiers est une invitation à la réflexion et à la prise de décision en matière d’évaluation dans le cadre de la pédagogie de l’intégration. L’auteur commence par décliner les fondements épistémologiques des deux types d’évaluation: formative et certificative, avant d’illustrer le caractère des choix de l’école et d’expliquer comment un élitisme outrancier peut détourner un système de sa mission première. A travers quelques simulations, il met en évidence les conséquences des réussites et échecs abusifs, montrant en quoi l’école génère elle-même ses propres maux, dont une grande partie est intimement liée à l’évaluation des acquis.
La troisième partie, articulée autour de quatre textes, est consacrée au programme d’appui de l’UNESCO à la réforme du système éducatif. Le premier texte, signé par Pierre Runner et Mohammed Radi porte sur le cadre institutionnel de cette coopération. Faisant l’historique du P.A.R.E., les deux auteurs insistent sur son contenu, son pilotage et son financement. «Construire un avenir pour l’école» nous interpelle Elizabeth Kadri, pas uniquement en renouvelant les contenus des programmes d’études, mais aussi en formant les enseignants qui devraient selon elle prendre le temps de réfléchir sur leur pratique non seulement pour innover, et/ou moderniser leurs dispositifs, mais pour articuler valeurs, savoirs, scolarité et organisation, dans le souci d’avancer et de faire avancer l’école. «Les technologies de l’information et de communication en éducation (T.I.C.E.) et leurs modalités d’intégration dans les curricula» sont au centre de la contribution de Patrick Chevalier qui après avoir identifié quelques besoins prioritaires, fait une présentation succinte des ressources et des plates-formes de formation à distance et propose un petit glossaire à la suite de son texte. Gwang-Chol Chang traite de la dynamique intersectorielle et de la régulation des flux du système éducatif dans un contexte d’appui à la réforme. L’auteur rappelle que la division des politiques et stratégies éducatives de l’UNESCO (ED/EPS) appuie les directions de la planification dans l’exécution des composantes relatives à la régulation des flux, l’étude de coûts et l’audit des systèmes d’information et d’orientation. Il s’agirait selon lui, pour l’Algérie, de développer en amont un modèle de planification commun aux trois sous-secteurs éducatifs et, d’autre part, revoir et coordonner en aval leurs politiques respectives d’orientation et d’information. «La pause épistémologique», texte de closule, faisant office de conclusion de l’ouvrage, voire de postface, est de Noureddine Toualbi Thaâlibi qui rappelant les objectifs de cet ouvrage collectif précise qu’il s’agissait entre autres de consigner les étapes parcourues par le P.A.R.E., depuis sa mise en place, annonçant la parution d’un autre ouvrage qui viendrait non pas pour marquer une quelconque « pause épistémologique », mais pour permettre une évaluation concrète de l’apport réel du P.A.R.E. au processus général de réforme du système éducatif national.
En guise de conclusion, nous pouvons dire: voici un ouvrage intéressant, mais destiné à un lectorat restreint. Certes, les textes proposés sont en cohérence avec les actions et expertises menées dans le cadre de la réforme, mais à quels enseignants et inspecteurs (principaux acteurs de la réforme) s’adressent-ils?
auteur
Aïcha BENAMAR