Insaniyat N°6 | 1998 | L'Ecole : Approches Plurielles | p. 39-52 | Texte intégral
School reports among final year secondary pupils (4 th form) Abstract : The wager in attenting a secondary school in preparing for the G.C.S.E.’ A levels’ or highers school life is organised more and more in this objective from the passage to and attendance of 4 th form (1° A.S. in the Algerian educational system). Keywords : secondary schoo, terminal, baccalaureate, school, additional courses |
Nouria BENGHABRIT-REMAOUN: Centre de recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.
Introduction
S'il y a un fait qui s'est imposé à toute la société durant ces deux dernières décennies c'est celui de la scolarisation. Pour l'ensemble des citoyens la place des jeunes est à l'Ecole et, c'est par rapport à cette appréhension de la réalité que se fait l'évaluation d'une trajectoire donnée. Devenue le paradigme de référence structurant l'imaginaire des parents et des enfants, l'école s'est posée comme un des lieux majeurs de socialisation. Si l'école tire sa raison d'être de l'inachèvement, sa finalité se pense comme la négation de sa cause.
« L'école accueille l'immaturité comme élément réel mais elle traite ce réel comme inessentiel, puisqu'elle se propose d'en mener à bien la négation »[1].
L'encadrement, le contrôle social de la jeunesse par l'enfermement dans des espaces spécifiques préparent à l'intégration, entendue comme disposition à l'acceptation des règles du jeu social. L'apprentissage des règles spécifiques au monde scolaire implique la soumission à l'autorité pédagogique et administrative représentée par les enseignants et le corps administratif ainsi qu'un code de conduite relatif aux rapports sociaux entre pairs. Si pour la population d'élèves extrêmement diversifiée aller jusqu'en neuvième année fondamentale (dernière année de collège) tend à devenir la norme collective, l'entrée dans le niveau secondaire, au lycée, est le résultat d'une forte sélection. Jusqu'en 1995 le passage au lycée se faisait sur la base d'un quota préétabli avoisinant les 50% du total des inscrits de fin du cycle moyen tout en tenant compte des capacités d'accueil de chaque établissement. Aujourd'hui c'est la moyenne qui est exigée en plus du quota relatif à la circonscription.
«L'existence d'un modèle bien défini de «socialisation par le travail» ainsi que celle de chaque lycée comme lieux de formation de l'élite et de la transmission d'une «grande culture» socialement fonctionnelle »[2] sont perturbés par la massification au niveau de l'éducation de base qui a été à l'origine d'une véritable pression. L'aspiration sociale quasi générale à l'accès à l'université impose le lycée comme passage obligé. L'exclusion scolaire comme mode dominant de sélection cède la place progressivement à l'orientation scolaire avec ses filières de relégation[3].
Le taux de scolarisation moyen national en 1987 pour les enfants en age de fréquenter le lycée est de 51% (60% pour les garçons et 43% pour les filles)[4] alors qu'en 1977 il était de 7%. Le recrutement massif des enseignants fut la conséquence directe de l'accroissement formidable des enfants scolarisés. En trois décennies une véritable révolution scolaire a eu lieu incarné par une primarisation de masse. C'est l'Etat EducateurDéveloppeur[5] qui en est l'artisan essentiel et quasi unique[6] jusqu'aux années 90. Les taux d'échec de plus en plus élevés particulièrement au baccalauréat, conjugués aux aspirations à la réussite ont abouti à l'éclosion d'activités pédagogiques parallèles sous forme de cours supplémentaires. Ces derniers donnent naissance progressivement dans certain cas à des écoles privées, lesquelles imposent de fait leur existence dans un contexte de remise en cause globale du soutien exclusif de l'Etat. Si en 1990 le taux de financement du secteur de l'éducation représente 29.71% du budget de l'Etat, en 1997 il est de 17.39%[7]. Les pressions des institutions financières internationales et la chute de la rente pétrolière constituent l'argumentaire principal du discours en faveur du désengagement de l'Etat. En aspirant à devenir l'Etat régulateur-contrôleur les pouvoirs publics se trouvent confrontés à un dilemme comment maintenir leur fonction de centre unique de décision et de contrôle et en même temps reconnaître et susciter l'apport financier de l'investissement privé. Le développement de la scolarisation est une des sources principales de légitimité du pouvoir dont l'idéologie de référence - le populisme - est largement partagée par la société. Le regain élitiste explicite de certaines catégories sociales (essentiellement les couches moyennes), la remobilisation autour des «Valeurs nationales» ou «Thawabit» considérés en péril par la catégorie politico-rentière (réussissant souvent à avoir des soutiens populaires), contribuent à façonner un système éducatif à géométrie variable.
1. L'enseignement secondaire et ses enjeux
«L'enseignement secondaire a pour objet, outre, la poursuite des objectifs généraux de l'école fondamentale, le renforcement des connaissances acquises et la spécialisation progressive dans les différents domaines en rapport avec les aptitudes des élèves et les besoins de la société. A ce titre, il favorise, soit l'insertion dans la vie active soit la poursuite des études en vue d'une formation supérieure »[8]. Bien que défini dans ses missions et objectifs dans la loi de réforme de 1976, l'enseignement secondaire ne connaîtra sa refonte qu'en 1984 (Jusqu'à cette date demeurait en vigueur le système hérité de la période coloniale). Cette réforme parachèvera ainsi le cycle des réformes du système éducatif commencé avec celle de l'Enseignement supérieur en 1971, et celle de l'Education de base enseignement fondamental polytechnique) en 1976. Il s'agissait d'ériger la parité entre les filières d'enseignement général et les filières techniques, élargir le champ des spécialités avec 22 options et changer les programmes tout en introduisant la langue arabe comme langue d'enseignement. Les nombreux échecs en première année universitaire[9] et les déperditions en cours de scolarité ont abouti à la mise en oeuvre de la réforme de 1991. Les solutions envisagées furent la suppression de la spécialisation précoce et pointue avec l'instauration du tronc commun, la réduction du nombre de filières de spécialisations les faisant passer de 22 à 15, et l'ouverture à partir de la deuxième année secondaire des sections pré-qualifiantes. La pression organisée par les parents et les lycéens contre l'institution du pré-qualifiant exprimée à travers le mouvement de grève au moment de la mise en application en 1992, a eu pour conséquence l'arrêt quasi immédiat d'une des composantes de la réforme. En réalité, l'orientation vers ces sections présentée par l'institution comme la conséquence directe du travail scolaire, devait permettre d'augmenter le pourcentage de réussite au baccalauréat en écrémant en amont de l'examen les candidats potentiels à l'échec. L'orientation devient un véritable enjeu dans le parcours scolaire du lycéen, parcours au sein duquel il lui faudra maintenir, ou le cas échéant négocier le cap de l'enseignement général et au sein de ce dernier, le choix de la filière scientifique. C'est ainsi que la filière mathématique est entrain de disparaître au profit de la filière scientifique réputée moins difficile niais surtout ouvrant la possibilité d'inscription[10] à l'université aux formations du biomédical. En se démocratisant, le lycée a subi de profondes transformations et particulièrement au niveau de la population enseignée. La figure de l'héritier qui suppose à la fois «un rapport personnel au savoir en même temps que l'acceptation des contraintes scolaires réconciliait l'intérêt intellectuel et l'intérêt social des études »[11], Des stratégies parentales d'adaptation se mettent en place dans l'objectif de négocier le parcours le plus valorisé se maintenir dans le système scolaire en empruntant à chaque palier d'orientation celui de l'enseignement général.
Avec un taux de réussite au baccalauréat de 20%[12], l'enseignement secondaire aujourd'hui constitue une passerelle pour une élite et une voie sans issue pour la majorité. De fait, la question principale pour les gestionnaires de l'éducation, est actuellement d'abord d'ordre statistique. Elle peut être résumée ainsi comment amener au renversement de la tendance actuelle du pourcentage au baccalauréat? Cette interrogation en cache une autre plus fondamentale celle de la finalité de ce cycle d'enseignement cycle transitoire -préparation a l'université, le bac étant l'instrument d'accès au cycle terminal ? La réforme de 1991 visait à concilier les deux objectifs avec l'instauration du pré-qualifiant. Ce dernier provoqua une levée de bouclier qui se terminera par la suspension des filières ainsi crées. La configuration actuelle de l'enseignement secondaire est le résultat direct de la mobilisation contre les filières de relégation, aboutissant au dévoiement de l'organisation pédagogique.
Si les réformes de 1984 et de 1991 avaient pour objectif de répondre à l'instar de l'enseignement supérieur, au développement des filières techniques de l'enseignement pour les amener à parité avec les filières générales, le double échec - dans la mise en oeuvre du préqualifiant et des forts taux de redoublement en première année universitaire, pose le problème plus fondamental du caractère caduque des mesures visant à assurer une différenciation dans le cursus, de l'enseignement secondaire car la traduction immédiate de celle-ci fût la hiérarchisation des filières. Par ailleurs, à titre d'exemple, la pression des familles a eu pour conséquence la quasi disparition de la filière sciences exactes. De même l'expérience de l'institution des classes spéciales[13] pour élèves doués au niveau du secondaire a connu le même sort très décrié et non acceptées par l'opinion publique, elles furent fermées très rapidement. La fragilité dans l'application des décisions de changement dénote du partage par la société et ses gouvernants de la culture égalitariste dont l'idéologie populiste du pouvoir tirait sa légitimité. Cette idéologie a pris comme point d'appui l'école car «l’œuvre de l'école est d'abord une oeuvre de conformation, de normalisation sociale »[14].
La réflexion existante autour de la question de l'école a du mal à abandonner les spéculations normatives au profit d'études et d'enquêtes contribuant à la compréhension du fait éducatif, ceci alors même que l'enjeu principal du passage par le secondaire, demeure en effet l'obtention du baccalauréat.
2. Représentations lycéennes du rapport pédagogique
Partant d'une enquête[15] de terrain menée auprès de six établissements d'enseignement secondaire de la ville d'Oran (quatre d'enseignement général et deux d'enseignement technique), nous avons pris le parti de pénétrer le système par le point de vue des élèves. Un questionnaire mettant notamment en jeu la quotidienneté du lycéen dans la classe, dans l'établissement, dans sa famille, ses aspirations... a été élaboré et soumis à un échantillon d'élèves.
Ce sont les questions relatives à la situation pédagogique et scolaire qui ont obtenus le taux de non réponse le plus faible (1%). Le désir de donner un point de vue dans ce domaine précis a été exprimé en clair dans les réponses au questionnaire. La compétence d'un enseignant se reconnaît pour les lycéens d'abord dans le fait qu'il cherche à savoir Si les élèves ont compris (22%), qu'il accepte de répondre à toutes les questions (18%), qu'il ne perde pas de temps (13%), qu'il donne son cours sans documentation (12%), qu'il est juste avec les élèves (11%), qu'il corrige les exercices (9%). L'utilisation de nombreux documents comme un des paramètres de performance de support n'est évoquée que par 2% des répondants. Quel que soit le sexe, l'établissement fréquenté à caractère général ou technique ou la filière suivie, le comportement des répondants est identique. Si la compétence aux yeux du lycéen se mesure par rapport à lui-même, en fait selon le résultat auquel l'enseignant est censé parvenir, c'est à dire la compréhension du cours et à son assimilation par l'élève, il en va autrement des qualités requises pour être un bon professeur. Pour le lycéen, un bon professeur est celui qui possède des connaissances élevées en premier lieu (28%), fait preuve de compréhension (24%), a de l'expérience (21%), est juste et intègre (18%), et en dernier lieu la fermeté (10%). Là aussi nous n'avons pas de différences significatives entre les facteurs discriminants de sexe et d'orientation. Pour une bonne relation pédagogique, les lycéens considèrent que le facteur le plus important est en premier lieu une bonne méthode d'enseignement (39%), puis de bonnes qualités morales (37%), et enfin un bon niveau de connaissances (24%). Il est significatif que les établissements d'enseignements techniques accordent aux qualités morales de l'enseignant près de 50% des choix (lycée technique 52% et technicum 44%). Ils privilégient l'expérience à la jeunesse (76% et 24%). Les filles sont franchement pour des encadrements expérimentés (82% contre 18%) alors que les garçons sont moins radicaux (69% et 31%).
L'évaluation par les lycéens de la compétence est construite sur la pratique réelle du métier. De multiples- témoignages montrent la pression des parents pour faire bénéficier leurs enfants de l'accès à des établissements spécifiques, leur permettant de les soustraire aux «mauvaises fréquentations» et en même temps les assurant de meilleures chances de réussite scolaire. On sait aujourd'hui comment le choix de l'école, la composition de la classe[16] avec des enseignants triés sur le volet conséquence du «consumérisme scolaire», développe et participe à la construction des réputations de bons ou de mauvais établissements. Le durcissement des clivages sociologiques[17] se renforce en l'absence de toute réflexion et procédure de remédiation.
En exprimant leur représentation du «bon lycée», en précisant leur critère de choix, les lycéens livrent leur conception de l'enseignement et leurs attentes. Ainsi, selon les items; c'est en premier lieu, la qualité des proposés enseignants qui est cité, comme premier paramètre du bon lycée (26%), le taux de réussite aux examens (17%), le sérieux et la discipline (17%) l'ambiance entre professeurs et élèves (15%), la qualité des équipements (11%) l'ancienneté de l'établissement (8%) l'origine sociale des élèves (7%). C'est l'efficacité des services proposés par le lycée qui fonde la qualité de bon ou de mauvais lycée au sein de la société. N'y a-t-il pas là un rapport de type instrumental qui progressivement s'installe au détriment d'un rapport plus fondamental d'éducation ? Ce nouveau rapport, lui même induit par la massification scolaire s'accompagne d'une non remise en cause de la relation d'autorité hiérarchique existant au sein de l'établissement et qui est revendiquée même comme paramètre du «bon lycée». C'est, en effet la reconnaissance qu'on ne peut instruire que dans un cadre soumis aux règles qu'impose le fonctionnement d'une organisation. Des différences d'appréciation apparaissent selon le sexe et la filière fréquentée. L'ambiance entre professeurs et élèves occupe une place plus importante chez les garçons (2ème position) ainsi que chez les scientifiques et les technologues. Le sérieux et la discipline dans un lycée constituent pour les élèves de lettres un facteur presque aussi important que le niveau de compétence des enseignants (23% et 24%). La hiérarchie des lycées établie par les lycéens correspond à la hiérarchie sociale portée dans l'imaginaire des habitants de la ville. Perçu comme le lycée le plus huppé -celui de la tchi-tchi- le lycée Lotfi est également celui dont le taux de réussite au baccalauréat est parmi les plus élevés[18]. Les lycéens semblent n'avoir mis en compétition réelle que les établissements les plus anciens, dont certains existants depuis la période coloniale. Un seul créé, depuis l'indépendance aurait gagné du terrain selon eux (Seddikia). Les lycées de la périphérie et des quartiers réputés populaires de la ville occupent une place marginale quand ils ne sont pas du tout évoqués. Evacuée comme facteur de sélection du bon établissement, l'origine sociale des élèves se réintroduit comme facteur discriminant dans les représentations lycéennes. Les meilleures filières citées sont : sciences (40%), mathématiques[19] (26%), lettres (17%), les filles classant en deuxième position les lettres. Faire sciences, c'est repousser à plus tard les choix définitifs, se donner par la même, le temps de la réflexion et s'accorder l'opportunité d'inscription à toutes les filières recherchée de l'université, pour peu que les moyennes exigées soient obtenues. Dans leur grande majorité, ils répondent que ce sont les débouchés offerts qui déterminent le statut de meilleure filière (63%), ensuite les meilleurs enseignants (26%), et en dernier lieu les meilleurs élèves (11%).
Sollicités pour faire des propositions en vue de l'amélioration du fonctionnement de l'établissement, les lycéens choisissent en premier lieu la modification du contenu des programmes (36%) puis la modification des relations pédagogiques (30%), de développer les activités culturelles (18%) et d'intégrer plus l'établissement dans la société (17%). Le fait d'être soumis à l'examen du baccalauréat pour nos enquêtés de terminale les rend plus sensible à la question des programmes. Bien qu'ayant classé les items selon la même hiérarchie, les filles accordent plus d'importance à la modification de la relation pédagogique, tandis que les garçons suggèrent de manière plus forte le développement des activités culturelles. Présumant peut-être que les filles ne seraient pas autorisées par leurs parents à fréquenter le lycée en dehors des nécessités pédagogiques, ces dernières ont situé les activités culturelles en dernière position.
3. Les lycéens et le travail scolaire
« Au cours de sa carrière un élève doit donc, chaque année, s'adapter non seulement à un programme nouveau mais encore à la culture d'un nouveau groupe, aux exigences d'un nouveau maître, à un nouveau style d'autorité, à un nouveau genre d'activités et de travail scolaire »[20].
La classe de terminale, clôturant le cycle de l'enseignement secondaire est entièrement structurée autour de la préparation du diplôme du baccalauréat, sans lequel « on n'est rien », niais avec lequel « on n'a rien», et qui polarise l'attention et la mobilisation générale. La fréquentation de cette classe de terminale a entraîné un changement dans le mode de vie des trois quart des lycéens (72%) quelle que soit la filière ou l'établissement fréquenté. L'appréciation est cependant assez différente entre les filles et les garçons (76% et 67%). Parmi les changements évoqués la révision régulière des leçons (36%), la diminution des sorties (26%), le fait de moins regarder la télévision (22%) et de prendre des cours supplémentaires (16%). Les filles révisent plus et sont habituées à ne pas sortir pour la majorité d'entre elles; l'autorité parentale conjuguée à la culture dominante astreint en effet les filles au respect du principe de ne sortir que Si on a de bonnes raisons de le faire. Pour les deux lycées populaires (Médioni et Khawarizmi) le pourcentage des lycéens prenant des cours supplémentaires est le plus faible (6% et 12%); et c'est en filière lettres qu'on en prend le moins et en sciences et maths qu'on en prend le plus. La régularité dans le travail est le fait de 79% des lycéens avec un taux cependant légèrement plus faibles pour le lycée technique de garçons et le lycée populaire (Médiouni) (62% et 75%).
Tableau 1 : modalités d'organisation du travail scolaire (répartition par sexe)
COMMENT ORGANISES-TU TON TRAVAIL |
||||||
Désignations réponses |
Filles |
Garçons |
TOTAL |
|||
Exprimés Non exprimés TOTAL |
451 10 491 |
98 2 100 |
349 24 373 |
94 6 100 |
830 34 864 |
96 4 100 |
TRAVAILLEUR SUR SUJETS D'EXAMENS REVISER TOUS LES SOIRS LES LECONS FREQUENTER LES BIBLIOTHEQUES FAIRE DES FICHES PAR MATIERE |
270
241
136
43 |
39
35
20
6 |
221
170
55
40 |
45
35
11
8 |
491
411
191
83 |
42
35
16
7
|
TOTAL |
690 |
100 |
486 |
100 |
1176 |
100 |
« Le travail est devenu le discours dominant de la réussite scolaire. Le discours du travail est seul aujourd'hui à proposer une compréhension globale et légitime de la réussite scolaire »[1] . C'est le manque de travail qui explique l'échec scolaire pour l'institution et pour ses acteurs principaux (élèves-professeurs et administration) et quand l'élève travaille niais échoue c'est qu'il ne sait pas travailler. La référence au don, à l'intelligence, à l'inné cède la place à l'effort et à l'investissement besogneux. L'échec est rapporté au manque de motivation.
Il est symptomatique que les lycéens s'orientent plutôt dans le travail personnel vers l'acquisition des mécanismes de résolution des questions précédemment sorties dans les sujets d'examen du baccalauréat. C'est dans la filière technologie que le travail sur les sujets d'examen est le plus courant (47%), suivie par la filière math (45%), et la filière sciences (43%).Les lycéens de lettres optent en premier lieu pour la révision tous les soirs des leçons (43%) et sont les plus nombreux (22 %) à fréquenter les bibliothèques (math : 17% - science : 16% - technologie : 13%). Les filles fréquentent plus les bibliothèques que les garçons (20%F pour 11%G). Si les trois quart des élèves préfèrent travailler seuls (730/o) c'est dans les filières technologiques où ils sont les plus nombreux à travailler en groupe (36%). Pour rentabiliser au maximum leurs efforts, les lycéens font des choix rationnels en privilégiant d'axer leurs efforts sur les matières à fort coefficient (55%), les matières où ils sont faibles (24%), les matières qui les intéressent (21%). Le bachotage, la mémorisation et l'imitation de modèles établis de résolution de problèmes, constituent l'essentiel des pratiques de travail chez le lycéen. La nature parfois contradictoire de la demande établie par les enseignants -démarche et raisonnement ou récitation et restitution, rend plus complexe et plus incertain l'exécution des taches scolaires. Dans l'évaluation des résultats aux épreuves d'examen les enseignants -selon leur formation, leur expérience, leur itinéraire scolaire, jugent soit la démarche, la méthode employée, le résultat, ou tout à la fois. La volonté d'amenuiser la part des automatismes au profit de la reconstruction des savoir chez l'apprenant, apparaît dans la pédagogie par objectif utilisé avec beaucoup de tâtonnement par certains enseignants. Les limites de cette pédagogie ont amené au recentrage des «pratiques de formation des maîtres autour des méthodes de résolution de problème en identifiant les difficultés professionnelles auxquelles les personnes se trouvent confrontées, en les aidant à en repérer les causes, à isoler celles sur lesquelles ils peuvent avoir du pouvoir, à engager la recherche de solutions réalistes»[2].
Déstabilisés par le discours critique des enseignants «l'important n'est pas le parcoeurisme mais la compréhension» et leurs pratiques de notation (les meilleures notes sont obtenues par ceux qui ont recraché le cours), les élèves constatent l'efficacité pédagogique du «par coeur »bien qu'encouragés à aller au-delà du cours. C'est ainsi, que seuls 7% de la population enquêtée utilise la méthode des fiches par matière perçues par la plupart comme une perte de temps et dont l'efficacité ne semble pas garantie, car pour les lycéens apprendre c'est restituer et restituer à bon escient sinon c'est le hors sujet qui guette. Les annotations réduites à leur plus simple expression-trait rouge au-dessous de la faute ne permettent pas une meilleure compréhension de la consigne ratée. Dans les bulletins trimestriels apparaît dans la case «observation» la standardisation extrême des avis d'enseignants. Ainsi nous appuyant sur le cas d'un élève ayant une moyenne scolaire annuelle de 10, les observations suivantes selon les disciplines se répartissant ainsi :
Insuffisant |
Moyen |
Amélioration visible doit travailler davantage / bien |
Acceptable |
Passable |
Convenable |
8,33 / 20 |
11/ 20 |
12/20 |
13,3 / 20 |
13,3 / 20 |
13,66/20 |
En prenant un exemple précis celui du cours de lettres arabes, l'enseignant pour les trois trimestres juge l'élève avec une même appréciation -insuffisant- pour les notes suivantes : 9/20, 6/20, 7/20. Quelles incidences peuvent avoir sur le travail de l'élève ces jugements 9. De plus les normes étant différenciées selon les matières et les enseignants, cela développe l'incertitude dans l'auto-évaluation de l'élève tout en sollicitant chez lui un effort d'adaptation permanent aux exigences implicites de chaque enseignant. C'est peut être la signification que renferme la réponse à la question du classement des conditions les plus importantes de réussite au baccalauréat. C'est, en premier lieu le résultat de beaucoup d'efforts personnels (30%) -de bons enseignants (25%)-d'avoir de meilleures conditions de travail (19%) -être aidé par ses parents (15%)-de prendre des cours supplémentaires (11%). L'effort personnel de l'élève suppose un certain nombre d'activités comprenant aussi bien:
- Le repérage des bonnes connaissances liées à l'obsession de terminer le programme.
- L'identification des attentes de l'enseignant.
- Le développement de la fonction d'écoute durant les cours.
- La reprise des notes à domicile en vue de leur mémorisation.
A la question posée sur le suivi des cours supplémentaires, 31% ont répondu affirmativement. Si aucune différence selon le sexe n'apparaît, par contre des différences significatives peuvent être relevées selon la filière fréquentée: en sciences (39%) prennent des cours supplémentaires, maths (37%), lettres (21%) et technologie (20% ). Les matières concernées par ces cours sont les maths (44%) et physique (35%), sciences (5%), philosophie (5%). Selon les filières suivies nous aurons comme matière objet de cours supplémentaire.
Lettres philosophie (44%) -maths (23%)- langues (13%).
Maths: maths (53%) - physique (41%).
Sciences : maths (43%) -physique (43%) - sciences (12%).
Technologie: maths (43%) -physique (21%) -comptabilité (21%).
Dans la hiérarchie des disciplines soutenues par des cours supplémentaires les mathématiques occupent une position capitale. Devenue matière de sélection, au cours d'un long processus de changement, cette matière a bénéficié de «la métamorphose de l'ordre de prestige des disciplines»[3]. Des expériences de classe de niveau homogène (où le critère principal est celui de la réussite ou de l'échec en math) ont été tentées sans succès particulièrement pour les élèves en situation d'échec. Repérée comme des classes pour faibles, et pour des doublants, elles ont finies par être rejetées aussi bien par les élèves stigmatisés comme handicapés intellectuels que par les enseignants non préparés à des prises en charge pédagogiques spécifiques.
Le lycée est perçu comme une étape d'un cursus scolaire dont l'aboutissement est l'université pour les filles comme pour les garçons (78%). C'est dans la filière de technologie que le pourcentage de perception est le plus faible (69%). Sur 16 spécialités citées la hiérarchie s'établit en fonction du prestige social attendu de la profession et ce malgré le chômage qui n'épargne aucune spécialité: médecine (20%) -informatique (13%) - droit (11%)- technologie (9%)- sciences exactes et biologie (7%) langues (6%). Selon la filière suivie, les études universitaires souhaitées changent.
Tableau 2 : répartition selon la section suivie, des choix de filières à l'université
Filières choisies |
Lettres |
Maths |
Sciences |
Technologie |
Médecine |
1 % |
15 % |
43 % |
0 % |
Informatique |
0 % |
28 % |
7 % |
10 % |
Droit |
41 % |
2 % |
6 % |
7 % |
Technologie |
1 % |
14 % |
2 % |
7 % |
Sc exacte/bio |
0 % |
14% |
11 % |
3 % |
Langues |
23 % |
0% |
3% |
1% |
Economie |
0% |
3% |
2% |
21% |
Architecture |
0% |
5% |
3% |
17% |
Psychologie |
15% |
1% |
3% |
1% |
Travaux publics |
|
|
|
16% |
L'injonction récurrente des enseignants vis à vis de leurs élèves à plus d'investissement dans le travail scolaire, rencontre l'absence de motivation des lycéens. «La relation pédagogique est une forme inédite de relation sociale entre un maître et des écoliers »[4].
L'école représente pour les lycéens, d'abord un lieu d'apprentissage[5].
Conclusion
L'enjeu dans la fréquentation de l'enseignement secondaire est la préparation au baccalauréat. La vie lycéenne est organisée de plus en plus dans cet objectif depuis la première année de lycée. Confronté à une double journée de travail, avec le travail scolaire au lycée, à domicile et les cours supplémentaires, le lycéen est engagé dans une véritable gestion du temps. L'organisation du temps est établie en fonction d'une représentation donnée des matières d'enseignement. C'est d'abord un rapport instrumental qui se donne à voir au travers des discours tenus sur les matières d'enseignement qui relève de l'action culturelle de 1'Ecole. Pour les lycéens:
- Les langues sont une « affaire » de disposition donc «il n'y a rien à travailler».
- L'histoire / géographie c'est l'affaire de la mémoire.
- La Physique / Math une affaire d'exercice et, de mécanisme à s'approprier.
- La Philosophie c'est une affaire de chance et de mémoire.
La gestion des «déficits» scolaires s'accompagne d'une stratégie de prise en compte des typologies de classement par les pairs et auxquelles il faut échapper le besogneux est fustigé et ne pas montrer qu'on a travaillé permet, en cas d'échec de s'en sortir psychologiquement indemne. Car, la réussite scolaire engage la construction d'un rapport positif à soi. L'école fonctionne comme système structurant sur une échelle de valeur. Le lycéen est en situation d'évaluation constante à laquelle il réagit en luttant contre la réduction de sa personne à la valeur scolaire. Cette résistance s'exprime pour certains d'entre eux par l'investissement à l'intérieur du lycée comme à l'extérieur d'un savoir-faire autre que scolaire. La médiocrité scolaire va presque de pair avec une recherche de performance, dans une autre référence contre l'humiliation: débrouillardise (trabendo), chef de bande, insolence... Ces comportements sont à interpréter comme des «moyens de défense et de survie »[6]. Lorsque les enseignants n'arrivent pas à susciter un répondant du côté lycéen, ils attribuent la responsabilité directe aux parents : «ils ne s'occupent pas de leurs enfants». Développant tout un discours sur la «démission» des parents, les enseignants contribuent à la légitimation du recours aux cours supplémentaires comme remédiation aux difficultés scolaires. Soigner son image, tout en préservant la division du travail entre le scolaire et l'affectif est l'objectif poursuivi dans le placement des enfants aux cours supplémentaires. L'échec massif en terminale (30%) n'a pas créé une culture anti école chez les lycéens. L'acharnement à repasser le BAC à plusieurs reprises, à changer d'établissement, de quartier, de ville,... sont autant d'indices de mobilisation relative à l'école. Si la carrière scolaire qui est en jeu dépend en partie des caractéristiques sociales et scolaires de l'élève, «le contexte de scolarisation joue un rôle important... principalement pour les élèves moyens ou moyens faibles »[7] (l'orientation - la classe - l'effet maître...).
Notes
[1]- RANOU, Xavier, coordinateur, ouvrage.- l'Ecole de la démocratie.- Paris, Fondation Diderot, 1988.- p.117.
[2]- BARRERE, Anne.- Les lycéens au travail.- Paris, P.U.F, 1997.
[3]- BENGHABRIT-REMAOUN, Nouria.- L'enseignement technique – adaptation ou inadéquation.- Doctorat 3ème cycle Sorbonne, Université de Paris V, 1982.
[4]- FERROUKHL, Djamel.- L'état de l'éducation en Algérie.- ONS, Collection statistique.
[5]- Nous reprenons ici la catégorisation établie par Jean Manuel De Queiroz au Contexte français dans son ouvrage "L'école et ses sociologies" Nathan 1995.
[6]- Seules certaines institutions notamment les zaouiates dispensaient un enseignement religieux dit libre, non conforme aux programmes officiels, mais toléré.
[7]- M.E.N, Indicateurs statistiques 1996 / 1997.
[8]- M.E.N : Organisation de l'Education et de la formation en Algérie (ordonnance n° 35-76 du 16 Avril 1996. Bulletin officiel de l'éducation nationale, Art 33.
[9]- En 1997 le taux d'échec en première année de l'université était de 22 % à l'échelle nationale et de 17 % en deuxième année ; pour exemple il est de 31 % en sciences exactes, de 29 % en technologie et de 27 % en informatique.
[10]- L'utilisation de l'ordinateur – représentant impersonnel de l'état n'a pas bloqué les stratégies de contournement de l'orientation imposée à l'élève bien qu'il devenait de plus en plus difficiles à la nomanclatura de forcer la note exigée pour les formations biomédicales.
[11]- BARRERE, Anne.- Les lycéens au travail.- PUF, 1997.- p.139.
[12]- En 1970 le taux de réussite se situait entre 60 et 70 % avec un taux plus élevée pour l'enseignement technique.
[13]- En 1990 fut expérimentées, l'ouverture de classes pour "surdoués" dans un certain nombre de lycées. Une moyenne de était exigée pour l'inscription dans ces classes.
[14]- HUOSSAYE, J..- Les valeurs à l'école.- P.U.F, 1992.- p.178.
[15]- Les quelques résultats présentés ci-après sont le produit d'une enquête menée en Mai 1992 auprès d'un chantillon représentatif d'élèves de terminale regroupant 1 629 élèves (sur un total de 11 627 élèves de terminale) au niveau de la commune d'Oran, dans six établissements d'enseignement secondaire et de séances-débats avec dés groupes formés chacun d'une dizaine de lycéens. Près de 70 étudiants de troisième année de sociologie de l'éducation ont contribué à l'enquête. Le questionnaire rédigé en arabe comprenait 109 questions et traitait les cinq thèmes suivants :
- fonctions globales, de l'école,
- relations pédagogiques et représentation de la compétence,
- stratégies de réussite et représentations de l'avenir,
- jeunes et culture (pratiques culturelles, les valeurs),
- vie quotidienne des jeunes (rapport à l'amitié, à l'argent…)
[16]- BALLION, Robert.- La bonne école.- Evaluation et choix du collège et du lycéen.- Ed. Hatier, 1991.
[17]- Une enquête menée en 1977 auprès de six établissements d'enseignement secondaire, à permis de construire une véritable carte sociale se jouant de la carte scolaire élaborée par les gestionnaires de l'Education. les clivages sociaux recoupent ceux de langues et de filières (arabe / français, général / technique) in N. Benghabrit – Remaoun.- Op.cité.
[18]- Au bac de 1998 le lycée Lotfi a totalisé le plus grand nombre de mentions très bien et bien du pays.
[19]- Depuis l'enquête (1992) la filière de math. N'a cessé être désertée par les lycéens, réputée difficile mais surtout n'offrant pas les mêmes possibilités d'inscription à l'université.
[20]- PERRENOUD, P..- Métier d'élève et sens du travail scolaire.- ESF, 1995.- p.57.
[21]- BERRERE, Anne.- Op.cité.- p.37.
[22]- MEIRIEU, Philippe.- Apprendre… oui, mais comment?.- Paris, E.S.F éditeur, 1987.- p.111.
[23]- CHERKAOUI, Mohamed.- Les changements du système éducatif en France 1950-1980.- PUF, 1982.- p.281.
[24]- DE QUEIROZ, Jean-Manuel.- L'école et ses sociologies.- Paris, Ed. Nathan, 1995.- p.7.
[25]- BENGHABRIT-REMAOUN, N..- Jeunes en situation scolaire – représentations et pratiques.- in Naqd n° 5.- 1993, (Culture et système éducatif).
[26]- COHEN, A., HUGO, M.A.- Nouveaux lycéens, nouveaux pédagogues.- INRP, 1995.
[27]- DURUT-BELLATO, M..- Pour une approche analytique du fonctionnement du système éducatif.- P.U.F, 1993.-p.182.