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La gestion du changement dans le système éducatif

Insaniyat N°6 | 1998 | L'Ecole : Approches Plurielles | p. 5-18 | Texte intégral 


Managing changes in the Educational system

Abstract : How to manage changes in the educational system in a performing and scientific way ?
After having shown the gap which exists between what is intended and what is done, between reality and pedagogical practices and management and daily experiences, the author analyses the different pedagogical approaches put into practice calling attention to as much an absence of all historical approach as an economic and an insufficient pedagogical one. Thus « the management of changes fails from the fact of its inability to find its place in time space and culture ».
In this context then, how to rationalize management ? Decentralisation has been presented as a panacea. An evaluation must avoid voluntary circumstancial approaches and effects of mode. But like all other concept, it « has no sense other than in the frame work of a defined problematic ». Lastly, all managing of changes relates back to cultural references, to institutional problems and to men.

Keywords : education, system, change, pedagogy, management


Tahar KACI: Ancien Secrétaire d'Etat à la formation professionnelle.


La question du système éducatif a pris, ces dernières années, un relief particulier dans les préoccupations de la société. Cet intérêt n'est certes pas nouveau. Cependant les approches actuelles se distinguent par une plus grande liberté de ton, une participation plus large des partenaires sociaux et la tendance à se libérer des attitudes corporatistes et sectorielles. Un tel changement reflète une évolution politique vers plus de démocratie et un désir d'évolution culturelle qui réconcilie toutes les valeurs de la société avec ses objectifs de développement.

Cependant, la mutation attendue et les réformes souhaitées restent tributaires de l'élaboration d'un consensus minimum qui en fasse un projet social partagé. Or, la question de l'école se pose bien en terme de consensus minimum dans la mesure où une de ses missions essentielles est la formation du citoyen et la consolidation du socle culturel sur lequel s'édifie la nation. Dans toute société moderne le but de l'école consiste à préparer les générations aux défis auxquels elles seront confrontées. A l'orée d'un nouveau millénaire, ces défis sont réels, complexes et pressants.

Nous pensons que ce débat autour d'un consensus est à deux niveaux. D'une part, un débat social qui aide à cerner les enjeux et les contraintes, et à reconstruire l'image actualisée de l'éducation et de l'école. D'autre part, un débat scientifique et technique qui précise les concepts et les problématiques et qui produit les conditions d'une rationalité de gestion. Ces deux niveaux sont complémentaires. Ils trouvent leur cohérence dans ce qu'il convient d'appeler une culture sociale de l'école.

La nécessité d'une évolution du système éducatif est aujourd'hui reconnue par tous. Mais l'identification des innovations attendues, la détermination des priorités d'action et les modalités de leur mise en œuvre et de leur gestion semblent encore être des préoccupations marginales. Or mener à bien une réforme, c'est d'abord se donner les moyens de concrétiser un processus de transformation progressive du système. C'est être capable de gérer le changement.

Intention et action dans la gestion du système éducatif.

L'observateur averti est surpris de constater l'écart qui existe entre l'intention et l'action dans la gestion de notre système d'éducation et de formation. En effet l'étude de la littérature qui lui est consacrée, tant par les institutions publiques concernées que par les analyses et les réflexions des spécialistes montre le niveau de connaissance des dysfonctionnements qui le caractérisent et la prise de conscience de la nécessité d'agir dans le sens du changement.

Les bilans sont nombreux, établis par la plupart des institutions concernées, directement et indirectement[1]. Les secteurs gestionnaires ont depuis longtemps identifié les grands axes des réformes nécessaires[2].

Sans chercher à être exhaustif, nous citerons la formation, le perfectionnement et la promotion des enseignants et de l'encadrement, l'adaptation et le développement de l'enseignement technique et de la formation professionnelle, la mise en place de centres d'excellence et le développement de la recherche, une plus grande implication du monde du travail en particulier et de la société en général dans l'orientation de l'action d'éducation et de formation et l'évaluation de ses résultats, la rénovation et le renforcement de la dimension culturelle et civique de la formation dispensée, la promotion de l'esprit critique et de l'autonomie du jugement, les procédures d'orientation scolaire et professionnelle...

L'UNESCO a participé à cet effort d'évaluation [3]et a contribué à mettre en place des programmes de coopération avec des pays ayant acquis une expérience notable en la matière

La recherche universitaire, a travers les thèses, les mémoires et autres études, constitue également une ressource non négligeable, mais souvent ignorée, faute de diffusion, voire faute d'intérêt.

La mise en place du Conseil Supérieur de l'Éducation a suscité l'espoir légitime d'une dynamique et d'une cohérence nouvelles. Il a contribué à élargir le champ du débat et provoqué directement ou indirectement réflexions et analyses diverses.

Cependant, lorsque l'on examine la réalité des pratiques pédagogiques et de gestion et le vécu quotidien du système, il semble que celui-ci évolue sous l'effet de sa pesanteur, déterminée par la circulation des flux et le poids des procédures. Des initiatives particulières et limitées tentent de temps à autre de briser ce carcan sans pouvoir remettre en cause l'économie générale du système.

La problématique essentielle est donc aujourd'hui de s'interroger sur les causes de ce décalage afin de déterminer les conditions d'une réelle maîtrise du système et de mettre en place les moyens et les mécanismes d'une gestion efficace du changement.

Question de démarche

Le débat sur le système éducatif a souvent relevé de l'intuition et de l'idéologie. L'idéalisation et la politisation des questions d'éducation sont un obstacle épistémologique de taille pour l'analyse méthodique, basée sur la collecte de données et la mesure des effets et des causes.

L'éducation doit répondre à un droit fondamental du citoyen, le droit au savoir et à l'intelligence, aussi important que le droit à la vie auquel il donne sens et valeur. Elle confère également un pouvoir d'orientation sociale non négligeable. C'est pourquoi, l'école apparaît comme un enjeu politique essentiel.

L'absence d'une approche historique fondée sur l'examen objectif des différentes étapes du développement, des missions imparties aux politiques mises en œuvre et de l'évolution des contraintes fait également défaut. Tout se passe comme si l'éducation relevait plus de normes intemporelles et universelles, que d'un processus de développement social et institutionnel dynamique, contradictoire, évolutif

La conséquence directe de cet état de fait est l'absence d'une accumulation historique nécessaire à l'éclosion d'une culture de l'Ecole. Or, quel débat peut être possible sans une culture qui puisse donner une signification aux concepts, des repères à l'analyse et des critères à l'évaluation? L'indigence bibliographique des travaux institutionnels sur cette question et l'absence de politique relative aux archives et à la documentation attestent d'une approche pour le moins amnésique et réductrice du problème.

L'approche économique fait, également, souvent défaut. Paradoxalement, le caractère productif est souvent revendiqué pour l'action d'éducation et de formation alors que les critères de coût et de productivité ne sont pas abordés. Ainsi, le phénomène de la déperdition scolaire est assez bien mesuré statistiquement. Cependant son coût économique ne semble pas être suffisamment pris en considération. De la même façon, les investissements importants consacrés aux infrastructures et aux équipements ont tendance à occulter les insuffisances dans le domaine de la maintenance et de la rentabilisation du potentiel mis en place; enfin, la rémunération des enseignants et la gestion de leur carrière n'accorde que peu de place à l'effort de perfectionnement et de production scientifique et pédagogique.

Les analyses pédagogiques souvent mises en œuvre sont générales et globalisantes. Elles participent plus de l'argument discursif que de l'approche expérimentale. Les débats polémiques sur les valeurs et les finalités relèguent au second plan les préoccupations relatives aux pratiques pédagogiques, aux attitudes et comportements, aux aptitudes des différents acteurs[4]. Sur un autre plan, on note l'absence préjudiciable de référents psychopédagogiques théoriques nécessaires à une approche correcte des apprentissages[5]. L'intérêt des analystes et des gestionnaires est focalisé sur les questions de programmes, souvent appréhendés en termes de contenus, de volume horaire et de coefficient aux examens au détriment des objectifs, des stratégies de communication et d'apprentissage, par ailleurs essentielles[6].

Enfin, le peu de place accordée par les gestionnaires du système et ses acteurs aux études de terrain et à l'expérimentation, aggrave le décalage entre la réflexion, le discours d'une part et la réalité du système et ses pratiques d'autre part.

Il apparaît ainsi que la gestion du changement dans le système éducatif échoue du fait de son incapacité à se positionner dans le temps, l'espace et la culture et de l'absence de relais méthodologiques entre la réflexion et l'action. De façon plus prosaïque, disons que l'absence de programmation cohérente des innovations et l'inexistence de processus de suivi et de contrôle rend caduque toute tentative de réforme sérieuse et rationnelle. Ceci en raison de la lenteur des rythmes d'évolution du système éducatif et la complexité de son fonctionnement qui impliquent justement une bonne maîtrise des processus de changement, de leurs contraintes et de leurs échéances[7].

Quelle rationalité pour la gestion du développement ?

La gestion d'un système requiert une maîtrise convenable de ses articulations. Dans ce domaine, l'innovation ne vaut que par sa capacité à produire des effets en chaîne, capables de contribuer à la transformation de l'économie générale du système dans le sens des objectifs de développement qui lui sont assignés. La stratégie de changement consiste justement à choisir les innovations à même de jouer ce rôle. Ceci nous amène à distinguer deux niveaux de gestion la gestion courante du fonctionnement qui "permet à la machine de tourner" et la gestion : du développement qui s'intéresse aux innovations et à leurs effets[8].

La gestion courante est par essence répétitive et la gestion du développement novatrice. Elles nécessitent l'une et l'autre des aptitudes et des démarches appropriées. Une gestion rationnelle implique que soient clairement explicités et organisés ces deux niveaux

La formation de l'encadrement et l'évaluation de ses performances doivent prendre en charge de façon explicite et pratique cette distinction[9]. Ainsi, la gestion administrative des programmes qui préside à leur formalisation, à leur diffusion et au contrôle de leur application relève du premier niveau tandis que la gestion pédagogique qui veille à l'élaboration, à l'expérimentation, aux conditions de mise en œuvre et à l'évaluation relève du second niveau.

La gestion des dépenses courantes de fonctionnement des institutions relève du premier niveau tandis que la gestion de projets de développement ou de projets de coopération relève du second niveau. Au sein des établissements, la gestion de la vie quotidienne et le contrôle des normes de fonctionnement administratif et pédagogique relève du premier niveau alors que l'évaluation pédagogique des élèves, la promotion des qualifications professionnelles des enseignants et l'amélioration des performances de l'établissement relèvent du second niveau.

La rationalité de la gestion requiert également la capacité de mesurer en permanence l'évolution des indicateurs de rendement pour apporter les rectificatifs nécessaires à l'action, en temps utile[10]. En fait, c'est tout le problème de l'élaboration, de la circulation et de l'utilisation de l'information de gestion qui se trouve posé et qui doit être au centre des programmes de modernisation de l'appareil de gestion. Il faut préciser ici que cette modernisation ne découle pas seulement de la mise en place de moyens nouveaux, elle requiert des capacités d'exploitation des données et de leur intégration dans les processus de gestion du développement.

La décentralisation généralement considérée comme une panacée en matière de réorganisation de la gestion a entretenu bien des illusions. Longtemps conçue comme un moyen de décharger les niveaux d'administration centrale au profit des niveaux locaux, et comme moyen de rapprocher l'administration de l'administré, elle souffre d'un double

D'une part, la décentralisation des actes de gestion n'a pas été soutenue par une redéfinition des prérogatives et des responsabilités des différents niveaux de gestion, d'autre part les actes de gestion décentralisés relèvent essentiellement de la gestion courante, sans rapport particulier avec la gestion du développement.

En fait, la décentralisation de la gestion n'a pas créé les niveaux de cohérence intermédiaires en mesure de rapprocher la gestion du développement des préoccupations de la société réelle et de promouvoir les initiatives et les responsabilités nécessaires à cette fin [11].

Cet état de fait est notable au niveau de la gestion technique du système et de son développement. Ainsi, la coordination et la collaboration intersectorielle, point faible de notre stratégie de gestion, reste souvent une position de principe au niveau des administrations centrales sans prolongement institutionnel effectif au niveau local, là où se gèrent pratiquement les facteurs de sa mise en œuvre.

De même, la gestion des programmes d'enseignement et de formation, l'aménagement des rythmes scolaires, la programmation du perfectionnement des enseignants et formateurs portent la marque d'une forte centralisation et laissent peu d'initiative aux responsables et acteurs locaux.

Il importe donc de donner à la décentralisation les moyens de son efficacité. Elle doit être abordée en ternies de niveaux de cohérence du système et de réseaux de gestion complémentaires et non plus seulement en ternies de répartition des charges administratives. La décentralisation est un choix de politique éducative et de stratégie de gestion du développement et non pas seulement une réponse administrative à l'extension du système.

L'évaluation est également un facteur de rationalisation de la gestion du développement. Cependant, il faut éviter les approches circonstancielles et volontaristes. Notre système éducatif a vécu durant sa courte histoire des effets de mode. Les technologies de l'éducation, la pédagogie par objectifs, le structuralisme linguistique, les mathématiques modernes, l'éducation polytechnique et socioéconomique, entre autres, en sont l'illustration[12]

L'évaluation risque également de n'être qu'une préoccupation découlant de la conjonction établie entre l'actualité de la littérature pédagogique, les échecs imputés, à tort ou à raison au système et les aléas d'une coopération internationale peu intégrée et mal assumée.

L'évaluation comme tout autre concept n'a de sens que dans le cadre d'une problématique définie. Autrement dit, le concept est un outil de gestion dont il faut maîtriser le champ d'application. De ce fait, l'évaluation dans notre système éducatif pose d'abord un problème d'intégration. Les bilans périodiques n'ont de sens que Si le système est déjà doté des moyens techniques et organisationnels nécessaires aux taches de régulation et de remédiation permanentes. L'évaluation n'a de sens que dans une stratégie de gestion capable de prendre en charge de façon permanente ses résultats. C'est d'ailleurs là, un élément important de rationalité de tout système de gestion.

L'absence d'une telle stratégie explique probablement le décalage constaté entre les conclusions des multiples bilans réalisés à ce jour et la réalité du système et de ses pratiques. Elle explique également, à notre sens, le recours aux constats globalisants au détriment des analyses opérationnelles. Nous nous retrouvons ainsi dans un état de faible maîtrise du développement qui nous pousse à toujours vouloir redéfinir des principes, réorganiser des systèmes et réinventer des politiques là où nous devrions d'abord organiser, expérimenter et évaluer des pratiques.

La gestion du changement et les référents culturels.

Quel changement faut-il gérer dans un processus de réforme du système éducatif? Il est important de bien répondre à cette question Si l'on ne veut pas faire fausse route.

Le changement porte essentiellement sur le produit de l'action d'éducation et de formation. Tout changement renvoie aux critères d'appréciation des résultats recherchés. Qu'il s'agisse de la socialisation, de l'émancipation de l'individu, de la formation du citoyen, de l'acquisition de compétences et de qualifications, toutes les missions de l'éducation et de la formation renvoient à des référents culturels qu'il est nécessaire d'expliciter. Le rapport du développement du système éducatif au développement socioculturel s'impose comme un élément clé dans toute politique de changement. Plus globalement, ceci nous amène à analyser le rapport qu'entretient le système éducatif avec la culture entendue comme expression du vécu social des personnes et des groupes, de l'accumulation historique de la société et de son projet d'avenir.

On peut dire sur ce plan que notre système éducatif souffre d'une insuffisance culturelle préjudiciable à l'exercice de ses missions. Déterminée par des préoccupations idéologiques, et pendant un certain temps par des objectifs de promotion sociale, l'Ecole n'a pas réussi à inscrire son action dans un processus d'épanouissement culturel des individus et de la société. L'indigence culturelle des programmes, notamment dans des disciplines formatrices comme les langues, la littérature, l'histoire, la philosophie, le caractère souvent formel de savoirs scientifiques et technologiques sans assises expérimentales et pratiques suffisantes ainsi que la faiblesse des compétences de communication développées par les méthodes pédagogiques mises en œuvre, en sont les causes essentielles.

Gérer le changement à ce niveau revient à donner à l'éducation et à la formation leur dimension culturelle. C'est l'objectif d'une politique des programmes et des méthodes novatrices.

Une telle politique devrait faire de la gestion pédagogique des programmes une préoccupation centrale. Ceci revient à introduire des activités d'expéri­mentation et d'évaluation au centre de l'activité d'élaboration et de mise en œuvre. Pour cela, il importe de définir des niveaux organiques de cohérence et de responsabilité pédagogique et scientifique ainsi que des procédures de validation et de remédiation.

Sur le plan institutionnel, cela se traduit par une réflexion sérieuse sur les missions et le fonctionnement de l'Institut 'National de Recherche en Éducation (ex-Institut Pédagogique National), de l'Inspection Générale du Ministère de l'Education nationale, la mise en place de réseaux d'établissements d'expérimentation et d'établissements pilotes et une meilleure utilisation des dispositions statutaires relatives aux fonctions spécifiques de recherche, de coordination, de conseil et d'assistance psychopédagogique [13].

La revalorisation culturelle des programmes des cycles fondamental et secondaire, passe par une meilleure relation des objectifs et des contenus avec les préoccupations de la vie. L'éducation s'inscrit nécessairement dans un projet de vie. Cela se traduit au niveau de la politique éducative par le projet éducatif et au niveau de l'individu et du groupe par un besoin plus ou moins conscient et plus ou moins explicite d'identification, d'émancipation et d'intégration. Il est notoire aujourd'hui que les programmes académiques, axés sur les savoirs construits à priori, les valeurs formelles et l'argumentation magistrale, les méthodes d'enseignement essentiellement fondées sur le discours sont en totale inadéquation avec l'expression culturelle moderne. La prise de conscience et l'explicitation des besoins, la construction des savoirs, le développement du jugement, l'épanouissement de la personnalité requièrent une rénovation pédagogique qui concerne à la fois les savoirs et les attitudes. Faute de se situer dans une telle problématique, l'innovation est condamnée à n'être qu'une suite d'initiatives sans effets notables sur l'économie du système. Elles seront soit dénaturées par sa logique interne, soit rejetées comme une mauvaise greffe [14]

Enfin, une telle éducation ouverte sur la culture et la vie implique des choix pédagogiques essentiels au niveau de la prise en charge des apprentissages de base. La priorité doit être donnée aux activités qui structurent les compétences et les attitudes plus qu'aux savoirs, aussi élémentaires soient-ils. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le souci d'allégement des programmes souvent exprimé et non en termes de redistribution des contenus et de réduction de leur complexité.

Gérer le changement, gérer les institutions

Les problèmes institutionnels accaparent souvent l'attention des gestionnaires au détriment des problèmes de développement. Certes, les institutions administratives sont des moyens indispensables a une bonne gestion, niais tant qu'elles restent des moyens. Lorsque la gestion des institutions devient une fin en soi, il y a dérive. Or, l'intérêt accordé a l'élaboration de textes nouveaux et à la mise en place d'institutions nouvelles sans rapport avec des stratégies claires de développement a longtemps caractérisé nos démarches.

Les changements d'organigrammes aux différents niveaux interviennent souvent sans pour autant qu'ils soient mis au service de programmes aux objectifs explicites et aux échéances précises. Des textes de réglementation ou d'organisation sont également élaborés et promulgués sans que soient réunies les conditions de leur mise en œuvre.

De telles démarches révèlent souvent la difficulté d'appliquer les textes en vigueur et de faire fonctionner les institutions en place ou de déterminer et de corriger leurs dysfonctionnements par rapport à des objectifs et des missions. Elles expriment en fait une insuffisante maîtrise du système et des procédures qui régissent son fonctionnement. Dès lors, les initiatives portant sur de nouvelles institutions et de nouvelles procédures se révèlent souvent comme des actions extérieures sans prise réelle sur le fonctionnement du système et qui confortent l'inefficacité de son organisation [15]

De telles initiatives concernent généralement le niveau central au détriment de l'adaptation des institutions, des instances et des procédures locales. Ceci provoque également des confusions de prérogatives et une dilution des responsabilités.

L'organisation et l'efficacité des institutions de gestion doivent être évaluées en rapport avec les objectifs de développement et les objectifs de fonctionnement qu'elles se proposent de réaliser. C'est pourquoi, les bilans et les éventuelles remises en cause ne peuvent se faire que dans une perspective historique. Ainsi, la compréhension des dysfonctionnements générés et la détermination des innovations nécessaires s'inscrivent dans le cadre de processus d'évolution spécifiés et non dans un cadre global et intemporel. L'évaluation consiste alors à passer au crible de l'analyse la succession des décisions prises, les contextes de leur élaboration et de leur mise en œuvre ainsi que les procédures de leur suivi

Le facteur humain dans la gestion du changement.

Les gestionnaires jouent un rôle déterminant dans la promotion du changement dans le système éducatif La qualité de leur gestion dépend en grande partie de leur capacité à percevoir la nécessité des innovations. Ils doivent également avoir une vision cohérente de l'action et y situer les mesures ayant un caractère stratégique. Ils doivent aussi anticiper les conditions et les conséquences du développement qu'ils gèrent.

La prise en charge de cette mission implique des profils de cadres gestionnaires adéquats et une formation adaptée. Les corps d'inspection, les chefs d'établissements, les responsables des administrations centrales et locales doivent être ciblés en priorité car ils forment une chaîne de décision, d'action et d'évaluation solidaire et incontournable. Il faut développer en eux l'aptitude à gérer des programmes novateurs. Les réseaux d'établissements pilotes ou expérimentaux évoqués plus haut peuvent constituer un dispositif privilégié d'ancrage de cette chaîne à partir duquel se démultiplierait l'expérience.

Les enseignants qui sont la cheville ouvrière de l'innovation pédagogique doivent être impliqués et responsabilisés. Certes, les conditions de recrutement et de formation n'ont pas toujours réussi à garantir les niveaux de compétence requis. Cependant il serait utopique de compter sur des programmes de perfectionnement académiques si l'on ne crée pas d'abord les conditions du débat pédagogique en situation, sur le terrain de l'action. C'est en ce sens que doivent être revues les fonctions et l'organisation des différents conseils d'établissements.

Les réseaux d'encadrement évoqués plus haut ne peuvent avoir d'efficacité que s'ils disposent au niveau des établissements, de la ressource humaine, d'un terrain d'action pédagogique et d'une assise institutionnelle. La réforme des établissements et de l'administration scolaire peut se développer et se faire connaître à travers les établissements expérimentaux

Les partenaires sociaux ont également un rôle à jouer dans la gestion du changement. Pour cela, il est indispensable que soit fait un effort qualitatif pour dépasser les préoccupations catégorielles et pour apporter à la réflexion des compétences et des propositions opérationnelles. Le Conseil Supérieur de l'Éducation peut jouer un rôle important en ce sens, à condition qu'il dépasse les contraintes d'organisation du débat général de politique éducative et d'organisation du système pour investir le domaine des études scientifiques de terrain.

Coût et moyens de la gestion du changement.

Il est indubitable que le changement et l'innovation ont un coût. Les programmes de développement ne peuvent être financés sur les seuls moyens du fonctionnement courant. Un tel recours est préjudiciable à la rationalité de la gestion et tend à confondre les objectifs et à fausser les évaluations[16]. L'évaluation des coûts de fonctionnement n'est pas suffisamment maîtrisée, quant à l'évaluation des coûts des projets de développement et d'innovation, elle n'existe pas. C'est pourquoi nous avons plus haut insisté sur le financement de projets cohérents et maîtrisables.

Quelles que soient les limites des capacités de financement par l'État, le fonctionnement et le développement doivent trouver leurs parts respectives si nous voulons parvenir à un meilleur rendement. Une telle démarche attend de l'Etat un effort financier conséquent pour mener à terme la réforme. Elle exige des responsables gestionnaires un effort de rationalisation de la gestion et de rentabilisation des moyens. L'approche économique doit prendre en charge de telles exigences.

Les programmes de développement prioritaires devraient porter sur la valorisation et la promotion de la ressource humaine, le développement des études et de l'expertise pédagogique et scientifique, la rationalisation des modes et des procédures de gestion, l'utilisation des nouvelles technologies, notamment les technologies de l'information, le développement des activités d'éveil et des activités sportives, le renforcement des activités d'imprégnation culturelle notamment par la lecture et l'activité artistique, la réorganisation de l'enseignement technique et professionnel.

Les crédits consacrés à la coopération doivent s'inscrire dans des projets d'innovation précis et détaillés qui permettent d'en évaluer l'impact véritable sur le développement du système. S'agissant de crédits en devises, généralement issus de prêts auprès des organismes internationaux, il est vital de veiller à leur bonne utilisation.

La gestion du changement implique également la disponibilité de moyens matériels et pédagogiques adéquats. Les technologies de l'information en particulier investissent de plus en plus les domaines de la science et de la culture. Elles deviennent de ce fait, un moyen d'enseignement et un objectif de formation. Ceci nécessite la mise en œuvre de programmes d'équipements spécialisés pour les établissements.

L'organisation de la documentation et de la lecture dans les établissements constitue également une tâche stratégique car elle permet de développer des activités pédagogiques capables de générer des comportements nouveaux[17].

Les équipements de l'enseignement technique et professionnel devraient être recensés, les modalités et les normes de son utilisation révisées pour une meilleure rentabilisation. Le développement d'activités de travaux pratiques et de travaux dirigés, en groupe d'une part et les impératifs de perfectionnement des enseignants d'autre part, appellent une nouvelle approche de la gestion budgétaire des postes d'emploi[18]. Enfin, la communication entre l'école et la société nécessite des compétences et des moyens[19].

Certes, il n'est pas possible de financer l'ensemble de ces préoccupations en même temps et sur le court terme. Cependant l'essentiel est de mettre en place une programmation, un suivi et des modalités d'évaluation des projets de rénovation. C'est la stratégie choisie pour réaliser les objectifs de la réforme qui déterminera l'ordre de priorité des programmes et la cohérence générale de la démarche. Par ailleurs, l'étude des coûts de fonctionnement, des normes et des procédures de gestion doit contribuer à une plus grande maîtrise de l'affectation et de l'utilisation des ressources disponibles[20].

Quel projet pour quel changement ?

La promotion du changement implique l'existence d'une capacité de gestion efficace qui assure la préparation et la prise de décision, la gestion en temps réel de sa mise en œuvre et son évaluation. Elle requiert également la formulation d'un projet qui donne un sens et une cohérence aux actions et aux programmes.

Si jusqu'à présent, des projets ont été formulés, la capacité de les prendre en charge a souvent manqué. Nous retrouvons ici un des constats de départ : la gestion courante a toujours pris le dessus sur la gestion du développement et l'évaluation des actions a souvent été déterminée par la pression des conjonctures.

Certes, le poids de ces conjonctures est considérable et il serait aventureux et irresponsable de ne pas les prendre en compte. Mais, il est aussi nécessaire de donner au développement l'importance qu'il requiert, car Si les résultats du développement sont toujours à moyen et à long terme, la gestion qui les conditionne se fait au quotidien.

Le rôle d'une gestion institutionnelle bien comprise est d'assurer la continuité des actions et de veiller à la cohérence du projet. C'est à elle aussi de construire une mémoire et des consensus entre les différents partenaires, par l'accumulation et l'analyse critique des expériences pour éviter que celles-ci ne soient toujours recommencées. C'est autour d'elle également que doivent converger et se démultiplier les compétences. Gérer le changement dans une institution complexe et stratégique qui détermine l'avenir de la nation est d'abord une question de conviction, d'adhésion et d'engagement. C'est pourquoi, il faut un projet capable de mobiliser les partenaires concernés et de faire de chacun d'entre eux un acteur conscient, compétent et convaincu du développement.


Notes

[1]- La Présidence de la République, les services du gouvernement, les secteurs concernées, le Conseil national économique et social, le Conseil supérieur de l'éducation ont produit, tour à tour leurs propres réflexions et identifié ce qu'ils considèrent comme les grands axes d'une évolution nécessaire.

[2]- Pour le seul secteur de l'Education nationale, nous rappellerons la réorganisation prévue par l'Ordonnance du 16 avril 1976 mise en oeuvre partiellement par l'institution de l'école fondamentale, le projet de réforme de l'enseignement secondaire en 1984, les tentatives de réorganisation de l'enseignement secondaire en 1988, les travaux de la commission nationale de réforme du système éducatif en 1989, la réorganisation de l'enseignement secondaire en 1990 puis 1993.

[3]- Une commission d'experts désignés par l'UNESCO a produit en collaboration avec les responsables techniques algériens concernés un document d'évaluation du système éducatif en 1987.

[4]- Cela ne signifie pas, bien entendu qu'il soit inutile de s'interroger sur ces questions. Cependant, la philosophie de l'éducation ne permet pas seule de concevoir, de décider et de gérer le changement.

[5]- Ainsi, les programmes et méthodes de langue pour les jeunes enfants du premier cycle de l'enseignement fondamental n'accordent que peu de considération aux spécificités du langage et de la motivation à cet âge. L'enseignement de la physique dans l'enseignement secondaire est plus déterminé par la nature des épreuves du baccalauréat (problèmes et exercices) que par la compréhension des faits et des lois.

[6]- L'élaboration des programmes du secteur de l'éducation nationale obéit à des procédures administratives qui ne font place ni à la pluridiscplinarité, ni à la responsabilité scientifique institutionnalisée. Par ailleurs, une telle conception a tendance à réduire la distinction entre manuel et programme, tous deux exprimant globalement ou dans le détail une quantité de savoir à acquérir. Les préoccupations de stratégie d'apprentissage sont ainsi évacués et la par de la créativité pédagogique de l'enseignant et des élèves réduite à néant.

[7]- Une modification d'une heure de l'horaire hebdomadaire d'enseignement d'une discipline quelconque pour un seul niveau (classe) dans le cycle fondamental entraîne une variation correspondant au service de plus de 800 enseignants (en moins ou en plus selon que l'on augmente ou que l'on diminue l'horaire).

[8]- Cette distinction est nécessaire bien qu'elle ne soit que méthodologique car dans la pratique des actes de gestion, les deux niveaux sont complémentaires et se confondent parfois.

[9]- Le programme de formation et de perfectionnement de l'encadrement devrait accorder une place prépondérante à ces aspects et l'action de suivi et d'évaluation exercée par les corps d'inspection doivent également en tenir compte.

[10]-Dans la pratique, il s'agit de mettre la gestion au service de la pédagogie par, entre, autre, la rénovation des objectifs et des méthodes de travail de l'inspection, le développement de l'analyse statistique des performances, la déconcentration des études d'évaluation et la responsabilisation des acteurs dans le processus de prise de décision pédagogique.

[11]- Ainsi, ans le secteur de la Formation professionnelle, les prérogations de recrutement des formateurs sont dévolues aux chefs d'établissements, la répartition des postes budgétaires relève de l'administration centrale, la formation des formateurs d'instituts régionaux et la responsabilité de gestion sectorielle aux Directeurs de wilaya du travail et de la Formation professionnelle. Il est difficile dans pareil cas d'instituer une cohérence et une économie de gestion. Les Académies universitaires instituées ces derniers années se révèlent être en pratique un niveau supplémentaire d'administration, plus qu'un niveau de coordination et de responsabilité scientifique et pédagogique.

[12] - L'équipement des établissements en laboratoires de langue dans les années 1970 n'ont pas donné lieu à une amélioration de la maîtrise des langues, l'acquisition de matériels informatiques dans les années 1980 n'a pas plus amélioré la qualité de la gestion administrative et pédagogique. Quant aux aléas des méthodes modernes d'enseignement, ils ont été mis en évidence par plusieurs auteurs.

[13]- Le vocable de "recherche" appliqué à l'éducation mérite plus de précision pour en différencier les fonctions et par conséquent préciser les missions des institutions en charge de cette activité. Si la recherche pédagogique fondamentale et appliquée est nécessaire, elle devrait relever à notre sens d'institutions spécialisées, notamment universitaires. Par contre les études appliquées, l'expérimentation, l'évaluation et leurs implications sur la gestion du système et la formation de ses acteurs relèvent des préoccupations directes du secteur gestionnaire. Cela devrait être la mission centrale de l'INRE (ou IPN) qui contribuerait ainsi à la préparation des décisions concernant l'innovation, l'accompagnement et l'évaluation de leur mise en œuvre ainsi qu'aux programmes d'information et de formation les concernant, en collaboration avec les organes et structures concernés et les réseaux d'établissements d'expérimentation.

[14]- Ainsi, certaines innovations ont déjà été tentées sans succès : nous citerons la prise en charge des élèves surdoués, les classes sportives, l'institution d'enseignements et d'activités optionnels dans le cycle secondaire pour développer les talents, les classes spéciales de rattrapage pour les élèves ayant échoué au baccalauréat, la remédiation pédagogique dans le cycle fondamental, l'éducation polytechnique dans les cycles fondamental et secondaire.

[15]- Les changements successifs intervenus dans l'organisation des ministères chargés de l'éducation, de l'enseignement et de la formation et qui ont vu notamment la séparation puis la réunion de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, la réunion puis la séparation de l'éducation et de la formation professionnelle, la réunion puis la séparation de l'éducation et de l'enseignement supérieur illustrent bien ceci.

[16]- Constater aujourd'hui que les dépenses de personnels représentent plus de 85 % du budget de fonctionnement du secteur de l'éducation nationale prouve que la gestion du développement du système n'est pas financée. Par ailleurs, l'investissement consacré à la réalisation des infrastructures n'est pas rentabilisé par défaut d'équipements de laboratoires et de bibliothèques.

[17]- Un Centre national de documentation pédagogique a été créé par décret en 1992. Faute de stratégies et faute de moyens cette institution est inopérante. Cette exemple illustre également la tendance évoquée plus haut, à créer des institutions nouvelles, alors qu'il faudrait dynamiser celles qui existent déjà.

[18]- L'institution de congés de formation et l'aménagement de fonctions d'enseignants intérimaires devraient être envisagés.

[19]- Malgré l'importance des problèmes d'éducation et de formation pour la société, il n'existe pratiquement pas de publications spécialisées. Les quelques tentatives de créer des revues et des journaux ont périclité faute de moyens et de soutien.

[20]- La gestion des postes budgétaires, en rapport avec les normes de l'organisation pédagogique, devrait bénéficier d'une attention particulière.

 

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