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Mutations sociales et adaptation d'une paysannerie ksourienne du Touat : Ouled Hadj Mamoun (wilaya d'Adrar, Algérie)

Insaniyat N°7 | 1999 | Paysans Algériens ? | p. 39-52 | Texte intégral


Social changes and "ksour" peasant- adjustement in the Touat region : Ouled Hadj Mamoun (county of Adrar)

Abstract : The decline in small Saharan palm groves causes a problem today, and questions decision makers planners, and the inhabitants themselves, at the same time.
The analysis of the Ouled Hadj Mamoun oasis, situated in the Touat region, is a typical case. an inhabited ksar, a soil irrigated by a foggara (man-made traditional underground dug-out irrigation channel system) and low agricultural production, mostly selfconsumed. The causes of this situation is subtly approached through the decrease in fogarra water flow, the resetting of social relations cansecutive to the agrarian reform, and the strong restraint imposed by the natural milieu.
In spite of everything, different thought-out actions have been worked out by the ksourian population firmly attached to their land, highly anxious about hydraulic management, and more and more open to urban life and it ‘s ways af consummation.

Keywords : social transformations, forests, Ouled Hadj Mamoun Oasis, Water of Foggara


Abed BENDJELID : Université d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.

Ouassini DARIUniversité d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.

Mohamed HADEIDUniversité d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.

Sid Ahmed BELLALUniversité d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.

Fadéla GACEMUniversité d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.

Mohamed Nadir BELMAHI: : Université d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.

SmaiI HANIUniversité d’Oran, Département de géographie et de l'aménagement du territoire, 31 000, Oran, Algérie.


Dans la petite palmeraie d'Ouled Hadj Mamoun, située aux marges de la commune de Tamentit, la société ksourienne semble connaître de grandes difficultés pour travailler la terre, accroître les disponibilités en eau d'irrigation et assurer la protection de son terroir. Aussi, s'agit-il dans ce travail de rechercher les causes de cette situation, de déceler et d'analyser les stratégies élaborées par cette paysannerie oasienne pour se maintenir sur son terroir, le sauvegarder et le développer, quitte a s'adapter à une conjoncture complexe.

I- Un terroir agricole ksourien en difficulté

a - Ouled Hadj Mamoun : une agglomération secondaire émergente

La palmeraie d'Ouled Hadj Mamoun, peuplée de 457 habitants en 1998, est située à cinq kilomètres de l'oasis de Tamentit, distante elle-même de dix kilomètres du chef-lieu de la wilaya d'Adrar. Lors du recensement de 1987, La localité d'Ouled Hadj Mamoun avait émergé en tant qu'agglomération secondaire peuplée de 336 habitants ( tab. 1).

Tableau 1 : Evolution de la population agglomérée de la commune de Tamentit


Recensement de 1966

1977

1987 *

1998

Agglo

Type

 

Agglo

Type

 

Agglo

Type

 

Agglo

Type

 

Amentit

ACL

1126

Tamentit

ACL

1143

Tamentit

ACL

2824

Tamentit

ACL

4044

S. Ouali

A.S.

798

O.S. Ouali

A.S.

570

Noum Ennas

A.S.

510

Noum Ennas

A.S.

692

Ouffadi

A.S.

508

Bouffadi

A.S.

752

Bouffadi

A.S.

1176

Bouffadi

A.S.

2000

 

 

 

 

 

 

O.H.Mamoun

A.S

336

O.H.Mamoun

A.S.

457

 

 

 

 

 

 

Aberkour

A.S

330

 

 

 

 

3

2432

 

3

2465

 

5

5176

 

4

7193

 

L'émergence de ce ksar en tant qu'agglomération s'explique par le croît naturel qui prouve de fait. une vitalité démographique manifeste. Localisée au sud-est de Tamentit, cette petite oasis est séparée de son chef-lieu par une ancienne palmeraie ensablée (Carte I). Toutefois, l'observateur peut relever, au-delà de la route de Tamentit, la naissance de nouveaux espaces de mise en valeur agricole.

b- Des structures agraires simples appartenant à une vieille population sédentaire.

Le ksar d'Ouled Hadj Mamoun, apparaît convenablement conservé Il est flanqué d'une remarquable casbah fortifiée qui dispose de plusieurs tours de guet. Comme tous les ksour du Touat (Marouf N., 1980), celui d'Ouled Hadj Mamoun semble avoir été habité dès le haute antiquité par des populations gétules et noires. C'est dire là, l'existence d'une vieille paysannerie, même si ce n'étaient pas les chorfas et les mrabtines qui travaillaient la terre, mais des populations noires asservies et plus ou moins métissées, dénommées harratines (pluriel de hartani).

Le terroir d'Ouled Hadj Mamoun couvre une superficie d'une trentaine d'hectares dont une partie, estimée à 4,1 ha, située au sud-est, a été soumise à une etiquéte[1] en mai 1998. Onze petites exploitations agricoles constituant dix propriétés appartenant à une famille élargie ont été étudiées. L'enquête portant sur l'occupation du sol qui a demandé trois jours, a été complétée par une série d'interviews faites auprès des propriétaires fonciers celle-ci a traité de l'évaluation de la situation locale, des difficultés rencontrées dans le travail de la terre, et des perspectives de la palmeraie et de la société locale.

Dans cet espace agricole isolé, le mode de faire-valoir est direct; même si, pour des raisons de solidarité, un propriétaire a cédé gratuitement une partie de sa propriété à une famille dans le besoin, en vue d'en tirer l'usufruit. Formé d'exploitations laniérées, preuve d'une mise en valeur agricole récente, le plan parcellaire est subdivisé en parcelles dont la forme géométrique régulière facilite amplement la circulation des eaux le long du réseau de seguias.

c- Un petit réseau hydraulique alimenté par une foggara

Aujourd'hui, la palmeraie d'Ouled Hadj Mamoun est alimentée par une seule foggara [2] qui se localise à l'est du parcellaire étudié. Une kesria (foggara à peigne) permet la distribution de l'eau par gravité (Carte 2). Le système de distribution hydraulique est tout à fait typique de cette région du Sahara. Là, la foggara [3] est reliée à un réseau de drains principaux, apparents ou enterrés, parfois cimentés, qui desservent 19 majens (bassin de stockage de l'eau) construits en argile et 4 autres réalisés en ciment; en fin de parcours du réseau, de petites seguias traditionnelles, modulables, alimentent les parcelles cultivées.

d- Une production agricole diversifiée, mais largement autoconsommée

L'utilisation du sol de la palmeraie est tout à fait caractéristique du système agricole oasien dans la mesure où la diversité des productions se double d'un étagement des cultures. Néanmoins, le levé agricole effectué postérieurement à la récolte d'avril laisse apparaître une dominante spatiale occupée par les terres au repos et en jachère (près de 60 %) (Carte 3). Cette pratique culturale est largement usitée dans une zone bioclimatique saharienne où d'un côté, l'agriculteur utilise peu de fumure et d'engrais et de l'autre, il subit continuellement la pénurie d'eau.

En mai 1998, les cultures occupaient 5700m2, soit près de 14% du parcellaire. Les cultures maraîchères préparées au sein de petites parcelles sont dominées par la culture d'oignons (51,9 % du maraîchage), de courgettes (15,2 %), de tomates (11,2 %) et de salade (9,9%). Le jardinage pratiqué par les exploitants répond aux conditions naturelles qui exigent tout à la fois une irrigation suivie, de minutieux efforts dans le travail de la terre et une rotation rapide des cultures.

Quant aux cultures annuelles, elles s'étendaient sur une superficie négligeable (5,7%) car l'enquête a été réalisée postérieurement à la récolte des céréales d'hiver ; c'est pourquoi, la part dominante de ces cultures revient au millet (bechma) (65%), céréale appréciée par le menu bétail et la volaille, suivie du maïs (21,9%). L'élevage est peu important dans cette oasis où quelques moutons et chèvres sont parqués aux marges de la palmeraie dans des zéribas de fortune. La production, comme d'ailleurs les rendements, apparaît faible et les exploitants semblent plus préoccupés par la diversité des cultures et leur rotation que par les rendements. Est-ce dû à un désir de couvrir majoritairement les besoins actuels de l'autoconsommation familiale ?

Les onze exploitations agricoles rassemblent un peu plus de 900 palmiers dont la densité est plus élevée au sud-est du parcellaire, secteur le plus anciennement mis en valeur. La plantation de jeunes palmiers est certes, un indice de la volonté de reprise agricole dans cette petite palmeraie, mais il faut dire aussi que les propriétaires ne maîtrisent pas, durant la période actuelle, l'entretien des palmiers comme le faisaient les harratines. Pourtant, ceci ne les empêche pas de commercialiser quelques types appréciés de dattes sur le marché dit Touat, mais aussi au Mali, d'où des commerçants installés se chargent de l'acheminement de la production. Ces revenus supplémentaires sont naturellement bienvenus pour des familles rurales de plus en plus attirées par le mode de consommation urbain.

Conclusion

La croissance démographique récente de cette petite communauté sédentaire a permis la constitution du regroupement des Ouled Hadj Mamoun en tant qu'agglomération secondaire de la commune de Tamentit qui est mi haut lieu de l'histoire du Sahara. Malgré la reprise du travail agricole et l'amélioration du petit réseau hydraulique local, la production culturale demeure médiocre et dans l'ensemble, largement autoconsommée. Peut-on alors, cerner les causes principales de ces difficultés?

II- Les causes de la perturbation de ce milieu : l'eau, les décideurs et l'organisation sociétale.

a- La baisse du débit de la foggara : le poids des hommes.

Parmi les contraintes limitant la production agricole, les exploitants mettent en premier lieu le faible débit de l'eau. vieille question relative à la baisse du niveau piézomètrique de la nappe. Toutefois, cette situation a été de tout temps signalée par les différents auteurs travaillant sur les territoires sahariens. En ce qui concerne Tamentit par exemple, « presque partout, l'exploitation par foggara a conduit à un rabattement (baisse de niveau) des nappes»…, mais la paysannerie locale avait trouvé la parade en « abaissant par creusement le niveau des galeries des seguias principales et parfois, des jardins afin de ne pas perdre le bénéfice de l'irrigation par gravité »[4].

En vérité et au-delà du phénomène de rabattement de la nappe, la période postérieure à l'indépendance a été défavorable à l'entretien des foggaras. et en particulier à leur financement par le pouvoir central socialisant ceci. en raison à la fois de l'existence de rapports sociaux de servilité dans les ksour et d'une sorte de déconsidération de la foggara en tant que technique traditionnelle reflétant ces mêmes rapports. Ce contentieux a longuement pesé sur la pérennité de la méfiance qui existe entre les propriétaires fonciers et le pouvoir politique central.

b- L'application de la réforme agraire a transformé les rapports sociaux de la société ksourienne

Les propriétaires fonciers reconnaissent, du bout des lèvres, que l'application de la réforme agraire par le pouvoir central du régime de H. Boumediene a été à l'origine de la refonte des rapports sociaux au sein de la société oasienne. Ainsi, le préambule du texte idéologique qu'est la Charte nationale (1976) précise qu'il faut « détruire les survivances de l'esprit féodal»..., tandis que l'ordonnance portant sur la Révolution agraire souligne qu'il s'agit «d'éliminer toute forme d'exploitation du travail d'autrui en rétablissant dans l'agriculture, des rapports directs de travail, basés sur le principe la terre appartient à ceux qui la travaillent» (1971 ). Cette décision politique a bouleversé les structures sociales locales existantes entre d'une part, les populations berbères et arabes et d'autre part, les populations noires utilisées comme une main d’œuvre servile durant des siècles. Dans cet ordre d'idée, les propriétaires fonciers chorfas et mrabtines qui ne travaillaient pas la terre s'étaient trouvés, en quelques années, coupés de «leurs harrautine» qui possédaient à la fois le savoir-faire dans l'agriculture et, dans le forage et l'entretien permanent des galeries de foggaras.

Bien plus, cet acte politique qu'était la réforme agraire a libéré les harratines et leur a, surtout permis de bénéficier de nouvelles terres et, parfois, d'un nouvel habitat connu en Algérie sous le vocable de « Villages socialistes agricoles». Dans la wilaya d'Adrar, la réalisation la plus remarquable est~ celle du village de Mguiden et de son petit périmètre de mise valeur agricole. La concrétisation de cette volonté de changement économique, social et spatial est clairement inscrite dans l'ordonnance du 8 novembre 1971 qui stipule que «la révolution agraire... élargit ses perspectives à la mise en valeur de toutes les potentialités agricoles..., se propose de multiplier les grands travaux d'intérêt économique et social, offrant aux paysans les plus pauvres des possibilités d'emploi temporaire ou permanent plus importantes... , (et) un cadre de vie nouveau sera çréé grâce à la construction de villages reposant sur des conditions économiques rationnelles et assurant la fixation des populations».

Face à la brutale réalité qu'est la rupture sociale imposée aux possédants fonciers ne travaillant pas la terre, ceux d'Ouled Hadj Mamoun, comme d'autres, ont eu plusieurs possibilités pour vivre apprendre à travailler la terre, recruter une main d'oeuvre salariée ou aller à la recherche d'autres revenus en ville. D'ailleurs, chaque propriétaire ksourien, enquêté en mai 1998, a pratiquement au moins mi-membre de sa famille occupé d'une manière permanente au sein des services administratifs ou techniques créés consécutivement à la promotion administrative d'Adrar en tant que chef-lieu de wilaya en 1975. Ce bouleversement des rapports sociaux peut expliquer aujourd'hui, au moins en partie, les difficultés connues par l'agriculture ksourienne et la fonction secondaire accordée au travail de la terre par les familles de la petite palmeraie.

c- La protection de l'environnement naturel et du terroir

Dans un milieu où les contraintes du milieu géographique sont extrêmement fortes, l'observateur peut tout de même déceler les efforts suivis concrétisés par la paysannerie locale en vue d'assurer la sauvegarde de son environnement.

Au sud-est du parcellaire étudié, celui de Lebbar, l'ensablement concerne à peu près 8 % de la surface et là, exposition et position topographique semblent favoriser l'accumulation éolienne. Les dunes-afregs, faites de palmes plantées dans le sable, constituent un dispositif traditionnel qui est formé, dans ce cas précis, de deux cordons de protection du parcellaire. La mise en place et l'entretien des ces dunes-afregs donnent une idée sur l'engagement pris par les propriétaires pour protéger leur terre et, l'on peut même observer le creusement d'un puits muni d'une motopompe, situé entre les premières murettes en toub (pisé) protégeant les jardins d'Ouled Hadj Mamoun et la dernière ligne du dispositif de protection traditionnel.

Les efforts effectués par cette petite communauté paysanne, afin de préserver son terroir du risque d'ensablement (Carte 3) et de reprendre la mise en culture après une période de déprise liée au départ des harralines, apparaissent clairement à travers la concrétisation d'une série d'actions : réaménagement et suivi des dunes-afregs, reconstruction et entretien des murettes en toub, consolidation des majens et des seguias... Toutefois, dans la partie orientale du parcellaire, la plus exposée aux vents, l'ensablement est tel que les parcelles de la première ligne sont envahies ou en voie de l'être par les sables; par ailleurs, trois bassins de stockage d'eau sont pratiquement inutilisables par les exploitants (Carte 2).

Conclusion

A côté de la négligence, volontaire ou involontaire, des décideurs centraux et locaux vis-à-vis de l'entretien du réseau de foggaras, la refonte des structures sociales consécutive à l'application de la réforme agraire a été trop rude pour de petites communautés qui, en perdant « leurs harratines», ont connu et connaissent encore de grandes difficultés pour revivifier leur agriculture. De toute façon, en voulant se maintenir et vivre sur leur terroir, la population de ce ksar a fini par comprendre la nécessité de s'intégrer dans l'économie urbaine d'Adrar et de s'ouvrir sur d'autres espaces de relation.

III- Les stratégies actuelles de la paysannerie ksourienne : maintien de l'activité agricole et salariat urbain

a- La paysannerie du ksar : attachement à la terre et maintien de l'exploitation agricole

Beaucoup plus que la relance de l'agriculture oasienne, la petite paysannerie d'Ouled Hadj Mamoun semble viser en premier lieu le maintien de sa propriété et sa protection. Certes, elle petit être considérée comme une sorte de paysannerie dépourvue de savoir-faire en raison de son passé sociétal mais, même économiquement fragile, la paysannerie ksourienne d'Ouled Hadj Mamoun se comporte comme une vraie petite paysannerie dans la mesure où elle tient charnellement à son terroir et à son identité culturelle l'effort qu'elle investit pour maintenir, vaille que vaille, son agriculture et protéger son environnement, est là pour le prouver.

Après des années d'immobilisme et d'attente, elle s'efforce de s'adapter en vue de vivre correctement de sa production agricole. D'ailleurs, l'autoconsommation demeure la forme d'économie prépondérante en cette fin de siècle, mais il faut dire aussi, que l'application soutenue de la politique de désenclavement de l'Etat, au sein de l'espace saharien, a eu de formidables implications sur l'ouverture de cette petite communauté sur la vie de relation locale et régionale. Cette ouverture sur le inonde a permis une amorce de la commercialisation de quelques produits agricoles (arachides, oignons. dattes) d'abord sur le matché local, ensuite au delà des limites du Touat.

Pour affermir son enracinement, cette petite société touatie procède massivement à l'exercice du mode de faire-valoir direct et s'appuie aussi, sur des pratiques traditionnelles de solidarité communautaire à l'instar de la cession gratuite d'une exploitation à une famille dans le besoin, de l'usage du troc, de l'entraide sociale... Ce volontarisme paysan ksourien doit être perçu comme un facteur indispensable pour assurer la continuité du travail de la terre au risque de disparaître.

Conscients de l'énorme «perte» des harratines et de leur savoir-faire technique dans l'agriculture et la petite hydraulique, les propriétaires évitent de parler franchement de cette « déchirure » et supportent douloureusement cette épreuve. En fait, c'est l'impression que nous retirons du décryptage de leurs affirmations car en définitive, ces populations gardent une étonnante pudeur mêlée de prudence et très souvent, l'observateur est tenu de reconstituer par petites touches, leurs pensées, leurs sentiments, leurs émotions. leurs opinions... mais c'est là, un trait reconnu au sein de très nombreuses paysanneries pauvres de la planète. C'est pourquoi, l'explication classique de la terre peu ou mal travaillée à cause de la baisse du débit de l'eau de la foggara est certes réelle, mais elle est aussi largement partielle.

b- La paysannerie face à la question de l’eau et au travail de la terre

Eu dépit des contraintes naturelles et matérielles, les efforts investis par les propriétaires fonciers pour travailler correctement leur terre sont révélés par leur détermination à assurer un volume d'eau moyen à la production agricole.

Ainsi, en dehors de la source classique d'alimentation en eau qu'est la foggara, les fellahs qui ont les moyens ont financé le fonçage de puits équipés de motopompe.

En revanche, les exploitants les plus démunis ont trouvé la solution en alimentant leurs parcelles, les plus proches du ksar, par l'intermédiaire de tuyaux en caoutchouc synthétique apparents ou enterrés (Carte 2). En définitive, ces fellahs ont partiellement réglé leur problème d'irrigation en détournant l'eau du château d'eau, destinée à l'alimentation de la population ksourienne; il faut relever que cet apport complémentaire est surtout nécessaire durant les grandes chaleurs. Malgré tout, la politique de développement local appliquée par l'Etat aux espaces déshérités, notamment en matière de réalisation d'importants forages et d'infrastructures d'acheminement de l'eau potable, bénéficie largement à ces populations rurales qui, pour le moment, paient l'eau d'une façon forfaitaire... En ce sens, l'usage de l'eau potable pour l'irrigation de jardins est révélateur à la fois de l'ampleur du déficit temporaire du volume d'eau demandé par les cultures et de la gestion discutable de cette ressource par les services publics.

En relation avec la question de l'eau, l'électricité est un élément de confort fortement apprécié par la population ksourienne, même si les usagers des motopompes, comme partout en Algérie, se plaignent du coût excessif de l'électricité. Si le prix d'une motopompe est aujourd'hui bien onéreux (70 000 à 90 000 dinars en 1998), il faut dire qu'il a été très largement subventionné par l'Etat durant les années 1970-1980 et ce, dans le but d'encourager la petite agriculture des zones arides et semi-arides tout en favorisant l'écoulement de la production industrielle de motopompes. Aujourd'hui, les coûts de ce matériel ont été largement réajustés et ce n'est pas tant le nombre de motopompes dans la palmeraie qui fait obstacle à l'augmentation de la production, mais le peu de temps consacre au travail de la terre par des propriétaires qui, de par leur statut social passé, n'avaient ni l'habitude de cultiver la terre, ni le savoir-faire nécessaire pour entretenir les galeries de foggaras.

Sur les neuf propriétaires fonciers interviewés. seuls deux se consacrent en permanence à l'agriculture les autres laissent le soin aux membres de leur famille de le faire dans la mesure où ils ne travaillent leur terre qu'au retour de la ville et durant les week-ends. D'ailleurs, les exploitants reconnaissent sans difficulté aucune qu'ils ne savent pas, par exemple, s'occuper de la culture du palmier et humiliation suprême, ils font appel au moment de la cueillette des dattes à des harratines qui exigent le quart de la récolte ou un salaire journalier de 400 dinars. Ainsi, dans les oasis sahariennes, les décisions prises par le pouvoir politique central durant la période planifiée (réforme agraire, promotion liée à lin découpage administratif, généralisation des programmes planifiés de développement, diverses actions de développement local...) ont fini par imposer et élargir le salariat tant au sein de l'ancienne population hartanie. soumise pendant longtemps à la servilité, qu'au sein même des propriétaires fonciers et d'exploitants agricoles n'arrivant plus à vivre de leur agriculture.

c- L'emploi dans la ville : une forme d'adaptation à la conjoncture

La recomposition de la société ksourienne consécutive au départ de harratines des exploitations agricoles, au cours de la décennie 1970, a eu des implications logiques sur le comportement des uns et des autres et ce, par rapport à travail et au salariat. En effet, si pour les harratines, cette libération leur a permis de s'engager massivement dans les nouvelles opérations de mise en valeur des terres (coopératives, groupements de mise en valeur, exploitations de la réforme agraire, accession à la propriété foncière agricole...) en raison de leur situation sociale, et de leur savoir-faire dans l'agriculture et la petite hydraulique, pour les propriétaires ksouriens et leur famille, dépourvus de ce savoir-faire, la reconversion à la mise en culture qui était loin d'être chose aisée pour assurer la survie économique, expliquerait en bomie partie la recherche de nouvelles ressources complémentaires par l'intermédiaire du salariat dans la ville. Et, c'est dans cette conjoncture favorable à l'accès à l'emploi que la population d'Ouled Hadj Mamoun s'était ouverte à la pluri-­activité et ce, d'autant plus que les effectifs agricoles avaient régressé, comme partout en Algérie, au sein de la commune de Tamentit dont fait partie le ksar d'Ouled Hadj Mamoun (tab. 2).

Tableau 2 Répartition de l'emploi par secteur d9activité dans la commune de Tamentit (1987)

 

Agriculture

B.T.P

Industrie

Autre secteurs

Total occupés

Sans travail

Effectifs

248

244

34

565

1091

113

Tamentit (%)

22,7

22,4

3,1

51,8

100

9,4 %

Algérie (%)

17,5

15,9

15,9

50,7

100

22,3

La diversité de l'emploi par secteur d'activité, en 1987, met en évidence la part relativement faible de l'agriculture et prouve de fait, l'existence d'une déprise agricole dans cette commune rurale du Touat. Si la fraction de l'emploi dans l'industrie s'explique aisément, celle revenant aux actifs travaillant dans l'agriculture (22,7 %) est comparable à la part des effectifs occupés dans le bâtiment (22, 4%)! A l'exclusion de l'emploi industriel, la part relative de chaque activité de la commune de Tamentit épouse la forme générale de l'emploi enregistré au niveau national c'est dire, là-aussi, les effets modulés du développement au sein des communes rurales du Sahara. Pour revenir à l'agg1omération d'Ouled Hadj Mamoun et consécutivement à l'échantillon enquêté, nous pouvons affirmer que pratiquement chaque famille de propriétaire terrien compte au moins un actif occupé dans l'économie urbaine d'Adrar. Ainsi, sur les huit personnes du ksar identifiées et soumises aux migrations pendulaires, la totalité est occupée dans les services administratifs et techniques du chef-lieu de la wilaya. Toutefois, il faut souligner que ce personnel est peu qualifié dans la mesure où nous avons relevé quatre gardiens, deux agents de bureau, un chauffeur et un agent technique. Par ailleurs, cette mobilité géographique quotidienne de travail qui exclut les actifs du secteur informel, est facilitée par la mise en place récente de liaisons régulières entre Adrar et Ouled Hadj Mamoun par le biais de camionnettes faisant partie du réseau dit de transport rural.

Conclusion

En dépit des rapports sociaux passés, nous avons affaire dans le cas du ksar d'Ouled Hadj Mamoun à une paysannerie en ce sens que celle-ci garde un profond attachement à son terroir, même si elle ne maîtrise pas encore complètement le savoir-faire du travail agricole. Pratiques sociales et culturelles locales fortes au sein de la terre des ancêtres font dire à un fellah interviewé : « je me sens paysan... et ce, malgré toutes les difficultés rencontrées...

Pour les ksouriens, l'essentiel est de perpétuer l'agriculture dans la palmeraie et de s'y maintenir, quitte à aller ou à envoyer les jeunes actifs, chercher un emploi salarié à Adrar, à Oran ou ailleurs. Bien plus, le salariat et les revenus acquis grâce à l'emploi dans les activités urbaines ont fini par devenir une vraie ouverture sur la ville, ses idées, son mode de consommation... C'est dans cette pratique de la ville que l'on peut observer une série d'effets induits qui attestent d'une dynamique sociale certaine. Celle-ci touche tout à la fois les comportements des ksouriens et leur manière de vivre en société. Il en est ainsi, par exemple, dans l'acte de bâtir; dans cet ordre d'idée, I' introduction de certains matériaux de construction (parpaing, béton, dalle...) dans le cadre de vie ksourien se généralise et apparaît à l'observateur étranger comme un acte incompatible avec la qualité du patrimoine architectural local...

Pourtant, la vie continue dans cette palmeraie du bout du monde où la communauté garde, malgré toutes les difficultés, sa cohérence sociale et son identité culturelle. Toutefois, Si pour la population adulte le maintien de la palmeraie avec l'aide de l'Etat et la préservation culturelle locale restent des données vitales, pour les jeunes soumis à interview, leurs jugements semblent plus tranchés. Ils se montrent plus sévères avec leur condition économique et sociale et voudraient «tenter autre chose», émigrer par exemple. C'est là par exemple, le cas du plus expansif des jeunes enquêtés qui aimerait bien tenter l'aventure en Espagne (Barcelone) en vue de travailler, acheter et ramener au pays un fourgon aménagé pour assurer le transport rural...l'agriculture resterait alors, pour lui, une activité complémentaire.

La vie dans la ville d'Adrar, la perception des grandes villes du Tell et surtout l'image introduite dans les foyers par les nombreuses antennes de la télévision, voire les antennes paraboliques, installées sur les terrasses du ksar d'Ouled Kadj Mamoun façonnent progressivement et durablement les idées, les comportements et les jugements de cette population saharienne. En définitive, toute la problématique du développement des ces petites palmeraies se situe, aujourd'hui, dans l'articulation entre les vues portant sur la permanence des valeurs de la vie sociale, culturelle et économique émanant des personnes adultes et, la vision perçue et les pratiques esquissées par la population jeune quant a l'avenir de la vie dans ces territoires, plus ou moins oubliés par la puissance publique.

Bibliographie

Bisson J., 1957 : Le Gourara, étude de géographie humaine. Institut de recherches sahariennes. Alger.

Vallet J., 1973 : Une oasis à foggaras : Tamentit In Oasis du Sahara algérien. Institut géographique national. Paris.

Marouf N.. 1980: Lecture de l'espace oasien. Sindbad, Paris.

Bisson J., 1993 : Développement et mutations du Sahara maghrébin. C.R.D.P., Orléans - Tours.

Collectif . 1995 : Les oasis au Maghreb : mise en valeur et développement.

Actes du séminaire de Gabès. Cahiers du Cérès, série géographique n0 12,

O.N.S., 1990 : Résultats préliminaires données par district et par commune. Oran.

Collectif. 1987 : Perspectives de l'agriculture saharienne. Actes de colloque d'Adrar (1986). URASC. Univ.Oran.


Notes

[1]- L'enquête a été faite, en mai 1998, par les étudiants de 4ème année lors du stage de géographe rurale (Université d'Oran).

[2]- "La foggara est une galerie permettant d'accéder à une nappe souterraine plus élevée que le terrain à irriguer et conduisant l'eau par gravité" (Cf Vallet J., 1973, p.68.). Son fonctionnement est décrit par BISSON, J. (1957).- p.p. 67-69.

[3]- Il faut relever la qualité de l'ouvrage "Oasis du Sahara algérien" (I.G.N., Paris, 1973). Traitant des "Oasis de l'Oued Righ" (Nesson C.), de "Ouargla, palmeraie irriguée et palmeraie en cuvettes" 5rouvillois – Brigol M.) et "une oasis à foggaras : Telentit (Touat) (Vallet J.). Ce numéro des "Etudes de la photo-interprétation" (N°6) gagnerait à être réédité en Algérie.

[4]- Vallet, J..- 1973.- Op.cité.- p.68.

 

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