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L’Homme, Revue Française D’anthropologie, N° 195-196, Editions De l’Ecole Des Hautes Etudes En Sciences Sociales, Paris, 590 Pages, Juillet-Décembre 2010

Dans cette double livraison, la revue L’Homme s’intéresse à la question de l’auto-biographie et de l’éthno-biographie à travers divers articles représentant à la fois des études et des essais effectués autour d’une multitude de sphères bio-existentielles transcrites par une graphologie néo-conceptuelle. Entre l’image de soi par soi et l’image de soi par l’autre, intervient une mémoire qui appelle à la résurrection, voire à l’illusion biographique[1]. Une illusion fortement dénoncée par Jean-Paul Sartre et bien d’autres : « L’histoire de vie est une de ces notions du sens commun qui sont entrées en contrebande dans l’univers savant ; d’abord, sans tambour ni trompette, chez les ethnologues, puis plus récemment, et non sans fracas, chez les sociologues. Parler d’histoire de vie, c’est présupposer au moins, et ce n’est pas rien, que la vie est une histoire et que, comme dans le titre de Maupassant, " Une vie" ; une vie est inséparablement l’ensemble des évènements d’une histoire individuelle et le récit de cette histoire »[2]. En effet, la biographie dans ce numéro est placée au cœur d’un prisme reflétant indéfiniment les différentes configurations graphologiques et sémiotiques possibles  pour une éventuelle canonisation virtuelle ou sacralisation perpétuelle. Auto-biographie, ethno-biographie, voir même « égo-histoire », l’œuvre biographique a toujours joué un rôle primordial dans l’évolution des sciences sociales (l’histoire, la sociologie, la psychologie et plus tardivement l’anthropologie).

Dans son article, Daniel Fabre fait jaillir du plus profond de l’enfer d’une mémoire un témoignage intérieur de la construction d’un moi, celui de Ferdinando Camon, un témoignage convergeant avec tout récit de faits  ou  récit de vie , la fin étant de faire revivre un passé qui lutte contre l’oubli en se justifiant dans la légitimité du poétique, du ressouvenir et du revécu. Selon l’auteur, seul conféré par la littérature italienne « un autel pour la mère » peut être transporté par un chœur et consacré comme autel du village. Dans l’article de Laurence Caillet intitulé Méprise et dérives : ethnographie d’une autobiographie recueillie, la tradition autobiographique doit largement son existence dans le monde occidental aux habitudes  d’introspection développées dans le cadre de la confession par l’église chrétienne. Elle relève, également d’un genre littéraire,  en sus d’être l’expression d’un monde lointain dont l’auteur raconte, ici, l’expérience ethnographique. En s’appuyant sur les recueils biographiques d’une femme de quatre vingt, cette expérience lui a permis d’explorer les fondements culturel et historique de la civilisation japonaise. En fait, dans une société qui prône, d’une part, l’examen de la conscience et d’autre part, la purification collective : « La culture japonaise propose de substituer à la confession centrée sur soi la poésie qui ouvre le sujet sur la nature » (p. 189). Par ailleurs, et à travers son article sur « Le moment néoréaliste de l’anthropologie démartinienne », Giordana Charuty met m’accent sur le procédé biographique comme moyen de restitution d’un moment de création d’un genre, un style ou même une école, en se référant, en particulier, à J.G. Frazer, E. Durkheim, B. Malinowski et M. Mauss et en soulignant la recomposition de vie de grands anthropologues à travers la considération de textes mineurs. Dans l’Archive d’une Afrique fantôme, Louis Hincker revient sur la tragédie de mai 1945 en Algérie et sur d’autres évènements frappants relatifs à la domination de l’Afrique du Nord par l’Occident tels que reportés dans le Journal[3] anticolonialiste  du voyageur- ethnographe Michel Leiris, inspiré par les archives privées de son  grand père Jacques-Eugène Leiris. En effet, ce dernier délègue à son petit fils les lettres[4] qu’il a adressées à sa sœur et qui témoignent de la mission de démystification du colonialisme qu’il pût entreprendre lors de sa traversée du Constantinois.

Dans le même contexte, la revue aborde un certain nombre de questions d’un point de vue analytique et d’autres d’un point de vue critique. Elle regroupe, également, un nombre considérable de comptes rendus qui portent sur des publications relevant de divers champs d’intérêts (histoire et épistémologie, économie, Afrique, Europe, préhistoire…etc.).

En s’interrogeant sur la validité de cet acte rédactionnel d’historisation, cette livraison thématique de L’Homme favorise généreusement l’exploration de l’écrit biographique comme instrument de connaissance, ce qui permet, entre autres, l’évolution de la réflexion anthropologique dans sa dimension historique et circonstancielle.

notes

[1] L’Illusion biographique  est le titre donné par Pierre Bourdieu à son article paru dans la revue Actes de la recherche en sciences, N° 62, Juin 1986.

[2] Sartre, Jean-Paul, Carnets de la drôle de guerre, Paris, Gallimard, 1983, p. 69.

[3] Leiris, Michel, Journal 1922-1989,  Paris, Editions Jean Jamin, Gallimard, 1992.

[4] L’article reprend, dans son intégralité, une lettre envoyée de Lambèse par Jacques Eugène Leiris à sa sœur en date du 18 avril 1852.

auteur

Soraya MOULOUDJI-GARROUDJI

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