Insaniyat N° 14 | 2001 | Premières recherches | p.5-8 | Texte intégral
Une compilation de textes plutôt qu’un dossier thématique, telle fut la singularité de l’objectif initial du présent numéro double. Il ne s’agit pas d’articles mais d’exposés de travaux scientifiques récemment soutenus et qui sont conservés en l’état comme reflet d’une communauté et d’une situation plutôt difficile au regard des événements qui ont marqué la décennie. Ils s’affilient approximativement à des résumés non dénués d’imperfections qu’il faut imputer à l’exercice d’initiation à l’écriture. Ils rapportent de façon plus ou moins explicite, la problématique accompagnée d’objectifs, hypothèses, démarches et principales conclusions. Ces dernières, suggèrent sous diverses configurations, des réponses, des pistes de recherche, des questionnements et des problèmes avec quelquefois la mesure de leur complexité.
Les deux catégories de champs disciplinaires traités sont quasi relatifs à la langue et au territoire à différentes échelles, avec en filigrane les questions identitaires et culturelles. Un leitmotiv qui (pré) occupe l’esprit collectif des Algériens sous la permanente interpellation d’un contexte conflictuel et où le concept de l’inexistant prétexte une analyse pour en décrypter le sens. C’est dans ce raisonnement que s’inscrit l’étude de Nedjma Abdelfettah Lalmi en partant du constat que le fait urbain autochtone au Maghreb a toujours été considéré comme un acte mineur. L’étude examine les discours produits sur la ville de Béjaïa durant la période coloniale pour cerner les rapports entre l’autochtonie et l’urbanité et conclure sur la futilité de la pratique de la censure. Un même déni à l’existence motive l’hypothèse de Akli Mechtoub mettant en rapport la question identitaire et le mode de production de l’espace. Il tente d’expliquer que si une impression de désordre se dégage de ce dernier, c’est dû à la confrontation non sans équivoque de logiques des contraires : l’une interne et relevant de la persistance des représentations d’ordre culturel dans l’organisation de l’espace, l’autre de l’utilisation de techniques nouvelles pour sa production. Telles techniques et doctrines du mouvement moderne, issues de conceptions importées et qui prêtent à critiques comme le souligne en résonance l’étude de Samia Zenboudji- Zahaf. Son observation porte sur la difficulté d’intégrer un mode d’habitat introverti signe de permanence socio-culturel, à un mode d’habitat vertical signe de mutation socio-économique. Elle suggère l’hypothèse d’adhérer aux idées du post-modernisme comme porteur de solutions pour prendre en compte la vie communautaire et l’échelle humaine dans l’aménagement urbain.
Une autre série de travaux sur la ville s’inscrit dans le registre de la ré appropriation de l’espace et de la dynamique de ses pratiques. Elle entrevoit la nature des rapports entre une société et son espace. La dimension symbolique apparaît comme une constante même si au regard de la bibliographie, aucune approche notionnel ne s’y dégage. Pour Assia Malki Allouani, l’espace symbolique est d’emblée l’espace construit ; elle propose d’approfondir la recherche sur les modèles culturels de l’habitat. Introduisant la question de l’appropriation de l’espace public limitrophe, Mohamed Ghomari aborde une démarche similaire de logique symbolique dans les pratiques habitantes. Au plan de l’étude sur des portions de ville Samia Kitous pose la question de la production du centre, tandis que sur la périphérie Amina Ghomari essaye de comprendre la nature des dysfonctionnements du système urbain. La question immobilière dans le cas particulier de Sidi Bel Abbes, est développée par Bouchentouf Abdelkader selon une problématique de production et usage par les différents acteurs de la ville. Il souligne ainsi la traditionnelle division sociale de l’espace urbain. Un changement d’échelle enfin est entrepris par une réflexion sur les marchés par Kheira Feninekh. Elle s’intéresse à l’impact de l’échange commercial sur l’organisation de l’espace urbain et se questionne sur les nouvelles tendances constructives à partir de l’observation de l’évolution historique.
Au chapitre des sciences sociales et humaines, la question identitaire qui soutient la pensée des chercheurs, y est traitée selon différentes approches et disciplines. Dans les branches de la linguistique, se distinguent deux catégories de démarche : celle qui s’appuie sur l’analyse d’une œuvre littéraire et celle dite pragmatique qui développe soit une attitude, soit un concept. Le travail de Dida Badi choisit la forme narrative pour rapporter une expérience, presque une aventure, de recherche sur un terrain saharien : l’Adagh des Ifoughas. Cette étude à caractère monographique et originale comble des lacunes en matière de connaissance sur une partie des Touaregs du sud algérien. Tout autant, la quête identitaire dans l’espace traditionnel maghrébin, apparaît dans la thèse que Mokhtar Atallah entreprend à travers la décomposition de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun. Selon cette formule, Ouardi Brahim prend l’œuvre de Nouredine Abba pour démonter le thème de la torture ; Malika Kebbas met en question l’intellectuel dans le roman de Mouloud Mammeri avec pour objectif de révéler les stratégies de l’écrivain et le rôle de la subversion face aux agissements des Pouvoirs en place. Faouzia Bendjellid, à travers Rachid Mimouni, met en exergue le caractère fondamentalement contestataire de la littérature algérienne. Pour revendiquer sa souveraineté, le moyen de la dénonciation y est souvent utilisé. En matière d’histoire, Djaffar Yayouche veut rétablir une vérité en restituant l’apport à la médecine de Abou Marwan Ben Zohr. Sa position relève une autre forme de déni à l’existence qui donne aussi corps à philosopher et que Abdellah Moussa nous présente sous la difficile problématique du rationalisme de la pensée arabe contemporaine.
En posant le problème de la légitimité nationale, Mohamed Gueddoussi fait une analyse historique et cherche à comprendre ce qui explique l’état du système actuel caractérisé par les pratiques du clientélisme et de la rente. L’étude de Mustafa Radjii quant à elle, enquête sur les jeunes de Mécheria qui refusent le prêt bancaire et donne un autre aperçu sur le rapport à l’argent. Elle indique une attitude en émergence sur la base du texte coranique.
Sur un autre volet des problèmes linguistiques, il n’est pas surprenant de voir se développer la question complexe de l’enseignement de la langue française aux jeunes lycéens algériens. Constatant les difficultés rencontrées par les élèves autant dans l’expression écrite que orale, quatre contributions proposent d’analyser les rapports enseignement / apprentissage. Celle de Abderazak Amara amorce la compréhension des attitudes vis à vis des erreurs produites ainsi que leurs causes pour orienter la continuité de la recherche. Saadane Braik conclut que la subjectivité de l’apprenant est à prendre en considération comme moteur essentiel dans le processus d’apprentissage. Dans ce même ordre, Nabila Benhouhou suggère de la minimiser en définissant plutôt des critères objectifs d’évaluation. Autant de problème concernant la langue arabe qui de son côté, motive l’étude de Mokhtaria Trari pour relever quelques imperfections dans les méthodes de l’enseignement traditionnel dans les écoles coraniques. Haféda Tazouti pose celui de la pauvreté linguistique chez les enfants scolarisés et cherche à en détecter quelques raisons en observant son environnement et les milieux influents. L’analyse met en évidence les insuffisances qui incriminent le livre scolaire. L'examen des discours en tant qu’objet de dissection par ailleurs, les présente comme un avenant au terrain linguistique. C’est ce que développent Omar Belkheir en choisissant l’univers du théâtre et Nouara Bouayed celui de la didactique universitaire, pour apprécier l’importance de la méthode pragmatique. Inversement, Lazar Mokhtar cherche à comprendre le discours coranique en se basant sur l’analyse de l’ouvrage « El Kachef » du grammairien Ez-Zamakhchari.
Pour terminer, une étude atypique développée par Fewzia Bedjaoui, traite de la politique britannique vis à vis de l’entrée des immigrants. Intéressante en soi, elle montre l’importance de la question linguistique dans un cas d’intégration des immigrants d’origines diverses.
Qu’aurait-on appris au terme de ce bref arrêt sur la production universitaire et ce qu’elle implique ? Y-a-t-il pertinence des thèmes ? Font-il œuvre d’anticipation ? Auraient-ils si peu à voir avec le réel, comme il est souvent affirmé ? Certes la critique et la mise en garde contre une tendance à l’introversion, sont nécessaires pour le développement qualitatif de l’université. En débattre est une des raisons qui justifie la présente contribution.
Ammara Bekkouche