Sélectionnez votre langue

Genèse de la métropole oranaise : recomposition spatiale et dynamique sociale

Insaniyat N°14-15 | 2001 | Numéro spécial: Premières recherches | p. 83-97 | Texte intégral


Amina GHOMARI : Université M. Boudiaf, Département d’Architecture,  31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Cette contribution s’inscrit dans le cadre d’une recherche menée à travers une succession de projets sur la périphérie urbaine, et dont l’objet porte sur le processus de recomposition de l’espace périurbain générant l’aire métropolitaine d’Oran. La problématique globale de la croissance urbaine de la ville algérienne avec une accélération forte de son processus d’urbanisation périphérique l’insère dans la catégorie des villes du tiers monde dont la croissance urbaine démesurée est fortement marquée par le contexte économique de cette fin du 2ème millénaire.

En effet, celles-ci sont soumises à l’interaction de multiples facteurs, tant endogènes et relatifs aux processus de décolonisation et de constitution de nouveaux états indépendants, qu’exogènes par les effets de la mondialisation et des structures politico-financières ainsi engendrées (FMI, Banque Mondiale… ), et qui se traduisent par des formes diversifiées de dysfonctionnement.

Problématique générale et outils d'investigation

Le domaine d’intérêt est le processus de croissance de la ville, qui à partir de l’émergence d’agglomérats périurbains non planifiés, exprime directement les effets d’une politique urbaine adoptée dont les conséquences sont l’expression même d’une gestion déficiente et d’une maîtrise insuffisante du développement urbain.

A travers l'étude de la construction de la métropole oranaise et plus particulièrement les processus sociaux inhérents à la recomposition de l'espace périurbain résultant de l’ère de l’indépendance, notre réflexion porte sur les mécanismes de la dynamique de destruction-reconstruction générée par des modes nouveaux de production urbaine.

De ce fait, le questionnement principal porte sur les facteurs inhérents à cette dynamique et leurs effets sur les comportements émergeants des modes d’appropriation et de pratique de l'espace périurbain dans une perception globale de la ville. Ainsi le décryptage de ces comportements à travers la production spatiale des quartiers irréguliers périphériques d’émanation populaire et les différents processus sociaux en construction dans le rapport à l'espace urbain tels que la territorialité, la sociabilité et la représentation de l'espace investi, représentent l’objet de cette recherche.

Cette démarche qui a pour support l’interaction du social et du spatial dans la ville, se doit d’être une investigation dans le champ de la géographie sociale, discipline récente qui donne toute la dimension sociologique et symbolique à des faits urbains spatiaux.

La ville d’Oran a connu une croissance urbaine périphérique selon un mode d’extension radio-concentrique conçu sur la base de la formation de couronnes successives selon la chronologie de l’histoire urbaine de la ville. Ces deux dernières décennies ont été marquées par une dynamique d’accélération du processus de formation de la 3ème et 4ème couronne périphérique qui résultent de modes de production urbaine différenciés.

Le phénomène de recomposition urbaine qui tire toute sa complexité dans la compréhension des logiques impliquants des acteurs à différents niveaux d’influence sur l'espace, sera appréhendée selon trois dimensions fondamentales :

1. spatiale à partir des variations typomorphologiques de l’habitat populaire, la densification des tissus et l’évolution du statut du foncier.

2. sociale selon le contenu socio-économique de ces zones ainsi que la mobilité résidentielle inscrite dans un projet de stratégie spatiale.

3. symbolique avec l’émergence de comportements urbains relatifs à de nouvelles formes de citadinité sous-tendues par la représentativité de nouvelles configurations territoriales dans la métropole oranaise.

L’analyse de différents quartiers populaires inscrits dans une même temporalité, appartenant à la dernière couronne périphérique, selon les différents modes de production  de l’habitat populaire, permet de saisir dans un contexte historique précis, les mécanismes qui sous-tendent ce phénomène de recomposition urbaine entraînant l’émergence même d’une aire  métropolitaine oranaise.

Dans ce type de recherche compréhensive des phénomènes urbains, l’approche proposée est celle d’une superposition de deux lectures, géographique et socio-anthropologique qui permet d’élaborer une analyse fine des constantes et variables existantes dans l’habitat populaire (habitat précaire, habitat illicite, autoconstruction, etc.) ainsi que des éléments générateurs des comportements urbains émergeants.

Le choix même de ces agglomérats périurbains n’est pas fortuit, car il apporte une richesse dans le décryptage des éléments de conceptualisation de la citadinité et de la territorialité à travers leurs expressions spatiales et symboliques.

Construction de l'aire métropolitaine oranaise

Urbanisation coloniale française

Compte tenu du contexte particulier de l’histoire urbaine d’Oran[1] et de l’importance de la période de la colonisation française où la ville s'est construite à partir d’une succession de plans d’embellissement régissant l’expansion de ses premiers faubourgs périphériques, la densification du tissu existant et de la première couronne ont été réalisés jusqu'à l’indépendance et notamment par l’application du plan de Constantine(1959). La gestion urbaine était soumise aux caractéristiques législatives foncières du sol urbain dont la propriété était partagée entre divers acteurs : l’Etat, les domaines, l’armée, les lotisseurs privés, les particuliers, ...

La logique de structuration de l'espace urbain, dont l'apparence se voulait être celle d'une ville européenne, a été générée par les bases de l'urbanisme moderne qui prévalait au début de ce vingtième siècle et initiées par la Charte d'Athènes  (utilisation du zoning, développement du système de transport, création de zones industrielles, transformation des enceintes antérieures en boulevards périphériques, création de grands axes de liaisons). De ce fait, les faubourgs qui se sont érigés dans la zone extra muros, étaient produits dans une logique similaire à celle du faubourg périphérique de la ville française: à savoir de petits villages périurbains autonomes avec leur propres équipements collectifs, leur propre vie sociale, d'où l'appellation  de «village Chollet» et «village Lamur». Reliés progressivement à la ville, ils représentent la première couronne périphérique qui enserre la ville et la délimite par rapport à son arrière pays.

Ainsi le premier P.U.D. [2] d'Oran comprenait un ensemble d'interventions  urbaines dont les directives d'extension de la ville dans les zones Sud et Est  et des opérations de réalisation de grands ensembles d'habitat collectif et de lotissement d'habitat individuel (à l'image de la Z.U.P. française) et d'équipements urbains. Ce fût donc le premier outil d'urbanisme conséquent, qui a établi les bases de l'urbanisme post-colonial de l'agglomération oranaise.

S'il paraît que le modèle dualiste est à la base de la production de l'espace périphérique durant la période coloniale, il est d'autant plus significatif dans le cas de la ville d'Oran, où la mise en exergue de la dichotomie centre / périphérie dans la localisation discriminatoire de la population musulmane permet d'avancer la stratification de la périphérie en trois composantes principales:

  • le faubourg européen (de type pavillonnaire), implanté partiellement de cités d'habitat collectif (cités pour les fonctionnaires).
  • le faubourg musulman, caractérisé par le type d'habitat traditionnel (Haouch).
  • le bidonville et le camp périurbain, localisé essentiellement à l'intérieur ou dans le prolongement du faubourg musulman.

C'est donc le principe de non droit à la ville qui a généré un développement spatial incontrôlé de la ville soumis à une logique de ségrégation ethnique et a engendré le dysfonctionnement du système urbain colonial.

Les aspects de l’urbanisation de la première décennie post-coloniale

Au lendemain de l’indépendance après des conditions particulières de substitution de la population européenne par une population algérienne, l’occupation du parc immobilier a été partielle jusqu’en 1965. Ensuite l’accélération du mouvement d'exode vers Oran a fait que sa population est passée de 327.800 habitants au recensement de 1966 à 495.462 habitants à celui de 1977. Avec un taux d'accroissement de plus de 51% et la saturation du parc immobilier, le déficit en matière de logement, posait dès la moitié des années 70, le problème du logement. 

Cette période qui représente dans l'histoire algérienne, une étape de transition et d'installation des différentes structures étatiques, à partir des choix politiques et économiques adoptés, n'a pas influé de manière perceptible sur l'urbanisation de la ville d'Oran. Considérée comme cité privilégiée de par sa disponibilité factice en logements, une seule opération d'habitat fût initiée dans le cadre du second plan quadriennal (1974-1977) et comprenait la réalisation de 600 logements dans des sites à l'intérieur même du périmètre urbain.

L’expérience de l’urbanisation algérienne : gestion urbaine et instruments d’urbanisme.

Dès l'année 1974, le marché foncier était régulé par un ensemble de lois dont l'ordonnance n° 74-26 du 20/02/1974, portant constitution des réserves foncières au profit des communes. Après la suppression des structures foncières coloniales par la loi du 08/11/1971, le sol urbain était géré dans le cadre des réserves foncières communales.

De ce fait l'Etat, de par sa représentation locale, a constitué le principal acteur dans la gestion du sol urbain jusqu'à la base administrative qui reste la commune. Dans ce contexte, la ville d'Oran a bénéficié d'un plan d'urbanisme directeur (P.U.D.), dont l'étude a été lancée en 1974 et dont l'échéance était prévue pour 1986. Cet outil d'urbanisme, approuvé par arrêté ministériel du 17/11/1977, a donné les orientations de la croissance spatiale d'Oran dans les directions Sud et surtout Est, et a adopté des choix d'affectation des sols à l'intérieur d'un périmètre d'urbanisation défini.

Les objectifs principaux du P.U.D., concernaient la gestion et la maîtrise de la croissance spatiale et le comblement du déficit en matière d'équipement dans la périphérie, afin de réduire le dysfonctionnement du système urbain préexistant. En conséquence, cette première phase algérienne d'urbanisation a marqué l'espace périphérique, par la production d'une configuration spatiale différente et selon des formes nouvelles dont l'innovation est en rupture totale avec les formes antérieures (trame urbaine, architecture)

A partir des outils du P.U.D., l'urbanisation d'Oran a été caractérisée durant cette période par une forte consommation d'espace dont une part importante à valeur agricole. De ce fait et après une forte critique des acteurs concernés (représentants du ministère de l'agriculture, Bureau d'étude de Bneder, ..) surtout concernant les axes d'extension urbaine (vers les régions agricoles de Bir El-Djir, et d'Es-Sénia ), une révision de ce P.U.D., a permis une réduction de la superficie d'urbanisation de 3750 ha à 2400 ha , repartis en cinq Z.H.U.N., de grands équipements, des zones industrielles et d'activités.

Si le périmètre urbain représentait en 1977, une superficie de 2900 ha, une décennie de croissance spatiale incontrôlée lui a fait atteindre une superficie de 4700 ha en 1987. Les nouvelles opérations contenues dans le P.U.D., se répartissant essentiellement entre le 2ème et le 3ème périphériques, occupent les superficies suivantes:

  • les zones résidentielles : Z.H.U.N. (800 ha), lotissements (135 ha),
  • les zones industrielles : Es-Sénia (300 ha), Hassi Ameur (320 ha),
  • les zones d'activités : 112 ha dont le dépôt de Nedjma occupe 66 ha,
  • les équipements socio-éducatifs : 289 ha dont les deux pôles universitaires U.S.T.O. à l'Est et E.N.S.E.T. au Sud occupent une superficie de 221 ha.

Les grands ensembles qui constituent les Z.H.U.N., se situent essentiellement dans la deuxième couronne périphérique et se trouvent à des degrés différents de réalisation selon les dates de lancement de leurs travaux et la durée moyenne de leur réalisation, a été évaluée à une décennie, et parfois plus.

Compte tenu de la faible progression de la croissance démographique qui caractérise cette période (voir tableau n° 1 ), il est évident que le processus d'urbanisation périphérique n'est pas le fait direct du peuplement de la ville d'Oran, mais traduit surtout une absence de maîtrise de la croissance spatiale, une programmation peu rigoureuse et l'inexistence de moyens de contrôle de la production périphérique qui rendent caduc le PUD de 1977 et remettent en cause son opérationnalité.

Tableau n° 01 :Evolution de la population et du parc logement d'Oran aux  différents recensements nationaux.

Recensement

1966

1977

1987

Population

327.032

504.000

610.382

Logements

61.776

78.268

90.932

Taux d'accroissement

global %

1966/1977

1977/1987

54,11 %

21,11 %

Accroissement des

Logements

16.502 logt

12.664 logt

Source : O.N.S , R.G.P.H, 1966, 1977, 1987.

Le paradoxe qui s'exprime dans cette variation de la croissance démographique auquel s'ajoute la situation de crise de l'habitat qui se manifeste dans les écarts constatés entre l'offre et la demande de logements, traduisent les distorsions et pressions que subit la ville d'Oran dès le début des années 80, et annoncent l'émergence d'un phénomène urbain nouveau : La périurbanisation ou le desserrement spatial de la cité oranaise au delà de son périmètre, avec un transfert de sa population et le développement de petites agglomérations spontanées dans la frange périurbaine oranaise.

Dès les années 80, le dysfonctionnement du système urbain avait atteint une phase critique, du fait principalement du manque de rigueur dans la gestion urbaine, et de l'inefficacité des moyens mis en œuvre pour la mise en pratique du PUD, et dont les éléments révélateurs sont :

  • L'apparition de nouveaux noyaux d'habitat précaire (bidonvilles) à la périphérie d'Oran: l'agglomération du Pont Albin formée des douars de Ronca, Hai El Louz, Hassi et Oued Ronca qui comptait en 1987, 4.597 habitants, en 1991, prés de 15.724 habitants, a connu un croît supérieur à 50 % soit 24.000 habitants en 1993 [3] .
  • Le renforcement de ceux existants comme Chaklaoua, et la bande située sur le flanc Est de la montagne du Murdjadjo partant des Planteurs, Ras El Ain, pour rejoindre le Pont Albin, l'ensemble des bidonvilles totalisant une population de 40.000 habitants en 1993[4]. Le phénomène bidonville considéré comme une pathologie urbaine, constitue en réalité une composante à part entière, permettant d'estimer le pouls de la ville et de la dynamique urbaine et sa présence n'a d'autre causalité qu'une crise inhérente à une crise de la société globale.
  • Le développement de l'urbanisation spontanée à travers la formation de petites agglomérations dans la frange extérieure au 3ème boulevard périphérique, au contact des communes limitrophes du groupement d'Oran, telles que Bir El Djir, Es-Sénia, Sidi El Chami.
  • Le desserrement spatial d'Oran au delà du périmètre d'urbanisation sans outil d'urbanisme, ni planification préalable, qui a occasionné une consommation spatiale démesurée. Celle ci a concerné notamment une zone de terres agricoles qui délimitait l'agglomération d'Oran et qui tend vers sa conurbation avec les agglomérations limitrophes (Es-Sénia, Bir El Djir). Ce grignotage de terrains est conséquent aux différentes manœuvres et spéculations que se livrent les différents acteurs de la ville et qui se manifestent par la création de lotissements nouveaux au profit de groupes sociaux favorisés et de groupements d'habitat illégal pour les exclus de la ville.

Ce phénomène de périurbanisation a pris son essence dès les années 1980 à l'initiative des autorités locales de vouloir investir l'espace périurbain par des interventions urbaines ponctuelles telles que les opérations de recasement et d'autoconstruction. D'où l'émergence de groupements humains soit sur des sites vierges (Douar Belgaid, Nedjma), soit par concentration autour d'anciens noyaux coloniaux qu'ils soient structurés (Bir el Djir, El Kerma) ou non (Sidi El Bachir).

Ces petites agglomérations connaissent une forte accélération de leur urbanisation depuis 1990 et constituent la troisième génération de périphérie de la métropole oranaise qui a évolué de manière quasi spontanée en l'absence de tout instrument d'urbanisation.

Ainsi Oran connaît une nouvelle ère de son processus d'urbanisation: la périurbanisation qui est définie par G. Jalabert comme « l'ensemble des zones où l'on observe des phénomènes de croissance démographique, alors que la ville centre, voire des communes de banlieue ancienne, perdent leur population» [5].

J Steinberg[6] élargit le concept du périurbain en y ajoutant des facteurs autres que le dynamisme démographique et qui restent essentiels tels que: les grandes voies de communication, les centres secondaires périphériques, l'agrément des sites dans la mesure où les néo-ruraux cherchent à réconcilier la ville et la campagne.

La dynamique d'urbanisation actuelle de croissance démographique et de dispersion dans l'espace périurbain , dépasse la ville centre d'Oran et concerne l'ensemble du groupement composé de la commune principale et des trois communes limitrophes caractérisées par un éclatement en petits noyaux d'établissements humains et qui se repartissent de la manière suivante  :

Tableau n° 02: Dispersion de la population dans les communes périphériques.

Commune

Agglomération

A.C.L AS *

1987 (RGPH)

1995 (estim)

 

Bir El Djir

A.C.L

6.254

10.904

Bir El Djir

Sidi El Bachir

A.S

8.402

22.366

 

Total commune

 

20.742

43.259

 

Sidi Chahmi

A.C.L

5.257

7.316

Sidi Chahmi

Nedjma

A.S

4.316

50.064

 

Sidi Maarouf

A.S

3.692

11.886

 

Total commune

 

17.071

75.755

 

Es Senia

A.C.L

15.721

30.186

Es-Sénia

Ain Beida

A.S

10.447

17.867

 

Total commune

 

34.749

57.196

Source : O.N.S RGPH 1987 et PDAU  d'Oran : 1ère  Phase, Rapport d'orientation, URSA, Nov. 1995.

Les agglomérations chef lieu, Bir El Djir, Es-Sénia, et Sidi Chahmi datent de la période coloniale, sous  la configuration de bourgs ruraux. Les centres secondaires ainsi présentés et situés comme l'indique la cartes n°1, s'inscrivent dans une logique inhérente au contexte particulier du développement urbain périphérique actuel,  correspondant à une troisième génération de périphérie, qualifiée de spontanée, de non planifiée. La dynamique démographique et le mouvement de redistribution de la population sur l'espace périurbain durant la période intercensitaire 1977-1987, confirme le lancement du processus de formation de cette troisième génération de périphérie et de la constitution de l’aire métropolitaine oranaise.

Tableau n° 3: Evolution de la population du groupement d'Oran au trois (03) recensements nationaux.

 

Population

Taux d'accroissement moyen annuel  en %

Commune

1966

1977

1987

66/77

77/87

66/87

Oran

327.032

504.000

610.382

4,06

1,94

3,02

Bir El Djir

4.742

6.700

20.534

3,23

11,84

7,24

Es Senia

12.958

22.600

33.785

5,26

4,37

4,68

Sidi Chahmi

4.671

6.500

17.247

3,09

10,03

6,43

Groupement

349.403

539.800

681.948

4,09

2,38

3,24

Source : PDAU  d'Oran : 1ère Phase, Rapport d'orientation, URSA, Nov. 1995,  p. 45.

Devant ce phénomène d'urbanisation spontanée accélérée et incontrôlée et face à un PUD très rapidement dépassé, les décideurs envisagent à partir du début des années 90, le lancement de deux études successives, la première consistait en l'élaboration d'un plan d'aménagement de la wilaya (P.A.W) lancée en 1992, et suivie d'une seconde étude, le plan directeur d'aménagement et d'urbanisation du groupement d'Oran (P. D. A.U.), lancée en 1994.

Cependant durant toute cette période d'élaboration et d'étude et face aux lenteurs de procédures bureaucratiques, le processus d'urbanisation est ininterrompu et provoque un décalage certain entre la projection et la réalité urbaine, notamment pour les agglomérations secondaires qui connaissent une très forte accélération de leur urbanisation et dont le taux d'urbanisation est souvent supérieur à celui de l'agglomération principale chef lieu, et qui ne sont dotées d'aucun instrument de gestion du sol.

L’agglomération périurbaine de Sidi El Bachir : une illustration de la dynamique de reconstruction socio-spatiale

Une approche de la réalité du terrain à partir de l'étude du cas de l’agglomération secondaire de Sidi El Bachir a permis d’appréhender les mécanismes de production urbaine périphérique et de décrypter les facteurs sous-jacents à l’apparition de ces noyaux de la frange périurbaine notamment ceux liés aux conséquences d’une gestion urbaine déficiente et parfois inexistante. Constitué initialement d’un petit douar, Sidi El Bachir a vécu au courant des années 75, une période marquée par un fort mouvement d’exode rural et dans un environnement régional favorable à l’emploi (proximité de la ville d’Oran et du pôle industriel d’Arzew), le douar a connu une extension spatiale axiale bidirectionnelle : La première par agglutination le long de la route Nord - Sud, la seconde continue le long du gazoduc qui se trouve parallèlement  à  la  voie  express C.W. 32. Cette  seconde  formation, appelée Bendaoud B, se caractérise par une trame viaire plus régulière et une durée d’extension jusqu'en 1986.

Dès le début des années 80, la croissance spatiale, jusque là très lente[7], a connu une forte accélération en raison des différentes opérations de relogement de populations sinistrées anciennes de la ville d’Oran. Du recasement aux lotissements successifs, en passant par l’autoconstruction et l’habitat rural, l’agglomération de Sidi El Bachir constitue une véritable mosaïque de tissus où s’entremêlent l’urbain et le rural. De par le caractère spécifique de son développement, cette localité représente un processus de juxtaposition de fragments de tissus urbains en absence de toute logique d’uniformisation et de cohésion tant sur le plan spatial que fonctionnel.

Parmi les localités qui se sont développées autour de la ville d’Oran, Sidi el Bachir se caractérise par l’ampleur et la rapidité du phénomène d’urbanisation. Cela s’est traduit d’une part, par une consommation effrénée d’espace pour la production d’habitat parfois planifiée, souvent non réglementaire, et d’autre part par un apport massif de populations venues s’installer de manière licite ou illicite dans cet ancien douar.

La population a été multiplié par sept (07) sur une quinzaine d’années, et la dernière période quinquennale a été marquée par une forte accélération du phénomène de fixation de population sur l’espace de Sidi El Bachir.

Ainsi, pendant la période intercensitaire 1977/1987, le taux d’accroissement annuel de Bir El Djir (Chef lieu) qui était de 4,45 %, se trouvait nettement inférieur à celui de Sidi El Bachir 10,8%, et l’écart va croissant vu l’accélération du processus. Une contradiction surgit : le rôle générateur de développement urbain qui doit être assumé par l’agglomération chef lieu Bir El Djir sur le territoire communal est en réalité celui d’une agglomération  de strate urbaine inférieure à Sidi El Bachir.

Sidi El Bachir est une localité qui a vu son destin de petite agglomération rurale bouleversé par l’initiative des autorités oranaises qui l’ont choisie afin de recevoir un trop plein de population issue soit des quartiers anciens sinistrés soit des bidonvilles périphériques. Et ceci à partir d’interventions successives, telles que :

  • la répartition des terrains communaux à partir des années 70 ;
  • des opérations de recasement de population et cela dès l’année 1985 ;
  • des opérations de lotissement lancées en 1988 avec des emprises variant entre 0,3 ha et 16,8 ha, ainsi, que trois actions de morcellement dont les assiettes sont de dimensions réduites, avec une superficies de 1,5 ha, 1 ha et 2,5 ha.

L’intervention de l'Etat dans la production d’habitat a été assez réduite, concentrée dans un premier temps dans l’aide à la construction dans la première opération de recasement à savoir l’autoconstruction en 1985, puis dans un second temps par la production de près de 600  logements collectifs destinés au programme d’habitat social de l’OPGI.[8]

En dehors des actes d’occupation de sol illicite, les opérations dites planifiées, sont conçues de manière ponctuelle, en occultant toute vision globale du développement urbain de l'agglomération de Sidi El Bachir. C’est ce qui est nommé communément l’urbanisme «au coup par coup». En fait, l’Etat tente par ces opérations de cerner le périmètre d’urbanisation informelle afin de mettre un frein à l’occupation illicite de l’espace. Ainsi, le résultat de tout ce «désordre» est représenté par la juxtaposition de fragments de tissus d’une grande hétérogénéité.

Tableau n° 4 : Caractéristiques de l’évolution du parc logement à Sidi El Bachir

Année de recensement

1977

1987

1994

Population

3006

8400

21228

Nombre de logement

422

1200

2323

Taux d’occupat/log  T.O.L

7,12

7

9,07

Taux d’occupat/pièce T.O.P

/

2,12

3,26

Source : L’auteur, sur la base des données de l’O. N. S. / R. G. P. H. 1977, dépouillement cartes de district  1987 et BEWO 1994.

Ces données sont révélatrices des conditions très particulières que connaît le parc immobilier de Sidi El Bachir. Le T.O.L. et le T.O.P. très nettement supérieurs à la moyenne nationale[9] et dont la croissance est importante, démontrent une situation de très forte fixation de population en une courte durée. Ce qui traduit tout d’abord la croissance de ce phénomène non planifié, mais aussi une absence de prise en charge du problème réel que pose l’habitat dans cette localité de par sa surexploitation, son état de précarité et la qualité de vie médiocre qu’il présente.

En effet, s’il est une caractéristique importante des urbanisations récentes, ce sont bien les détournements dont le foncier fait l’objet. Dans le cas de Sidi El Bachir, le développement urbain a été marqué par une phase d’illégitimité de son processus de croissance spatiale et qui correspond à l’extension du noyau initial (Bendaoud A) et à la formation spontanée d’un second noyau (Bendaoud B). Le phénomène d’illégalité d’occupation du sol qui correspond à 50% du secteur de Bendaoud A, et à 70% du secteur de Bendaoud B, a pris de l’ampleur depuis 1990 pour s’étendre aux opérations dites planifiées à savoir les opérations de recasement. Selon l’agence foncière de Bir El Djir, un recensement effectué au cours du premier trimestre 1996 a permis de constater des extensions illicites des trois secteurs de recasement.

Tableau n° 5 : Les extensions illicites dans les zones de recasement à Sidi El Bachir

Secteur

 

superficie ha

nombre de lots

extension illicite

nombre de lots

TOTAL

Recasement 66

 

2 ,30

66

11

77

Recasement 187

 

4,50

187

23

210

Recasement 417

 

11,30

417

295

712

T O T A L

 

18,1

670

329

999

Source  : L’auteur, sur la base de données de l’Agence foncière de Bir El Djir 1996.

Cette occupation illégale du sol dont le volume correspond à près de 50% du nombre de lots initialement programmés, s’accompagne systématiquement d’un habitat illicite de type construction en dur et évolutive. L’analyse cartographique et l’observation du terrain permettent de poser un questionnement relatif à la localisation des zones illicites dans la configuration spatiale de l’agglomération. Le constat suivant est à faire : les stratégies adoptées par les différents acteurs sociaux peuvent s’orienter vers une déviance par rapport au cadre institutionnel dès l’instant où s’installe non pas un vide mais un flou juridique du foncier.

En effet, l’extension illicite qui a eu lieu à partir du noyau initial et même au niveau des recasements s’est faite entre autre du fait que les détenteurs «légitimes» des lots, n’avaient aucun document justificatif de leur occupation légale du sol. Dès lors de nouveaux occupants illégaux sont venus s’installer dans l’espoir de voir leur statut régularisé au même titre que les occupants légaux. Cette situation est le résultat des rouages bureaucratiques et lenteurs administratives et traduit donc les insuffisances du système.

Comme il a été signalé plus haut pour la première opération de recasement d’autoconstruction datant de 1984 et 1985, la régularisation des titres d’attribution a eu lieu en Février 1996, les autres opérations de même nature ont subi également d’énormes irrégularités et retards. Par contre, pour les opérations de lotissement où les actes administratifs sont immédiatement délivrés, les possibilités d’implantation illicites sont quasi nulles. L’agglomération de Sidi El Bachir a bénéficié dans le cadre du PDAU, d’une étude de P.O.S. dont l’opérationnalité n’est pas encore effective.

Tout comme les études qui l'ont précédé (PAW, STRAT), le P.D.A.U. préconise la reconquête de l'espace urbain existant en réhabilitant une grande partie des fragments urbains anciens et en le revalorisant par la réalisation d'équipements structurants tout comme ceux de proximité et par la modernisation du système de transports. Il propose également pour les agglomérations périphériques des opérations de restructuration dans le cadre de P.O.S. et différentes dispositions selon les caractéristiques de chacune d'elles et avec pour objectif la préservation maximale des terres agricoles dans la création d'une politique foncière adéquate.

Cet outil d'urbanisme qui a connu dans son élaboration une rigueur plutôt contestée[10] est-il soumis aux mêmes conditions d'échec que son prédécesseur le P.U.D ?

Conclusion

L’aboutissement de cette investigation qui a pour objet l'analyse des processus d'urbanisation  périphérique, est une contribution au domaine complexe de la maîtrise des phénomènes urbains et plus particulièrement à ceux liés à la croissance des métropoles. La périurbanisation, caractérisée par l’accélération du développement et de la diversité des formes urbaines produites selon des mécanismes variés, est une spécificité des villes du tiers monde. Ce sujet est une préoccupation croissante pour les planificateurs des pays concernés de par la gravité des conséquences de ces processus spatiaux sur la fonctionnement global du système urbain et sa gestion ainsi que sur le devenir même de la ville.

L’émergence du phénomène de périurbanisation est l’expression d’une synergie inhérente aux différentes dynamiques économiques et sociales et dont la spatialité traduit les incidences directes soumises au préalable des rapports de force des différents acteurs de la ville impliqués dans le projet sociétal déterminé. Cette  recherche offrira l’opportunité d’une appréhension des mécanismes de production et d’appropriation de l’espace ainsi qu’une lecture compréhensive de la ville à travers l’identification de nouvelles formes de territorialité émergeantes pour mieux envisager son image future dans son rôle de métropole.

Bibliographie

Berry-Chikhaoui, I. : Devenir citadin et réinventer la ville: L'exemple des habitants du faubourg Sud de la Médina de  Tunis.- In La citadinité en question.- Fascicule de recherche n° 29.- Tours, URBAMA, 1996.- p.p. 129-139.

Bonvalet, C. et Fribourg, A. : Stratégies résidentielles, INED et MELTM (plan de construction).- Paris, 1990.

Bureau D'étude et de Réalisation en Urbanisme de Saida, PDAU D'ORAN (Plan Directeur et d'aménagement urbain du groupement d'Oran), Phase 1, Rapport d'orientation, URSA, Nov. 95  et Phase 11, Dossier d'aménagement, URSA, Déc. 1996.

Choay, F. : L’urbanisme : utopies et réalités.- Ed. Points, 1979.

Coquery, M. : Quartiers périphériques et mutations urbaines : Le cas d'Oran.- Revue Méditerranée 1965, N° 4, Tome 6.- p.p.285-296.

Crozier,  M. et Friedberg,  E. :  L’acteur et le système.- Paris, Ed. du Seuil, 1977.

Decloitres, C. et Descloirtres, R. et Revery, J.C. : L'Algérie des bidonvilles, le Tiers-monde dans la cité.- In Le Monde d'Outre-mer, passé et présent, Document VI, Ecole des Hautes Etudes,  Sorbonne, Paris, Monton et co, Lahaye, 1961. 

Dezert, B. ; Metton, A.  et  Steindberg, J. : La périurbanisation en France.- Ed. Sedes, 1991.

Ghomari, A. : Les dynamiques urbaines dans les périphéries des grandes villes en Algérie.- Mémoire de Magister option urbanisme, USTO, 1998.

Kharoufi, M. : Société et espace dans un quartier du Caire (Dar El Salâm) : Secteur informel et intégration urbaine.- In les Cahiers d'URBAMA n° 11, 1995.- p.p. 57-91.

Lespes,  R. : Oran, Etude de Géographie et Histoires.- Paris, 1938.

Mumford, L. : La cité à travers l’histoire.- Paris, Ed du Seuil, 1964.

Picard-Malverti, A. : Lotissements et colonisation, la création des villes coloniales en Algérie, 1840-1860.- In villes en parallèles n°4.- p.p 215-237.

Pinson, D. : Des Banlieues et des villes.- Collection Portes Ouvertes, Ed. Ouvrières, Déc. 1992.

Piolle,  X. : Proximité géographique et lieu social, de nouvelles formes de territorialité.- In L'espace géographique n° 4, 1990-1991.- p.p. 349-358.

Senhadji, T. : Phénomène des bidonvilles et leurs impacts sur le système urbain en Algérie : cas d’Oran.- Magister, urbanisme, USTO, Mai 1995.


Notes

*  Magister,  urbanisme, U. S. T. M. B. Oran, 1998.

[1]- Voir à ce propos l’ouvrage de Lespes : Oran, Etude de Géographie et Histoires.- Paris, 1938.

[2]- Le P.U.D. de 1959 comprenait déjà le groupement d’Oran défini par l’arrêté préfectoral du 04/04/1959 avec l’agglomération d’Oran et les villages périurbains limitrophes.

[3] -Senhadji , T.: Phénomènes des bidonvilles et leurs impacts sur le système urbain en Algérie, cas d'étude : Oran.-  Magister en urbanisme, Institut d'Architecture, USTO, Mai 1995.-  p 98.

[4] Idem

[5] -Jalabert, G. cité par Steindberg, J. : In Collectif Dezert, B. ; Metton, A. et J. Steindberg : La périurbanisation en France.- Edition Sedes, 1991.- p.28.

[6] -J. Steindberg,  in Collectif  Dezert, B. ;  Metton ,  A. et  Steindberg,  J.:  Op. cité.-  p. 31.

[7] Puisqu'au recensement de 1977, le douar était considéré comme zone éparse.

[8] A. P. C. de Bir El Djir.

[9] Le T. O. L.  était  de  7,33  selon  O.N.S. / R. G. P. H  de 1987.

[10] Les données statistiques sont variables d’un document à l’autre, les informations sont parfois contradictoires. Les travaux sont distincts et ne témoignent pas d’une cohérence dans la méthode de travail. Voir à ce propos l’article de Soufi, F. :  Une ville dans la crise.- In Crises et contestations au Maghreb et au Machreq.- Colloque Paris VII, Mai 1996.- p.p. 30-31.

 

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche