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Une expérience de recherche sur un terrain saharien : l'Adagh des Ifoughas

Insaniayt N°14-15|2001|Numéro spécial: Première Recherches|p.129-147|Texte intégral


Dida BADI


Le texte, que nous proposons ici, est une tentative de restitution, sous forme d'un résumé succinct d'un travail de recherche, lui-même fruit de la fréquentation d'un terrain saharien, celui de l'Adagh des Ifoughas. Ce travail a été effectué dans le cadre de la préparation d'un diplôme de magister en civilisation du Maghreb, soutenu au département de langue et culture amazighes de Tizi-ouzou en 1999.

La région de l'Adagh a été occupée depuis longtemps. En témoignent les gravures rupestres ainsi que les nombreux tumuli et certains ruines et vestiges de lieux habités, tels que Assouk (Tadamakket), Gunhan... encore visibles de nos jours et qui prouvent l'existence d'une civilisation citadine aujourd'hui disparue. Elle fut également, un lieu de passage des caravanes vers le «Bilad As-sudan», comme il ressort des écrits des chroniqueurs et historiens arabes du moyen âge.

1. L’objet et les références bibliographiques

Il faut reconnaître, cependant, que notre choix s'est porté sur la région de l'Adagh d'une manière tout à fait fortuite, puisque cette étude visait, à ses débuts, le seul groupe des Ifoughas dont une partie se trouve dans cette région. Mais au vu des lacunes que nous avons constatées en consultant les bibliographies consacrées aux Kel Adagh (qui sont moins bien connus que d'autres confédérations touarègues), nous avons opté pour l'étude de l'ensemble des groupes qui se trouvent dans les limites traditionnelles de cette région.

C'est ainsi que mon premier avant-projet de recherche dans le cadre de mes études au Département de langue et culture Amazighes de l'université de Tizi-ouzou (en vue du magister), se rapportait au groupe des Ifoughas. Je m'intéressais à ce groupe touareg en partant de la constatation empirique que les Ifoughas se trouvaient repartis sur les quatre pays africains où se trouve disséminée la société touarègue, à savoir l'Algérie, le Niger, la Libye et le Mali. Je m'interrogeais alors sur le fait qu'un groupe portant la même appellation se trouve ainsi disséminé sur une aussi grande aire géographique, et je me remémorais les traditions entendues, quand j'étais enfant, sur l'existence d'autres Ifoughas apparentés à notre groupe  et vivant dans les régions de l'Aïr et de l'Ajjer.

A l'issue d'une petite recherche bibliographique il m'apparut qu'il n'y avait pas que les régions de l'Ajjer et de l'Adagh qui étaient concernées par l'existence des groupes portant cette même appellation d'Ifoughas. Je me proposais alors d'étudier chacun de ces groupes d'Ifoughas pris dans son contexte actuel, et d'essayer de voir à quoi renvoyait cette appellation commune, et cela à travers l'étude de leur traditions orales.

C'est ainsi que, lors de l'été 1992, j'ai effectué ma première mission de terrain dans l'extrême Sud algérien, en commençant par le terrain que je connaissais le plus, c'est-à-dire celui de l'Adagh (à cheval entre le Mali et l'Algérie). Lors de cette mission j'ai pu m'entretenir, déjà à Tamanrasset, avec des connaisseurs des généalogies des groupes de l'Adagh, avant de me déplacer à Timiaouine, village situé près de la frontière entre l'Algérie et le Mali. La masse des données que j'ai recueillies lors de cette première enquête, m'a permis de me rendre compte des difficultés qui s'annonçaient si je devais poursuivre mon avant-projet sur l'ensemble des groupes Ifoughas (intitulé : Ifoughas ; récits historiques et évolution actuelle).

De retour à Alger, j'ai été amené à changer la formulation de mon projet de recherche, en partant du fait que les informations recueillies sur le terrain étaient relatives à l'ensemble des groupes touaregs de l'Adagh. je me suis rendu compte, en effet, après l'étude de bibliographies sur les touaregs, Lepeun (1975) et S. Chaker (1988), du vide qu'il y avait à combler concernant les touaregs de l'Adagh, qui y sont très mal représentés. D'autre part, sur le plan pratique il me parut plus simple d'étudier d'abord, les Ifoughas de l'Adagh, pris dans leur contexte régional et socio-politique et en rapport avec les autres groupes touaregs de la région qui sont autant méconnus qu'eux.

Cette étude, à caractère monographique sur la région de l'Adagh, s'inscrit en fait dans le cadre des études déjà menées sur d'autres groupes touaregs, mais son originalité consiste, d'abord, dans le fait que le chercheur est un autochtone qui essayera donc, de porter un regard sur sa société à partir de l'intérieur.

Avec cette nouvelle mouture de projet, intitulé : «la structure socio-politique des Kel Adagh», m'apparut clairement l'idée de travailler sur les groupes touaregs de l'Adagh. Je m'orientais aussi vers la collecte de la tradition orale qui m'apparut, au vu de la faiblesse documentaire, comme une voie privilégiée dans l'approche du passé de ces groupes touaregs.

La collecte, puis l'analyse des premiers documents sur le terrain, semblent indiquer que la région de l'Adagh fut une plaque tournante, de par sa situation centrale dans le monde touareg, et une étape importante dans les mouvements successifs des populations berbères à travers le Sahara, du Nord vers le Sud et d'Est en Ouest.

Cette idée s'était renforcée à la lecture de rares documents écrits qui ont concerné le peuplement de cette région, notamment H. Claudot-Hawad (1986) et H. Lhote (1986). Ces lectures font ressortir le caractère de région-étape qu'est l'Adagh, à la porte des zones de la savane plus au sud, où des populations venues du Nord du Sahara, Imaddedeghen, notamment, et de l'Ouest, en particulier de l'Atlas Marocain (F. Michal, 1897) comme les Tadamekket dont sont issus les Iwallemmeden, et les Tenguereguef (H.Lhote, 1982 : 62), qui s'y étaient maintenus durant un moment, avant de suivre l'exemple de leur prédécesseurs pour descendre vers la région du fleuve où on les rencontre actuellement.

Parmi ces populations, les derniers à avoir quitté l'Adagh, attirés par les pâturages du Sud et fuyant la sécheresse croissante de la région, sont les Iwallemmeden, vers la fin du dix-neuvième siècle, comme il ressort de travaux de (F) Michal  1897.

Ainsi la région de l'Adagh se présente sous la forme d'un bassin collecteur, qui chaque fois qu'il se remplissait débordait vers le Sud. Mais dans ce bassin, se sont, certainement, maintenus des résidus humains dont l'installation remonte très haut dans le temps.

C'est dans ce bassin, pensons-nous, qu'il faut rechercher les vestiges ou les traces du passage des populations anciennes qui ont habité ou traversé le Sahara, en interrogeant la mémoire collective des Kel Adagh actuels; en nous fixant comme objectifs essentiels de:

-Recueillir, analyser et enfin, fixer les traditions orales des Kel Adagh, afin de dégager une matrice pouvant servir de matériaux pour la compréhension de leur passé.

-Essayer de dégager les niveaux d'occupation et comprendre le processus de mise en place du peuplement de cette région.

-Etudier, dans une perspective diachronique, les rapports entre les différents groupes en présence dans cette région, d'une part, et entre ces mêmes groupes et leurs voisins, d'autre part. C'est pourquoi nous avons, tout au long de cette étude, privilégié la tradition orale en tant que matériau essentiel pouvant nous renseigner sur l'histoire sociale des Kel Adagh, et cela en l'absence des sources écrites concernant cette région et ses habitants.

Devant cette situation, la deuxième mouture, que je pensais définitive allait être modifiée par les données de la tradition orale recueillie lors des différents déplacements sur le terrain, pour prendre sa forme actuelle : «Etude des traditions orales des Kel Adagh».

Cette dernière mouture se veut, à travers le recueil systématique, l'analyse et l'étude des traditions orales des Kel Adagh, une fixation de ces traditions, d'une part et d'autre part, une expérience qui, si elle s'avère intéressante, sera poursuivie en direction d'autres groupes touaregs.

2. Le terrain

Une fois le sujet défini et le choix de la région de l'Adagh maintenu, s'est posé pour moi le problème pratique d'une approche de terrain, qui doit répondre à cette préoccupation pour à recueillir la tradition orale de la bouche même des détenteurs du savoir traditionnel de chacun des groupes étudiés, sans distinction aucune, dans leur répartition sur leur terrains de parcours traditionnels. Pour répondre à ce souci, il fallait découper le terrain en cinq zones, comme suit :

Le Nord de l'Adagh : (Emeyneg n Adagh)

Cette zone correspond à l'axe Tinzawatin, Boghassa, Timiaouine où nomadisent plusieurs groupes dont les Chebel, Iraganaten, Irayyaken et certains Ifergoumessen.

Le Nord-ouest et le Sud-est : (Afella)

Cette zone comprend l'axe Tessalit-Aguelhok-Timtaghin-Imeglalen, où nomadisent beaucoup des groupes comme les Idnan, Iragenaten, Ifoughas, Iboughelliten, Iboukhanen.

Le centre de l'Adagh : (ammas n Adagh)

Cette zone correspond à l'axe de Taghlit-Aguelhok, jusqu'à Talabbit, où évoluent plusieurs groupes dont les Taghat Mallet, Ifoughas, les Kel Taghlit.

Le Sud de l'Adagh : (ataram n Adagh)

Cet espace comprend l'axe Tigdar-Takellot-Igerer, jusqu'à l'embouchure d'Anefif, où évoluent les groupes d'Imghad Kel Agerer, les Idnan et certains Ifoughas.

L'Est de l'Adagh : (agus n Adagh)

Elle comprend les axes d'Uzzayen-Inazarraf, Kidal-Tamasna via Tin assako, où nomadisent, entre autres, les Ifergoumessen, les Imakalkelen et les Chama n ammas.

Même si, cette division coïncide parfois avec les aires de nomadisation des quatre groupes dominants de l'Adagh, à savoir : les Ifoughas au nord, les Taghat Mallet et les Kel Taghlit au centre et les Idnan au sud, elle est tout à fait arbitraire et ne correspond à aucun critère objectif, si ce n'est le souci de couvrir efficacement, notre terrain d'étude. Nous avons procédé de la sorte pour permettre à chacun des groupes étudié d'exprimer librement et directement et sans intermédiaire le discours qu'il a produit sur lui même, mais aussi, celui qu'il produit sur les autres groupes avec lesquels il est en relation. Car on se rend compte de l'enjeu politique que constitue la détention de la tradition orale, dans le sens où elle structure les rapports entre les groupes.

Mais avant d'aborder le terrain, il fallait déterminer un plan de travail qui prenne en compte notre problématique. C'est ainsi que nous avons, lors d'une mission de prospection, procédé, d'abord, au recensement systématique des tribus de l'Adagh, en nous basant sur les informations livrées par les habitants de la région. Ce recensement a été complété et comparé avec les recensements coloniaux de 1956 (J. Allard, 1956), disponibles dans les archives coloniales du cercle de Kidal. De ce recensement se dégagent quarante cinq tribus reparties sur l'ensemble du territoire de l'Adagh.

  1. Les procédés de la collecte de l'information

Lors de nos différents déplacements sur le terrain, nous avions privilégié deux procédés pour la collecte des informations : L'entretien et l'observation participante.

3.1. L'observation participante

Nous n'avons pas eu beaucoup de difficultés à utiliser cette technique d'investigation, lors des rares occasions où nous avons été emmené à le faire, étant donnée notre maîtrise de la langue Tamasheq (la langue maternelle du chercheur) et la connaissance des gens et du milieu saharien dont nous sommes issus. Il faut reconnaître, cependant, que notre connaissance du milieu a joué souvent en notre défaveur, dans la mesure où nous avons été emmené à passer à côté des choses qui étaient pour nous, à première vue, somme toutes banales, mais qui se sont révélées avec le recul (lors de l'exploitation des données recueillies du terrain au laboratoire), très importantes. Ceci nous a contraint à revenir sur le terrain plusieurs fois pour compléter ces informations. 

3.2. L'entretien

Il y a lieu de distinguer entre deux types d'entretiens : le collectif et l'individuel.

L'entretien collectif

Ce type d'entretien consiste dans la première prise de contact, avec les membres du groupe enquêté. Nous l'avons appelé ainsi, vu son caractère collectif. Ce type d'entretien met en rapport le chercheur avec un ensemble de personnes, membres du groupe enquêté. Dans cette situation de premier contact les membres du groupe essayent d'examiner son habit, son langage, ses questions, l'objet de sa mission, le degré de sérieux de ses propos etc. pour connaître ses véritables intentions, avant de l'orienter vers telle ou telle autre personne du groupe. Mais face à cette situation, le chercheur essaie de tirer le maximum de profit de cette prise de contact avec le groupe qu'il entend étudier, dans la mesure où cela lui permet d'identifier les membres les plus intéressants et de les cibler pour d'éventuels entretiens individualisés. C'est une manière, pour lui, d'échapper à l'emprise du groupe qui pourrait tenter de l'orienter en fonction de ses intérêts. De la prise de contact, entre les membres du groupe étudié et le chercheur, dépendra la nature des rapports entre les deux parties. Parce que dès que le groupe en  question découvre qu'il a à faire à un targui, le chercheur est aussitôt inséré dans les rapports qu'entretiennent les groupes touaregs entre eux-mêmes, et sa fonction de chercheur se trouve, de suite, reléguée au deuxième plan. Cette situation est extrêmement délicate pour le chercheur, car celui-ci aura à assumer tous les rapports antérieurs qui existaient entre son groupe d'origine et le groupe enquêté.

Afin d'atténuer l'ampleur de cette difficulté, dans le but de mener à bien son enquête, le chercheur doit connaître à l'avance la nature de ces rapports. Si ces derniers sont mauvais, il doit mettre à contribution tout ses efforts pour expliquer et convaincre ses interlocuteurs de l'intérêt de son travail pour l'ensemble de la collectivité et donc faire ressortir l'intérêt du groupe en question à être étudié et figuré dans les «livres d'histoire» de la région.

Pour faciliter son accès au groupe, le chercheur a souvent recours au parrainage d'une personne sage et respectée par les membres du groupe enquêté, qui peut être soit du même groupe ou d'un autre groupe proche. Très souvent le sage, l'amghar du groupe peut jouer le rôle d'intermédiaire entre l'enquêteur et les membres de son groupe, il y réussit très souvent.

C'est ainsi que pour nous introduire au sein de certains groupes, notamment les Kel Assouk, nous avons eu recours à la recommandation de l'Amenoukal de l'Adagh, en l'occurrence Intalla ag Attaher.

La nature des rapports entre le groupe dont est issu le chercheur et le groupe enquêté peut jouer en la faveur du chercheur dans la mesure où  les rapports traditionnels qui lient les deux  groupes sont bons. Dans ce cas le comportement du groupe enquêté envers le chercheur doit être à la hauteur des bonnes relations qui lient les deux groupes. Ainsi, la présence du chercheur auprès de ce groupe peut être une occasion de renforcer les liens par son intermédiaire, en devenant malgré lui le représentant de son groupe d'origine. Dans cette situation le groupe étudié insiste et rappelle, chaque fois que l'occasion se présente, les bonnes relations qui existent entre les deux tribus et la nécessité de les renforcer.

De même, si le groupe étudié est celui du chercheur, on essaiera de récupérer l'action de ce dernier, en considérant que son travail ne peut aller que dans l'intérêt de la tribu. A l'issue de cet entretien prise de contact les membres du groupe enquêté produiront leur propre discours sur le chercheur, lequel discours, s'il est négatif, rendra difficile le déroulement de l'enquête de terrain au sein de leur groupe.

L'entretien personnalisé

Nous avons privilégié lors de nos déplacements sur le terrain ce type d'entretien par rapport à l'observation participante et au questionnaire. Nous avons agi de la sorte en raison de la nature de nos investigations qui concernaient le recueil des récits oraux et des éléments de la tradition orale, construits et structurés. Ce souci nécessite le recueil de tels matériaux de la bouche même de celui qui les détient. Pour recréer, le plus fidèlement possible, les mêmes situations qui ont prévalu lors du déroulement de l'entretien (intonation, hésitation rire) au moment de l'exploitation des données recueillies, nous avons procédé à l'enregistrement systématique de tous les entretiens sur cassettes.

Ce procédé est d'autant plus efficace que pendant les soirées sombres du désert, où se déroulent généralement les entretiens, il n'occasionne aucune gène pour nos interlocuteurs, qui, en recréant l'ambiance à la marge des campements, des soirées de l'ahal, autrefois célébrées, laissent le champs libre à leur imagination pour puiser dans leur mémoire collective.

Nos entretiens se déroulaient à l'aide d'un guide d'entretien préétabli qui se modifiait en fonction de l'évolution de nos connaissances du terrain étudié.

Les personnages détenteurs du savoir traditionnel :

Il n'y a pas, dans l'Adagh, de personnages dépositaires du savoir traditionnel et de spécialistes de la tradition orale proprement dits, dont la fonction spécifique serait la détention, la préservation et la transmission du savoir traditionnel sur l'ensemble des groupes de l'Adagh.

On peut trouver, cependant, mais ils sont rares, des personnages spécialisés dans la tradition orale d'une partie de l'Adagh, le centre par exemple, mais n'ayant pas de connaissances suffisantes sur les groupes se trouvant par exemple à l'Est : c'est le cas de Kola ag Saghid, au centre de l'Adagh, de Inguedda ag Hibba, d'Abu n Ekhya ag Atafa presque dans tout l'Adagh mais spécialement sur les Ifoughas, Mokhammed El Kheir sur les Ifoughas et leur tributaires.

Par contre, il existe au sein de chaque groupe un ou plusieurs individus auxquels on reconnaît la qualité de détenteurs de la mémoire du groupe. C'est en général, vers ce personnage que le groupe, à l'issu de l'entretien prise de contact, oriente le chercheur. Ces personnages peuvent être de sexe masculin ou féminin.

Ces individus sont respectés et considérés de la part des membres de tout le groupe du fait de leur âge, de leur sagesse et de leur savoir au point où, dans beaucoup des cas, ce sont eux qui représentent leur groupe vis-à-vis de l'extérieur. Ces sont les plus sages de la collectivité, parfois ils cumulent ce statut avec celui d'Amgharde leur groupe. Quand le chercheur se présente devant l'un de ces sages, celui-ci le scrute de son regard tout en écoutant attentivement son 'exposé des motifs'.

Lorsque le chercheur aura fini de présenter l'objet de sa requête, commence alors un jeu de questions-réponses, où on a l'impression que ce dernier sonde le niveau de connaissances et le sérieux du chercheur avant de décider d'entrer dans le vif du sujet.

Ainsi, il peut se passer des jours avant que le sage ne se décide de répondre enfin aux questions du chercheur. C'est à notre avis, le temps nécessaire à une concertation entre les membres du groupe pour faire le consensus autour des réponses à donner. Ces réponses, dans la plupart des cas, concernent uniquement les questions relatives à son propre groupe, car certains informateurs se refusent de parler des autres groupes considérant cela comme une ingérence dans les affaires des autres, arguant du fait que le savoir spécifique à chaque groupe, à sa fondation et aux rapports entre ses différents membres est considéré du domaine du privé et difficilement exportable. Mais le chercheur se doit d'aller plus loin que les réponses consensuelles au sein du groupe pour en découvrir les non-dits, qui sont, justement, les éléments les plus intéressants.

Les informatrices

Si les informateurs masculins sont difficiles d'accès, les rapports avec les informatrices sont, heureusement, très faciles et les entretiens chez elles se déroulent sans la méfiance que l'on sent chez les hommes. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que l'une des attributions de la femme dans la société touarègue est la transmission du savoir traditionnel. Et donc la facilité qu'ont les femmes à raconter est due à leur expérience dans ce domaine. Il faut ajouter à cela, le fait qu'elles ne se soucient pas trop des problèmes politiques ou des enjeux extérieurs à leurs groupes. Je dois préciser que les meilleurs récits que j'ai pu recueillir dans l'Adagh sont ceux dits par les femmes.

Les détenteurs de la tradition orale par ''procuration''

Lors de nos déplacements sur le terrain, nous avons rencontré des groupes qui sont, privés de dépositaire de la tradition orale, ou alors nous n'avons pas su susciter chez eux l'intérêt de raconter leurs traditions. Ces groupes nous renvoient à un autre personnage qu'ils présentent comme connaisseur de leur tradition orale et qui appartient au groupe dont ils sont tributaires. Le personnage en question nous livre, très souvent, des informations justifiant le rattachement desdits groupes à son lignage plutôt que leurs véritables récits de fondation .

4. Savoir traditionnel et le statut politique

Parfois les chefs des quatre groupes politiques de l'Adagh (Imgharen) connaissent parfaitement, en plus des traditions orales de leurs propres tribus, les traditions orales des groupes qui relèvent de leur autorité traditionnelle. Cette connaissance leur permet d'utiliser la tradition orale pour renforcer les liens entre les groupes en rappelant les rapports de parenté qui les lient. C'est ainsi que le groupe des Taghat Mallet dont le chef (amghar) compte parmi les meilleurs spécialistes de la tradition orales des groupes de l'Adagh, justifie la cohésion de son groupe politique par des rapports de parenté qui lient toutes les tribus qui le constituent. De même, l'Amenoukal des Ifoughas connaît dans le détail les traditions orales de sa propre tribu, en plus de celles des groupes qui lui sont traditionnellement tributaires, et d'une manière plus vague, celles des autres groupes de l'Adagh.

4.1. La dévalorisation du savoir traditionnel

Nous avons pensé, au début, trouver chez certains groupes de lettrés et de spécialistes du savoir religieux dans l'Adagh (notamment les Kunta  et les Kel Assouk), des manuscrits ou des sources écrites se rapportant aux groupes de l'Adagh, mais hormis le Kitab Nawazil de Baye (200 pages), manuscrit consacré aux questions religieuses et qui reprend dans certains de ses passages les traditions orales des Ifoughas, nous n'avons pas trouvé grand chose.

Il existe, cependant, dans la bibliothèque personnelle de l'Amenoukal de l'Adagh, Intalla ag Attaher, un manuscrit récent de 20 pages et écrit sur sa demande vers les années soixante-dix par un nommé Tessammat, spécialiste de la tradition orale des Kel Adagh. Celui-ci comporte la généalogie des Ifoughas descendants d'Aitta, en plus d'un petit passage sur la vie de ce dernier. Ce manuscrit est largement diffusé dans l'Adagh et serait même la référence de certains généalogistes des Ifoughas. L'intérêt que suscite ce manuscrit est la preuve d'un certain regain d'intérêt que nous avons remarqué, pendant nos déplacements sur ce terrain, aux généalogies de la part de certains Kel Adagh.

Le groupe des Kel Assouk, bien que comptant des nombreux lettrés utilisant l'écriture arabe, ne s'intéresse pas à l'histoire locale de l'Adagh, du moins ils n'ont rien écrit sur celle-ci qu'ils assimilent à des généalogies. Néanmoins, nous avons trouvé chez eux certains manuscrits récents relatifs aux liens qui lient les différentes familles des Kel Assouk disséminés à travers le monde touareg et retraçant leurs trajectoires depuis leur départ de leur ville initiale (Assouk) jusqu'à leur installation actuelle. Ces manuscrits ont été produits par leurs érudits dans le but d'inciter les différentes tribus des Kel Assouk, à travers le pays touareg, à avoir la conscience d'appartenir à un ensemble plus large.

Pour essayer de comprendre le pourquoi du désintérêt des Kel Assouk à l'histoire des groupes de l'Adagh, certains de leurs lettrés nous ont dit qu'il s'agit là d'un savoir profane (musnet n eddunya) qui ne sert que dans ce bas monde, et qu'il n'est pas récompensé par Dieu. Un tel savoir se distingue du savoir religieux (musnet n eddin) qui, lui, est récompensé par Dieu ( ihak imerkiden). Donc, disent-ils, il est plus intéressant de s'occuper du savoir qui est récompensé plutôt que de s'occuper d'un savoir qui ne sert son détenteur que dans ce bas monde.

4.2. Le savoir traditionnel comme enjeu politique

Nous avons constaté la réactivation des relations de parenté entre les différents groupes de l'Adagh, en vue de justifier les nouveaux rapports et alliances politiques entre les mouvements politiques touaregs actuels. Cette exploitation d'anciens procédés par des mouvements modernes nous montre à quel point la détention du savoir traditionnel constitue un enjeu politique important dans la définition des rapports entre les différents partis qui se partagent le terrain politique dans l'Adagh. Car, dans beaucoup de cas, l'adhésion à ces partis se fait sur la base des rapports de parenté. Nous avons constaté, aussi, que le savoir traditionnel est mis en valeur par sa proximité du pouvoir politique. Cette situation privilégiée le met en compétition avec l'orthodoxie religieuse.

  1. Résultats de la recherche

D'une manière générale, ce travail nous a permis d'obtenir les résultats suivants :

1- Présenter la région de l'Adagh dans son cadre régional et géographique ainsi que l'approche du terrain que nous avons adopté dans la collecte des informations. Nous avons, également, essayé de présenter l'état de connaissances sur les touaregs dans la littérature historique en général et placer les Kel Adagh dans le cadre du monde saharien. Puis, nous avons, à travers la description de l'espace de l'Adagh, vu comment ses habitants ont une connaissance profonde de leur milieu naturel, ce qui s'explique par leur mobilité, car il n'existe pas chez eux d'aires de nomadisation ou de régions naturelles spécifiques à un groupe donné dont il peut interdire l'accès et l'exploitation aux autres, comme c'est le cas chez les Kel Ahaggar.

2- Recueillir et fixer par l'écrit les traditions orales des Kel Adagh. A savoir 119 unités sociales vivant sur ce territoire, entre tribu, fraction et sous-fraction sous forme d'un répertoire des tribus de l'Adagh selon un ordre alphabétique. Ceci nous a permis d'exposer le maximum d'informations sur chacun des groupes présentés, en utilisant les sources écrites quand elles existent et les traditions orales les concernant afin d'accéder à leur mémoire collective, puis de les situer dans l'espace à travers leurs aires de nomadisation.

3- Connaître l'organisation politique et sociale et les mutations qu'elles ont subies.

4- Connaître la nature des rapports qui lient les différents groupes en présence dans la région.

5- Relever la prédominance récente du système patriarcal, malgré des traces du matriarcat, chez les Kel Adagh.  L'étude des récits généalogiques des Kel Adagh nous montre, en effet, que c'est le système patriarcal qui est en vigueur dans cette région, contrairement aux autres régions touarègues où il cohabite avec le système matriarcal, notamment chez les Kel Ahaggar et les Kel Ferouan, dont les groupes dominants se rattachent à des ancêtres féminins : Tin Hinan, pour les Kel Ahaggar et Sabnas, pour les Kel Ferouan (Badi, 1994 : 55-61). Le système patrilinéaire a été imposé, dans la région de l'Adagh, par les Iwallemmeden : il est à l'origine de leur émergence en tant que lignage dominant, après qu'ils aient chassé les Tadamakket. Le patriarcat a été maintenu dans la région de l'Adagh après le départ des Iwallemmeden grâce à deux facteurs essentiels :

-le premier est la prédominance d'un lignage maraboutique, ou des chorfa à savoir les Ifoughas, se réclamant de la descendance d'un ancêtre supposé être cherif (Aitta) tirant, donc, sa légitimité d'un islam orthodoxe qui ne reconnaît pas le système matriarcal en usage, initialement, chez les Touareg. Ce lignage utilise sa généalogie qui l'affilie au prophète de l'islam, Mohammed, par le biais de l'un de ses descendants, (cherif) comme base idéologique justifiant sa prédominance sur les autres groupes de la région et qui le présente comme le successeur naturel de l'ordre ancien établi par les Iwallammeden. Cette situation a fait que le retour à l'ancien système matrilinéaire des groupes qui l'ont abandonné sous la pression des anciens maîtres du pays,  est exclu à tel enseigne que beaucoup l'ont même évacué de leur mémoire collective en se rattachant à des ancêtres mâles. Mais nous trouvons toujours, dans leurs récits de fondation des indices qui  renseignent sur leur passé.

-Le second est le fait que,  même partis, les Iwallemmeden continuent à exercer leur influence politique sur les groupes de l'Adagh par l'imposition d'un tribut que leur versaient leurs lieutenants dans la région, que sont les Ifoughas, jusqu'à l'arrivée des troupes françaises, au début du XXème  siècle.

- La réaction des groupes de l'Adagh vis-à-vis de l'imposition du système patriarcal peut prendre plusieurs formes :

- Le groupe ayant refusé d'adopter le système patrilinéaire se retire de la zone d'influence du groupe dominant, en sauvant ainsi, sa différence. C'est le cas des Tadamakket.

- Un autre groupe (c'est le cas des Inhadhen) contraint d'adopter le système imposé par le groupe dominant, produit une tradition orale, faisant office de justification, de manière à intégrer définitivement le système ambiant dans la région. Mais ses traditions portent toujours la trace du passage du système matrilinéaire au système patrilinéaire, à travers une indication qui trahit souvent sa prétention à appartenir à une généalogie patrilinéaire. C'est le cas des Dag Takarwat.

- D'autres groupes, en choisissant de garder le caractère matrilinéaire dans un monde où domine l'idéologie du patriarcat, optent d'emblée pour une situation marginale qui fait d'eux des castes ou des groupes à part, se situant à la périphérie de la société des Kel Adagh. C'est le cas des Ifulanen.

- D'autres groupes, enfin, pour s'insérer pleinement dans le nouveau système mis en place par le groupe dominant, dans le but de jouer un rôle politique plus important, optent  pour une rupture complète avec le système matrilinéaire touareg en rattachant leur généalogies à des ancêtres fondateurs mâles. Ce rattachement se fait par plusieurs procédés dont le plus important est le rattachement par un récit de fondation qui affilie ce groupe à un ancêtre fondateur commun. La généalogie fait office d'idéologie ayant fonction de ciment qui lie les membres du groupe les uns aux autres. Le rattachement à cet ancêtre fondateur, présenté souvent comme noble, peut aussi se faire sous la forme d'un acte ennoblissant, c'est-à-dire qu'un groupe noble quelconque se fait une certaine image de lui qui répond à un certain nombre des critères positifs. Pour qu'un autre individu se rattache au groupe noble, il faut qu'il acquiert un certain nombre de ces critères et qualités, jusqu'à là, réservés aux membres du groupe noble en question. C'est l'exemple de Moussa Wan Afulan qui s'était distingué par un acte normalement réservé au groupe guerrier noble, à savoir les Ifoughas, dans l'Adagh, en s'opposant aux Idnan. Les Ifoughas ont probablement récupéré son action, en le récupérant lui même par son rattachement à leur ancêtre fondateur, Aitta, par une vague tradition orale sous forme d'une brève information sur laquelle on ne s'attarde que très peu.  Mais la tradition orale des Ifulanen garde, malgré tout, des traces du système matriarcal.

6- Relever le manque flagrant de sources écrites sur les Kel Adagh et leur région. Cette lacune justifie, en partie, notre recours aux traditions orales.

7-Mesurer le rôle déterminant de la détention du savoir traditionnel en tant qu'élément fondateur du pouvoir traditionnel.

Ceci est d'autant vrai qu'après le départ des Iwallemmeden de la région, les Ifoughas ont imposé leur histoire aux autres groupes de l'Adagh grâce à l'appuie des agents religieux que sont les Kel Assouk et les Kounta. C'est une histoire devenue officielle puisqu'elle est reconnue par les «gens des livres» ou les lettrés en plus du fait qu'elle soit celle du groupe guerrier dominant. Celle des autres lignages, pour être officielle, doit avoir l'aval de l'autorité traditionnelle que représentent les lignages dominants, sinon, elle reste refoulée au niveau de ses propres dépositaires qui la détiennent et la transmettent de générations en générations, comme une histoire familiale qui appartient au domaine du privé. L'histoire officielle, même si elle n'est pas écrite, est présente, matérialisée et valorisée par l'exercice quotidien du pouvoir politique dont elle est, également, fondatrice. Sa proximité de celui-ci, qu'elle justifie d'ailleurs, la dispense du besoin d'être écrite. Pourtant, à y regarder de plus près, il apparaît que derrière le caractère officiel et solennel de l'histoire du lignage dominant se profile une autre histoire, elle aussi, enfouie et réprimée. Elle est réprimée par ses propres détenteurs parce qu'elle ne justifie pas l'exercice du pouvoir. Cette catégorie d'histoire est constituée de la superposition des couches qui enregistrent l'essentiel des événements passés qu'a connu le lignage à travers le temps, des événements que l'on a oubliés ou que l'on veut oublier. Le besoin que nous avons remarqué chez les groupes de l'Adagh d'une légitimation de leur histoire à travers sa reconnaissance par le pouvoir politique traditionnel explique, en partie, le désir que l'on sent chez les groupes tributaires (Imghad) de rattacher leurs généalogies aux ancêtres fondateurs des groupes nobles, ou du moins, à des personnages réputés nobles. Elle induit également, une hiérarchisation dans leur propre histoire qui implique une histoire à deux paliers, celle que l'on veut faire reconnaître et donc faire accéder au statut officiel par un travail sur la mémoire collective du groupe et celle qui est contradictoire avec l'ordre politico-social établi et considérée par le groupe comme un handicap devant son intégration à l'ordre dominant.Ainsi, notre démarche qui consiste à ramener ou considérer les «histoires» des groupes des Kel Adagh sur le même registre en les fixant par écrit, pourrait être vue, par certains, comme une tentative de reconsidérer, sinon, revaloriser les «histoires» enfouies ou ce que nous avons appelé l'«histoire privée» pour les ériger au niveau du statut de  «l'histoire officielle», c'est-à-dire, celle du lignage noble qui fonde le pouvoir politique dans le groupe des Kel Adagh. Notre ambition n'est nullement l'écriture de l'histoire de l'Adagh, cette entreprise qui nécessite du temps et des moyens dont nous ne disposons pas, ne pourrait se faire en se basant, uniquement, sur la seule tradition orale, en l'absence des sources écrites. Ainsi, notre besoin de comprendre le passé des Kel Adagh en puisant dans leur mémoire collective, nous a poussé à rester, tout au long de cette étude, près des traditions orales de ceux-ci.

8-Connaître la superposition et la succession des vagues migratoires amazighes qui ont habité la région, avant d'avoir une idée, plus ou moins claire, sur le peuplement actuel.

Les traditions orales des Kel Adagh, font état de la mise en place progressive, sous forme des vagues successives des populations qui, en arrivant, repoussaient leurs prédécesseurs vers le Sud ou vers l'Est de l'Adagh. Cette image qui reprend notre hypothèse de départ, présente l'Adagh, d'abord, comme une région-étape où les populations ne se maintenaient que momentanément, ce qui les empêche d'avoir une mémoire collective suffisamment ancrée dans cet espace, et ensuite, donne l'impression d'une migration à sens unique. Pourtant, l'analyse approfondie et rapprochée des traditions orales des Kel Adagh actuels fait ressortir deux éléments importants:Il s'avère d'abord que l'Adagh a toujours été en contact avec les peuples du fleuve à travers un va-et-vient des populations selon l'axe nord-sud ou sud-nord. Elles font ressortir ensuite, la profondeur historique de ces groupes qui témoigne de l'ancienneté de leur installation dans cette région. Ainsi, les traditions orales des Kel Assouk font remonter leur origine aux temps pré-islamiques, comme nous l'avons vu plus haut, et se rattachent, même, aux peuples qui ont exécuté les inscriptions tifinagh sur l'ensemble de l'espace saharien, c'est-à-dire aux Berbères d'avant l'islamisation de ces régions. Cela constitue une couche qui semble être le «substratum» du peuplement actuel de l'Adagh. Cette époque remonterait aux temps préhistoriques, au moins au 1er millénaire av. j.c. comme l'indique H. Lhote (1982). En arrivant dans la région, ces populations se sont, certainement, mélangées à des autochtones mélanodermes, notamment des pasteurs peuls (Ifulanen) dont le mode de vie est identique à celui des Touaregs actuels. Les rapports des Kel Adagh, tels qu'ils ressortent à travers l'étude de leurs traditions orales, avec les populations mélanodermes peuvent être classés selon trois rubriques:

- des populations qui sont restées dans la région et ont pu garder leur particularisme; la tribu des Ifulanen constituerait les derniers représentants de ces populations noires dans la région.

- des populations qui se sont mélangées aux nouveaux arrivants, en se mariant avec eux. Le terme d'Abercheggagh semble être un indice d'un métissage entre des populations berbères et  noires qu'elles ont trouvées déjà installées.

- des populations qui ont quitté l'Adagh après avoir noué des relations probablement politiques, ou même matrimoniales, avec les populations berbères de l'Adagh, sous la poussée de nouveaux arrivants. Les traditions orales qui relatent les rapports de parenté entre les Kel Assouk de l'Adagh et une certaine tribu Peule appelée Futa représentent un autre indice de relations entre les Kel Adagh et les populations noires du fleuve Niger. Ainsi, le départ d'Aitta, l'ancêtre des Ifoughas, à Tomboctou, où, selon la tradition orale des Ifoughas, il épousa une femme Songhai appelée Bactou et engendra une fraction Songhai qui fonda cette ville, représente un autre indice des rapports avec ces populations.

A ces populations préhistoriques, s'ajoutent d'autres migrations, notamment celle des «Ifuraces» que les auteurs ont identifié comme les actuels Ifoughas, chassées dans le désert par les Byzantins au 6èmesiècle.

La deuxième strate serait constituée des «sohaba» islamisateurs, qui n'ont pu s'installer qu'en se mélangeant à la population autochtone, c'est-à-dire les habitants de la ville d'Assouk, comme il ressort des traditions orales des Kel Adagh. Cette époque daterait du 8èmesiècle. 

La troisième strate semble être constituée des populations berbères venues de l'Est, notamment de la région de l'Ajjer ainsi que de la Tripolitaine. Ces populations qui se réclament de la filiation du saint berbère Aggag Alamine, qui est né et enterré dans la région de l'Ajjer, selon leurs traditions orales, semblent être légèrement islamisées. Ces populations arrivèrent dans l'Adagh sous la poussé des Arabes islamisateurs dès le VIIIème siècle, selon H. Claudot-Hawad qui  cite les Imaddedeghen comme exemple. En effet, les Imaddedeghen qui se trouvent, aujourd'hui dans la région d'Arabanda, ont, effectivement, transité par l'Adagh, puisque la tradition orale des Kel Adagh leur attribue, comme ancêtre, un nommé «In Tasawelt» dont le tombeau est dit être dans cette région. Ils sont même dits, comme nous l'avons vu plus haut, apparentés aux Ifoughas actuels, ce qui prouve que lorsqu'ils ont quitté l'Adagh, les Ifoughas étaient déjà là. On peut citer, parmi les représentants actuels de ces populations dans l'Adagh, les tribu des Imakelkalen, Ifarkesen etc. dont des traditions orales non structurées cependant, attribuent, pour ancêtre, le chef berbère Kuseila, qui a eu raison de Oqba Ibn Nafi. Ces traditions qui rattachent ces groupes de l'Adagh à Kuseila, même si elles ne sont pas structurées constituent un exemple d'un rattachement symbolique d'un lignage ou un ensemble de groupes à un personnage emblématique  qui se transforme, avec le temps, en un rattachement généalogique.

Dida BADI

 

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Notes

* Résumé de mémoire de Magister soutenu  en l’an 2000, Département des langues et cultures amazighes, Université Mouloud Mameri, Tizi-Ouzou (sous la direction de Rachid Bellil).

** Attaché de recherche au CNRPAH/ Alger .

 

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