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Fanny COLONNA, Le Meunier, les moines et le bandit : Des vies quotidiennes dans l’Aurès (Algérie) du XXe siècle, récits, Paris, Actes Sud/Sindbad, 2010, 220 p. ; Lucie PRUVOST et Laurence A. AMMOUR, Algérie, terre de rencontres, Paris, Karthala, 2009, 25

Le premier ouvrage est, comme annoncé dans le titre, un ensemble de récits construit autour d’un personnage pittoresque, le meunier des Aurès, Jean-Baptiste Capeletti (1875-1978). Meunier mais aussi inventeur d’un site archéologique qui portera son nom. Cet italien d’origine aura cette particularité d’avoir entretenu, en épousant une « indigène » et en vivant parmi les Chawiya, une sorte de « dissidence » par rapport au système colonial. L’autre particularité non moins intéressante est qu’il ne poussera jamais cette dissidence jusqu’à rejoindre l’autre camp et s’y fondre. Invité à prendre la nationalité algérienne il répondra : « Je ne suis ni français, ni algérien, je suis italien ».

Autre point fort de la vie de ce « lion des Aurès », comme il aimait à se nommer, c’est sa rencontre avec le bandit d’honneur Messaoud Benzelmat. Capeletti, le libertaire, se sentait  proche de ce « partageux » qui prenait aux riches et donnait aux pauvres, il avait d’ailleurs un tel « sens du pauvre » qu’il tenait absolument à distribuer l’achour comme les musulmans.

Fanny Colonna nous livre ici un petit chef d’œuvre de microhistoire autour de ces phénomènes, rares mais authentiques, de « côtoiements » entre certains membres de la population coloniale et les autochtones, où la proximité de vie sur une même terre a pu, parfois, créer des liens humains puissants. Se basant sur la consultation des archives, le recueil de témoignages oraux et une enquête sur le terrain, elle nous raconte, en donnant, surtout à voir (importance de l’iconographie) et à sentir, cette histoire insolite d’un meunier qui a tenté de  vivre « aussi bien en dehors du contrat colonial que des contraintes très rudes des codes montagnards ».

Le second ouvrage est un long entretien, en forme de dialogue très serré et très soutenu, avec une Sœur Blanche née en Algérie, Lucie Pruvost, auteure connue de Femmes d’Algérie, famille et citoyenneté (2002). Elle aussi témoigne des contacts avec la société musulmane qui l’a font sortir très tôt de la « bulle coloniale ». Cette algérienne d’origine européenne met, curieusement, en avant comme fondement de son algérianité la langue « arabe algérien » qu’elle parlait en famille. Ainsi que la culture de l’Algérie profonde dont elle s’imprègne, au quotidien, au contact d’une famille paysanne proche.

Et si elle se sent investie d’une mission, dans cette Algérie qu’elle revendique comme « cosmopolite et ouverte sur le monde », c’est dans la relation avec cet Autre musulman qu’elle la vit. L’entretien comporte une partie fort instructive sur l’Eglise d’Algérie, sa mission et les épreuves partagées avec le peuple algérien durant la décennie sanglante. Le rapport à l’Islam et aux musulmans y est décortiqué avec une franchise dont il faut reconnaître le mérite à Laurence A.Ammour qui conduit l’entretien. 

 Spécialiste en droit de la famille, Lucie Pruvost, s’est beaucoup intéressée au statut de la femme musulmane et à son évolution en Algérie. Pour elle : «…l’Algérie vit une double évolution : une certaine sécularisation sociale due aux aspirations à la modernité et une ré-islamisation politique ».

Les deux ouvrages, celui de Fanny Colonna comme celui de Lucie Pruvost et Laurence A. Ammour, contribuent, chacun à sa manière, à fonder une nouvelle approche de l’histoire des rapports des Européens de souche, dans le contexte de l’Algérie coloniale, avec l’autre communauté, les « indigènes » musulmans. Il en ressort que les liens avec l’Algérie, aussi forts soient-ils, ne conduisent pas, dans ces deux cas, à l’assimilation et à la fusion avec l’Algérien de souche, mais en restent à un niveau de contact qui ne perturbe pas fondamentalement les identités respectives.

La préface est de Mustapha Haddab et la postface d’Henri Teissier.

Ahmed-Amine DELLAI

 

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