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Juives Et Musulmanes En Méditerranée : Négociations Autour Du Genre. Colloque, 24-25 Mars 2010, Aix En-Provence

Ce colloque, organisé par la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme en partenariat avec le CRASC, est l’aboutissement d’un travail collectif mené depuis deux ans par des universitaires de différents horizons sous la direction de Lisa Anteby-Yemini (CNRS/IDEMEC). L’analyse genrée des identités des femmes en islam et dans le judaïsme aujourd’hui est placée au cœur de ce colloque. Le réseau international des centres de recherche en sciences humaines sur la Méditerranée  (RAMSES 2) qui regroupe plusieurs universités et centres de recherche dont le CRASC, a voulu que ce colloque soit une occasion d’échanges et de réflexions, libres et conviviaux entre spécialistes des deux religions : l’islam et le judaïsme.

Dans son introduction au colloque, Lisa Antbey-Yemini a souligné l’intérêt de l’approche comparative dans les études sur les femmes juives et musulmanes de la Méditerranée. Qu’il s’agisse de la pureté, du mariage, de l’avortement, de l’homosexualité ou de l’accès des femmes aux fonctions religieuses, le genre induit une approche qui permet une compréhension plus approfondie des inégalités entre hommes et femmes qui, bien souvent, se justifient par des raisonnements religieux.

Comme le montre Nadine Weibel, professeure des universités de Strasbourg et de Fribourg, dans sa conférence d’ouverture, intitulée « D’une foi à l’autre, d’une voix à l’autre : regards croisés sur la régulation du féminin », de nombreuses femmes tentent aujourd’hui de (re)négocier le statut et les droits que leur confère la religion tout en restant fidèles aux références religieuses. La stratégie de négociation se concentre, d’après N. Weibel, sur les thèmes suivants : une approche féminine et herméneutique permettant une relecture des textes sacrés, une revendication du partage du pouvoir en ce qui concerne l’accès des femmes aux responsabilités religieuses, une réapparition des femmes de leurs corps et de la sexualité, enfin une nostalgie un âge d’or où la condition des femmes est considérée comme « meilleure » par rapport à aujourd’hui.   

La première séance de ce colloque consacrée aux espaces féminins du culte, a été l’occasion de montrer comment les femmes occupent les espaces de culte dans le judaïsme et en islam. M. L. Boursin (IDEMEC/université de Provence), observe dans la présence féminine dans la mosquée d’Aix en-Provence plusieurs fonctionnalités liées au culte. La mixité dans certaines étendues de la mosquée exprime des formes de changement que connaît l’islam de France et qui rendent la présence des femmes dans les mosquées manifeste et distincte. Sur le même thème, Annie Benveniste (URMIS, Université Paris 8) tente de comprendre les changements dans la définition de l'espace de culte. Ces changements sont liés à un double mouvement qui est au fond paradoxal, celui de l'institutionnalisation et de l'individualisation de la religion et celui de la radicalisation de l’observance. A. Benveniste a montré l’évolution qu'a connue le partage sexué de l'espace dans la synagogue de Sarcelles (banlieue parisienne) et ce, sous l'influence des juifs maghrébins.

Dans une autre perspective, Elenonore Armanet (université de Louvain – Belgique) a abordé le rôle des femmes de la communauté marocaine à Bruxelles, en redéfinissant le lien social à travers leur fréquentation des mosquées, les activités d’enseignement et de prédication qu’elles y exercent. Ce travail féminin au sein des mosquées s'adonne, à travers les « cercles coraniques », à participer à la construction d’un milieu islamique réservé aux femmes. Un tel travail constitue un croissant succès selon E. Armanet, un succès lié à un processus de (re)socialisation et d’étude initiée par des musulmanes émigrées en Belgique.

Dans la deuxième séance du colloque consacrée aux nouvelles fonctions religieuses des femmes, Sonia Sarah Lipsyc directrice du Centre d’Études Juives Contemporaines de Montréal et Belkacem Benzenine chercheur au CRASC ont présenté une communication à deux voix portant sur l’accès des femmes aux fonctions religieuses publiques en islam et dans le judaïsme : de l’exclusion à ‘l’intégration’. Cette étude a été l’occasion aux deux intervenants de cerner les enjeux d’appellation et les  préceptes canoniques qui entourent la question de l’accès des femmes musulmanes et juives aux fonctions religieuses. Pour le judaïsme,        S.S. Lipsyc n’a pas manqué de relever à quel point l’étude féminine du Talmud a constitué l’un des bouleversements majeurs du judaïsme contemporain. Grâce aux études talmudiques,  certaines femmes sont devenues avouées rabbiniques (to’enyot rabbaniyot) et conseillères rabbiniques (yoétsot halakhah). Les changements que connaît le judaïsme aujourd’hui touchent aussi le courant orthodoxe. Ainsi, des femmes orthodoxes ont également envisagé d’être rabbins. Des femmes sont  également formées pour êtres guides en matière de la loi juive, de la spiritualité et de la Torah. Une telle fonction est la même que celle d’un rabbin sauf que les femmes ne pourraient diriger entièrement un office ou faire partie d’un tribunal rabbinique. Voilà un point qui converge avec ce que connaissent quelques pays musulmans qui ont institué la fonction de « guides religieuses » (murshidate diniyyate). Sur ce sujet, B. Benzenine est revenu sur les expériences menées par l’Algérie, le Maroc et l’Égypte relatives à la formation des murshidate et les tâches qui leur sont confiées. Ces expériences, à quelques différences de détail près, montrent que l’institutionnalisation de cette fonction reflète l’intérêt des pouvoirs politiques à intégrer les femmes dans le processus de modernisation et de réforme du champ religieux. L’implication officielle des femmes dans la prédication et la propagation d’un islam tolérant et éclairé, mais aussi dans des programmes publiques comme l’alphabétisation ou la prévention contre le Sida, est un indice d’émancipation sociale et religieuse des femmes musulmanes. La féminisation du corps des oulémas au Maroc (des femmes sont nommées alimates pour la première fois dans un pays arabe) témoigne d’une émancipation « courageuse » des femmes qui sont intégrées dans un corps naguère exclusivement réservé aux hommes. Dans une autre perspective, Mohamed Kerrou de l’université El-Manar (Tunis) montre, à partir de la clause dite du Contrat kairaouanais (qui donne à l’épouse le droit de divorce unilatéral si l’époux prend une seconde femme) comment les stratégies matrimoniales interfèrent avec les particularités sociales et les enseignements de l’islam. Sur le thème Femmes, mariages et sociétés dans la cité historique de Kairouan, M. Kerrou, a tenté à partir d’une approche sociohistorique du mariage, de comprendre la question de négociation autour du genre et de religion. Cette stratégie de négociation, qui a permis en grande partie d’élaborer un code de la famille très moderne par rapport à d’autres pays musulmans, ne peut être isolée du processus d’intégration des femmes dans la sphère publique et de leur participation dans la vie politique.

La deuxième journée du colloque était l’occasion pour les participants de se pencher sur la position des autorités religieuses dans le judaïsme et en islam à l’égard des questions comme l’avortement, la procréation artificielle, le don de sperme, le don d’ovocytes. La dimension du genre  qui s’impose dans le débat sur ces questions permet de redéfinir certains préceptes et normes et de dépasser les positions traditionnelles et conformistes qui servent de prétextes pour justifier les inégalités entre les sexes dans le judaïsme et en islam.

En somme, ce colloque, par son importance et les réflexions qu'il a engendrées, a contribué, au-delà du fructueux rapprochement interdisciplinaire, à éclaircir de nombreux problèmes d’ordre religieux, juridique, social et politique et à rapprocher des points de vue sur des questions relatives à la condition des femmes juives et musulmanes de la Méditerranée.

Belkacem BENZENINE 

 

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