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Jeux D’acteurs Et Stratégies D’appropriation De L’espace En Milieu Steppique. Le Cas Des Hautes Plaines Sud-Oranaises

Insaniyat N°50 | 2010 | Varia | p. 09-21 | Texte intégral


Actors’ stakes and appropriation spatial strategies in a steppe milieu: the southern Oran High Plain example

Abstract: The southern Oran High Plain represents a well distinct geographical entity in Algerian space. Situated between the Tell and Saharan Atlas, this space is also individualized by its society which knew how to adapt to a difficult milieu by opting for a nomadic way of life. In studying the different interventions on, this space and its society since the colonial period until nowadays, it seems clear the immensity of this steppe space doesn’t make it lose any value. In fact, the steppe space represents a huge stake for the population since this has resisted each time one has tried to modify this territory or to intervene.
By trying to occupy this space, colonization came up against a multitude of uprisings and revolts led by the local population. This led the French to use their juridical tools and military power to reach their objectives founded on the total control of this territory and the exploitation of its riches in particular animal. After independence and with a concern for territorial development, the State met with the same resistance since the pastoral population refused most of the spatial changes programmed. These negative attitudes were often accompanied by a clever sidetracking of the law as during the agricultural revolution. This side tracking was even observed when the local population accepted the development programs applied in the region, as those destined for agricultural development. Thus when it was a matter of agricultural revolution, accession to agricultural property real estate, the agricultural development plan, the land reserve law, the real estate law, reabsorbing precarious habitat or operations to regularize, the steppe inhabitants reacted differently according  to their logic and interests. These reactions have often been sources of very intensive conflicts, between the inhabitants themselves’ more precisely between “archs”, and between citizens and the State. The steppe space as it is presented actually is without doubt the result of these numerous oppositions between local power and central power. The consensus between them will be possible only if there is a convergence at the same time in their logic and interests concerning this territory.

Keywords : High Steppe Plains - nomadic life - spatial planning - conflicts - actors.


Mohamed HADEID : Enseignant, département de Géographie et d’Aménagement du territoire, Membre du Laboratoire EGEAT, Université d’Oran.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


Quand ils ont commencé à occuper le territoire des Hautes Plaines, les Français ont cru que l’immensité et l’ouverture de cet espace steppique ainsi que son très faible peuplement allaient faciliter son occupation (A. Bernard, N. Lacroit, 1900). Toutefois, les insurrections, les soulèvements et les différentes révoltes qui ont été menées par la population locale ont été un aspect révélateur du souci de cette dernière à sauvegarder son territoire contre tout conquérant. Il s’agit, ici, de montrer que la population steppique est une société résistante à toute intrusion et ce, quelle que soit le type d’intervention.

Certes, cette résistance prend des facettes assez différentes, car cela dépend de la nature de l’opération engagée et de son ampleur. Qu’il s’agisse de refus ou de négation catégorique, de contournement, d’adaptation, d’alliance parfois ou de soumission complète, la population steppique a toujours réagi que ce soit avec : la colonisation, l’État après l’indépendance, les autorités locales (commune), les différents services de wilaya (agriculture, hydraulique, forêts, habitat,…). Dans le temps et dans l’espace, ce genre de réaction a toujours été un des éléments de base quant au fonctionnement de la société et de l’espace steppique. La cause de cette attitude est due au fait que cet espace avec ses caractéristiques biogéographiques oblige, probablement, l’homme à s’adapter avec le milieu en optant pour un mode de vie nomade basé sur l’ouverture et le déplacement. Par conséquent, pour réaliser des aménagements dans cet espace, la connaissance approfondie de son fonctionnement s’avère plus que jamais indispensable.

Le moteur de ce fonctionnement est sans aucun doute le tribalisme. Après toutes les opérations de scission des tribus durant la période coloniale et après tous les découpages administratifs que l’Etat a effectué après l’indépendance, l’aspect tribal n’a jamais quitté la vie quotidienne de la population locale. Qu’une partie des membres de la tribu soit ailleurs ou à l’intérieur de la steppe, qu’elle ait abandonné l’élevage ou non, la tribu est restée perpétuellement un repère sur lequel chaque personne se réfère pour n’importe quel domaine ou service demandé.   

A travers les différentes politiques de l’État appliquées dans la steppe, les réactions des populations locales se manifestent différemment, selon l’enjeu en question. Dans ce sens, les individus s’organisent indistinctement selon des groupes sociaux qui sont soit réunis pour défendre les intérêts de leur arch1 soit des groupes non issus d’un arch particulier, mais dont les intérêts économiques sont communs. Les commerçants, les maquignons ou les entrepreneurs chargés d’équiper les exploitations de mise en valeur agricole peuvent être classés dans le deuxième groupe. Les deux types de groupes sociaux opèrent selon l’enjeu en question suivant les stratégies différentes des uns et des autres. Et si pour le deuxième groupe, la perception de sa stratégie et de ses réseaux au niveau local et régional n’est pas évidente du fait de la diversité de ses stratégies et de leur diffusion spatiale au niveau régional, pour le premier groupe par contre, il est plus au moins possible de l’approcher à travers plusieurs études de cas relevées dans la région en question ; ces derniers tournent en grande partie autour du foncier quelle que soit sa nature (agricole, urbaine,…).

A travers la multitude d’actions d’aménagement s’intégrant dans différents plans de développement que l’Etat a initiés depuis l’indépendance, la population pastorale a toujours réagi différemment en fonction de l’apport de ces programmes. En ce sens, il est possible de classer ces réactions selon leur approbation ou non par les populations locales.

1. Les actions d’aménagements initiées par l’État et la population pastorale : deux visions et deux logiques contradictoires

La structure verticale de la gestion par l’État algérien de son territoire national a été souvent la cause de l’échec d’un bon nombre d’opérations d’aménagement. Le cas de la steppe est sans doute le plus fréquent. En effet, après l’indépendance, la population nomade a tout de suite réagi négativement envers les premières interventions de l’Etat dans la steppe en vue de réorganiser le pastoralisme, l’activité principale de la région. Qu’il s’agisse de l’opération des ADEP (Association pour le Développement du Pastoralisme) ou des ZDIP (Zones de Développement Intégré Pastoral), lancées entre 1962 et 1975, le résultat était le même : l’abandon. J. Le Coz (1991) a bien résumé l’échec de cette opération concernant la création de coopératives d’élevage, dû d’un côté à la non préparation des hommes au fonctionnement de cette nouvelle forme de démocratie paysanne (survivance de  « l’esprit de tribu »), à la lourdeur et l’inefficacité de la tutelle étatique (longs délais pour le paiement des avances), mais aussi à la négation des contraintes naturelles locales (découpages géométriques des parcours, enfermement du système). Ces coopératives n’ont donc pas pu donner des résultats satisfaisants car elles ont été rejetées aussi par les populations de la steppe du fait qu’elles avaient accaparé arbitrairement de bons parcours, habituellement utilisés par tous. Même le barrage vert qui avait d’autres objectifs de préservation du milieu contre l’avancée du désert, n’a pas été admis par les nomades dans la mesure où il venait poser des obstacles quant à l’avancée des troupeaux. L’échec du barrage vert, en particulier dans la partie occidentale de la steppe, est dû en partie à son empiètement sur les parcours steppiques. Il représentait une barrière latérale pour les transhumances nord-sud, notamment dans la partie concernant les monts des Ksour et Djebel Amour, mais aussi au non suivi d’une opération s’étalant sur de vastes superficies d’ouest en est.

L’opération la plus spectaculaire lancée par l’État algérien durant les années soixante dix est sans doute la Révolution Agraire, dont la troisième phase était destinée essentiellement à la partie steppique. Les objectifs de cette réforme dans la steppe étaient clairs : il s’agissait de supprimer l'élevage "absentéiste" ou transhumant, de limiter le cheptel détenu par chaque famille, de généraliser les coopératives pastorales et d’équiper la steppe en infrastructures économiques et sociales.

Sur les trois premiers éléments, les nomades se sont fortement opposés. Pour eux, il n’était pas question de limiter leurs aires de parcours, ni de restreindre leur cheptel, ni de s’organiser autour de coopératives d’élevage.  

Mais les nomades ne pouvaient pas refuser sans toutefois être en situation irrégulière vis-à-vis de l’Etat. La solution était donc de contourner cette opération. C’est ainsi qu’en matière de limitation de cheptel, les gros éleveurs ont réparti leur cheptel sur leurs bergers (400 têtes environ chacun) tout en considérant qu’il s’agit de leur propre cheptel envers l’administration. Les gros éleveurs détenteurs de plus de 1.000 têtes ont, certes, réduit leur cheptel conformément à la loi mais tout en faisant bénéficier les bergers d’une carte d’éleveur leur permettant d’acquérir des aliments du bétail subventionnés par l’Etat auprès de l’ONAB (Office national des aliments du bétail) et leur donnant l’autorisation d’accéder aux parcours communaux.

La négation des actions de l’État est aussi la principale réaction des nomades lorsqu’il s’agit d’interdire les labours. Cette pratique est devenue indispensable pour certains éleveurs pour tenter de compléter l’alimentation de leurs troupeaux par des apports complémentaires. Les autorités locales n’ont jamais pu stopper cette pratique quelle que soit la sanction et ce, dans toute la steppe. De même, les mises en défens, qui représentent une opération de sauvegarde de la végétation et des parcours steppiques pour une durée allant de 5 à 10 ans ont été souvent agressées par certains éleveurs. En période de disette, ces derniers ont du mal à nourrir leurs troupeaux, ce qui les oblige à utiliser les zones mises en défens interdites au pacage. A cet effet, beaucoup d’incidents ont eu lieu menant parfois à des situations de conflits très serrées entre éleveurs et administration locale (le cas le plus récent est celui de Aïn Ben Khelil en mars 2005). Les bergers ou les gardiens censés surveiller les périmètres de mise en défens ont souvent été agressés par des éleveurs après avoir refusé leur accès aux périmètres. Par ailleurs, la gestion de la commune par le président de l’APC a parfois favorisé des membres de son arch en leur permettant d’éventuelles utilisations des mises en défens, interdites aux personnes extérieures au arch, qui se voyaient verbaliser à chaque intrusion.

La même attitude est relevée lors de l’interdiction des labours ; seules les personnes les plus proches des responsables de l’APC sont alors autorisées officieusement à les pratiquer. Un des walis de la wilaya d’El Bayadh a été très ferme en vue de stopper ces habitudes censées dégrader le couvert végétal de la steppe durant l’année 2000, mais certaines communes par leur «favoritisme» ont étouffé rapidement cette détermination.

2. L’approbation des actions de l’État est aussi accompagnée par des « détournements » au profit de la population locale

L’opération qui a suscité l’intérêt de la population steppique est certainement celle de la mise en valeur agricole. Cette politique nationale avait une importance capitale pour la région et ses habitants du fait qu’elle permet l’acquisition de la terre après avoir réussi à la mettre en valeur. L’enjeu était de taille pour une population qui a toujours eu des problèmes avec l’Etat lorsqu’il s’agit du foncier. Cette action a tout de suite pris une ampleur dans la steppe depuis la promulgation de la loi y afférent en 1983 : l’APFA (Accession à la propriété foncière agricole). La région considérée a vu ses premiers périmètres et ses premières exploitations émerger à partir de 1985. Ainsi, les habitants de la steppe n’ont pas trop tardé à réfléchir pour se lancer dans la mise en valeur agricole.

Le choix des terrains a été porté très souvent sur les endroits où les nomades ont toujours revendiqué les droits de propriété. Les exploitants concernés ont tout fait pour que l’administration leur attribue ces terrains. Toutefois, cette conduite n’était pas aussi évidente. Parfois, certains terrains ont été revendiqués par deux arch différents et si l’administration attribuait à l’un d’entre eux, la réaction de l’autre était imminente et donnait souvent lieu à des conflits aboutissant à des incidents mortels : les Ouled Omrane et les Guerraridj dans la commune d’El Bayadh, les Ouled Moumen et les ksouriens de Ghassoul, les Ouled Aïssa et les Ouled Sid Hadj-Eddine à Brézina, les Ouled Stiten et les Ouled Ameur pour le périmètre de Massine représentent les cas les plus marquants dans toute la steppe occidentale (G. Duvigneau, 2004).

Pour tous ces cas, il faut souligner l’opposition existante entre nomades et ksouriens. Cette opposition ne ressemble pas à celle de la période précoloniale où la suprématie des nomades sur les ksouriens sédentaires donnait l’impression qu’il s’agissait beaucoup plus d’une complémentarité que d’une domination. Après l’indépendance, cette opposition n’est plus la même, les nomades d’origine - car actuellement ils ne le sont plus, où du moins pas tous-, sont dans la plupart des cas majoritaires dans l’Assemblée Populaire Communale (APC), ce qui leur donne un avantage quant à la gestion de la commune et leur permet ainsi de bénéficier de toutes les prérogatives et des opérations initiées par l’Etat telles que la mise en valeur agricole.

Cette opération de la mise en valeur agricole allait prendre une autre envergure après le lancement du PNDA (Plan national du développement de l’agriculture) en 2000. Subventionnés par le FNRDA (Fonds national de régulation et de développement agricole), les investissements généreux octroyés par le biais de ce programme ont conduit à une amplification de l’intérêt de la population steppique envers cette opération. L’enjeu est plus qu’important dans la mesure où l’Etat finance un certains nombre d’équipements : bassin de stockage d’eau, creusement de puits, sondages, système goutte à goutte etc. Les exploitants ont pu trouver des moyens pour minimiser les coûts de certaines opérations tout en négociant avec l’entrepreneur concerné par tel ou tel projet. Cette forme de gestion a permis aux exploitants d’avoir un excédent d’argent qu’ils utilisent généralement à l’achat d’un véhicule, souvent de type 4x4 ou à tout autre projet (agrandir la maison par exemple ou l’améliorer etc.).

Qu’il s’agisse donc de soumission ou de négation, la population pastorale a toujours pu détourner les actions de l’Etat. Et si durant la Révolution agraire, les nomades n’avaient pas respecté les directives du Code pastoral étant donné qu’elles n’obéissaient pas à leur logique en matière d’utilisation de l’espace, l’attitude a été tout à fait contraire à la politique de la mise en valeur agricole où la demande a été très forte et ce, bien que cette politique enferme le système et cloisonne l’espace steppique, chose que le nomade a toujours rejeté. En fait, ce comportement est logique dans la mesure où l’enjeu foncier et financier que propose cette politique est irremplaçable pour une catégorie de population malaisée dans sa vocation principale, le pastoralisme et où l’Etat n’a pas proposé de grandes solutions.

Cet enjeu considérable a suscité l’intérêt même d’autres catégories de la population active alors qu’il n’a intéressé en premier lieu que les éleveurs. Les fonctionnaires de l’administration, en particulier dans les services de la commune ou de la wilaya et plus précisément dans le secteur agricole ou hydraulique, sont la seconde catégorie professionnelle à se préoccuper de cette opération de mise en valeur ; mais, on peut trouver aussi des commerçants et des médecins dans des périmètres irrigués comme celui de Draa Lahmar situé dans la commune d’El Bayadh. Dans le quotidien de la population, on parle beaucoup de ce soutien de l’État pour l’agriculture, ce qui conduit les uns et les autres à réfléchir en vue de s’investir dans la mise en valeur agricole. Le nombre de demandes déposées au service de l’agriculture de la wilaya de Naâma, dépassant les 2.200 dossiers en 2002, ne nous étonne pas (DSA2, wilaya de Naâma, 2002).

Un autre cas de jeux d’acteurs est sans aucun doute celui de Brézina. Le pouvoir local a mis en œuvre toute une stratégie en vue de se réapproprier les terres d’autrui et ce, par le biais de la construction d’un grand barrage à Brézina destiné à irriguer des terres privées. Ici, une opposition existe entre les ressources rares de la région (eau, sol), d’un coté et entre deux arch qui se partagent l’espace communal, d’un autre coté. Le arch des Ouled Aïssa ayant le pouvoir administratif (majoritaire dans l’APC) veut utiliser ce projet de barrage pour irriguer des terres appartenant à l’autre arch. Ainsi, « la nécessité vitale d’une mainmise sur ses rares ressources prend appui sur des situations de pouvoir pour influencer les acteurs institutionnels et obtenir des programmes de développement. Ces programmes, à l’insu des autorités, servent à des stratégies d’appropriation en melk de biens arch de tribus voisines. Il s’agit là « d’une manipulation des acteurs institutionnels centraux et régionaux de la part des acteurs institutionnels locaux qui servent des intérêts sociaux particuliers. Ils sont souvent experts dans l’art de se réapproprier les programmes de développement décidés par la puissance publique » (G. Duvigneau, 2004).

3. Le foncier urbain : des stratégies nuancées selon les modes d’appropriation de l’espace

Lorsqu’il s’agit du foncier urbain, les stratégies semblent être nuancées. Tout dépend de la situation et de la nature juridique des terres concernées. « Sidi Hadj Bahous représentait un quartier spontané où les conditions de vie étaient insupportables alors qu’il se trouvait en plein cœur de la ville d’El Bayadh. Par sa position, il défigurait complètement l’image de la ville, promue chef-lieu de wilaya en 1985, mais l’assiette foncière de l’ordre de 26 ha sur laquelle le quartier s’est développé a représenté le principal alibi pour les autorités locales en vue de l’éradiquer. Il fallait donc récupérer cette assiette de terrain bien placée au milieu du tissu urbain pour en faire un futur centre-ville. En effet, la justification de résorber cet habitat précaire était de lui donner une autre fonction urbaine dite tertiaire et permettre aux populations résidentes de se procurer de nouvelles habitations à la périphérie de la ville » (M. Hadeid, 2002)

Après l’éradication du quartier, d’autres acteurs issus de groupes sociaux puissants à caractère tribal avaient revendiqué une partie des terrains en vue de placer quelques projets commerciaux et d’habitats. Il s’agit du arch des Ouled Aïssa. Cette revendication a conduit à un conflit très serré entre eux et l’administration locale. Le quartier s’est transformé après 1993, date de son éradication et plusieurs projets, notamment d’habitat moderne ont vu le jour, et ce n’est pas les anciens habitants du quartier précaire de Sidi Hadj Bahous qui en ont bénéficié, mais très probablement les personnes ayant été à l’origine de cette opération de résorption de l’habitat précaire et leur entourage. Nos enquêtes et nos discussions avec les habitants de la ville d’El Bayadh (cadres dans l’administration, commerçants, étudiants, citoyens) nous ont permis de confirmer cette hypothèse (Hadeid, 2006).

Le nouveau quartier périphérique des anciens habitants de Sidi Hadj Bahous ne ressemble certainement pas à celui construit au site initial, ni sur le plan architectural, ni sur le plan équipements, ce qui confirme l’intention initiale en vue de récupérer le quartier au profit des décideurs locaux (Président de l’APC et les élus locaux). Là aussi, on est devant un exemple où on utilise les actions publiques, autrement dit dans un cadre légal, à des fins privées !

Dans la ville de Bougtob située à 100 km au nord d’El Bayadh, le phénomène est presque le même, mais dans ce cas là, il s’agit d’une opération de régularisation de l’habitat spontané. En fait, ce dernier est constitué principalement de tentes et de zeribas appartenant à des nomades sédentarisés à la périphérie de la ville. Les conditions déplorables, dans lesquelles les habitants vivaient, avaient conduit les autorités locales à intervenir. La solution était de régulariser la situation des occupants en initiant des lotissements au sud de l’agglomération. Cette opération a suscité à la fois l’intérêt des habitants de Bougtob, puisque plus de 40% des bénéficiaires de ces lots résidaient dans la ville d’après une enquête effectuée par N. Djebiri (2002), mais aussi d’une autre partie plus conséquente constituée de nomades installés juste après cette opération de régularisation et ce, dans le but d’avoir la même chance que leurs prédécesseurs. Cette attitude des uns et des autres a fait non seulement échouer l’opération de régularisation, mais de plus, l’afflux des nomades à la périphérie de l’agglomération s’est amplifié. Le groupement de tentes et de zeribas demeure toujours et les autorités de la ville n’ont pas pu trouver de solution leur permettant d’éradiquer définitivement cette couronne qui défigure l’image de la petite ville.

L’autre exemple de l’aspect foncier concerne Belkhadem qui est un quartier récent de la ville de Mécheria situé à la périphérie nord de la ville, sur un glacis de raccordement reliant, en pente douce, les terres basses de la steppe au Djebel Antar. Ce dernier a été l’un des quartiers investis par les familles nomades. Durant la période coloniale, la zone de Belkhadem a été récupérée par le biais de la loi Warnier de 1873, devenant ainsi propriété du domaine de l’Etat colonial. Ces terres devaient être divisées sous forme de concessions de mise en valeur agricole, d’une superficie moyenne d’une douzaine d’hectares, entre les années 1931 et 1939. Les bénéficiaires étaient issus d’autres tribus que les Hamyan, qui avaient le droit d’utilisation de ces terres. Ainsi, ce détournement des terres arch destinées au pâturage au profit d’une jouissance privée à usage agricole a eu des répercussions fatales sur le vécu de la société nomade. Après l’indépendance, cette situation héritée a maintenu les conflits entre tribus à propos du statut foncier et ce, jusqu’à aujourd’hui. A partir de 1974, date de promulgation de l’ordonnance portant sur les Réserves Foncières Communales (RFC), l’Etat a voulu délimiter les terrains urbanisables autour de l’agglomération ; la résistance a été forte de la part des propriétaires privés qui se sont opposés au pouvoir local. L’objectif des RFC était de doter les communes d’un portefeuille foncier capable de prendre en charge l’urbanisation des agglomérations à court, à moyen et à long terme. Les terrains retenus privés ou publics étaient directement intégrés à ce périmètre par décision de l’Assemblée Populaire Communale (APC). Le refus des propriétaires de Belkhadem était catégorique ainsi que leur rejet de l’indemnisation « juste et équitable » proposée par la loi en vigueur. Pour contourner la loi, certains propriétaires ont trouvé une solution en lançant une opération de lotissement clandestin selon les modes coutumiers de transactions foncières. « …les transactions furent sanctionnées par un acte sous seing privé (ce que les habitants appellent le « papier timbré »), antidaté et en présence de deux témoins. L’authentification de certaines transactions était légalisée à la mairie… Mais ce document n’avait aucune valeur juridique. Quant aux acquéreurs, ils se sentaient rassurés et se satisfaisaient largement du « papier timbré ». Pour d’autres, l’opération était à leurs yeux tout à fait conforme et réglementaire par rapport au mode coutumier originel qui fait appel aux services du cheikh et à deux témoins pour consigner la transaction » (S.A. Souiah, 1998). Cette stratégie adoptée par les propriétaires de Belkhadem avait comme objectif de mettre les autorités locales devant une situation de gestion et non de décision car ils voulaient à tout prix rester maîtres de leurs terres. Sur le plan spatial, le résultat était la création d’un véritable quartier, sans équipements et sans voiries, contenant 756 constructions sur 181 lots abritant près de 4000 personnes, selon une enquête effectuée en 1991 par le bureau d’études URSA dans le cadre d’une étude de restructuration du quartier de Belkhadem (URSA, 1992).

A partir de 1985, une vaste opération de régularisation a été entamée par l’Etat en application du décret 85-212 et de l’ordonnance 85-01 de 1985 et ce, en vue de légaliser les formes urbaines non réglementées. Le quartier de Belkhadem a été touché par cette opération. Dans cette situation, les propriétaires ayant vendu des lots aux particuliers ont assisté à une régularisation par acte administratif au profit de leurs clients. Par contre, ceux n’ayant pas loti leurs terrains, ont été rétablis dans leurs droits après la promulgation de la loi portant Orientation foncière en 1990, qui a remis en cause la rigidité de l’ordonnance sur les RFC et qui a instauré une liberté dans les transactions foncières.

4. Découpages administratifs et réactions des populations pastorales

Les différents découpages administratifs appliqués à l’espace national avaient des logiques différentes. L’espace administratif a été, après 1963, considéré de plus en plus comme un enjeu stratégique. Mais, si les découpages de 1963 et de 1975 n’ont pas suscité des réactions vives de la part des populations pastorales, cela n’a pas été le cas en 1985. « Certes, le dernier découpage administratif a redessiné wilayas, daïras et communes, mais l’Etat a joué cette fois-ci avec l’espace administratif en particulier communal » (A. Bendjelid, J.C. Brule, J. Fontaine, 2004). Ainsi, beaucoup de petites communes ont été créées reconnaissant ainsi plusieurs entités locales ; toutefois, le problème de cette réorganisation administrative dans la steppe occidentale a concerné plus principalement le découpage wilayal. C’est ainsi que des communes comme Boussemghoun ou Chellala ou encore El Kheïter ont réagi négativement quant au choix de l’Etat, qui les a séparé de leurs espaces fonctionnels. Les deux premières communes souhaitaient appartenir à l’espace ksourien, qui a été principalement intégré dans la wilaya de Naâma, mais elles furent incorporées à la wilaya d’El Bayadh. De même, El Kheïter, très liée avec Saïda fut rattachée à l’espace wilayal d’El Bayadh. Ces trois communes avaient toujours fonctionné avec leurs espaces correspondants (espace ksourien, nord de Saïda). Leur détachement a suscité des réactions de leur part, mais sans succès. Jusqu’à présent, ces communes n’ont que des relations de type administratif avec leurs chefs-lieux de wilaya, pour le reste (relations sociales, culturelles, commerciales), elles continuent à fonctionner comme avant.

Dans une autre optique, le découpage de 1991, effectué à des fins politiques, a permis la promotion d’un certain nombre d’agglomérations en chefs-lieux de daïras. La réaction a été aussi importante dans la steppe occidentale. En effet, Chellala a été promue chef-lieu de daïra et non Boussemghoun, ce qui a provoqué la colère des habitants de cette commune. Comment promouvoir une commune qui appartenait auparavant à notre espace communal ? Les représentants de Boussemghoun ont rapidement réagi en envoyant une délégation à Alger pour exprimer leur opposition quant à cette décision. Le gouvernement de l’époque n’avait nullement le choix que d’accorder cette promotion à Boussemghoun. Le résultat était l’existence de deux chefs-lieux de daïras juxtaposés, ayant chacun une commune dans sa juridiction.

Ainsi, les exemples sont nombreux, qui expriment tous des logiques différentes des acteurs publics ou privés envers l’espace steppique. Le foncier urbain ou agricole a été souvent la source principale des conflits. En fait, cette situation a été engendrée durant l’occupation coloniale qui a bouleversé les droits coutumiers traditionnels. Il faut souligner aussi que « …tant que l’Etat ou une collectivité locale n’utilise pas l’espace, la revendication de la propriété liée à l’usage traditionnel n’a pas lieu. Inversement, s’il y a utilisation par l’Etat, une collectivité locale, des nouveaux venus, celle-ci est ressentie comme une agression et mobilise instantanément le groupe et son réseau d’alliances. D’autant plus que les droits d’usage de la terre sont souvent partagés entre plusieurs groupes d’ayants droit, introduisant ainsi des contestations non seulement en direction de l’Etat, mais aussi entre groupes. Dans tous les cas de figure, la nouvelle situation est vécue par les aménagés comme une rupture des fragiles équilibres qui régissent le système de relations sociales et économiques » (A. Bendjelid, J.C. Brule, J. Fontaine, 2004).

Par conséquent, toutes les situations citées préalablement traduisent clairement cette ambiguïté de l’aspect foncier dans la période actuelle, qui est lui-même, le résultat à la fois de l’héritage colonial et l’incapacité de l’Etat à résoudre ce problème très épineux.

Conclusion

L’habitant de la steppe a toujours su s’adapter à son milieu. Quelles que soient les contraintes, il possède une capacité étonnante à s’accommoder aux situations nouvelles. Toutefois, durant son existence, la société nomade a été soumise à de nombreuses conquêtes et chaque fois, la résistance a été de taille en vue de nier ou contourner ces intrusions. Durant la période coloniale, les Français ont utilisé tout leur arsenal juridique et militaire pour mieux maîtriser cette société nomade, en particulier, après avoir connu différentes révoltes et insurrections. Lois foncières, découpages administratifs, politique de regroupement, etc. ont été les outils essentiels pour instaurer cette mainmise sur l’espace et la société nomade. De ce fait, les nomades n’avaient nullement le choix que de se soumettre en voyant leur patrimoine foncier (terres arch) être dilapidé progressivement, engendrant ainsi des dysfonctionnements à la fois de la société et de l’économie pastorales. Après l’indépendance, l’Etat avait une autre logique vis-à-vis de l’espace national, à savoir lancer de vastes programmes de développement tout en insistant sur l’unité du territoire. Ainsi, toutes les opérations entreprises par l’Etat avaient comme objectifs de hisser les différentes régions du pays à un certain niveau de développement, mais aussi de permettre le contrôle et la maîtrise totale de l’espace national. Les réactions de la population pastorale envers les actions de l’Etat se sont manifestées à chaque opération entreprise. De la Révolution agraire à l’APFA jusqu’au PNDA, ou de la loi sur les RFC jusqu’à la loi sur l’Orientation foncière, de la politique de Résorption de l’habitat précaire (RHP) à l’opération de régularisation, l’habitant de la steppe a réagi différemment selon ses logiques et selon ses intérêts. Les réactions ont été souvent sources de conflits très serrés, entre habitants eux-mêmes (entre arch plus précisément) et entre les citoyens et les collectivités territoriales.

L’espace steppique tel qu’il se présente actuellement est sans aucun doute le résultat de ces nombreuses oppositions entre pouvoir local et pouvoir central. Le consensus entre les deux ne sera possible que s’il y a une convergence à la fois dans les logiques et dans les intérêts relatifs à l’espace steppique. Cette convergence est-elle possible et compatible avec les modes de vie traditionnels pratiqués par les habitants de la steppe ? L’Etat est conduit à prendre en charge les modes de vie traditionnels fondés sur les droits coutumiers pratiqués encore par les habitants de la steppe. En effet, ces derniers semblent disparaître avec le temps, mais en fait, les situations de conflits ressenties lors des différents projets entrepris par l’Etat, donnent l’impression qu’ils existent toujours. Ainsi, « …l’absence de maîtrise foncière de la part de l’Etat, la politique du fait accompli de la part des « aménagés », l’aptitude de ceux-ci (en particulier des ruraux) à deviner, dans les lois foncières successives, ce qui peut jouer en leur faveur, ont libéré un dynamisme longuement occulté » (A. Bendjelid, J.C. Brule, J. Fontaine, 2004). Ces paramètres doivent impérativement être pris en considération si on veut réussir les plans d’aménagement de l’espace steppique.

Bibliographie

Bendjelid, A. ; Brule, J.C. et Fontaine J. (Dir.), Aménageurs et aménagés en Algérie, héritages des années Boumediene et Chadli, Paris, L’Harmattan, Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes, 2004, 419 pages

Bernard, A., Lacroix, N., Historique de la pénétration saharienne, -Alger-Mustapha : Impr. de Giralt, 1900.

Djebiri, N, L’habitat spontané entre le licite et l’illicite à Haï Graba et la zone de lotissement, cas de la ville de Bougtob (wilaya d’El Bayadh), Mémoire d’Ingénieur, Géographie, Université d’Oran (En langue arabe), 2002, 149 pages.

Duvigneau, G., « Un aménagement détourné avant même sa mise en place, le future périmètre irrigué de Brézina (wilaya d’El Bayadh) », in Aménageurs et aménagés en Algérie, héritages des années Boumediene et Chadli, Paris, L’Harmattan, Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes, 2004, pp. 109-112.

Hadeid, M., Les mutations spatiales et sociales d’un espace à caractère steppique, le cas des Hautes Plaines sud-oranaises (Algérie occidentale), Thèse de Doctorat d’État en Géographie, Thèse soutenue dans le cadre de la co-tutelle entre l’Université d’Oran (Algérie) et l’Université de Franche-Comté (France), 2006, 506 pages.

Hadeid, M., « De l’habitat précaire au future centre-ville ou la dynamique d’un quartier central d’une ville steppique de l’Ouest Algérien, le cas d’El Bayadh », in actes du IIIème Colloque International : « Pratiques et connaissances des milieux et territoires », Publications de l’ENS, Tunis, 2002, pp : 203-219.

Le Coz, J., « Socialisme et localité, le deuxième cycle agraire de la Chine et de l’Algérie, deuxième partie: l’Algérie, décennie 1980 : Les étapes de la désocialisation », in Espace Rural, n° 24, Publication du Laboratoire de Géographie rurale de l’université Paul Valéry et de l’U.R.A.906 du C.N.R.S.” Dynamique de l’espace rural”, 1991.

Souiah, S.A., « Les conflits autour du foncier péri-urbain : les propriétaires-lotisseurs de Belkhadem (Mécheria, Algérie) », in petites et grandes villes du bassin méditerranéen (études autour de l’œuvre d’Etienne DELMASSO), Ecole Française de Rome, 1998, pp. 331-341.

URSA, Etude de restructuration du quartier Belkhadem, Mécheria, (wilaya de Naâma). Phase: I, diagnostic et options, URSA, Saïda, 1992, 54 pages + annexes.


Notes

1 Arch: tribu, Terre arch: terres de droit collectif.

2 DSA : Direction des services agricoles.

 

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