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Actantialiser ou déconstruire

Insaniyat N°17-18 | 2002 | Langues et Société - Langues et Discours | p. 71-77 | Texte intégral


Functional analysis or structural break down

Abstract : Social linguistics is a subject which is slightly grasped by institutions and didactics. By its subversive nature it has become a science like anthropology, a highly supervised one. This said, without the contribution of Algerian creative, ideological structures and imaginary conceptors, writers in particular, it is very important.
By criticizing the tools and investigation methods used by literary critics who are interested in literature concerning decolonization, whose processing is under the influence of so called scientific nattering on identification, authors illustrate their ideas by giving the example of two texts written about Mouloud Maameri’s novel “La colline oubliée 1953” [The forgotten hillside]. The two texts by Mohamed Cherif Sahli and Mostefa Lacheraf who insist on the renial and anachronism of romantic discourse the Algerian university literary critic which followed this renial argument as an achronism, has been impoverished, from hence the resort to interculturalism suggesting nothing new.

Key words : Sociolinguistics – Literary critic – Decolonization literature – Identification – Interculturalism – Didactic.


Aicha KASSOUL and Mohamed LAKHADAR-MAOUGAL : Docteur d’Etat  (en  littérature  et en linguistique), maîtres de conférences, Université d’Alger, 16 000, Alger, Algérie


Pourquoi traiter de la question des pratiques langagières dans le registre de l’écrit, et non pas dans la tradition établie des usages oraux de la langue, fait éminemment oral comme le soulignera plus d’une fois Ferdinand De Saussure ? C’est que la langue écrite est une partie constitutive non négligeable de la langue sociale, même si ses usages sont certes plus limités aux catégories sociales lettrées voire simplement alphabétisées.

La sociolinguistique, nouvelle discipline qui devait s’occuper de l’étude des variations de la langue, par conséquent de ses réalisations essentiellement orales, car la langue orale est plus proche de la parole que la langue écrite, la sociolinguistique donc a été captée à plusieurs reprises et très tôt par la nécessité de réfléchir sur les usages linguistiques pour aider à en comprendre les mécanismes et partant pour participer à la mise en place et en pratique des stratégies d’acquisition et d’apprentissage. Cette captation de la sociolinguistique par la didactique a préparé le terrain à sa transformation en discipline annexe de la didactique dont le but premier apparaît de plus en plus comme une nécessité d’adaptation des réalisations performatives individuelles aux exigences des règles de la langue institutionnelle et sociale, et partant écrite. A peine née, et en raison de son caractère quelque peu iconoclaste, elle est détournée par les institutions et happée par la didactique discipline disciplinée et maîtrisée qui travaille à renforcer les institutions et à assurer l’ordre disciplinaire dans le désordre de la recherche. La sociolinguistique, surtout dans des pays comme l’Algérie où elle garde un caractère éminemment subversif, iconoclaste et particulièrement créatif peut participer d’une manière directe à aiguiser les questions de politique linguistique et à aider à leur résolution à l’abri des manipulations politiciennes. De ce fait, elle est devenue comme l’anthropologie, une science sous haute surveillance. En un mot, la sociolinguistique est de plus en plus enfermée dans le carcan du registre utilitaire dont la pierre de base est l’enseignement où l’écrit se taille la place de choix.

Cette situation peut, toutefois, être d’un grand intérêt pour mettre à jour d’autres problèmes autrement plus complexes et partant aussi exaltants que ceux mûs par les luttes partisanes autour du processus de démocratisation linguistique et culturelle. En effet, interroger les structures de l’imaginaire créatif des idéologues et concepteurs d’imaginaires algériens, les écrivains en particulier, peut aider à saisir et à analyser les mécanismes acquis des processus de construction des stratégies discursives par lesquels l’expression de l’imaginaire, en particulier littéraire et culturel, transite.*

Notre intérêt a été, depuis quelques temps, capté par les controverses théoriques et méthodologiques que les chercheurs algériens en sciences humaines (en littérature et en linguistique en particulier)  adoptent, le plus souvent par mimétisme se faisant les répétiteurs des grandes controverses et des diatribes qui ont cours dans les cénacles les plus en vue des cités scientifiques d’ailleurs.

Au nombre des controverses qui tiennent le haut du pavé de ces dernières années, il y a tout lieu de mentionner tout particulièrement deux territorialités qui se suivent et en fait se ressemblent, même si aux yeux de certains chercheurs la seconde territorialité vient corriger la première et travaillerait à bouleverser, ce n’est là qu’une apparence voire une illusion, ses fondements et l’obliger à plus d’adéquation avec une certaine «modernité».

Les questions d’identité qui ont participé à tisser le réseau référentiel des analyses du texte littéraire périphérique, semblent ainsi avoir cédé la  place aux questions des registres culturels (intra- inter, multi, etc…).

En termes de sociolinguistique et de philosophie du langage, cela traduit une apparence de bouleversement épistémologique dans la recherche sur les pratiques langagières et mêmes linguistiques chez les producteurs de théories critiques destinées à analyser des pratiques discursives des créateurs d’imaginaires. La notion ou le concept de dynamisme communicatif, propre à la linguistique du texte[1] sur lequel reposait jusque là la réalité des performances et partant des compétences linguistiques a du faire une place à d’autres catégories comme le principe d’exprimabilité qui régit l’actantialisation langagière et la créativité[2]. Moins technique et moins didactique ce dernier corrige de fait les travers didacticiens de l’analyse des performances écrites de la pratique langagière et linguistique, en ce qu’il participe à mettre en équation des phénomènes plus complexes qui dépassent l’approche structurale binaire articulée sur la dichotomie, thème vs rhème.

La critique littéraire qui s’intéresse à la littérature de décolonisation a créé au nombre de ses outils et méthodes d’investigation dans ce type même de texte littéraire un argumentaire extra-textuel relevant du préjugé politico-idéologique à partir duquel tout texte littéraire venant de la sphère de la production littéraire de décolonisation se devait d’obéir au décryptage identitariste. La quête identitaire étant par essence un retour obligé de refoulé sur le passé mythique ou mythifié dans lequel se serait constituée l’identité pure et intégrale du colonisé aliéné par l’ordre colonial et dépersonnalisé par sa culture hégémonique et desconstructiviste, ouvre dès lors le champ à des problématisations qui saisissent le champ de l’expressivité, voire même de la communication, à travers le kaléidoscope de la personnalité éclatée du colonisé aliéné porteuse de traces culturelles, qui bien qu’historicisées, n’en sont pas moins perçues comme essentielles.  Au nombre des socles identitaires les plus considérés comme particulièrement tenaces et stables, cette critique littéraire para-linguistique retient l’outil d’expression, c’est à dire la langue déconstruite et le genre littéraire «bâtard». De la sorte, la perte de la langue d’origine (!) s’accommoderait de la perte de l’identité. Cette égalité primaire ou cette singulière identité remarquable, pourtant fort élémentaire est d’une terrible mécanique. Elle fonde dans la mythologie et dans la mystification un socle fictif ayant pour vocation de devenir plus vrai que la réalité, réalité pourtant fort connue et maintenant bien maîtrisée par les linguistes, à savoir,  d’une part, qu’il n’y a jamais eu de langue pure[3] et qu’il n’y en aura jamais et que partant les identités pures sont de bien affligeantes autant que dangereuses mythifications qui ont conduit et à l’arianisme racial et linguistique et au totalitarisme culturel et linguistique.

Le développement de l’expressivité des créateurs algériens dans la variation des usages oraux et écrits des langues et des territorialités d’interlangues qu’ils utilisent, a fini par battre en brèche toute cette construction mythique ainsi que toute prétendue déconstruction structurelle assaisonnée à l’interculturalisme flou à souhait et confus à profusion.

C’est au développement de la sociolinguistique que la critique littéraire, surtout la sociocritique, se doit d’avoir été déchargée d’un bavardage pseudo scientifique sur l’identitarisme auquel rares auront échappé les chercheurs les plus ou moins avertis. L’exemple le plus probant dans cette littérature de décolonisation est donné par le traitement réducteur à volonté auquel aura été soumis le texte littéraire algérien particulièrement francophone, assimilé au créole (langue déconstruite ou en déconstruction) parce que l’intellectuel algérien francophone est vu et pensé par cette critique et par ses tenants comme un pied-noir ou un afro-américain voire un caraibien. Cela relève d’une vision partielle et partiale qui cible la focalisation de l’aliénation sur le seul critère linguistique, sans tenir compte du degré d’ autonomisation que la conscience de langue a pu parcourir et s’établir dans cette territorialité. Par certains effets pervers de l’insistance de la primauté de la lecture politique et idéologique du fait littéraire et de l’exercice périlleux de la critique socio-politique, voire symbolique.

Le cas symptomatique c’est celui de la naissance de la critique littéraire universitaire algérienne. Née d’un malentendu voire même d’une incompréhension à partir desquels s’est mis en place un argumentaire militant sectaire et réducteur, la critique littéraire a instrumentalisé la diatribe idéologico-politique comme arme militante mais dans le cadre de l’enseignement et de la formation universitaire. Deux exemples nous paraissent suffisamment édifiants en la circonstance. Nous ne les étudierons pas en détails mais nous les appréhenderons à titre illustratif.

En 1953, au printemps de cette même année deux jeunes militants du mouvements national du MTLD s’attaquent de manière virulente à un jeune écrivain qui, pour un coup d’essai réussit un coup de maître en publiant un premier roman aussitôt primé : la colline oubliée de Mouloud Mammeri. L’argumentaire des deux critiques en herbe articule deux concepts politique et idéologique : le reniement et l’anachronisme.

Les deux textes de Mohamed Chérif Sahli et de Mostefa Lacheraf n’étant ni l’un ni l’autre de facture académique et/ou universitaire mais relevant du registre de  la diatribe politique militante, nous jugeons leur étude et analyse inappropriées,  préférant nous concentrer sur les discours universitaires qui sont nés à partir de leurs jugements incisifs et partant injustes.

Sur les traces de l’argument du reniement comme sur celui de l’anachronisme, la critique universitaire algérienne élabore l’idéologie critique de l’assimilationnisme et ouvre par conséquent la voie à l’identitarisme qui deviendra, depuis, une vérité difficilement contournable dans les études critiques. Les écrivains algériens francophones sont alors frappés, tous et toutes, d’incapacité à s’exprimer dans la langue de leur peuple et partant ne sont plus aptes à en exprimer les racines culturelles attendu qu’ils auront fait l’objet d’une déculturation – acculturation et leurs pratiques langagières, linguistiques et esthétiques sont mises à l’index dans l’institution elle-même et bien entendu dans la vie culturelle du pays. Cette école de critique naissante accentue la pression politicienne en accompagnant l’idéologie politique centralisatrice et uniformisatrice qui ossifie et réduit l’identité algérienne à un segment unique : le segment arabo-islamique, exclusif de tout autre segment. Le hasard a voulu que les premiers romanciers,  parmi ceux qui étaient le plus en vue, se trouvaient être en majorité berbéro-francophones comme Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri pour les plus en vue. L’identitarisme qui va les caractériser est en grande partie compris et proposé à la lecture comme étant le résultat de leurs origines berbères et de leurs formations dans l’institution scolaire française, ce qui aboutit à la conclusion de leur dépersonnalisation et de leur acculturation. Cette conception est systématisée par une thèse de doctorat d’Etat soutenue à Paris et préfacée pour publication par Mostefa Lacheraf, justement et à propos[4].

Le plus curieux dans cette histoire, c’est la prétention incompréhensible qui a fait chavirer et dériver la critique universitaire algérienne de la somme toute relative légitimité politicienne et idéologique qui tranche sur le plan de l’identité des écrivains producteurs de discours autant que sur celle de leurs pratiques langagières vers l’absolue absurdité devenue une arme d’accompagnement qui prétend détecter voire débusquer le caractère colonialiste ou à tout le moins colonial de certains écrivains pieds-noirs engagés et partant de leurs productions langagières frappées elles-aussi de suspicion. Ainsi l’étrangeté[5] et la bâtardise sera à Albert Camus et à tous les auteurs algériens qu’il aura influencés[6] ce que l’anachronisme ou le reniement fut pour Mouloud Mammeri et l’aliénation assimilationniste pour Mouloud feraoun.

L’identitarisme ne faisant plus recette, ou si peu, tant il fut décrié ou démasqué comme lecture appauvrissante et réductrice, c’est à son opposé et antidote, l’interculturalisme qu’il sera fait appel pour redonner du souffle à une lecture critique socio-symbolique. Ce déplacement épistémologique en lui-même est intéressant autant que significatif. Il exprime comme une espèce d’émancipation des littératures de décolonisation et de leurs problématiques d’études critiques vers des problématisations de centralité et de périphérisation plus ajustées aux questionnements comparatistes. Dans cette apparente valorisation statutaire, le questionnement reste pourtant entier, au regard des grandes controverses en matière de critique littéraires et de leurs théorisations avec des confrontations quelques peu véhémentes entre les écoles européennes marquées surtout par les influences françaises comme noyau dur et central et les écoles anglo-saxonnes, surtout les américaines depuis peu émancipées et autonomisées de la critique française après les diatribes qui auront opposé les philosophes du langage du courant analytique de Austin-Searle contre le courant de Jonathan Culler, le représentant francophile de la critique littéraire américaine.

Le recentrage sur l’interculturalité en lieu et place de l’identitarisme, dont l’école marocaine (Rabat en particulier et Marrakech) de critique de la littérature maghrébine se fait aujourd’hui le champion à partir d’un glissement de polarité et de centralité où Paris et Lyon ainsi que Montpellier ont dû céder le pas à  Princeton et à Laval, est un changement de perspective qui, en fait, ne propose rien de nouveau. L’interculturel franco-américain ne sera qu’une tentative de redéploiement de stratégies discursives de la critique littéraire tant qu’il restera prisonnier de questionnements qui tournent le dos à l’apport incontournable de la sociolinguistique et de la philosophie du langage[7]. Si l’interculturalité ne se situe pas ouvertement dans la perspective de l’actantialité langagière et linguistique qui commande les pratiques langagières et structurent les stratégies des constructions linguistiques et de la normativité comportementale[8], il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’elle continuera à alimenter le marécage didactique et critique de la recherche de la trace modernitaire à travers les processus de déconstruction, participant d’une philosophie du mouvement à la manière de Plekhanov et de Kautsky, philosophie que les tenants de l’étapisme et du transformisme par accumulation et par mutation du quantitatif au qualitatif, qui travaille l’esprit et la mémoire et qui donc joue un rôle dans les processus d’appropriation des savoirs et des savoirs faire, ont condamné à la désuétude et dont seul l’école française de Derrida continue contre vents et marées à marchander alors même qu’elle a été confondue d’ «indigence intellectuelle».


Notes

[1]- Combette, B : La grammaire textuelle.- Paris, édition Duculot, 1986.

[2]- Searle, J. R. : Les actes de langage.- Paris, (1972), édition Hermann, 1979.

[3]- Voir les recommandations du Cercle de Prague, du début du siècle.

[4]- Achour-Chaulet, C. :  Abécédaire en devenir.- Alger, ENAP, Thèse de doctorat d’Etat,  préface de Lacheraf, Mostefa, 1977.

[5]- Achour-Chaulet, C. : Un étranger bien familier.- Alger, ENAP, 1974.

[6]- Khadda-Belkaïd, N.: Naissance du roman algérien dans l’Algérie coloniale, un Royal Bâtard.- In Regards sur les littératures coloniales, Paris, L’Harmattan T.1 Afrique Francophone – Découvertes, 2000.- p.p.  103-124.

[7]- Searle, J. R. : Déconstruction. Le langage dans tous ses états.- Edition de l’éclat, 1983.  - Traduction et postface de Cometti,  J-Pierre, tiré à part, 1994.

[8]- Searle, J. R. (1972) : Les actes de langage.- Paris,  édition Hermann, 1982.

  Maougal, M. L. : Les valeurs normatives et les présupposés culturels.- In Colloque International sur la place des formes d’expressions populaires dans la définition d’une culture nationale.- Tizi Ouzou 20/22  nov 1999. 

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