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« Le littéraire entre le sacré et le profane » Colloque international ; 5 -7 avril 2002, Hammamet (Tunisie)

Le rapport du sacré à la littérature de langue française pose un certain nombre de problématiques qui relèvent de la médiation entre le divin et l'humain, le surnaturel et naturel, le rituel et le symbolique d'une part et leurs transgressions d'autre part. Présentant un caractère mystérieux tantôt attirant, tantôt repoussant, "l'objet sacré nous inspire, sinon de la crainte, du moins un respect qui nous écarte de lui, qui nous tient à distance ;  et en même temps il est objet d'amour et de désir" (Durkheim, 1967/68).

Dans ce sens, "le texte littéraire constitue un espace de prédilection où s'affrontent,  "se confrontent" les paradoxes d'une société en butte à ses propres contradictions, ancrage du primitif et du culturel qui hantent les grandes civilisations théocratiques. Si l'art sacré fournit une expérience manifeste entre l'universel et le particulier, c'est dans son essence même que s'impose le profane" (Voir la problématique du colloque: www.limag.com).

Pour aborder ce thème très sensible au regard de l'actualité, le Groupe de Recherches sur les Littératures de Langue Française (GRLLF) du département de Français (Faculté des Sciences Humaines et Sociales, Université de Tunis I) sous la férule du dynamique comité d'organisation qui se compose de Mesdames Sonia Zlitni Fitouri et Wafa Bsais Ourari et de Monsieur Ahmed Mahfoud, s'est attelé à regrouper plusieurs écrivains et spécialistes de la littérature autour du thème "le Sacré et le Profane dans les Littératures de langue française".

En posant les questions suivantes: Comment se traduisent les manifestations du profane dans l'intervalle de l'indicible? Dans quelle mesure la littérature de langue française reprend-elle en compte cette dialectique du sacré et du profane? Le GRLLF a invité les participants à réfléchir  sur les réponses appropriées en traitant des axes suivants:

  • Les représentations du sacré et du profane dans les littératures de langue française (figures du sacré, croyances, soufisme, mystique, manifestations du profane, de tout ce qui est étranger à la religion).
  • Interaction entre le profane et le sacré: peut-on combiner ces deux notions pourtant dialectiques? Peut-on percevoir l'univers littéraire comme dépositaire d'un savoir ou comme générateur de sens?
  • Les manifestations du sacré et du profane dans l'écriture (fascination/rejet, parodie, pastiche/apologie, emprunts, ect.).

L'écrivain de langue française ( Maghrébin, Noir- africain, Antillais, Belge, Suisse, Canadien, ect.), bénéficiant du recul de celui qui peut comparer deux civilisations, faisant jouer l'une contre l'autre, aspire à un équilibre toujours éloigné, car utopique ; il tend par l'écriture à dépasser les faiblesses de la nature humaine et tente quelquefois de la maîtriser.

Dans cette quête scripturale se constituent les enjeux du sacré et de sa contestation: contestation des croyances religieuses, culturelles de la civilisation d'accueil dont il démonte les mécanismes du fait même qu'elle conduit à la désillusion toute sorte de personnages (élève de l'école française, immigré, ect.) ;  mais surtout contestation des valeurs sacrées du milieu d'origine que l'écrivain investit à sa manière en jouant sur le sacré et sa profanation poétique.

En effet, les enjeux sont beaucoup plus importants au niveau de l'écriture: par des procédés tels que la parodie ou le pastiche du discours religieux, par les emprunts corrects ou déformés à des textes sacrés, par le réinvestissement des codes sacrés, l'écrivain de langue française définit sa position et affirme sa vision du monde.

 Ont participé à cette rencontre, des chercheurs de Tunisie, d’Algérie, de France, de Belgique, d’Ecosse, du Canada, d’Italie, du Maroc, d’Egypte, d’Espagne et des Etats-Unis. En dépit de quelques absences, le colloque a été une réussite sur les plans de l’organisation et de la qualité des communications et des débats.

 Plusieurs interventions ont suscité l'intérêt de l'assistance ; on peut citer de brillantes interventions parmi lesquelles celle de Sonia Fitouri qui a porté sur " Le jeu du sacré et du profane dans La Macération et La Prise de Gibraltar de Rachid Boudjedra". L'auteur de la communication s'est appuyé sur la définition durkheimenienne du  sacré et du profane, pour tracer la frontière qui existe entre ces deux phénomènes culturels ; pour elle, Boudjedra prend pour cible de profanation le Grand Livre en désacralisant la figure du patriarche, en transgressant et en subvertissant dans ses textes les rites et les traditions ancestrales. Quant à Wafa Ourari qui a pris pour corpus les écrits de Abdelkébir Khatibi, elle a essayé d'en faire une lecture phénoménologique et herméneutique pour aboutir à des conclusions très intéressantes concernant les problématiques abordées par cet écrivain marocain. On peut citer aussi celle d'Ali Abassi qui a essayé de dresser un essai définitoire du sacré dans quelques romans tunisiens de langue française et celle aussi d'Ahmed Mahfoud, qui a tenté d'aborder l'érotisme et le sacré dans l'œuvre de Meddeb.

Celle de Jacques Chevrier qui a tourné autour du masque volé dans "l'Afrique fantôme" de Michel Leiris et "Noces sacrées" de Seydou Bédian Kouyaté, en essayant de porter un regard croisé sur des discours anthropologiques qui se situent de part et d'autre du lieu d'énonciation (intérieur/extérieur). Quant à Francesca Todesco, elle a mis en relief le conflit entre le sacré et le profane qui s'exacerbe pour aboutir sur la violence, car pour elle la modernité perturbe les valeurs ancestrales. Touriya Fili a pris pour thème de la participation du sacré ou détournement du genre hagiographique dans le roman " l'Homme du Livre" de Driss Chraibi.

En somme, une trentaine de communications s’est étalée sur trois jours pleins de travaux, un marathon pourrait-on dire ; la diversité des sujets, des parlures et des interlocuteurs était présente d'une manière évidente, signe d'une grande richesse. Les approches qui étaient successives, contrastées et complémentaires, abondaient dans deux directions : historique et a-historique (temporalité cyclique de la dimension du sacré) ; le passage du mythe au conte et au roman a été relevé.

Le rapport complexe du sacré au profane a fait l'objet de plusieurs de définitions qui se multiplient au gré des communications, ce qui dénote des frontières étanches entre ces deux phénomènes culturels. Le sacré n'est pas synonyme du religieux, mais il conduit parfois à un vacillement, comme il peut basculer dans la dérision et le carnavalesque. Ainsi l'écriture devient une arme entre les mains des poètes  pour dynamiter les pouvoirs qui se réclament du religieux et du sacré, en procédant à la théatralisation, l'eschatologique, le rejet du sacré et enfin le carnavalesque. Le rapport du temps avec le sacré a été aussi abordé, c'est-à-dire la permanence de ce dernier ainsi que sa déclinaison ou sa disparition.

Il faut peut être noter la présence de Jacques Chevrier de l'Université de la Sorbonne, Paris IV qui a suivi assidûment les travaux du colloque pour en donner à la clôture une synthèse très concise des communications présentées durant ces trois jours.

auteur

Mohamed Daoud

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