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L’Algérie et le classement IDH du PNUD : ou les méandres des indices composites

Insaniyat N°17-18 | 2002 | Langues et Société - Langues et Discours | p. 225-230 | Texte intégral


Saada CHOUGRANI :  Médecin Epidémiologiste, EHS Pédiatrique de Canastel, Faculté de Médecine de l’Université d’Oran, RESSMA Algérie


100ème mondial au classement IDH[1] (indice de développement humain)! 100ème derrière des pays moins riches, est-ce- une honte pour l’Algérie! De nombreuses réactions ont été publiées çà et là dans les médias algériens au moment de la publication du rapport 2001. Beaucoup de personnes ont été scandalisées.

Si c’est une question de fierté nationale rappelons-nous les résultats du TMM5 (taux de mortalité des moins de 5 ans, indicateur UNICEF[2]) de Cuba et des USA en 1999 de l’ordre de 8 p.1000 ex æquo à la 158ème place (dans un ordre décroissant) (sur 187 pays) avec respectivement un PNB 1170$ et 29080$. Les USA auraient pu avoir le même ressentiment ! En tant qu’ «actionnaire» majoritaire dans les instances internationales, ils n’ont pas été gênés par de tels «résultats». Au contraire, ils ont continué à appliquer leur propre stratégie nationale, car c’est là l’essentiel.

Pour nous algériens, si nous sommes mal classés à l’IDH, avec le TMM5 en 1999 nous pouvons nous consoler, un tant soit peu, de la 87ème… place avec un TMM5 de 41 p.1000 ex aequo avec la Chine (PNB 780$), devant le Maroc 53 p.1000 (72ème et 1200$), l’Egypte 52 p.1000 (73ème et 1400$), l’Afrique du Sud 69 p.1000 (66ème et 3160$) mais tout de même derrière la Tunisie 30 p.1000 (101ème et 2100$), la Libye 22 p.1000 (123ème et 5540$) et bien loin des Emirats Arabes Unis 9 p.1000 (154ème et … 17870 $). 

La question des indices et de la globalisation :

Mais tout cela n’est que chiffre et statistique. Est-ce la chose la plus importante aujourd’hui qu’un classement mondial dans le cadre de la globalisation ? Mais globalisation au profit et au service de qui ?

Ceci nous amène à discuter des indicateurs utilisés sur le plan mondial par les organismes tels que le PNUD, l’OMS, la BM, le FMI…

Le problème des indices composites comme l’IDH pose le problème des méthodologies utilisées, des contextes et des politiques des pays. Les résultats obtenus paraissent parfois en décalage avec la réalité. A titre d’exemple dans le rapport OMS sur la santé paru en 2000, la France s’est  retrouvée en première position au grand étonnement des français eux-mêmes.

G. de Pouvourville[3], président du collège de économistes de la santé (France) faisait des reproches sur la méthodologie suivie dans le sens où il y avait «un biais de classement lié à la dominance du critère "mortalité/espérance de vie" sur les autres critères, à la fois en termes de pondération mais aussi de caractère discriminant de la mesure...». 

Pour rappel, l’indice composite de l’OMS détermine des performances globales[4]. Il est calculé sur la base de cinq critères : état de santé général, répartition de cet état de santé, réactivité globale du système de santé, répartition de cette réactivité et équité des contributions financières.

L’état de santé est représenté par l’espérance de vie corrigée des incapacités et sa répartition par un indice d’égalité de survie des enfants.

La réactivité et sa répartition sont calculées à partir de réponses à des enquêtes consacrées au respect des patients et à l’aptitude à répondre à leurs attentes.

Enfin, l’estimation de l’équité des contributions financières se fonde sur la fraction de la capacité de paiement des ménages (revenu moins dépenses alimentaires) consacrée aux soins de santé.

Ces indicateurs sont construits, en bonne partie, à partir de la méthode des informateurs-clés (Key Informant Survey) (décideurs, professionnels, usagers, associations, médias, y compris les non nationaux et les non résidents) dans chaque pays.

Les polémiques et controverses suscitées par le Rapport OMS :

Habituellement l’OMS fait coïncider la publication de son rapport annuel avec la tenue de l’assemblée mondiale qui a lieu chaque année au mois d’Avril. Cette année est exceptionnelle ! C’est l’année des fortes hostilités, il est prévu pour le mois d’octobre.

Beaucoup de pays comme le Vietnam, le Brésil ou même des instituts spécialisés dans le domaine de l'économie de la santé et des politiques de santé ont vivement réagi contre la méthodologie utilisée. Les autorités du Vietnam[5] ont réagi au rapport en attirant l’attention des responsables de l’OMS sur les capacités des pays pauvres à disposer de certaines ressources en information. Ils pensent que l’indicateur DALE (disability adjusted life expectancy) (espérance de vie corrigée des incapacités) n’est pas assez robuste pour mesurer les gains dus au système de santé par  rapport aux autres déterminants pauvreté, éducation, revenu, plus simples à obtenir…

Certains auteurs, tel Alan Williams[6], ont été très durs avec les experts de l’OMS. Il pense que :  «Les données sous-jacentes sont peu robustes et de qualité douteuse… Elles sont estimées et ne sont pas des données réelles provenant d’études dans les pays cités…». De plus, concernant le Danemark et les USA, l’ensemble des données n’a pas été utilisé pour la comparaison, laissant dire à l’auteur que la comparaison a concerné deux pays fictifs.

Avec la même sévérité l’«Institute for Health Sector Development» (London) estime que la méthodologie est complexe, extrêmement difficile à comprendre, basée sur des suppositions douteuses et pas bien décrite[7]

Adam Wagstaff[8] de la Banque Mondiale, s’intéresse, quant à lui, plus particulièrement à la mesure de l’équité. Selon lui, l’index utilisé dans le classement OMS ne permet pas de distinguer les différents systèmes de financement de la santé et entre les types d’équité.

Un récent article comparant la performance des systèmes de santé dans 17 pays industrialisés a montré une nette différence entre le classement de l’OMS et la perception des usagers des systèmes de santé. Les auteurs se demandent qui est meilleur juge l’usager des services de santé ou l’expert en santé publique. Ils suggèrent d’inclure aussi bien l’avis des experts que celui des usagers[9]

Pour l’OCDE, le classement est également remis en cause. Le haut du classement regroupe la France, en tête, accompagnée de l’Espagne et de l’Italie reléguant derrière eux des pays comme la Suède, le Canada, l’Allemagne considérés comme des modèles de l’avis aussi bien des spécialistes que des usagers.

A titre comparatif, la France 1ère au classement OMS est crédité d’un taux de satisfaction des usagers de seulement 65%. Le Danemark, 16ème OMS a le meilleur taux de « satisfaction des usagers » avec 91%. En matière de réactivité des systèmes de santé, les USA sont 1ers à l’OMS mais uniquement 40ème dans l’étude satisfaction des usagers (Eurobarometer -Europe- et Harvard School Public Health (IRC) USA et Canada[10]).

Pour V. Navarro[11] ce classement n’a aucun sens dans la mesure où l’on retrouve l’Espagne et l’Italie mieux classés que les pays nordiques, traditionnellement plus avancés dans le secteur de la santé.

Enfin, malgré des exemples très documentés pour aider à remplir le questionnaire, la représentation individuelle domine et influence fortement le jugement sur la performance. On ne peut faire l’impasse sur les dominantes culturelles, chaque individu s’y réfère à tout moment. La parfaite situation de «rigueur scientifique» est illusoire. L’opinion de l’informateur-clé sur le système de santé en général et sur l’accessibilité des services de santé est donc entaché de très forte subjectivité.

L’essentiel et le secondaire :

Au delà de la 100ème place à l’IDH, ce qu’il faudrait retenir malgré  les 5063 $ en PPA (parité de pouvoir d’achat), c’est le différentiel de classement  PIB (PPA) - IDH de moins 26 places. Au même moment le Vietnam classé à la 101ème place a une différentiel de + 19 places. L’Ouzbekstan, notre voisin de la 99ème place IDH, a aussi une différentiel positif de 15 places.

L’autre fléau consiste en un Taux mortalité maternelle très élevé. De l’ordre de 220 p. 100.000 naissances vivantes, il est du même niveau que celui de la République Dominicaine, du Maroc, du Myanmar, et de la Namibie avec 230 p.100.000.

La dernière étude nationale de l’INSP Alger, en 2000, a révélé des vérités dramatiques pour les femmes en âge de procréer et les mères en particulier. La publication de ces résultats[12] devrait réveiller beaucoup de consciences, du moins on l’espère.

Les autres aspects du rapport du PNUD qui doivent également retenir notre attention c’est la partie réservée au développement technologique.

Notre place n’est pas très reluisante. Si l’Algérie est classée comme pays utilisateur dynamique de technologie, elle est étiquetée pays sans technopole. A notre frontière Est, la Tunisie, qui a investi fortement et vigoureusement dans les nouvelles technologies, est dotée de sa propre technopole à El Ghazala. Elle est représentée, même si c’est en dernière position en compagnie de l’Afrique du Sud, dans un prestigieux classement qui tient compte de plusieurs facteurs : «la capacité des universités et des laboratoires de recherche à former une main-d’œuvre qualifiée et à développer des technologies nouvelles, la présence d’entreprises et de multinationales renommées fournissant expertise et stabilité économique, l’esprit d’initiative de la population pour créer des entreprises et la disponibilité de capital-risque permettant aux idées de se concrétiser.»[13]

En guise de conclusion:

Généralement un indicateur est construit pour des objectifs déterminés dans le cadre d’une problématique particulière et pour une action mesurable. N’oublions pas qu’un indicateur permet de synthétiser l’information et que son effet réducteur entraîne une perte d’information. Et c’est là tout le «drame» des indicateurs et de certains paramètres statistiques comme la moyenne.

Utiliser certains indicateurs pour des objectifs différents de ceux pour lesquels ils ont été conçus peut conduire à prendre des décisions mauvaises, sinon les pires. Certes, il s’agit pour des organismes internationaux (supranationaux) d’avoir des outils pour la comparaison inter-pays et pour dresser les tendances, mais ceci doit nous obliger à plus de rigueur et de prudence en terme d’utilisation pour des prises de décisions internes.

Ces remarques sont également valables pour la mesure du seuil de pauvreté, lui aussi objet de polémique et de controverse scientifique. Que mesure-t-on exactement, la pauvreté ou l’absence de pauvreté ? Quels sont les critères d’inclusion et d’exclusion dans la définition retenue ? Les frontières sont généralement difficiles à établir entre la présence d’un caractère et son  absence, surtout quand il est qualitatif, où il est question d’appréciations difficilement reproductibles. Les cas limites peuvent appartenir aussi bien à la première qu’à la seconde catégorie. D’où le problème des difficultés à estimer le phénomène.

En définitive, c’est la stratégie à adopter qui permettra d’opter pour tel ou tel outil de mesure avec ses caractéristiques de repérage des vrais cas (pour l’exemple les pauvres identifiés par l’outil et les pauvres non repérés par l’outil). Tout est question de seuil à retenir dans la définition. Plus le seuil est bas plus on aura de pauvres, plus le seuil est haut moins on aura de pauvres. C’est une question de barre à placer. Où placer la barre : c’est l’affaire de la politique de développement du pays.


Notes

[1]- PNUD. Rapport IDH. Juillet 2001. Disponible URL :

http://www.undp.org/hdr2001/french/complet-f.pdf

[2]- Statistiques UNICEF 2001.

[3]- Dupilet, C. : interview de G. de Pouvourville. Medcost du 03/04/01. URL : www.medcost.fr

[4]- WHR 2000. World health report 2000. WHO, Geneva 2000.

[5]- Comments and suggestions of Vietnam Ministry of Health/Health Policy Unit. Disponible : http://www.healthsystemsrc.org/hspdocs.htm#Viet.

[6]- Alan, Williams. SCIENCE OR MARKETING AT WHO? A Commentary on “World Health 2000”.

Centre for Health Economics, University of York, England. Jan 2001. Disponible URL: http://www.fiocruz.br/cict/dis/1_WHOlatest.pdf

[7]- Resource Centre for Health Sector Reform . World Health Report 2000 – Summary and Comments. The Institute for Health Sector Development, London, July 2000

[8]- Adam Wagstaff. Measuring Equity in Health Care Financing: Reflections on and Alternatives to the World Health Organization’s Fairness of Financing Index. Development Research Group and Human Development Network World Bank.  Disponible URL : http://www.healthsystemsrc.org/Pdfs/Wagstaff 1.pdf.

[9]- R- J. Blendon, M Kim, J-M. Benson. The Public Versus The World Health Organization On Health System Performance Who is better qualified to judge health care systems: public health experts or the people who use health care? HEALTH AFFAIRS. Volume 20, Number 3. May-June 2001 ; 10-20.

[10]- idem.

[11]- V. Navarro. Assessment of the World Health Report 2000. The Lancet. 2000 Nov 4; 356 (9241): 1598-601.

[12]- Résultats disponibles à l’URL http://www.ands.dz/insp/mortalite-maternelle. PDF

[13]- Les grands centres d’innovation technologique dans le monde. In : Les transformations technologiques d’aujourd’hui: vers la société en réseau. PNUD. Rapport IDH 2001. Carte 2.1 ; p.45. Juillet 2001.

 

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