Sélectionnez votre langue

Camille LACOSTE-DUJARDIN, La vaillance des femmes. Relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie

La vaillance des femmes est le fruit d’une analyse réalisée par Camille Lacoste-Dujardin à partir de récits de femmes kabyles. Ce qui a amené l’auteure à réaliser une telle étude, est la violence des récits et ce qui l’a intriguée, c’est l’histoire du terrifiant personnage de Teryel (l’ogresse) évoqué par les conteuses. Teryel est une forme féminine de l’ogre originel dans la culture berbère en Kabylie. Cette force d’expression a provoqué la curiosité de l’auteure qui s’est posée la question : pourquoi les femmes ont-elles envie de faire peur ?

Pour l’auteure, ces récits sont une forme d’enseignement transmise d’une génération à l’autre ; ils permettent de découvrir la relation de la femme kabyle avec l’homme durant la période précoloniale. Les conteuses nous racontent un des aspects de la vie familiale kabyle, celui où les hommes exigeaient des femmes qu’elles aient des garçons dans le but de renforcer la famille… Selon ces contes, le pouvoir d’une famille dépend du nombre de ses garçons. Dans ces mêmes textes, la fécondité représente à la fois la seule source de pouvoir possible et d’enrichissement pour les hommes kabyles. La situation entre l’homme et la femme est inégalitaire. Les femmes qui ne sont nullement dupes de l’inégalité imposée par les hommes refusent de se soumettre à cet état en utilisant leurs propres armes. Dans les histoires qu’elles narrent à leurs enfants, elles détaillent les dysfonctionnements sociaux dont elles sont victimes. Car leur objectif est d’influencer les futurs comportements de leurs enfants. Ainsi, les femmes kabyles usent des personnages de femmes subversives, malfaisantes et violentes. Ces femmes, tel le personnage de Teryel, sont la personnification de l’anti-femme, celle qui refuse de s’asservir à la communauté des hommes. Teryel vit dans la nature sauvage et se plaît à dévorer de jeunes garçons. C’est une femme indépendante, sans homme. Elle manifeste toujours son refus de la procréation de garçons. Pour transgresser l’exigence masculine, elle n’a qu’une seule fille « la belle Nouja ». D’autres rôles de personnages effrayants masculins qui ont été féminisés sont présents dans ces contes. Nous pouvons citer le dragon des fontaines détenteur de l’eau surgissant d’une fontaine sous la forme de l’ « hydre ». Féminisé, il devient Talafsa, la dispensatrice de l’eau féconde. Cette hydre kabyle exige des villageois, propriétaires de la fontaine, de lui livrer chaque année une vierge, faute de quoi, elle retiendra l’eau dont s’alimente le village. Elle est, tout autant que Teryel, la personnification d’une féminité dévorante.

Le répertoire féminin offre une autre forme féminine ; c’est celle d’une femme qui ose défier les hommes, Tadellala. Son nom est la féminisation de « colporteur ». Elle concurrence les hommes sur leurs propres territoires comme le marché et investit des domaines qui sont interdits aux femmes comme le cortège funèbre... Elle n’est pas un ogre dévorant comme Teryel et Talafsa, mais une femme audacieuse qui ose défier l’autorité du sultan lui-même en devenant elle-même sultan. Elle est féconde, mais n’enfante que des filles. Elle vit sans mari, libre de toute dépendance masculine.

Toutes ces représentations féminines manifestent à la fois la lucidité et la volonté de résistance des femmes kabyles face à l’adversité des hommes. Par ailleurs, les femmes utilisent d’autres armes. A l’action éducative des enfants, elles ajoutent maintes tentatives de subversion de certaines règles, jusqu’à celle de la parenté, par laquelle les hommes organisent la société sous leur autorité comme par exemple, la règle de la filiation par le lait. En effet, quand la femme donne son lait à un autre enfant, elle établit un contre-pouvoir en imposant la parenté par l’allaitement. C’est aussi le cas dans le mythe de l’enfant endormi quand la société accepte, pour des raisons sociales, de « prolonger » la gestation de l’enfant dans le ventre de la mère.

Les femmes kabyles usent de nombreuses pratiques magico-religieuses redoutées par les hommes. Pour l’anthropologue Nedjma Plantade « qui dit rapport des femmes aux hommes, dit rapport des femmes à la magie ». Elles ont une certaine autonomie parce que souvent, elles sont sans époux. La magie devient ainsi une arme contre l’échec de la procréation. La magie est souvent présente dans les activités qu’elles exercent comme la poterie et le tissage. Elles fabriquent des jarres en poterie qui ont la forme de ventres féconds. Ainsi, la poterie évoque le mystère de la gestation : « la poterie dans le feu est comme l’enfant dans le sein matériel, nul ne sait s’il sortira droit ou tordu ». En outre, le tissage a aussi un lien avec la magie. La longueur du fil de lisse doit être égale à la taille du mari, noué autant de fois que d’années souhaitées avant la première maternité ou une autre naissance, puis enfermé dans un nouet.   

Pour l’auteure, les femmes kabyles ont utilisé des stratégies à travers les contes qu’elles narraient aux enfants, filles et garçons. Elles ont inculqué leurs propres représentations des relations hommes-femmes en faisant preuve d’une grande lucidité en dénonçant le régime du patriarcat.

Sara HEDIA

 

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche