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Mohammed Brahim SALHI, Algérie : citoyenneté et identité

Mohamed Brahim Salhi nous propose dans la suite de ses travaux[1] un nouvel ouvrage consacré aux rapports entre citoyenneté et identité en Algérie. Cette publication constitue en fait une synthèse de diverses contributions déjà publiées par l’auteur, certaines dans Insaniyat[2], fruits d’un travail de recherche, mené durant une vingtaine d’années. Ahmed Mahiou souligne dans la préface l’utilité de l’ouvrage, rendant ainsi hommage aux qualités d’observation, d’analyse et d’objectivité de l’auteur.

S’appuyant sur une méthode socio-historique, l’auteur repense deux notions liées l’une à l’autre : la " citoyenneté " et l’" identité ". L’émergence de la première est en rapport direct avec la modernité pensée comme " vision du monde " et avec la modernisation comme étant une " action sur le monde ". L’auteur montre que c’est dans l’opposition au colonialisme que les Algériens se sont appropriés les instruments universels de la modernité.

L’investigation de l’espace public par la constitution des partis et mouvements politiques et la revendication des Droits de l’homme et du citoyen étaient en rapport avec le contexte de la colonisation. Sachant que «  la quête de la modernité n’a pas toujours signifié rupture avec les valeurs de la société », il est difficile de déterminer si la modernité représentait un objectif politico-social ou simplement une tactique de circonstance. Il convient, toutefois, de souligner que l’appropriation de l’héritage républicain et jacobin par le Mouvement national algérien reste un fait historique incontestable.

La construction de la citoyenneté pose deux grandes questions, l’une liée au " sentiment " d’appartenance (l’identité) et l’autre aux conflits politico-identitaires. La citoyenneté se compose et se recompose par les conflits qui constituent des «  moments intenses de recomposition de la citoyenneté ». A partir d’une réflexion sur les conflits que le pays connaissait depuis le milieu du siècle dernier, l’auteur développe ses idées concernant les processus de la construction de la citoyenneté.

L’objectif de M. B. Salhi est de montrer l’importance primordiale du contexte historique dans l’émergence de la citoyenneté et des conditions de son exercice. Dans ce processus historique, apparaissent les revendications distinctes ou même complémentaires, visant une citoyenneté complète. Celles-ci se déclinent en quatre moments :         

- La revendication culturelle berbère en 1980 et en 2001 visait la réhabilitation des diversités culturelles et espérait à une « citoyenneté pleine ». La fin du 20ème siècle en Algérie est donc caractérisée par le retour du local et la réinvention de " l’Aarch " comme sorte de modèle de substitution à  « l’Etat-Providence qui assure des droits sociaux sans garantir les libertés et les droits à la diversité ».

- La revendication féminine révèle que rien ou si peu est fait pour sortir les femmes de leur état de mineures perpétuelles, alors même que - contradiction suprême - la Constitution est censée en faire l’égale de l’homme. Il est évident selon l’auteur que la Guerre de libération leur a permis de prendre de la visibilité, alors que jusque-là elles étaient socialement recluses et politiquement invisibles. La visibilité concorde avec une avancée relative des femmes dans la construction de la citoyenneté.

La Guerre a " imposé " aux adhérents l’usage de la notion de " frère ". Burhan Ghalioun précise que cet usage a une connotation religieuse, comme si la religion est seule capable de garantir l’unité et l’appartenance à la collectivité par le " pacte religieux ". La notion s’adapte donc à l’espace communautaire et non pas à l’espace sociétal[3].

- La revendication islamiste en 1988, quant à elle, n’est nullement bénéfique. Au contraire, elle  « bat en brèche les quelques avancées citoyennes ». Toutefois, elle est présentée par l’auteur comme " révélatrice " des ambiguïtés historiques de l’Algérie, une ambiguïté contenant deux âges incompatibles : l’âge de la "fraternité" et l’âge du "pacte national". 

- La revendication de l’espace par  l’émergence de la société civile avec notamment la tentative de structuration du champ associatif est le fruit de l’ouverture politique (le pluralisme politique) dû aux événements de 1988. Mais on constate que le pouvoir politique face à ce champ est partagé entre vouloir " jouer le jeu démocratique " d’un côté, et vouloir « garder le contrôle » d’un autre côté. La conséquence dans ce cas est le retrait de la culture associative ainsi que l’absence de la notion de médiation ou de déficit des médiations dans un espace où les frontières sont imprécises.

L’auteur s’interroge également sur la possibilité de fabriquer de la citoyenneté dans la communauté permettant le retour du local soit à travers les contestations kabyles, soit par  les contestations religieuses. La réponse à cette question est que les revendications des islamistes ne sont pas très différentes de celles des berbéristes, car toutes les deux s’opposent à l’essence même de la citoyenneté. Selon l’auteur, « cela se produit quand des crispations identitaires se traduisent par le recours à des "primordialismes" de type linguistique et/ou religieux et à des modes concrets de contestation et d’identification (type de territorialité entre autres). La reconstruction se fonde alors sur la remobilisation des communautés qui peut être contraignante pour les individus et qui obère l’altérité, c’est-à-dire qui laisse sans réponse la question du vivre ensemble dans la liberté et la différence ».

Le déficit des deux "antagonistes" s’explique par le repli sur soi (l’identité imaginée), un repli géographique (territorial), linguistique et religieux favorisant par cela le communautarisme et mettant en péril le multiculturalisme (l’identité vécue). Celui-ci est le fruit d’un long processus de métissage et de brassage entre la culture arabe et la culture tamazight, engendrant, en conséquence, une " identité nouvelle" relevant du domaine de "l’impensable" à cause de la persistance d’une culture dominante optant pour le retranchement sous forme de "fronts" ("Jabahat"). Alors même que les questions  « comment être soi ? A partir de quels éléments se définit l’appartenance ? » doivent être posées en critiquant ce qu’on pense être. Faire " table rase " d’une situation première nous semble nécessaire pour acquérir un savoir vivre ensemble et un savoir être. Mais en absence de cette prédisposition « les contestations se figent dans un rituel de confrontation-répression ».

La conclusion de l’auteur semble être loin d’être pessimiste, il s’agit selon lui d’une "situation transitoire" dans l’histoire de l’Algérie et qu’il serait possible d’espérer voir aboutir à un nouveau "pacte social". L’auteur nuance cependant, sa pensée en concluant « pour l’heure, les horizons, s’ils ne paraissent pas totalement bouchés du fait de l’existence d’un potentiel citoyen relativement actif, ne sont pas non plus vraiment ouverts ».

Mohamed HIRRECHE BAGHDAD


Notes

[1] Parmi les travaux de l’auteur, on peut citer quelques uns :

  • La tariqa rahmania, HCA, Alger 2008.
  • Algérie, Editions ACHAB 2010.

[2] Voir les articles suivant :

  • Modernisation et retraditionalisation à travers les champs associatif et politique : le cas de la Kabylie, Insaniyat N° 08 (Mai – Août 1999). 
  • La presse à la conquête du village : note sur la diffusion d’Alger républicain en Kabylie (1954-1955), Insaniyat N° 10 (Janvier-Avril 2000).
  • Elément pour une réflexion sur les styles religieux dans l’Algérie d’aujourd’hui, Insaniyat N° 11 (Mai – Août 2000).
  • Société et religion en Algérie au XXe siècle : le réformisme ibadhite, entre modernisation et conservation, Insaniyat N° 31 (Janvier–Mars 2006).  

[3] Ghalioun, Burhan, Islam et politique: La modernité trahie, Alger, Casbah Editions, 1997. 253 p.

 

 

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