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N°47-48 | 2010  | Communautés, Identités et Histoire | p. 19-22 | Texte intégral


Le présent numéro d’Insaniyat porte sur la thématique Communautés, Identités, et Histoire. Le triptyque auquel renvoie un pareil intitulé étant certainement caractérisé par une unité triplement contradictoire selon les couples que nous pouvons décrypter à sa lecture, le tout pouvant se télescoper et faire jonction à travers une interférence aux effets détonants (au sens propre et au sens figuré). Ceci, en fait, exprime la complexité de nos sociétés et du monde où nous vivons  et que la socio-anthropologie et les autres sciences sociales essaient d’appréhender pour en rendre compte, non d’ailleurs sans quelques difficultés. Nous abordons assurément là des questions « chaudes », non au sens où elles seraient marquées par la polémique et le heurt entre intérêts d’acteurs divers (et c’est le cas de tous les faits de société), mais parce qu’elles sont liées à une actualité prégnante et à des processus dont l’analyse est parfois encore en cours d’affinement et les retombées problématiques. Plus que jamais, en effet, la communauté est chosifiée par le communautarisme, les identités réduites à l’expression de l’identitarisme[1] et l’histoire sacralisée  à travers le mémoriel et usitée comme vecteur de légitimation.

En fait ces trois notions ont largement été abordées dans les sciences sociales :

  • depuis les travaux précurseurs de Ferdinand Tönnies suivis de ceux de Weber, Durkheim et autres socio-anthropologues, pour la première ;
  • ceux produits au moins depuis Ibn Khaldoun jusqu’à Maurice Halbwachs en passant par les traditions hégélienne et marxiste ainsi que les fondateurs de l’école des Annales et ce ne sont pas les seuls, pour la troisième (l’histoire) ;
  • et pour ce qui est de la deuxième (l’identité) qui paraît comme tiraillée sinon bousculée entre les deux précédentes subissant leur double attraction, elle fait l’objet d’écrits avérés au moins depuis les présocratiques (le débat mené entre Héraclite d’Ephèse et les dialecticiens d’un côté et les Eléates d’un autre), et poursuivis jusqu’à nos jours à travers les travaux de philosophes, psychologues, sociologues et autres anthropologues[2].

L’objet de cette publication n’est cependant pas de revisiter l’usage de ces notions en procédant à un état des lieux théorique et méthodologique[3], mais de les aborder de façon dynamique dans leur interaction et en en usant comme des outils permettant l’investigation et pour aider à décrypter  des processus socio historiques et culturels qui préoccupent la société  et nous interpellent en tant que chercheurs.

En fait, cette livraison de notre revue regroupe des écrits en arabe ou en français qui traitent comme d’habitude de l’Algérie et du Maghreb, mais aussi avec des ouvertures sur la Méditerranée et les enjeux planétaires qui pointent à notre époque.

Le triptyque qui dessine notre problématique d’ensemble se traduit dans les contributions de Mohammed Harbi et Fanny Colonna par une interrogation sur l’Islam et sa fonction dans l’idéologie du Mouvement  national en Algérie, en gardant bien entendu un regard assuré sur les questions du présent. Le premier en traitant des « Fondements culturels de la nation algérienne » et la seconde de « Religion, politique et culture (s), quelle problématique pour la nation ? » s’intéressent à l’idéologie portée par l’association des Ulémas et à son interaction  avec les autres mouvements en compétition, et de manière plus globale la société algérienne dans sa configuration religieuse et politique (loin d’être statique malgré les apparences) des premières décennies du XXe siècle à nous jours. Djilali El Mestari dans sa contribution portant sur « Le discours religieux au sein de l’école algérienne : quelques remarques critiques relatives aux manuels d’éducation islamique dans le cycle secondaire », revisite la question de la socialisation religieuse et de l’usage qui en est fait dans le domaine pédagogique. Son texte entre en synergie avec les deux précédents pour qui veut s’interroger sur les représentations religieuses que veut inculquer l’État national et leur relation au crédo culturel et religieux déployé par les Ulémas et le Mouvement national.

Vicenzo Cicchelli et Hassan Rachik apportent d’autres éclairages  à l’appréhension de notre triptyque en l’abordant sous l’angle de l’identité et du rapport à l’autre:

  • le premier, en nous proposant dans « Au-delà du choc des civilisations : autrui au cœur de l’identité d’Ego dans le monde méditerranéen » un «  dépassement des conceptions fixistes des cultures» avec la nécessité de repenser la notion d’identité, par l’inclusion d’une dimension d’altérité, et ce à travers un survol du temps et de l’espace en Méditerranée ;
  • le second, en essayant de montrer dans « Identité dure et identité molle » et à travers des observations faites au Maroc mais aussi ailleurs, comment le passage de l’une à l’autre peut s’opérer lorsqu’intervient « un groupe social structuré dont l’élite produit et diffuse une idéologie systématique » porteuse « d’une classification univoque et exclusive ».

Ahmed Abid et Hassan Remaoun reviennent sur l’interaction entre histoire et politique :

  • le premier, cherchant à cerner dans « Historiographie algérienne : évaluation et critique. Le cas de l’Algérie ottomane », comment la politique officielle « d’écriture et de réécriture de l’histoire » s’est saisie comme enjeu dans le pays, de la période ottomane et du statut de la Régence d’Alger ;
  • le deuxième, en s’interrogeant dans « Le Maghreb comme communauté imaginée » et en s’inspirant des travaux de Benedict Anderson sur L’Imaginaire national, comment cette contrée, malgré son unité anthropologique et historique à laquelle sont venus s’ajouter les ingrédients du capitalisme colonial et la constitution de l’arabe en langue d’imprimerie, n’a pas pu déboucher sur une nation homogène, ou du moins sur une unité politique.

Lahouari Addi, pour sa part, dans «  Le concept de société en relations internationales : approches théoriques d’une sociologie de la scène mondiale », s’interroge sur la validité des appellations de « société internationale » et de « société mondiale » alors qu’il n’y a pas « d’ethnocentrisme à l’échelle de la planète ». En fait, nous aurions selon son approche plus affaire à des sociétés locales qui se sont mondialisées « donnant naissance à la société transnationale qui bien que réelle n’a pas d’existence géographique ».

Enfin Abderrezak Dourari dans « Discours épistémique, fiction et jugement nationaliste : M. Lachref à propos de La Colline oubliée de Mouloud Mammeri », Sidi Mohamed Lakhdar Barka dans « Camus : l’absence comme lieu de l’Autre » et Ahmed Abi Ayad dans « Alger source littéraire et lieu d’écriture de M. De Cervantès », nous rappellent dans les trois cas  qu’ils proposent, comment des écrivains et intellectuels peuvent se retrouver au cœur des polémiques suscitées dans la tourmente des enjeux nationalitaires. C’est le cas de Mammeri à travers la question  des rapports entre berbérité et algérianité, de Camus à propos de sa relation à la minorité européenne et de ses prises de position durant la Guerre de libération nationale, et de Cervantès en ce qui concerne sa captivité à Alger. En tâchant de déceler le rapport du littéraire au politique en société coloniale, et peut être encore plus en société postcoloniale puisque c’est dans le cadre de cette dernière que sont redéployées les interrogations et certitudes liées à un passé encore très lourd a appréhender, nous sommes toujours en prospection du triptyque : Communauté, Identité, Histoire.

Sans trop nous éloigner de la problématique de départ nous proposons aussi à la lecture, à titre de Varia, une contribution de Daha Chérif BA sur les enclaves portuaires espagnoles au Maghreb (du XVIe au XXe siècle), ainsi que d’autres rubriques habituelles. Des hommages sont de même consacrés par la revue à Claude Levi-Strauss et Hamid Aït-Amara qui nous ont quittés en fin d’année 2009.

Hassan REMAOUN


Notes

[1] Ce qui ne peut que mener aux Identités meurtrières contre lesquelles Amin Maalouf, avec bien d’autres, nous mettent en garde.

[2] Sans oublier de citer au passage les écrits de personnalités littéraires comme Apulée de Madaure au IIe (ap. J.-C) qui aborde la question dans ses Polémiques (Cf. de cet auteur, Apologie, Paris, Collections Guillaume Budé, 1960).

[3] Ce qui a par exemple été fait dernièrement par la Revue de sociologie et d’anthropologie, Mana, n° 16, 2009, qui abordait le dossier « Qu’est-ce qu’une communauté ? », sous la direction de Sylvain Pasquier.

 

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