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Place de l’enfant/élève dans le système éducatif à l’heure de la Réforme

Insaniyat N°41 | 2008 | Enfance et socialisation | p.41-52 | Texte intégral


A child/pupil’s place in the educational system at the time of a Reform

Abstract: We can’t consider questions relating to children without meeting teachers and discovering the school. A child is without doubt a product of his school, but he is also the pupil of a primary teacher exhorted as part of the Reform to place this pupil at “the center” of the teaching-apprenticeship process. This article aims at showing some new dispositions in teacher training from the results of an on field investigation. Among the different dimensions which make up these measures, we focussed on the on field training period and formative tutor practices. We asked ourselves a simple question: to what extent the tutors welcoming the probationary teachers in their classes can they contribute to the recommended changes by this new training measure?

Keywords: child - pupil - teacher - training measures - formative tutor


Zoubida SENOUCI : Enseignante en sciences de l’éducation à l’ENSET-Oran, 31 000, Oran, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


On ne peut traiter les questions liées à l'enfant sans rencontrer l'école et les enseignants. L'enfant est sans doute un produit de l'école (Ariès, 1973), mais c’est aussi l’élève[1] d’un enseignant supposé le conduire vers la réussite et l’épanouissement de sa personnalité. Selon Dubet et Martuccelli (1996, 141), « L’instituteur garde encore bien des éléments de l’idéal pédagogique classique, où l’élève guidé par le maître cherche la vérité tout en développant sa dimension humaine. Pourtant, l’école élémentaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec la place prépondérante accordée à l’enfance, au relationnel, au ludique, au psychologique, est une institution profondément enracinée dans l’expérience de la modernité... Désormais, il ne s’agit plus de développer l’individu qui sommeille dans tout enfant contre l’enfant lui-même,  mais  de permettre  l’épanouissement, à l’école  de l’altérité enfantine ».

En parlant des instituteurs, Kherroubi et Grospiron (1991, 26) affirment que c’est « la présence de l’enfant qui constitue la dimension première de leur mode d’exercice ». C’est parce que « l’élève est aussi un enfant » que l’instituteur est investi d’une « responsabilité polyvalente » ; l’instruction, la socialisation et l’éducation, dont il est chargé, constituent les éléments d’une même finalité : faire réussir l’élève. De par la spécificité de cette « clientèle »[2], le métier d’instituteur, devient « un métier à risque » qui interdit de se tromper car les conséquences peuvent être désastreuses à plusieurs niveaux : cognitif, social et affectif. Par ailleurs, l’influence et les effets des pratiques pédagogiques sur les acquis des élèves ont été largement démontrés[3]. Et c’est pour cela que l’école primaire représente un enjeu majeur  en tant que premier maillon du système éducatif.

Si l’Algérie a engagé depuis près d’une décennie une réforme de la formation initiale des instituteurs, c’est précisément pour mettre fin aux multiples dysfonctionnements de l’école qui se sont répercutés sur l’élève[4]. Pour l’opinion publique, les bases d’une scolarité réussie relèvent presque exclusivement de la responsabilité du cycle primaire et de ses enseignants. Et parce que ces derniers n’ont pas été suffisamment formés, ils sont mis à l’index et jugés incompétents voire responsables de l’échec de milliers d’élèves exclus chaque année du système scolaire. Or le niveau de qualification professionnelle de l’enseignant en tant que dimension essentielle dans la réussite de l’élève n’a pas été une priorité pour les pouvoirs publics pendant plus de trois décennies. Scolariser massivement sans trop se préoccuper de la qualité des apprentissages a caractérisé les politiques éducatives qui se sont succédées jusqu’à la veille de la réforme initiée en 2003. Ainsi, la volonté de rupture avec ce qui a prévalu jusque là en matière de recrutement et de formation des enseignants du primaire semble accorder à l’élève la place qui lui revient  dans une institution scolaire qui a longtemps « fonctionné sans lui ».

L’objet de cet article est de montrer à partir des résultats d’une enquête de terrain, quelques éléments de ce nouveau dispositif de formation initiale. Parmi les différentes dimensions qui le constituent, nous nous sommes focalisés sur le stage de terrain et les pratiques des formateurs tuteurs. Nous nous sommes posés la question somme toute assez simple : dans quelle mesure les formateurs tuteurs, qui accueillent les stagiaires dans leurs classes, peuvent-ils contribuer au changement préconisé ?

I. « L’élève au centre » et le nouveau dispositif de formation des instituteurs

La loi d’orientation du 23 janvier 2008 fixant «  les dispositions fondamentales régissant le système éducatif national » et les « principes fondamentaux de l’éducation nationale », stipule dans son article 7 (Titre premier, Chapitre III) que « l’élève est placé au centre des préoccupations de la politique éducative ». « Mieux former » l’instituteur en le dotant de compétences spécifiques, en en faisant « un professionnel de l’enseignement–apprentissage, est lié au souci de faire réussir l’élève (Bancel, 1989)[5].

L’adoption du puérocentrisme[6] tend à s’imposer comme modèle éducatif et pédagogique dans la plupart des pays occidentaux qui ont entrepris la réforme de leur système éducatif. Ce modèle est-il comme le souligne Rayou (2000, 248) un lieu commun pédagogiquement correct  ou une pratique réelle [7]?

1. La centration sur l’élève : une affaire de compétences professionnelles

Cette centration sur l’élève et plus particulièrement sur l’enfant a pour corollaire une formation des instituteurs plus adaptée à cette conception. Les réformes de la formation initiale des enseignants du primaire entreprises dans beaucoup de pays[8], depuis les années quatre vingt-dix se sont basées sur un « concept clé » : celui de la professionnalisation. Cette professionnalisation, selon Tardif, Lessard, Gauthier (1998, 28), « réclame une transformation substantielle, non seulement des programmes et des contenus, mais aussi des fondements mêmes de la formation à l’enseignement. Essentiellement, elle amène à concevoir l’enseignement comme une activité professionnelle de haut niveau, à l’instar des professions libérales, qui reposent sur une solide base de connaissances elle-même fortement articulée et intégrée aux pratiques professionnelles ».  

Professionnaliser le métier d’enseignant signifie pour nous, le passage d’un métier artisanal (Tousson, 1999 ; Altet, 1994) qui souvent s’acquiert sans  grande qualification académique et s’apprend par imitation et restitution de « recettes » pédagogiques à une « profession » (Lemosse 1989)[9]. Une profession est caractérisée notamment par une formation plus longue, acquise à l’université et articulée à l’analyse des pratiques en milieu professionnel (Bourdoncle 1991, 1993, Altet, 1994, Lang, 1999). L’enseignant devient alors « un  professionnel de l’apprentissage, et de la régulation interactive de la classe ». Il mobilise des compétences professionnelles, alliant « savoirs à enseigner » et « savoir pour enseigner » (Paquay et al, 2003, 29).

Ces compétences spécifiques sont acquises dans deux espaces différenciés, l’institution de formation et le « terrain » c'est-à-dire les établissements scolaires où il acquiert une professionnalité. En fait la professionnalisation ne peut se réduire à une simple élévation du niveau de recrutement car malgré le niveau universitaire exigé elle ne peut se réaliser que si elle est solidement arrimée au terrain, au contact des élèves, accompagné par des enseignants formateurs qualifiés. Si nous retenons « que la dynamique actuelle de professionnalisation n’a de sens que par rapport à un passé » (Vincent Lang 1999 ; 59) les  caractéristiques des instituteurs sont fortement marquées par les conditions socio-historiques[10] dans lesquelles s’est constituée cette catégorie d’enseignants que sont les instituteurs. Et c’est par leur intermédiaire que va s’opérer le changement. Cependant nous pouvons supposer que ces acteurs, pour n’avoir pas bénéficié d’une formation professionnelle de qualité, risquent de ne pas contribuer pleinement à la mise en place de ce nouveau dispositif.

2. Nouveau dispositif : quel accompagnement ?

Depuis la rentrée 1999/2000, le nouveau dispositif a été mis en place. Il vise l’amélioration de la qualité de la formation des enseignants, par le biais d’un recrutement de bacheliers, en vue de les former à Bac +3. Cette formation « universitarisée » se fait dans les Ecoles Normales Supérieures[11], sous tutelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS). A la veille de cette rentrée, sur les 170.478 enseignants du primaire, 15% seulement étaient bacheliers. C’est dire que la barre a été placée assez haut comme pour afficher clairement la volonté de mettre fin à une situation caractérisée par le manque de qualification des enseignants du primaire, qui jusque-là, pour la majorité d’entre-eux étaient recrutés à Bac moins 3.

L’alternance entre l’institution de formation (les ENS) et les  établissements scolaires (Ecoles primaires) constitue la clé de voûte du processus de professionnalisation. La nouveauté du dispositif réside dans les missions de ces deux espaces car dans l’ancienne conception de la formation, le futur maître venait appliquer la théorie dans une classe ou observer la leçon modèle d’un « instituteur chevronné ». Désormais, il va sur le terrain construire ses compétences professionnelles, aidé en cela par un formateur lui-même professionnel de l’enseignement-apprentissage.

Dès lors, nous nous sommes posé les questions suivantes :

- Comment les formateurs de terrain, c’est-à-dire les instituteurs actuellement en exercice vont-ils contribuer à la  professionnalisation de leurs jeunes collègues ?

- Les stagiaires, quant à eux vont-ils adhérer aux conceptions éducatives et aux pratiques de ces formateurs ou au contraire vont-ils développer une certaine résistance par rapport à des modèles qu’ils jugent inefficaces ?

Les éléments de réponse à ces questionnements nous ont été donnés à travers une enquête qualitative, par entretiens semi-directifs, auprès d’une promotion de futurs Maîtres de l’Enseignement Fondamental (MEF filière français), formés à l’ENSET. Au nombre de 29, ils étaient répartis, dans des écoles primaires de différents quartiers d’Oran, pour y suivre le stage « d’observation » d’une demi-journée hebdomadaire, durant la dernière année et un stage « bloqué » d’une dizaine de jours au cours du deuxième trimestre. C’est à partir des thèmes tels que : le choix du métier d’instituteur, la complémentarité formation  théorique/pratique, la place de l’enfant dans les pratiques pédagogiques, que nous avons recueilli des données discursives sur la place octroyée à l’enfant/élève dans les pratiques pédagogiques des formateurs-tuteurs.

II. L’enfant et le nouveau métier d’instituteur

1. Le choix du métier : entre « amour de l’enfant » et statut

La plupart des enquêtés ne mettent pas en avant «  l’amour des enfants » comme premier critère du choix du métier. Celui-ci se situe plutôt par rapport à un statut valorisant, attribué à la possession du baccalauréat et aux études supérieures censées être «professionnalisantes », effectuées. C’est un sentiment de fierté qui se dégage du discours des futurs MEF. Ils mettent l’accent sur une image positive de l’enseignant du primaire, affirmant qu’ils vont appartenir à une nouvelle génération de maîtres. La conscience de la dévalorisation de l’école algérienne est fortement présente dans leur discours et de ce fait, ils se positionnent en acteurs du changement des représentations du métier dans l’opinion publique et de la revalorisation de l’enseignement primaire. Cependant sans être trop critiques à l’égard des enseignants qu’ils ont connus en tant qu’écoliers, certains mettent en relation l’écart notoire entre la situation passée et ce qu’ils comptent apporter désormais à l’Ecole. « Avant au  primaire, déclarait une stagiaire, c’était tout le monde qui pouvait enseigner…les renvoyés  du lycée ou du CEM…».

Cependant l’enfant reste, pour certains, une dimension essentielle du  métier choisi « librement »[12]. Deux garçons affirment avoir été orientés contre leur gré. Ils estiment, par ailleurs, que « le primaire mérite des bacheliers qui sortent de l’université ». C’est l’image d’étudiants « comme les autres » qui semble avoir été pour beaucoup dans le choix d’enseigner ; peu importe le degré d’enseignement. Lors des entretiens de recrutement, certains candidats qui pouvaient s’inscrire dans une branche à prestige, puisque leur moyenne le leur permettait, ont préféré être MEF. Parmi les raisons de ce choix, ils invoquent le fait que la préparation à ce métier se fasse à l’université, qu’ils aient un statut d’étudiant et que le poste soit garanti au bout de trois années d’études seulement. D’autant qu’à l’issue d’un stage qu’ils ont fait dans un IUFM en France, en tant qu’enseignant de français et dans le cadre de la coopération, ils ont réalisé qu’il n’y avait pas à « être complexé, les  maîtresses de maternelles font Bac + 5 comme le prof  du lycée ».

2. Pratiques préconisées/pratiques observées

Interrogés sur la place de l’enfant dans le processus éducatif, ils soulignent les décalages observés entre les apports théoriques en sciences de l’éducation d’une part, et les pratiques des tuteurs. Ils déclarent que l’enfant « de Piaget et l’enfant vrai c’est pas la même chose », soulignant ainsi le fait que leurs pré-acquis en psychologie de l’enfant n’ont pas vu d’application en classe. C’est ce qui leur fait dire que la formation théorique « ça servira après quand on aura nos élèves ». Est-ce à dire que l’enfant observé en stage est étranger à la préoccupation des tuteurs formateurs, sous prétexte qu’ils n’ont pas reçu de formation pédagogique?

Toujours en rapport avec le stage effectué en IUFM, ils soulignent la qualité relationnelle instit/enfant dont ils déplorent l’inexistence dans les classes observées en Algérie : « Des enfants qui appellent leur instit Pierre ou Corinne; vous vous rendez compte !  Les enfants, sont assis à quatre ou cinq autour d’une table... et le maître les fait travailler comme ça ; chaque groupe travaille à son rythme. Chez nous c’est trop rigide, l’enfant n’est pas libre. Même si l’enseignant veut changer certaines choses, il a peur de l’inspecteur » nous fait remarquer une stagiaire.

Il est vrai que ce stage dans des écoles primaires en France a permis de voir que certaines théories ou conceptions pédagogiques et didactiques peuvent être mises en pratique ; certains stagiaires dans des écoles favorisées à Oran, ne semblaient pas totalement surpris par ce qu’ils avaient vu ailleurs. « Des enseignants qui travaillent dans de bonnes conditions, qui ont tout, avec des enfants motivés, qui parlent le français à la maison ; c’est pas comme ça partout ». Effectivement, dans ces écoles primaires à population favorisée, les enseignants n’éprouvent pas de difficultés dans la gestion de leurs classes et peuvent placer les enfants dans des situations d’acteurs, pour peu qu’ils y aient été sensibilisés par leurs inspecteurs et aidés par les parents.

Lorsqu’une autre stagiaire dit avoir été « choquée » par les comportements de la « maîtresse » (tutrice) concernant la mise à l’écart de certains élèves. C’est en référence aux savoirs « pour enseigner » qu’ils jugent sévèrement les attitudes des tuteurs à l’égard des enfants en difficulté. C’est ainsi qu’un retard mental est perçu comme maladie mentale, engendrant l’exclusion de l’enfant du groupe classe. A propos de ce cas, la stagiaire déclare : «Pour un élève... On lui a demandé… Elle nous a dit que cet élève était un malade mental... Elle l’a signalé  au directeur… Mais il faut le garder en classe... Moi quand  j’ai fait la leçon, j’ai essayé de lui poser des questions, de le faire participer  ».

La tutrice assujettie à sa tutelle administrative et pédagogique et non préparée à faire face à ce cas, se trouvait désarmée et n’avait par conséquent d’autre solution que sa mise à l’écart. Les élèves en difficulté, font apparemment partie des préoccupations pédagogiques des stagiaires  qui condamnent l’indifférence des enseignants à leur égard ; ils mettent de nouveau l’accent sur les apports théoriques indispensables à la compréhension de certaines situations.

Concernant la discipline, ils ne rejettent pas l’idée des sanctions : « les enfants sont  durs », déclarent-ils et « La maîtresse a parfois raison de punir... Mais sans frapper ». L’accent est mis sur la nécessaire autorité « quand il le faut ». Invités à s’exprimer sur le type de sanction, ils condamnent unanimement les coups, les gifles, mais se situent davantage sur l’affectif. « Séparer des copains qui bavardent » par exemple, « ne plus les faire participer quand ils veulent trop prendre la parole ».

A ce propos, ils pensent que les enseignants/tuteurs sont inéquitables dans «  leurs manières de travailler » puisque ce sont toujours les bons élèves qui sont sollicités et qu’on laisse s’imposer au détriment des plus « timides ». Associant discipline et pédagogie, ils définissent comme chahut les « réponses données par les enfants à tue-tête, en criant » et pensent que les enseignants devraient travailler plutôt dans le calme et privilégier une « pédagogie individualisée ». Cependant ils ne remettent pas en cause la méthode transmissive car pour eux, les enseignants sont tenus de : « terminer le programme, ne pas perdre trop de temps,… » Cette contrainte est antinomique de la liberté d’expression qu’il faut accorder à l’enfant et des échanges interactifs que nécessite toute situation d’apprentissage centrée sur l’enfant.

Concernant la vie à l’intérieur de l’école, ils pensent que leurs formateurs ne se préoccupent pas suffisamment des élèves, de leurs difficultés d’apprentissage.... Certains stagiaires déclarent que : « dans la cour les enseignantes  ne parlent que d’elles de leurs propres  enfants, de l’inspecteur parfois ».

Tout au long de leur discours, nous relevons une certaine ambivalence : d’une part, ils se distancient par rapport aux pratiques observées, se projetant dans l’exercice d’un métier différent et d’autre part, ils montrent une certaine connivence avec des comportements conventionnels et institutionnels, où aucun projet d’innovation n’est suggéré. Cependant, ils parlent beaucoup de leurs « futures pratiques » en restant sur le principe du « changement », ils projettent de « faire mieux ». Dès lors on peut faire l’hypothèse que par leur statut de stagiaires et d’étudiants, ils sont en quelque sorte tiraillés entre des théories et une pratique observée dans les classes, qu’ils se croient presque obligés de critiquer et un avenir professionnel qu’ils fantasment (Baillauquès, 1990).

Conclusion

A l’issue de notre enquête, il apparaît que le processus de centration sur l’enfant n’a pas été amorcé. D’une part, la plupart des formateurs de terrain, non préparés à leurs tâches, n’arrivent pas à contribuer au changement. Ils se cantonnent dans une logique d’enseignement caractérisée par le maintien de l’enfant dans un statut mineur. Or, le nouveau dispositif, préconisé par la réforme et la loi d’orientation, voulant donner un nouveau statut à l’élève, est méconnu par les tuteurs qui n’arrivent pas à s’inscrire dans une logique d’apprentissage. D’autre part, une des raisons d’ordre institutionnel réside dans la difficulté de collaboration des deux tutelles de ce dispositif de formation : Ministère de l’Enseignement Supérieur et Ministère de l’Education Nationale. Cette double tutelle pose des problèmes organisationnels, pédagogiques, et scientifiques dans le sens où chacune d’elles possède ses propres formateurs avec des conceptions spécifiques de la formation. Les enseignants du supérieur (ENSET) ne se sentant aucunement concernés par la formation de professionnels de l’enfance, pensent être dévalorisés à devoir former des « instit ». Les enseignants des matières académiques plus que ceux des sciences de l’éducation ne s’inscrivent pas du tout dans une optique de professionnalisation[13]. Mépris ou distance avec le monde de l’école ?

Du côté de l’éducation nationale, le choix des enseignants formateurs n’est pas fait selon des critères rigoureux répondant aux objectifs de ce nouveau dispositif mais plutôt sur la base du volontariat ; autrement dit les formateurs-tuteurs accueillent les stagiaires sur injonction et ne se sentent pas impliqués dans le processus de formation. Or comme nous l’avons montré, la majorité des enseignants du primaire sont sous-qualifiés sur les plans scientifique et professionnel ; une plus grande vigilance aurait été souhaitable quant aux critères de choix de ces tuteurs : expérience professionnelle, aptitude à l’innovation et informations concernant les changements introduits par la réforme actuelle. La plupart des formateurs de terrain ignorent les objectifs réels de l’ «universitarisation » des futurs MEF. La professionnalisation envisagée dans une logique d’élévation du niveau de qualification des enseignants n’est sans doute pas suffisante. C’est dans le cadre d’une formation continue devenant une formation initiale, pour des milliers d’enseignants en exercice, que la place de l’enfant en tant qu’acteur sera renforcée.

Bibliographie

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Trousson, A., De l’artisan à l’expert, Paris, CNDP/Hachette, 1992.


Notes

[1] « Le métier d’élève » est devenu un objet d’étude pour les sciences sociales et l’élève acteur institutionnel de l’école. In Sociologie de l’école, Duru-Bellat et Henriot Van Zanten, Paris, Armand Colin, 1993.

[2] La notion d’enfant-client développée par Kherroubi et Grospiron (1993) met l’accent sur la spécificité de la relation pédagogique à l’école élémentaire. La dimension cognitive est aussi importante que la dimension affective dans la pratique de l’instituteur.

[3] Voir notamment les travaux sur « l’effet-maître » menés par Mingat (1991).

[4] Dans l’ouvrage collectif, L’école en débats, Alger, Casbah-Editions, 1998, Haddab, M. Benghabrit-Remaoun, N. Kennouche,T. mettent en exergue l’inefficience de l’école algérienne notamment à travers les déperditions, le faible taux de réussite au Bac (autour de 20%) et le manque de qualification des enseignants.

[5] En France, la loi d’orientation de juillet 1989 a mis en place les IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) pour remplacer notamment les Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI) et les Ecoles Normales Nationales d’Apprentissage (ENNA).Les IUFM sont chargés, en tant qu’établissements d’enseignement supérieur de professionnaliser la formation des enseignants. Le rapport Bancel a conçu la professionnalisation de l’enseignant en universitarisant la formation des instituteurs de la maternelle et du primaire à Bac +5. L’élève au centre des apprentissages devait constituer une nouvelle professionnalité. Cf. Trousson, A, De l’artisan à l’expert, Paris, CNDP, Hachette, 1992.

[6] Conception selon laquelle l’enfant est mis comme acteur au centre de tout processus d’enseignement-apprentissage.

[7] Mettre l’élève au centre ne constitue pas une nouveauté ; déjà le courant dit de « l’Education nouvelle », en critiquant « l’école traditionnelle », considère que « l’enfant n’est pas comme on l’a longtemps cru, cet être docile et malléable, véritable cire molle que l’adulte façonne à son gré ». 

[8] D’après Philippe Perrenoud « ce mouvement s’alimente aussi de la volonté de revalorisation de l’enseignement primaire. Citant l’ouvrage de Tschoumi J-A, Moins qu’un canari ? Soudaine accélération européenne en matière de formation des enseignants, Neuchâtel, 1991, il dénonce « l’insouciance des sociétés qui exigent des institutrices maternelles et des maîtres primaires qui éduquent leurs enfants moins de qualification que celle des vétérinaires qui soignent leurs canaris » in Recherche et Formation, INRP, N° 16,1994.

[9] «L’exercice d’une profession implique une activité intellectuelle qui engage la responsabilité intellectuelle de celui qui l’exerce ; « - c’est une activité savante, et non de nature routinière, mécanique ou répétitive » ;

« -elle est pourtant pratique, puisqu’elle se définit comme l’exercice d’un art plutôt que purement théorique et spéculative » ;

« -sa technique s’apprend au terme d’une longue formation » ;           

« -le groupe qui exerce cette activité est régi par une forte organisation et une forte cohérence internes » ;

« -il s’agit d’une activité de nature altruiste au terme de laquelle un service est précieux est rendu à la société » ».

[10] En 1962, les moniteurs recrutés, dans l’urgence, avec un niveau de CEP, n’ont pas bénéficié d’une formation professionnelle de qualité. A partir d’octobre 1963, les pouvoirs publics ont mis en place un système d’enseignement par correspondance centralisé, obligatoire pour tous les moniteurs et monitrices. Ce système consistait essentiellement en une diffusion hebdomadaire de plans de leçons d’exercices, d’abord par le canal de la presse puis à partir de 1964, au moyen d’un organe spécial « Ecole et travail ». La même année sont créés les Centres de Formation Culturelle et Professionnelle (CFCP) destinés à les préparer à l’examen du Certificat de Culture Générale et Professionnelle (CCGP) et leur permettre ainsi de devenir instructeurs.

Dans le même temps un corps d’inspecteurs et de conseillers pédagogiques fut mis en place. Tandis que l’Institut Pédagogique National élaborait les fiches pédagogiques qui « devaient être suivies scrupuleusement parce que la plupart des enseignants étaient considérés comme non en mesure de construire eux-mêmes leurs leçons à partir de leurs connaissances personnelles ou d’un manuel et des instructions officielles » (Haddab, 1979, 73) citant une brochure du MEN 1967. On peut mesurer le degré de dépendance dans lequel a été installé l’enseignant du primaire. Il fut pendant longtemps un simple exécutant dans une logique de formation « infantilisante ».

[11] Les deux Ecoles Normales Supérieures (Constantine et Bouzaréah) et l’ENSET (Ecole Normale Supérieure d’Enseignement Technique Oran) ont formé les MEF et PEF tandis que l’ENS de Kouba n’a formé que les PEF (Professeurs d’Enseignement Fondamental). Depuis 2005, les MEF sont formés par le MEN dans les ex ITE devenus IFPM (Instituts de Formation et de Perfectionnement des Maîtres). Depuis l’année 2004, les MEF ne sont plus formés par l'enseignement supérieur mais par l’Education Nationale. Ce sont de nouveau les ITE devenus IFPM (Instituts de Formation et de Perfectionnement des Maîtres) qui en ont la charge. Les programmes de formation sont les mêmes que ceux élaborés en 1999 par les ENS mais les formateurs sont ceux des ITE. Les MEF formés par l’ENSET (ORAN) se répartissent en deux filières : les MEF (arabe) qui enseignent toutes les matières en arabe et les MEF (français) qui enseignent le français, langue étrangère à partir de la 4ème année fondamentale. Trois promotions ont été formées à l’ENSET :

2001 / 2002 :   22  MEF en  français       57 MEF en arabe

2002 / 2003 :    35   ***********            102  *********

2003 / 2004 :     29  ************           94   *********

[12] La promotion était composée de 23 filles et 6 garçons. C’est par binôme que les stagiaires sont placés dans les écoles. Une ou un instituteur peut recevoir deux ou quatre stagiaires.

[13] Senouci, Z., « Les enseignants des Ecoles Normales Supérieures, entre missions et pratiques », in Congrès international de l’AFIRSE/UNESCO, Paris, 18-5-2003.

 

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