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Appels à contribution

Les groupes Ultras dans les pays arabes (Clos)

Coordonnateur: Professeur Mounir SAIDANI, Institut Supérieur des Sciences. Humaines de Tunis, Université Tunis El Manar.

Appel à contribution |

 

L’apparition des premiers groupes de supporters d’équipes de football dans les pays arabes, dits ‘Ultras’, daterait des années quatre-vingt-dix. Bien que leur avènement soit tardif,  par rapport aux pays  latino-américains (les années trente)  européens (les années cinquante en Croatie et  soixante en Italie), les Ultras au Maghreb et dans les pays arabes n’ont manqué de se multiplier, de se répandre, tout aussi rapidement que sûrement.

Sujettes aux doutes, lors de leurs premières apparitions tout au moins, les premières formations Ultras dans les pays arabes ne furent pas ménagées par les autorités politiques. Les appréhensions à leur égard ne tardèrent pas à donner naissance à des campagnes de poursuite organisées, violences policières et investigations plus ou moins secrètes, de même que les tentatives de mise sous contrôle, y compris de la part des présidents des clubs. .

Toutes ces mesures coercitives n’ont pas pu empêcher l’expansion du phénomène Ultras. Les différentes expériences (parfois douloureuses) qu’ils ont vécues ont permis l’accumulation d’un  savoir-faire,  une meilleure organisation, une plus grande popularité et une capacité sans cesse accrue d’influencer le cours des évènements. Au début des années 2000, il est devenu familier de voir dans les différents gradins des stades  de football les Ultras organiser des orchestrations avant les débuts des rencontres, brandir les tifos, lancer des flammes et même s’engager dans des bagarres contre les groupes rivaux ou même ceux supportant les mêmes équipes, et aussi, contre les forces de l’ordre. En dehors des enceintes des stades, il est devenu de plus en plus fréquent de voir les murs des villes envahis de graffitis, déclarant l’existence des groupes Ultras. Y sont mis en valeur leur identité, exploits et autres symboles  de  gloire et souvenirs

De telles pratiques ne peuvent manquer d’imprimer leurs effets sur les géographies urbaines au vu de l’inscription de plus en plus manifeste des groupes Ultras dans le quotidien des villes  recomposant ainsi leurs cartes physiques et symboliques. Au fil des années, le découpage des zones d’ancrage des groupes Ultras reproduit les frontières et les lignes de clivage entre les catégories sociales des jeunes dans les gradins et dans les pelouses, les contours de leurs appartenances de classes, de couches sociales et de catégories socio-professionnelles,  cadrant ou non avec les différentes sphères d’activité, d’habitat et de vie. Au plus profond de leurs racines, ces clivages peuvent reprendre des lignes de jonctions-disjonctions et de ruptures-continuums entre histoires et mémoires, tout aussi bien individuelles que collectives, enfouies dans des imaginaires éparpillés, inédits ou partiellement écrits ou racontés. Ces histoires et récits viennent souvent se greffer sur des narrations populaires bien ancrées dans les quartiers des villes,  dessinés au gré de divisions ethniques, tribales et régionales, pour être reprises dans les chants, les graffitis ou les légendes imaginées des différents groupes, constituant une belle matière pour les fanzines. 

Souvent, l’appartenance à un groupe Ultras commence par un engagement, de plus en plus grandissant, pour supporter un club de football et une volonté sans cesse affirmée de lui exprimer le plus fortement possible son attachement, son dévouement et se tenant toujours prêt à « dépenser » argent et temps pour assister à ses rencontres ou qu’elles aient lieu. La totale disponibilité pour les « dep » (déplacement du groupe lors d'une rencontre à l'extérieur) est capitale dans ce processus d’adhésion. La passion s’affirme à travers la cotisation répétée pour acquérir les matériaux de l’animation sur les tribunes et la participation aux préparations quoi qu’elles durent. Lors des rencontres, le dévouement se traduit par une dépense d’énergie sans relâche pour supporter l’équipe tant qu’elle évolue sur le terrain et une participation active au (animation visuelle des tribunes).

Au fur et à mesure que la passion pour le club croit, elle nourrit des sensations, des émotions et des sentiments qu’entretiennent les liens d’identification au groupe et l’allégeance sans faille envers lui. Au fil du temps, on s’éloigne de plus en plus de l’image et de l’être du mastre (supporter festif qui « retourne sa veste » quand son club est en difficulté), du simple fan (assis sur son siège) pour participer activement à la gestuelle (ensemble des mouvements de masse) au craquage (embrasement généralisé de la tribune). Regroupés autour de la bâche (élément symbolique du groupe, le suivant partout, toujours objet de convoitises de la part des adversaires), formant un kop (groupe de supporters d'une tribune), se mettant au plus près du noyau (membres réguliers, et actifs, d'un groupe), les membres obéissent au capo (leader du groupe, parfois au poste de perroquet (membre du groupe qui, souvent perché, muni d'un mégaphone, lance les chants qui sont répétés par la tribune).

Il ne suffit pas de se sentir comme l’un des membres du groupe ; il faut agir comme tel : acheter ses produits (écharpe, casquette, maillot, etc.), les porter en toute occasion possible, défendre ses membres lors des affrontements et contacts (affrontements volontaires à mains nues) avec les agents de l’ordre ou les membres des groupes adverses ; lancer les fumigènes et toute sorte de projectiles sur ces agents ainsi que sur l’arbitre et les joueurs de l’équipe adverse et pratiquer l’edt (envahissement de terrain).

Il s’agit aussi de tenir la position la plus intransigeante dans l’opposition aux leaders bureaucratiques financiers et politiques du club. C’est ainsi que l’on passe du statut indé (supporter indépendant non rattaché à un groupe mais actif dans les déplacements pour s’approcher des membres du groupe) au statut d’actif, acquérant, chemin faisant, la mentalité Ultras et vivre dans le mouv (l’ensemble du monde Ultras). C’est un monde envoûtant pour des jeunes en quête d’appartenance et d’identification. Il leur permet de militer contre les autorités du club qui ‘usurpent’ tout ce que les Ultras considèrent n’appartenir qu’aux masses du football : le football lui-même, le club, la passion, les sacrifices, les victoires, les gloires, les épopées, la mémoire, l’unité, et le récit identitaire.

Dans ce sens, le phénomène Ultras trouve son ampleur socio-anthropologique dans l’histoire et la géographie en interpellant, au carrefour des sciences humaines et sociales, études et analyses. Bien que le phénomène ait fait l’objet d’études désormais classiques en Amérique Latine et en Europe, il reste quasiment ignoré dans les pays arabes. Les innombrables « enquêtes » et « couvertures » journalistiques n’en ont rapporté que le superficiel, ne se privant point de stigmatiser ses acteurs, de dénoncer leurs pratiques et conduites. Nul doute que les investigations « de terrain », qu’elles soient vives ou puisant dans des matériaux écrits, audio-visuels, diffusées lors des programmes télévisés de sport ou mis par des amateurs sur Facebook, YouTube ou tout autre réseau social, apportent des informations riches et parfaitement valables. Il n’en demeure pas moins que leur multiplication vertigineuse et leur penchant de plus en plus prononcé vers la facilité et la quête du sensationnel ne peuvent aider à s’assurer ni de la véracité de ce qui est relaté, ni de sa précision portant ainsi préjudice à toute compréhension du phénomène. Les risques d’une mécompréhension du style de vie des Ultras, dans les pays arabes, se sont accrus durant la dernière décennie avec l’évolution de leurs  rôles et statuts en particulier en Égypte, Tunisie et au Maroc, en lien avec les soubresauts politiques vécus par ces pays.

Ce numéro thématique de Insaniyat ambitionne d’offrir aux chercheurs l’occasion de développer des analyses portant sur les ultras dans les pays arabes dans les différentes spécialités des humaines et sociales.

Nous proposons les axes suivants :

  • L’histoire des groupes Ultras dans le monde arabe et les grands tournants qu’ils ont connus
  • La sociologie des acteurs, initiateurs des groupes, de leurs adhérents, leurs caractéristiques du point de vue genre, âge, niveau d’instruction, catégorie socio-professionnelle, appartenance géographico-ethnique et autres, …
  • Caractéristiques du supportérisme « ultras» les formes d’organisation des Ultras, déclarées et clandestines, les rapports et liens internes inter-membres, rapports entre membres et leaders, hiérarchie, …
  • Les arts Ultras et leurs pratiques dans les enceintes des stades et ailleurs (paroles et musiques des chants, animations des gradins, tifos, produits, habits, couleurs, formes, signes emblématiques, graffitis, …), ethos et normes éthiques, marché des biens matériels et symboliques, …
  • L’empreinte des Ultras dans la sphère urbaine, géographie des espaces d’ancrage
    et de pratique, re/définition des frontières spatio-sociales, sémiologie des signes Ultras dans les lieux publics, …
  • Présence de Ultras dans les réseaux sociaux (Facebook, YouTube, Tweeter, Instagram…) et dans les mass médias, …
  • Rapports entre groupes Ultras rivaux, historiques des rivalités et leurs aspects socio-anthropologiques, rapports avec les autorités et les force de l’ordre publique, …
  • Rôle des Ultraset effets ; rapports avec les mouvements sociaux ; rapports avec les formations politiques ; formulation des positions à l’égard des questions politiques, sociales et culturelles, nationales régionales et internationales, …
  • Les Ultras et l’invention de nouvelles sociabilités ; recompositions des liens sociaux ; configuration et reconfiguration des groupements et communautés de jeunes,…

Les articles en langue arabe, française ou anglaise, doivent être envoyés à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. avant le 30 septembre 2020 conformément à la note aux auteurs de la revue Insaniyat https://insaniyat.crasc.dz/index.php/fr/notes-aux-auteurs

Références bibliographiques :

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