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Les enquêtes sur la société et recherches empiriques à des fins de gouvernance en Algérie : éléments pour un état des lieux

Insaniyat N° 27 | La socio-anthropologie en devenir | p.55-76 | Texte intégral

Investigations and empirical research on society and governance objectives in Algeria : elements for an evaluation

 Abstract: In this text, we try to contribute towards an evaluation of investigations and empirical research in Algeria. It concerns a field where social sciences are greatly demanded. In the four chapters of this contribution, we treat:
1.
A brief historical recall of the matter as well as information concerning legal and administrative framework.
2.
The institutions in charge of empirical research on governance and their activities (official organizations, research institutions, private sector…)
3.
Results, conditions and outcomes, and their putting into practice.
4.
The role of the press and opinion surveys.

Key words : empirical research - census - opinion surveys - press - governance - state policy


Hassan REMAOUN : Socio-historien, Faculté des sciences sociales de l’Université d’Oran, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


Introduction

La contribution que nous présentons dans le cadre d’un atelier de travail régional traitant des enquêtes et recherches empiriques sur les questions de gouvernance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (région MENA)[1] portera sur l’expérience algérienne. Nous traiterons du dispositif des enquêtes et recherches empiriques dans ce pays et des caractéristiques et performances qui sont siennes.

Les organisateurs de cet atelier, en l’occurrence The Lebanese Center for Policy Stydies (LCPS, Beyrouth) et la Banque mondiale, visent à travers cette initiative «à favoriser une plus grande sensibilisation sur les questions de gouvernance, à développer un débat régional sur la gouvernance, parmi les universitaires, intellectuels, décideurs et membres de la société civile et à rehausser le niveau d’engagement sur cette question parmi les décideurs régionaux, les membres de la société civile et les agences donatrices, affectant ainsi l’orientation, le contenu le rythme des réformes qui visent à améliorer les conditions de vie et à promouvoir les systèmes de gouvernement efficaces et responsables»[2].

L’idée sous-jacente à ces préoccupations est, bien entendu, que la bonne gouvernance est un facteur essentiel de développement alors même que, comme le stipule le Rapport sur le développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) diffusé en 2003 par la Banque mondiale, «la région MENA est comparée à des pays ayant des revenus et des caractéristiques similaires ‑ ses principaux concurrents sur le marché mondial ‑ elle apparaît au dernier rang de l’indice de qualité de gouvernance globale»[3].

Le même rapport précise aussi, il est vrai, que «la gouvernance est un concept complexe, à facettes multiples, ce qui le rend difficile à être réduit à quelques mesures empiriques pouvant être comparées d’un pays à l’autre […]. La plupart de ces mesures sont basées sur des perceptions et des opinions d’experts, ce qui les rend subjectives». (page 5). Des éléments peuvent cependant constituer des indices de la qualité de la gouvernance tels la manifestation de l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, l’efficacité du secteur public, la liberté d’opinion et la démocratie. Sont pris aussi en ligne de compte des facteurs tels la privatisation des «monopoles publics», le degré de centralisation du gouvernement et les mécanismes de «responsabilisation externe» comme les médias et les organisations de la société civile…

En ce qui concerne la région MENA, la difficulté provient aussi du fait que les pays concernés «présentent un modèle de transparence limité et hésitant, et ce n’est pas un hasard si cette région est celle qui possède le moins de données empiriques sur la qualité de la gouvernance» (page 14).

Sans trop nous attarder sur la question de savoir si la mauvaise gouvernance est cause de retard dans le processus de développement, ou si elle n’en est que la conséquence, chacune des deux étant d’ailleurs susceptible d’interférer sur l’autre «à la manière de l’œuf et de la poule», nous pouvons donc plus aisément comprendre l’intérêt porté lors de cet atelier à l’état des enquêtes empiriques dans la région MENA. Si les différents pays concernés se ressemblent par de nombreux aspects, il n’en demeure pas moins vrai que chacun d’entre eux peut être marqué par des caractéristiques qui lui sont propres et par des traditions d’enquêtes et de recherches empiriques qui peuvent différer de l’un à l’autre, et ce, en fonction de trajectoires historiques qui ne concordent pas tout à fait, empruntant parfois des circuits assez divergents, même s’ils ont tous tendance à subir l’empreinte incontournable de processus uniformisateurs liés au phénomène irréversible qui peut selon la conjoncture prendre les noms de domination, d’universalisation, de mondialisation ou de globalisation.

Nous essaieront de survoler ici le cas de l’Algérie en tentant de répondre comme il nous l’a été demandé à des interrogations portant sur:

- l’historique du développement des enquêtes empiriques, avec exposition du cadre législatif et administratif dans lequel elles évoluent;

- la présentation des principales institutions effectuant des sondages, enquêtes et recherches empiriques sur les questions de gouvernance.

- la revue des principaux programmes thèmes et sujets de la recherche empirique datant de la dernière décennie;

- la présentation de l’origine de la commande d’enquêtes et de sources de financement;

- des éléments sur la disponibilité d’une base de sondages à l’échelle nationale pour l’échantillonnage et l’analyser statistique.

- une revue du degré d’exploitation effective et d’utilisation des résultats de la recherche empirique sur la gouvernance dans les analyses, les études et la formulation des politiques publiques;

- des éléments concernant les principaux besoins du pays touchant aux recherches empiriques et aux questions de gouvernance.

Nous éviterons de nous limiter à un exposé informatif dans l’ordre énuméré ci-dessus, en mettant l’accent autant que possible sur des tentatives de problématisation de la question, à la lumière d’hypothèses dont quelques-unes ont été suggérées dans cette introduction et selon le plan d’exposition présenté en ouverture du texte.

Rappel historique et informations concernant le cadre législatif

La période pré-coloniale

A l’instar des civilisations de la Méditerranée ou du Moyen-Orient qui les avaient précédés ou leur étaient contemporaines (Egypte, Phéniciens et Carthaginois, Grèce, Rome…), les Etats qui se succèdent, dans l’antiquité, au Maghreb, et notamment dans sa partie centrale (où émergera plus tard l’Algérie), ont un souci de contrôle du territoire et de la population en s’appuyant sur des connaissances chiffrées, et ceci en premier lieu dans le but de maximaliser les rentrées fiscales.

C’est le cas notamment, dès le IIIe siècle avant J.-C., lorsque des souverains numides tels Syphax ou Massinissa tenteront de sédentariser les populations nomades aux fins de leurs contrôle politique[4] ; ils seront imités en cela par la colonisation romaine, soucieuse d’asseoir le limes pour promouvoir la pax romana[5].

De même, au Moyen Âge puis à l’époque ottomane, comme dans tout le monde islamique, le déploiement des mathématiques laissera une large place aux techniques de comptabilité[6], et le système d’enseignement intégrera des cours d’arithmétique pour préparer un personnel capable de calculer les parts d’héritage et l’impôt légal. Malgré les efforts de l’émir Abdelkader pour résister aux Français en tentant la mise sur pied d’un Etat autocentré (1832-1847), ce sont ces derniers qui imposeront, durant presque un siècle et demi de colonisation (1830-1962) puis après l’indépendance, leur modèle de gouvernance et de gestion de l’information portant sur la société algérienne.

La période coloniale (1830-1962)

La période coloniale verra progressivement appliquer à l’Algérie des normes d’organisation administrative et de collecte de l’information qui depuis quelques temps alors commençaient à se généraliser en Europe et en Amérique du Nord, le dispositif étant, bien entendu, aménagé pour servir le système de domination française et contrôler au mieux la population autochtone. L’expérience accumulée par les Français était, en effet, notable puisque le premier recensement général de la population dans ce pays date de 1801[7], et l’Algérie sera concernée par tous ceux qui auront lieu entre 1856 et 1954 (en moyenne tous les cinq ans).

Si, à l’origine, on se limitait à utiliser les registres des paroisses en s’appuyant sur des listes nominatives, on va bientôt s’intéresser aux ménages, au sexe, à l’état matrimonial et au classement par âge, et faire la distinction entre population résidente et non résidente, en choisissant une journée de référence pour tout le territoire. En fait, le recensement général qui s’opérait périodiquement, selon des intervalles de cinq à dix ans, avait un double objectif stratégique: connaître la population légale des différentes circonscriptions administratives du pays; réunir les statistiques à caractère démographique, économique et social (classes d’âge et sexe, taux de croissance, professions, niveaux d’instruction …).

Le traitement des recensements en France relève de l’Institut national de la statistique et des études économique (INSEE), qui va succéder dans l’après-guerre au Service national des statistiques, et de l’Institut national des études démographiques (INED), organisme de recherche créé en 1945. En ce qui concerne les colonies intervient aussi l’Office scientifique de recherches coloniales (ORSC), devenu ORSTOM puis IRD (Institut de recherche sur le développement), créé en 1998.

On ajoutera à cela que, dès les premières années de la colonisation, soit dans les années 1830, l’administration française a publié un périodique intitulé «Le Tableau des établissements français en Algérie» (TEFA), puis «Le Bulletin des actes du gouvernement» et «Le Moniteur algérien», enfin, de 1867 à 1961, un bulletin intitulé «Statistiques de l’Algérie».

Par ailleurs, en 1954, on assistera à la création d’un Institut de recherche économique et sociale (IRESA), qui est rattaché à l’Université d’Alger, et en 1955 sera fondé un Institut des recherches sahariennes (IRS).

L’indépendance du pays

En fait, la colonie algérienne, et notamment la minorité européenne qui était aux instances de décision, bénéficiera à partir du début du XXe siècle d’une forte autonomie budgétaire (les lois de 1900 instauraient même des assemblées financières)[8]. Le gouvernement général verra ses organismes d’évaluation et de gestion renforcés, et ce sera le cas des services statistiques qui constitueront des vis-à-vis par rapport à ceux du gouvernement central, installé à Paris. L’Algérie indépendante héritera de ces structures qui, algérianisées, seront intégrées aux nouveaux ministères et organismes d’Etat. La tradition jacobine et centralisatrice française sera non seulement perpétuée mais accentuée avec le choix opéré en faveur d’une économie administrée et l’option de la planification. L’outil statistique dans la gestion de la société et l’essentiel des enquêtes à caractère économique et social relèveront des autorités officielles et des entreprises publiques.

Cette situation engendrera, à la fois, des avantages et des inconvénients. D’un côté, l’Etat aura un effet positif: il accumule une information importante concernant la société et motivée par la volonté de répondre à une demande sociale très pressante d’ambitieux projets de développements liés à une démographie galopante et à des aspirations d’augmentation du niveau de vie. D’un autre côté, la lourdeur bureaucratique des organismes mis en place, accentuée par la rareté des cadres compétents et le contexte de sous-développement hérité de la colonisation, ne manqueront pas d’avoir des effets négatifs en inhibant des potentialités sociales et en arrimant la politique de développement essentiellement aux ressources engendrées par la production et la commercialisation des hydrocarbures (qui relèvent du secteur public).

Après une période dynamique, la fragilité du système apparaîtra dans les années 1980, avec notamment l’effondrement du cours mondial des hydrocarbures en 1986, puis les émeutes d’octobre 1988. Les réformes entamées après cette date auront tendance, d’ailleurs, à être contrecarrés par la flambée terroriste qui voit le jour dès le début des années 1990 et par l’embargo international de fait subi par le pays durant une dizaine d’années.

Le cadre législatif et administratif des enquêtes empiriques

Les enquêtes empiriques en Algérie sont régies par un ensemble de lois, parmi lesquelles nous pouvons citer :

- la loi du 7 juillet 1984 relative aux lois des finances;

- la loi du 12 janvier 1988 relative à la planification;

- la loi du 3 avril 1990 relative à l’information;

- la loi du 15 août 1990 relative à la comptabilité publique;

- enfin, et surtout en ce qui nous concerne, le décret législatif du 15 janvier 1994 relatif au système statistique et sur lequel nous allons nous attarder pour en présenter quelques dispositions[9].

Le décret constitué en 10 chapitres et 46 articles «définit les principes généraux de la production, l’utilisation, la diffusion et la conservation de l’information statistique. Il fixe en outre le cadre organisationnel du système de la statistique ainsi que les droits et obligations des personnes physiques et morales dans les domaines de la production, de la conservation et de la diffusion du système statistique» (article 1er, chapitre I).

Il définit l’information statistique comme «information quantitative ou qualitative permettant la connaissance des faits économiques, sociaux et culturels par des procédés numériques» (article 2).

De même, «toute personne physique ou morale a la faculté de produire, traiter et diffuser l’information statistique à caractère économique et social», ceci «conformément aux lois et règlements en vigueur et aux règles de la profession» (article 3), ainsi qu’aux «critères scientifiques et déontologiques» (article 4). Il est précisé, par ailleurs, que «l’information statistique élaborée par l’Etat ou ayant bénéficié de l’enregistrement statistique relève du domaine public» et «sauf dispositions particulières elle est accessible à tout demandeur» (articles 8 et 9).

Le chapitre II, qui traite de l’organisation du système statistique, en définit les organes de production et coordination qui sont: le Conseil national de la statistique; l’institution centrale des statistiques, en l’occurrence l’ONS, sur laquelle on reviendra; des services statistiques des administrations et des collectivités locales; des organes publics et privés spécialisés, dont les instituts de sondage statistiques (article 11).

Le Conseil national de la statistique constitue une pièce essentielle du système puisqu’il est chargé de «formuler des avis et recommandations de la politique nationale d’information statistique définie par le gouvernement», d’établir et de proposer un programme annuel d’enquêtes, «d’élaborer un code déontologique en vieillant à assurer la garantie effective du secret statistique, le respect de l’obligation statistique et l’utilisation de méthodes scientifiquement prouvées» et, enfin, « de participer à la réglementation de l’information statistique, notamment à partir de la formulation d’avis» (article 12).

Le conseil «regroupe en son sein des représentants, dûment mandatés» (administration et institutions publiques, associations à caractère syndical et professionnel, associations à caractère scientifique, culturel, économique et social, Université), «et des personnalités reconnues pour leur compétence en la matière ou l’intérêt qu’ils portent aux questions d’ordre économique et social» (article 14).

Il confirme aussi le rôle de l’institution centrale des statistiques, en l’occurrence l’ONS (articles 17 et 18), et annonce l’institution d’un numéro d’identification statistique (NIS) et les modalités de son usage (chapitre III, articles 20-23).

Les chapitres IV (articles 24-28), V (articles 29-32) et VI (articles 33-36) traitent respectivement du secret statistique de l’enregistrement et de la publication statistiques.

Les autres chapitres traitent enfin des sanctions (VII, articles 37-39), du financement (VIII, articles 40-41), et des dispositions transitoires (IX et X, articles 42-46).

On ne peut terminer ce survol sans signaler le contenu de l’article 40 qui édicte que «les enquêtes, études et travaux statistiques bénéficiant de l’enregistrement statistique sont financés totalement ou partiellement par le budget de l’Etat, l’enregistrement statistique étant par ailleurs défini à l’article 29 comme «reconnaissance par l’Etat du caractère d’intérêt public des enquêtes, études et travaux statistiques».

Les institutions chargées de la recherche empirique sur la gouvernance et leurs activités

Les organismes concernés par la recherche empirique sur la gouvernance (recensements, enquêtes, sondages et autres recherches statistiques) relèvent encore aujourd’hui, et pour l’essentiel, du secteur public. Nous essaierons de présenter ici les plus actifs d’entre eux (ONS, CENEAP et INESG), tout en donnant un bref aperçu sur quelques autres qui relèveraient du secteur public ou du secteur privé. Nous présenterons ensuite leurs principales activités.

L’ONS

L’Office national des statistiques (ONS), fondé en 1982, est le continuateur du Centre national pour le recensement de la population (CNRP, fondé en 1964), devenu en 1971 Commissariat national aux recensements et enquêtes statistiques (CNRES). L’ONS, qui a vu ses missions précisées en 1985, puis en 1994, est chargé de l’organisation et de la coordination des travaux statistiques; il relève aujourd’hui de la tutelle du ministère délégué à la planification et à l’aménagement du territoire, auprès du Premier ministre. C’est en principe l’instrument principal de la politique de l’Etat en matière statistique, cette dernière étant supervisée par le Conseil national de la statistique. Le site web[10] de l’ONS précise, par ailleurs, que l’information statistique est accessible à tout demandeur avec, cependant, la garantie de préservation des informations ayant trait à la vie personnelle et familiale, ceci conformément à la loi sur les archives nationales. Il précise de même, à propos des fonctions de l’Office:

- il est chargé de veiller à l’élaboration, la disponibilité et à la diffusion d’informations fiables, régulières et adaptées aux besoins des agents économiques et sociaux;

- il assure ou fait assurer la disponibilité régulière des données, analyses statistiques et études économiques nécessaires à l’élaboration et au suivi de la politique économique et sociale des pouvoirs publics;

- il élabore et diffuse régulièrement, en application du programme national statistique, indices, indicateurs de l’économie nationale ainsi que les comptes de la nation;

- il gère les enregistrements statistiques des enquêtes et travaux statistiques, tient et met à jour un répertoire des agents économiques et sociaux auxquels est attribué le Numéro d’identification statistique (NIS);

- il rend public ses informations à travers un certain nombre de publications et périodiques parmi lesquels ou peut citer:

- «L’Annuaire statistique de l’Algérie», qui chaque année fait le point sur des thèmes aussi variés que ceux touchant au territoire et à la climatologie, à la population et l’habitat, aux activités socioculturelles et économiques, notamment en ce qui concerne les prix, les revenus, la consommation, les finances, comptes économiques et statistiques internationales;

- «L’Algérie en quelques chiffres», qui chaque année fait une présentation chiffrée des principaux secteurs d’activités économiques et sociales;

- «Le Bulletin trimestriel des statistiques»;

- «Les Collections statistiques», qui diffusent notamment les résultats d’enquêtes;

- «Les données statistiques», qui donnent un bref aperçu sur les informations disponibles.

Le CENEAP

Sigle toujours en vigueur et qui ne correspond pas à la dénomination actuelle de «Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement».

Le CENEAP est l’héritier de l’Association algérienne pour la recherche démographique, économique et sociale (AARDES, fondée en 1963 par la Direction générale du plan et des études économiques), devenue en 1980 Institut national d’études et d’analyses pour la planification (INEAP), ceci après être passé par différents statuts et avoir été sous la tutelle du ministère du plan et de l’aménagement du territoire, puis celle du ministère de l’intérieur et des collectivités locales (en 1988). Spécialisé dans les questions de développement et de population, il bénéficie d’une autonomie de gestion depuis octobre 2000. Les missions attribuées au CENEAP sont énumérées comme suit:

- les études générales et spécialisées;

- les enquêtes et les sondages d’opinions;

- l’ingénierie des systèmes d’information et les banques de données;

- les programmes de formation spécialisée;

- l’organisation des manifestations scientifiques;

- le conseil et l’assistance technique;

- la coopération nationale et internationale.

Le CENEAP, qui selon son site web dispose de 56 cadres et agents permanents et d’un réseau de près de 300 experts nationaux, a offert au cours des cinq dernières années près de 600 emplois temporaires à des jeunes diplômés, post-graduants et chercheurs. Ayant travaillé aussi pour des organismes internationaux (Ligue arabe, Union européenne, FNUAP, PNUD, UNICEF, Banque mondiale, Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, Fondation Konrad-Adenauer…), le centre a répondu, pour la seule année 2002, à 45 demandes d’organismes internationaux. Son chiffre d’affaire serait d’ailleurs passé de 16,6 M. de dinars algériens en 1996 à 68,6 M. en 2000, et à près de 130 M. pour le seul premier semestre 2002.

En plus de son site web, le CENEAP édite différentes publications et périodiques, dont la Revue du CENEAP qui présente les résultats des études, enquêtes, sondages d’opinions, et autres travaux réalisés en partenariat, et la Lettre du CENEAP qui informe sur ses activités en matière d’études[11].

L’INESG

L’Institut national d’études stratégiques globales (INESG), rattaché à la présidence de la République, a été créé en 1985 et ce, sur la lancée d’activités menées depuis 1982 par «un groupe de prospective et de réforme»[12]. Le caractère confidentiel de ses études opérées à la demande des décideurs a été accentué depuis les assassinats en 1993 et 1994, en pleine phase terroriste, de trois de ses directeurs. On lui doit notamment une étude prospective, dont la première version date de 1997 et qui irait jusqu’à l’horizon 2010. Selon Baya Gacemi, «essentiellement axé autour des thèmes de la stratégie et de la sécurité, le domaine d’action de l’Institut sur les domaines les plus importants de la vie socio-économique, englobant particulièrement les relations internationales et les questions de défense. Ainsi, des thèmes comme la sécurité alimentaire, la réforme administrative ou celle de l’enseignement, les nouvelles technologies et l’adhésion de l’Algérie à l’OMC, sont en cours actuellement».

L’INESG aurait été chargé aussi d’une étude sur la professionnalisation de l’armée algérienne, et est membre «des programmes Strademed et Euromesco, qui regroupent des décideurs opérationnels autour des programmes de réflexion sur les problèmes géostratégiques et politico-économiques en Méditerranée».

Les autres organismes publics

Il existe d’autres organismes que l’ONS, le CENEAP et l’INESG qui se sont vus attribuer des missions importantes par les organismes centraux de l’Etat. C’est le cas notamment de l’Institut national du travail (INT), du Centre d’étude et de recherche sur les professions et qualifications (CERPEQ), de l’Institut national de la santé publique (INSP) et de l’Institut national de recherche en éducation (INRE), ou de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), fondée en 1967 et qui intervient dans le domaine de la communication. Cette agence, qui s’occupe d’édition, de publicité et de marketing, intervient aussi dans le domaine de la presse à travers le Groupe presse et communication (GPC), qui gère la presse publique, et dans celui du sondage d’opinions à travers la création récente de l’Institut professionnel de sondage, de fabrication d’image et de marketing (IPSOFIM).

D’autres organismes sont aussi à prendre en ligne de compte. C’est ainsi que tous les ministères et grandes institutions d’Etat (Douane nationale, Banque nationale d’Algérie, Conseil national économique et social) ont leurs propres services statistiques et diffusent régulièrement des informations. Certains ont même, sous leur tutelle, de véritables bureaux d’études qui aident à la décision et à la réalisation des projets (habitat, travaux publics, industrie…, mais aussi grandes entreprises comme la Sonatrach…).

A cela, il faut bien entendu ajouter la recherche académique qui se mène à travers des thèses et mémoires mais aussi dans les laboratoires de sciences sociales et économiques rattachés aux universités, grandes écoles et instituts, ainsi que dans les Centres nationaux de recherche. Parmi ces derniers, on ne manquera de citer le Centre de recherche en économie appliquée et développement (CREAD), le Centre de recherche en information scientifique et technique (CERIST), le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) et le Centre de recherche scientifique et technique sur les régions arides (CRSTRA), ou encore des agences nationales telles celles chargées du développement de la recherche universitaire (ANDRU), ou de la recherche sur la santé (ANDRS).

Ce qu’il en est du secteur privé

Les mesures de libéralisation de la vie politique et économique qui ont vu le jour au lendemain des émeutes d’octobre 1988 sont à l’origine d’un foisonnement de bureaux d’études qui relèvent du secteur privé et qui touchent à des domaines multiples (plans d’urbanisation, sondages d’opinion, études de marchés et marketing…).

Le secteur associatif s’est mis aussi de la partie en s’investissant parfois dans les recherches économiques et sociales ou dans des domaines telle la protection de l’environnement, du consommateur ou même des salariés, avec l’émergence de nouvelles organisations syndicales et patronales qui s’investissent dans la recherche et la diffusion d’informations pouvant intéresser le public. Les associations à caractère culturel et scientifique ne sont d’ailleurs pas en reste.

Il faudra ajouter à cela le foisonnement de la presse écrite (l’audiovisuel demeurant toujours monopole de l’Etat) en langues arabe ou française, et qui est demandeuse de sondages d’opinion, réalisés parfois par des organismes privés qui ont vu le jour ces dernières années (on reviendra sur cette question des sondages).

Sur les résultats, conditions et finalités de la recherche empirique

La recherche empirique a donc en Algérie quelques traditions qui remontent à l’ère coloniale, puis a été largement sollicitée par les décideurs durant la période d’économie planifiée, même si son caractère monolithique a pu favoriser une instrumentalisation exagérée par les décideurs politiques de l’époque.

Les tendances à la libéralisation depuis 1988 et la crise qui a suscité la flambée terroriste depuis le début des années 1990 sont en train de poser de nouvelles exigences à la société algérienne. Un bref aperçu portant sur les résultats, conditions et finalités assignés à cette recherche pourront aider à la compréhension de la situation.

Les résultats de la recherche et les origines de la demande

La tradition de recherche dans le pays a permis l’élaboration d’un outillage statistique consistant et qui, dans certains cas, permet de remonter au moins jusqu’au XIXe siècle. C’est ainsi que les dénombrements officiels de la population sont menés simultanément avec la France depuis 1856 et en moyenne tous les cinq ans, le dernier recensement fiable opéré par les Français datant de 1954. En 1962, après l’indépendance du pays, l’ONS et les organismes qui l’ont précédé ont poursuivi ce travail tous les dix ans, avec les recensements de 1966, 1977, 1987, et même 1998, c’est-à-dire en pleine période de terrorisme et d’insécurité. Cette activité a été menée avec d’autres opérations telles des enquêtes démographiques, cartographiques, ou encore des enquêtes assez régulières menées auprès des ménages et des entreprises. Différents organismes ont conduit aussi des enquêtes sur l’emploi, la santé, la scolarisation et des thèmes aussi sensibles que ceux de la privatisation d’activités qui relevaient du secteur public, du travail, des femmes et des enfants, de l’usage des stupéfiants chez les jeunes, de l’étendue de maladies tel le sida, ou encore de la religiosité et de la culture politique chez les jeunes[13]. Des organismes tels l’INT, le CERPEQ, l’INSP, l’INRE ou le CENEAP disposent même de banques et bases de données dans leurs domaines respectifs.

Le CENEAP par exemple en a constitué sur des thématiques comme :

- la population et le développement,

- le genre en Algérie,

- les PME-PMI,

- le secteur agricole,

- et, en cours de réalisation depuis quelques années, une base de données nationales à caractère socio-économique, administratif et culturel.

L’intervention combinée avec d’autres organismes a permis aussi l’élaboration de projections et visions prospectives utilisées par les décideurs politiques (c’est le cas pour les études de l’ONS et de l’INESG).

La commande et les financements proviendront essentiellement de l’Etat et des organismes publics, plus rarement d’organismes internationaux, mais le privé national commence à poser ses préoccupations dans le domaine par exemple d’une meilleure connaissance des marchés et des sources potentielles de financement.

Sur l’utilisation effective des résultats de cette recherche et les contraintes qu’elle connaît

Une grande partie des résultats de cette recherche se traduit sans doute par des résultats efficients. Les manques à gagner demeurent cependant immenses et ils sont dus à différentes raisons. Certaines sont structurelles et liées au poids des hydrocarbures dans les investissements globaux. On se souvient des effets désastreux provoqués en Algérie par l’effondrement du cours des hydrocarbures.

Les effets qui s’en suivirent avec la flambée terroriste ont de même provoqué de nombreuses destructions et retardé de nouvelles réalisations. La pression démographique est aussi à prendre en compte. Ils ont aussi influé sur le rythme de réalisation des réformes dont certaines traînent depuis les années 1980 et qui pourtant deviennent de plus en plus pressantes avec les échéances telles les accords avec l’OMC et d’association avec l’Union européenne, et surtout avec les aspirations de la société[14], exprimées par la société civile et dont la presse rend compte régulièrement.

Le Conseil national économique et social (CNES), organe officiel gros consommateur d’informations statistiques, mais observateur impartial de l’évolution économique et sociale dans le pays, et très souvent critique implacable, reprochait dans un de ses derniers rapports répercuté par la presse écrite, le manque «de rigueur dans l’application de la loi et le laxisme qui entoure son exécution», ceci, bien sûr, en ciblant l’Etat et les différentes administrations. Le CNES estime aussi que la part de l’informel dans le secteur commercial et en valeur ajoutée serait du tiers du total, ajoutant que plus de 200 000 commerçants sur les 826 470 recensés n’activent pas conformément à la loi, et que plus de 50% des commerçants ne s’acquittent pas de leurs cotisations sociales.

Par ailleurs, au niveau de l’emploi, entre 1997 et 2002 et sur 6320 lieux visités par l’inspection générale du travail, «près de 45% des travailleurs ne sont pas déclarés à la sécurité sociale»[15].

Cela contribue toujours, selon le CNES, à un état de fait qui encourage «les comportements illégaux des acteurs économiques», d’une part, et conduisent, d’autre part, «à une triple conséquence: la croissance des infractions économiques avec son lot de manques à gagner au plan fiscal et social, la perte des parts du marché pour la production nationale, et les manifestations violentes des travailleurs exploités et des exclus du travail». En effet, l’impatience qui s’exprime dans la société et la décrédibilisation de certaines institutions et collectivités locales pousse assez souvent à l’émeute et parfois à l’émergence de ce qu’on a appelé les «mouvements citoyens». L’intérêt officiel pour une utilisation effective des résultats de la recherche en général n’en demeure pas moins réel et cette volonté s’est traduite, ces dernières années, par la création d’une Agence nationale de la valorisation de la recherche et du développement technologique (ANVREDET).

Pour développer l’efficacité de la recherche empirique et la mise en œuvre de ses résultats

Les inconvénients auxquels se trouvent confrontées la recherche empirique en Algérie ainsi que la mise en œuvre de ses résultats sont pour l’essentiel de même nature que ceux que l’on retrouve un peu partout dans le tiers-monde, et notamment dans la région Moyen-Orient-Afrique du Nord, le monde arabe en particulier[16].

En Algérie, ils s’expriment cependant à travers un certain nombre de spécificités, parmi lesquelles on peut relever:

- la déstructuration profonde de la société liée aux effets d’une colonisation de peuplement qui a duré près d’un siècle et demi;

- l’exclusion des Algériens des centres de décision et d’expertise à tous les niveaux durant cette période n’a pas permis un transfert dans les meilleures conditions de l’expérience acquise durant la colonisation aux nouvelles élites algériennes; il a fallu, dans de nombreux cas, reconstituer des administrations et services avec très peu de professionalisme à l’origine;

- les problèmes identitaires ont aggravé la situation puisqu’il a fallu très rapidement opéré une algérianisation des personnels et une arabisation linguistique avec, dans le domaine éducatif, une massification menée à un rythme très rapide.

A cela, il faut ajouter:

- le poids des hydrocarbures dans l’économie algérienne;

- la poussée démographique dans un pays où la population a triplé en l’espace d’une génération;

- le caractère centralisé de l’économie et la crise ces dernières décennies d’un modèle de gouvernance qui avait beaucoup emprunté aux pays socialistes de la seconde moitié du vingtième siècle.

Cependant, les différents handicaps ‑ qui ont pu d’ailleurs, à certains moments, avoir fonctionné comme des avantages ‑ ne sont pas insurmontables si des aménagements au niveau de la gestion politique de la société, dans le sens de plus de transparence, de plus d’équité et d’une meilleure impulsion de l’initiative à tous les niveaux.

Les gouvernants devront intervenir avec plus d’écoute de la société en opérant les réformes les plus adéquates, et la société devra s’impliquer de façon plus citoyenne en investissant des espaces tels le mouvement associatif, l’action sur le plan local[17] et dans les domaines les plus divers.

Une meilleure prise en charge des résultats de recherche empirique passe aussi par une meilleure coordination avec les institutions et entreprises publiques et privées, ainsi qu’avec les moyens d’information. Cela sollicitera de tous plus de professionnalisation, renvoyant aux performances des systèmes de formation en général et du système éducatif et universitaire en particulier.

La réforme du système éducatif algérien devient, dans ce contexte, incontournable. Une plus grande crédibilisation du système judiciaire aiderait aussi, sans doute, beaucoup à un meilleur déploiement des potentialités de la société algérienne. De larges débats de société ont d’ailleurs cours depuis quelques années autour des questions de réformes des systèmes éducatif et judiciaire, de l’Etat et du code de la famille.

Les priorités de la recherche empirique selon les décideurs politiques

Pour avoir une information sur les priorités de la recherche empirique selon les décideurs politiques, nous pourrons nous référer au texte législatif le plus récent qui ait été produit à ce jour, en date du 22 août 1998, portant «loi d’orientation et de programme à projection quinquennale sur la Recherche scientifique et le développement technologique 1998-2002». Cette loi fixait une liste de 30 projets nationaux de recherche prioritaires (PNR) et qui sont énumérés dans l’ordre suivant:

- l’agriculture et l’alimentation,

- les ressources hydriques,

- l’environnement,

- l’exploration et l’exploitation des matières premières,

- la valorisation des matières premières et les industries,

- les sciences fondamentales,

- l’énergie et les techniques nucléaires,

- les énergies renouvelables,

- les technologies de l’information et de l’informatisation,

- les technologies industrielles,

- les biotechniques,

- les technologies spatiales et leurs applications,

- la construction et l’urbanisme,

- l’habitat,

- la santé,

- les transports,

- l’éducation et la formation,

- la jeunesse et les sports,

- la langue nationale,

- la traduction,

- la culture et la communication,

- l’économie,

- l’histoire, la préhistoire et l’archéologie,

- le droit et la justice,

- la population et la société,

- les sciences humaines,

- la communication,

- l’aménagement du territoire et le développement des régions arides,

- les hydrocarbures,

- la linguistique.

Cette énumération ne peut avoir de signification que si on sait que la même loi proposait de mobiliser pour cette période quinquennale quelques 6026 équipes de recherche, en faisant passer la part de financement de la recherche scientifique de 0,2% à 1% du produit intérieur brut (PIB). En l’absence de bilan disponible, il n’est pas possible de dire si les objectifs ont été atteints. L’intérêt pour la recherche appliquée et la recherche développement est cependant évident, et l’information est plus précise lorsqu’on sait que chacun de ces PNR se répartit en plusieurs domaines, lesquels se divisent en axes de recherche qui comprennent chacun toute une série de thèmes.

Le PNR intitulé «Population et société» qui nous intéresse ici plus particulièrement comprend par exemple 7 domaines de recherche, répartis en 32 axes et 118 thèmes.

Nous nous limiterons ici à présenter les intitulés des différents domaines et axes constitutifs de ce PNR.

Domaines n° 1: Ville et espace urbain

Axe 1 :  ville et dynamique de l’espace urbain

Axe 2 :  ville, pouvoirs et citoyens

Axe 3 :  ville et modes de vie urbains

Domaines n° 2 : Espace rural

Axe 1 : restructuration foncière et évolution des populations rurales

Axe 2 : évolution des milieux spécifiques

Axe 3 : habitat et occupation de l’espace

Axe 4 : relation villes-campagnes

Axe 5 : modes de vie et sociabilité

Domaines n° 3 : Famille, femme et société

Axe 1 : structure familiale, évolution et tendances

Axe 2 : nuptialité, évolution et tendance

Axe 3 : procréation, femme et famille

Axe 4 : enfance et socialisation

Axe 5 : les solidarités familiales

Axe 6 : droit de la famille et comportements familiaux

Domaine n° 4 : Migration et répartition spatiale de la population

Axe 1 : le système de migrations traditionnelles

Axe 2 : les nouveaux processus migratoires internes

Axe 3 : les migrations externes

Axe 4 : politique de développement et migrations

Domaine n° 5 : Le travail et l’emploi

Axe 1 : structure et évolution de l’emploi

Axe 2 : représentation et rapports au travail

Axe 3 : activités informelles

Axe 4 : emploi féminin

Axe 5 : chômage

Domaines n° 6 : Mobilité sociale

Axe 1 : les catégories socio-professionnelles Formation et évolution

Axe 2: facteurs et critères de mobilité sociale

Axe 3 : phénomènes de marginalisation et de déclassement

Axe 4 : formation et statut des élites au niveau national et local

Domaine n° 7 : Savoirs, expressions et imaginaire

Axe 1 : savoirs et savoir-faire traditionnels

Axe 2 : savoirs, Mémoire et Pouvoirs

Axe 3 : imaginaires et expressions esthétiques

Axe 4 : rituels, symbolique et mode de transmission

Axe 5 : oralité et sources écrites

A propos de la presse et des sondages d’opinion

La présentation aussi sommaire soit-elle que nous tentons de faire ici des enquêtes et recherches empiriques sur les questions de gouvernance en Algérie serait moins judicieuse si on n’y abordait pas, même de façon succincte, le rôle joué par la presse (nous nous limiterons à la presse écrite), et en particulier dans le domaine de l’élaboration et de la diffusion des enquêtes d’opinion. Nous nous intéresserons, bien entendu, à ce qui a attiré le plus l’attention: l’élection présidentielle d’avril 2004; autrement dit, les sondages politiques en période de campagne électorale. Cela nous aidera à avancer quelques remarques plus générales concernant l’usage des sondages dans le pays.

Sur la presse écrite en Algérie

Jusqu’en 1988 et depuis 1962, la plupart des titres de presse étaient étatisés et fonctionnaient sous la tutelle du parti du FLN et du ministère de l’information. Après octobre 1988, les choses allait changer: des dizaines de journaux verront le jour, lancés par le secteur privé, avec un tirage quotidien global de près de 1,5 million d’unités, certains tel le Quotidien d’Oran (en langue française) atteignant 200 000 exemplaires, voire 500.000 pour El Khabar (en langue arabe).

C’est là une percée notable, qui est encouragée et parfois soutenue par les gouvernants, même si la libéralisation n’a pas encore touché le secteur de l’audiovisuel. On peut constater que, d’une manière générale, les différents organes de presse représentent un assez large éventail de lignes éditoriales et d’opinions assez, et que la liberté de ton y est courante, malgré l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis le début des années 1990, et le fait que des journaux, pour de bonnes ou mauvaises raisons, aient eu à avoir affaire avec la justice. La presse écrite, qui touche des millions de citoyens, a pu ainsi jouer un rôle important dans l’information de et sur la société, dans un contexte ­ faut-il le rappeler ‑ où elle constituait une des cibles du terrorisme, même si le professionnalisme est souvent à asseoir encore. En tous les cas, elle a servi de vecteur important dans la diffusion et la vulgarisation des résultats des recherches quantitatives et qualitatives portant sur la société algérienne et le monde en général.

La presse et les sondages politiques

C’est avec les élections pluralistes menées à partir des années 1990 que va être inaugurée en Algérie indépendante la pratique des sondages. Nous nous intéresserons ici à ceux qui ont été menés à la veille, d’une part, des élections législatives de décembre 1991 et, d’autre part, de l’élection présidentielle d’avril 2004, parce qu’ils nous semblent les plus révélateurs par leurs résultats et les discussions qu’ils ont suscitées. Sans rentrer dans les détails, on peut dire que, dans les deux cas, les résultats obtenus ne correspondaient pas aux chiffres avancés par les sondeurs.

En vue des élections de 1991, les sondages menés par des organismes officiels tels l’INESG et le CENEAP ou même par certains journaux ne laissaient pas prévoir la victoire du Front islamique du Salut (FIS), sous-estimant certainement l’effet vote-sanction contre l’ancien parti unique du FLN. Les quelques journaux qui avaient pronostiqué la victoire du FIS avaient, en revanche, surestimé les résultats[18].

En 2004, les sondages menés par des bureaux étrangers (tel IMAR de Paris) ou nationaux tels l’institut Abassa (privé) ou l’IPSOFIM (public) avaient laissé prévoir la victoire de Bouteflika, mais en sous-estimant largement l’ampleur (55 à 65% de voix envisagées alors que le score avait atteint près de 85% des votes exprimés, et ce dès le premier tour des élections). Et la presse privée n’avait pas, pour l’essentiel, rendu compte de ces sondages[19], arguant leur coût élevé ‑ un argument qui pourtant a été surmonté lors des élections précédentes, législatives ou présidentielles: sans doute, les choix éditoriaux étaient-ils différents…

Par ailleurs, les résultats obtenus aussi bien en 1991 qu’en 2004 avaient parfois été expliqués par le «bourrage des urnes», mais s’il a pu avoir lieu, il ne semble pas avoir influé de façon significative sur les résultats, les raisons du succès du FIS puis de Abdelaziz Bouteflika (et du général Liamine Zéroual avant lui) étant à rechercher ailleurs. En fait, on peut considérer que, lors de ces deux élections (et sans doute des autres), la presse publique ou privée a, pour l’essentiel, sacrifié son devoir d’informer aux différentes lignes éditoriales.

Ces sondages indiquent, par ailleurs, que, malgré les progrès et l’expérience accumulée en un peu plus d’une décennie, et bien que le sondage d’opinion ne constitue pas une science exacte, les comportements électoraux des Algériens, et d’une manière générale tout ce qui touche à la société, demeurent encore assez peu maîtrisés par les experts et, bien au-delà, par les élites du pays. Rien ne semble avoir marché parmi les méthodes utilisées («probabiliste», «des quotas», ou «aréolaire»).

En réalité, comme le souligne Mohamed Réda Mézoui, «un constat objectif est à faire: c’est l’absence d’une culture des données chiffrées dans la société algérienne»[20]

La culture des sondages

Il y a bien une tradition des données chiffrées en Algérie et qui remonterait pour l’essentiel, comme nous l’avons déjà abordé, à la période de colonisation française. La rupture brutale engendrée à l’indépendance du pays a certainement contribué aux manques à gagner dans la maîtrise de ce savoir. Cependant, la nature jacobine et centralisatrice de l’Etat national, notamment dans le domaine économique (option socialisante), a obligé les pouvoirs publics à investir massivement dans le domaine de la connaissance statistique de la société. Les sondages d’opinion nécessitent, pour leur part, une culture pluraliste – incompatible, il est vrai, avec l’unanimisme hérité du nationalisme algérien, devenu quelques décennies durant une culture d’Etat dans le pays. La société marquée par une demande identitaire et des besoins de développement pressants a d’ailleurs eu tendance à renvoyer aux pouvoirs publics leur propre image, et il faudra sans doute, à ce propos, revisiter, en contexte post-colonial, les concepts gramsciens de «consensus» et «d’hégémonie». De même en Algérie comme ailleurs dans le monde arabe, la transition d’un comportement dominant de type «communautaire» à un rapport plus «sociétal» (au sens de Ferdinand Tönnies) a encore du mal à s’opérer, d’où les difficultés d’affirmation d’une «société civile».

Contrairement aux relevés statistiques, les sondages d’opinion étaient cependant inconnus dans l’Algérie coloniale parce qu’on ne demandait par leur opinion aux Algériens. De même, la tradition sociologique française, qui remonte à Auguste Comte, Le Play et Durkheim, ne perce vraiment dans la recherche qu’à partir de 1946 avec la création au sein du CNRS (lui-même fondé en 1939) du Centre d’études sociologiques (CES), et dans les études universitaires qu’en 1958 avec la création de la licence de sociologie. L’enseignement de la démographie n’émergeait pleinement, quant à lui, que dans les années 1960, et cela bien que l’Institut national d’études démographiques (INED) ait été fondé dès 1945. La sociologie était donc une discipline encore nouvelle pour les Algériens en 1962 qui, trop braqués contre l’usage de l’ethnographie coloniale, l’intégrait dans leur cursus universitaires de façon fort marginale et instrumentée.

Les sondages d’opinion empruntés aux Américains (avec notamment le sociologue Lazarsfeld) ne pénètrent d’ailleurs timidement en France que durant la seconde guerre mondiale (avec Jean Stoetzel) pour commencer à être couramment utilisés en politique dans les années 1950, sous l’auspice de l’Institut français d’opinion publique (IFOP). Ce dernier en usera d’ailleurs pour connaître l’opinion des Français sur l’évolution des conflits coloniaux au Vietnam, en Tunisie et … en Algérie entre 1954 et 1963[21].

Les Algériens n’ont pour leur part découvert l’usage du sondage d’opinion que depuis ces dernières années, et ils regardent encore cette pratique avec curiosité et quelque scepticisme, comme un gadget en quelque sorte. Certains parmi les gouvernants et les élites commencent cependant à en découvrir l’intérêt, et lorsque la technique leur semblera vraiment fiable, ils s’en saisiront.


Notes

[1] Atelier tenu à l’initiative du Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) et de la Banque mondiale, Rotona Hamzieh Hotel, Beyrouth, Liban, 29-30 juillet 2004.

[2] Cf. Lettre aux participants de l’atelier en date du 18 mars 2004, adressée par Salim Nasr en sa qualité de directeur général du LCPS.

[3] Cf. Rapport sur le développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord: «Vers une meilleure gouvernance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Améliorer l’inclusivité et la responsabilisation» (Banque Mondiale, Washington 2003). Résumé voir page 6.

[4] Cf. Charles, André-Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, Paris, Payot, 1966, 2 vol.

[5] ibid

[6] cf. les articles «ilm-al-hisâb et «muhasabat» in Encyclopédie de l’Islam. Cf aussi, de Georges Ifrah, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1984. Hamdane Khodja donnera dans son Miroir de la Régence (Al Mir’a), rédigé au lendemain de la colonisation, un aperçu statistique sur l’Algérie de la fin de la période ottomane.

[7] 1801, aussi, en Grande-Bretagne, 1790 aux Etats-Unis, 1703 en Islande, et 1749 en Suède. Le premier recensement en Prusse date de 1810 et, en Autriche-Hongrie, de 1818.

[8] Pour savoir plus sur l’évolution administrative durant la période coloniale en Algérie, on pourra se référer aux de Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, I: Conquête et colonisation, Paris, PUF, (1964 et 1979); Ageron, Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaine, II: 1871-1954, Paris, PUF, 1979; Collot, Claude, les Institutions de l’Algérie coloniale (1830-1962), Paris, CNRS, Alger, OPU, 1987.

[9] Pour tous les textes de lois que nous venons de citer, on pourra se référer au Journal officiel de la République algérienne.

[10] Site web: http://www.ons.dz/index.htm

[11] Pour plus d’informations sur le CENEAP, consulter son site web : http://www.cneap.com.dz/cneap/plq/08act.htm

[12] Cf. à ce propos l’article de Baya Gacemi en date du 25 février 2000, publié dans le site web d’Algéria- interface.

[13] On pourra lire le compte-rendu (en arabe) fait par Mohammed-Farid Azzi sur une enquête menée par des universitaires sur la relation entre la religiosité et la culture politique dans Insaniyat n° 11, mai-août 2000 (volume IV, 2).

[14] Pour ce qui est de la question du système politique algérien, de la colonisation à nos jours et de la façon dont est posée la problématique des réformes aujourd’hui on pourra se référer aux ouvrages suivants:

  • Jean Leca, Jean Claude Vatin: Algérie politique, institutions et régime. (Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris 1975).
  • Abdelkader Djeflat (Sous la dir.): L’Algérie de Novembre à l’ajustement structurel. (CODESRIA, Dakar et Karthala, Paris 1999).
  • Ahmed Mahiou et Jean Robert Henry (Sous la dir.): Où va l’Algérie. (Ed. IREMAM, Aix-en-Provence et Karthala, Paris 2001).

[15] Cf. le Quotidien d’Oran du 12 juin 2004.

[16] Les problèmes constituent en partie l’objet du rapport sur le développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, dont un résumé a été diffusé en Septembre 2003 par la Banque mondiale.

[17] La revue Insaniyat éditée par le CRASC (Oran) a eu à ce propos à consacrer deux dossiers aux Mouvements sociaux et associatifs, et aux acteurs et représentations du local en Algérie. Cf. Insaniyat n°8, Mai-Août 1999 (vol. III, 2), et n°16, Janvier-Avril 2002 (vol. VI, 1).

[18] Pour plus de détails, on pourra se référer à ce propos à:

Mezoui, Mohamed Réda, «Esquisse d’une réflexion sur le sondage politique en Algérie», In Idara, Vol. 12, n°2, Alger, 2002.

[19] Ce qui n’est pas le cas par exemple pour l’organe officiel El Moudjahid qui par exemple dans sa livraison du 29 mars 2004 avait sorti à la une les projections de IMAR.

[20] Mézoui, M.R., in Idara (Op. cit).

[21] Confère à ce propos la contribution de Ageron, Charles-Robert in Rioux, Jean-Pierre (sous la dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Paris, Ed. Fayard, 1990.

 

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