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Mouvements associatifs et mouvement social : le rapport Etat / société dans l'histoire maghrébine

Insaniyat N°8 | 1999 | Mouvements sociaux, Mouvements associatifs | p. 05-19 | Texte intégral


Associative movements and social movement : the relationship state, society in Maghreb history

Abstract : ssociative movements, prenational at first, arc still religious communities and under the influence of patrimonialism : the two endogenous forms which meet elsewhere in varying degree, are the brother hood and corporation. Next the national group is also a communal and identic transition, from ethnic community to political collectivity. Under colonisation, in a cohabitation longly mixed in trade unions, organisation forms of workers’ movement have been vested and adopted, until constituting a national and state model on the trimonial : party-trade-union-mass organisation : youth, scouts, students, women... Thirdly the independent state will develop this framed structure, the aim is to forbid all together everything that the associative movement reconstituates in counter society and recovers a constatation function in state order.
It is in the unequal balance between public society which draws on the state and subventioned society which enlargens social demean and dispair, that associative action has a lot to do, to make headway Today work in the national society appears divided between social emancipation, thus associative, puttig in front movements far rights. (women’s rights, cultural rights, human rights), and communatiry reactions of conjointly religious and nationalistic populisms.

Keywords : associative movements, social movements, the labor movement, protest, colonization


René GALLISSOT : Institut Maghreb – Europe, Université Saint – Denis, Paris VIII.


Passer de l'étude des mouvements sociaux à celle des mouvements associatifs est un signe des temps; cela correspond à la crise du mouvement ouvrier qui a été pris pour modèle d'appréhension des mouvements sociaux, et aux manifestations des nouveaux mouvements sociaux portés précisément par des autonomisations associatives et des moments de solidarité[1]. C'est aussi s'écarter de l'histoire sociale dont l'objet est précisément le mouvement social au singulier, dans les vicissitudes des luttes de classes, pour privilégier une approche d'anthropologie culturelle, éclectique et anecdotique sinon indéfinie. Mais il est aussi des historiens, comme Maurice Agulhon, qui ont traité de front les modes associatifs ou les formes organiques de sociabilité en les inscrivant sur l'échelle des relations sociales et des mobilisations politiques, en fait dans l'histoire nationale, directement patriotique même[2].

Distinctions principielles

Peut-être faut-il mieux distinguer les mouvements sociaux inscrits dans les rapports de classe et qui ne répondent pas forcément au modèle ouvrier de l'industrialisation; il suffit de penser aux mouvements agraires et aux manifestations de masses en déclassement. En tout cas, pour reprendre une idée de Marx, devenue générale ce n'est que dans la société moderne ou dans le capitalisme devenant mondial, que sont agissants en tant que tels et l'économique et le politique, ce qui donne la condition pour qu'il y ait explicitement ces mobilisations proprement sociales. Les mouvements sociaux sortent de l'enveloppe des mouvements communautaires marqués doublement par l'idéologie de la parenté et la religion, rompent les liens idylliques pour révéler l'inégalité sociale[3].

Les mouvements associatifs sont bien plus insérés dans l'écheveau des relations sociales ou de sociabilité, des relations natives et familiales de proximité, qui se tend dans ces complexes relationnels que sont les communautés locales de groupes et des milieux d'habitat, de travail et de loisir ou hors travail. Par la fréquentation et l'interconnaissance, ces espaces relationnels intensifs dessinent des communautés d'appartenance qui sont projetées dans la mythification ou la mystique du communautarisme global de référence, celle des grandes communautés imaginées, généalogiques, religieuses ou plus concrètement nationales pour les temps contemporains. La fonction identitaire opère ainsi très fortement au risque du repli particulariste / corporatiste ou de l'eschatologie communautariste / populiste.

La fragmentation associative est grande et les participations peuvent être multiples. Il n'en reste pas moins que ces groupements de solidarité variable, sont traversés par les inégalités, à commencer par l'inégalité sociale de sexe, qu'ils cherchent à recouvrir; ils ne se tiennent pas plus en dehors des rapports économiques, des hiérarchies de statuts qui font les majorités dominantes et les minorités. En particulier une grande distinction marque les associations qui font entrer dans la société établie et elle est établie par l'Etat l'établissement constitutif de la société publique, et les associations ou l'associationnisme informel, contre-étatiques sinon en dehors de l'Etat. Les mouvements associatifs appartiennent au rapport entre Etat et société qui est conflictuel, peut aussi être négatif, et ne se réduit pas à l'illusion simplifiante du lien social.

L'histoire contemporaine est placée sous le sceau de l'identification nationale qui différencie ou incorpore les formes associatives. Aussi particulièrement sous domination coloniale, les recouvrements sont forts entre mouvements proprement sociaux, groupements associatifs et affirmation nationale. Au Maghreb, le mouvement national tient lieu de mouvement social, du moins dans la préparation des indépendances. Il serait possible de repérer un étirement télescopique de caractère ternaire. Les mouvements associatifs, prénationaux d'abord, sont encore communautaires religieux et sous emprise de la parenté et du patrimonialisme; les deux formes endogènes mais qui se retrouvent ailleurs à degrés divers, sont la confrérie et la corporation. La formation nationale ensuite est aussi une transition communautaire et identitaire de la communauté ethnique à la collectivité politique. Troisième temps, aujourd'hui, le travail dans la société nationale serait double sinon ambivalent, écartelé entre l'émancipation sociale, associative donc, poussant en avant des mouvements de droits, et les réactions communautaires des populismes conjointement religieux et nationalistes.

Sous la colonisation, les modes associatifs, encore peu étudiés, ont été démultiplifiés en amicales et compagnonnages divers, en réseaux migratoires prolongeant le localisme et le cousinage, mais aussi en groupements patriotiques différenciés sous couvert de loisirs ou de sports notamment. Plus encore, dans une cohabitation longtemps mixte dans les syndicats, les formes organisationnelles du mouvement ouvrier ont été investies et adoptées, jusqu'à constituer le modèle nationaliste et étatique sur le trinôme parti-syndicat­-organisations de masses typées : jeunes, scouts, étudiants, femmes...

L'Etat indépendant développera cette structure d'encadrement qui formalise jusqu'au monopole le mode associatif et tentera de l'étendre à l'émigration. Aussi le mouvement associatif ne peut-il resurgir que par autonomisation. Mais ces modulations ne prennent sens que dans le rapport Etat/société, dans la nationalisation de l'Etat et l'étatisation de la société, comme dans la mutation qu'expriment les Maghrébins d'Europe en diasporas> post-migratoires. Ces hypothèses sont à soumettre à l'épreuve d'une histoire longue.

Mouvements associatifs et extériorité de l'Etat pré-colonial et colonial

Nous raisonnons au présent à partir de l'Etat national et avons quelque peine a nous re-situer dans le champ des souverainetés antérieures ; celles-ci ne pénétraient pas les sociétés en profondeur mais agissaient à travers des modes militaires et religieux de corps de pouvoir dominants comme surimposés, qui commandaient tant bien que niai les populations, en laissant échapper au demeurant une grande part. L'Etat était lointain sinon absent, extérieur comme étranger, avant même la distinction entre national et étranger. Les mouvements de mobilisation de masses qui ne sont donc pas autonomisés comme mouvements sociaux, suivent des entraînements de protestation religieuse qui en appellent au retour à la pureté morale et à la fraternité mystique qui tient lieu d'égalité, quand ils ne deviennent pas explicitement des mouvements messianiques par la promesse d'un mahdi.

Prenant la forme de soulèvements, ces mouvements peuvent apparaître comme des forces de contestation de l'Etat en prétendant au changement de l'empire sultanien et à l'établissement d'un Etat véritablement musulman ou réformé; mais cette représentation de l'Etat reste dans la nébuleuse d'un moralisme eschatologique. Cette caractérisation est peut-être plus vraie dans une histoire profonde pour la succession sans base géographique fixe, des Empires musulmans au Maghreb et au-delà, et conjointement des schismes et des affirmations d'orthodoxie religieuse. Ces grandes vagues laissent place aux mouvements, notamment confrériques, de protestation contenue, négociée ou ouverte des groupements religieux minoritaires au sens de condition subordonnée, en repli régional ou en communautés citadines. Cela constitue un socle ancien pour l'expression de manifestations sociales.

Dans la période moderne de la périodisation historienne, disons du XVIIe au XIXe siècle, soit l'époque proprement pré-coloniale, par l'effet des relais commerciaux et monétaires, la présence portuaire, la pénétration de la "protection" externe, le Maghreb est enfermé sur lui-même dans une dépendance progressive et le repli sous un compartimentage tribal voire caïdal. Aussi les mobilisations populaires Si l'on peut dire à travers l'entrelacs de réseaux confrériques recouvrant le maraboutisme, sont-elles prises dans ce cadre tribal et confrérique, et pour l'essentiel insérées dans les luttes et guerres locales de ligues et de tribus qui identifient les groupes. Certes la contestation peut apparaître anti-étatique, dans la distance de ce que l'on appelle par exemple siba. par les changements d'allégeance et la révolte de chefs et plus encore par les soulèvements confrériques qui refusent les prélèvements et combattent les exercices de domination fiscale et militaire. C'est au reste un signe de formation de l'Etat que les mouvements sociaux commencent par des mouvements anti-fiscaux qui mettent en cause cette avancée de la puissance étatique qui surplombe la société. Car l'Etat n'est pas encore a l'intérieur des sociétés; il n'est pas "indigénisé", quand les mouvements et soulèvements sont fortement identaires à échelle locale et régionale dans le partage des alliances, comme transversalement dans l'imaginaire communautaire religieux.

Certes la part des groupes et classes dominantes, en liaisons citadines ou dans les médinas, par les corporations et les familles élitaires fondées sur le patrimoine et la notabilité et qui fournissent aussi la cléricature des ouléma et la magistrature, est déjà incorporée à la "société étatique", indirectement par l'allégeance ou directement par la participation maglizénienne ou beylicale. Les prises de position par rapport aux mouvements contestataires sont certes réversibles; ces puissances familiales pratiquent la médiation et plus encore prennent part à la répression et au rétablissement de l'ordre; en un sens leur rapport à l'Etat est premier; leur existence et déjà leur statut social dépendent de l'Etat dont la centralité est encore pluripolaire, étagée ou lointaine. Ces segments de classe sont les seuls à être réellement inscrits dans l'ordre étatique, tout en se reproduisant dans leur mode patrimonial familial.

Ce rappel tend à manifester par delà le socle de mobilisation religieuse à dominante confrérique, la dépendance et l'encadrement de tout mouvement et des formes associatives, par un commandement patrimonial. En disant commandement patrimonial, je fais certes référence à ce que j'ai désigné comme mode précolonial sous l'appellation de féodalité de commandement[4] mais plus encore je veux marquer l'intrication des liens de collectivités locales et de "pays" (régions comme l'on dit aujourd'hui, ou domaine pastoral), et la dépendance de chefs de familles qui donnent ces chaînes de familles prises en alliances, matrimoniales donc, sous la commande de chefs, dans l'affrontement de ligues rivales et la mobilisation contre-étatique. Il ne s'agit pas simplement de rapports de parenté et de segmentarité, qui ne sont que des modes d'exposition, mais de rapports illégaux de pouvoirs qui fondent la subordination sur la puissance patrimoniale, masculine par le chef. Le chérifisme et l'organisation confrérique ne font pas exception, mais sacralisent ce système organique des relations sociales dans l'inégalité de ces bases économiques.

Les mouvements proprement associatifs à la base aussi bien agro-pastorale que corporative, la solidarité liée aux pratiques collectives, en particulier dans l'indivision de la propriété, ne paraissent pas échapper à cette prépondérance patrimoniale et à la dépendance des chefs de familles, même quand l'on parle de démocratie au village. Tant qu'elles ne sont pas encore extériorisées comme telles, les mobilisations sociales sont contenues dans cette enveloppe, tenues de l'intérieur par ces liens de dépendance dont la reproduction ne cesse pas à travers dislocation et recomposition, tout en se transformant et changeant de sens sous la colonisation notamment.

Non seulement par effet de la violence de la conquête et par la résistance, l'Etat colonial reste extérieur, il est aussi l'Etat ennemi qui devient l'Etat étranger par la montée du mouvement national. L'extériorité de l'Etat est donc renforcée, et par-là, les mouvements sociaux et pour partie les mouvements associatifs dans la mesure où ils sont définis ou traversés par la "situation coloniale", et le mouvement national qui va dominer le mouvement social, vont agir non plus en dehors ou sur les marges de l'Etat, mais devenir anti­-étatiques. Alors que dans la situation précoloniale, le rapport était faible ou secondaire, c'est cette fois un rapport fort et direct à l'Etat, fut-il négatif. Il est contre-étatique mais gros d'une dépendance. L'Etat se trouve à la fois dévalorisé comme le maghzen ou le beylik, qui étaient extérieurs à la société, et en même temps surfait pour sa force organisée, militaire paternaliste notamment, qui se distingue de la brutalité et de la rapacité des colons. Et la demande d'un Etat national devient une aspiration à l'Etat comme à la fonction publique qui seraient l'envers de l'oppression et de la discrimination coloniale, non sans accord avec la sublimation de l'Etat républicain français que représentent l'école et ses apôtres et les intellectuels, sinon l'autre France qui est métropolitaine.

L'instrumentalisation de l'Etat et le mépris sont renforcés, d'autant que l'usage colonial est lui aussi terriblement instrumental et que l'étatisation coloniale se développe comme Etat administratif approprié par les fonctionnaires et le peuplement colonial, donc inhérent à la société coloniale, mais foncièrement externe, sauf entrisme et collaboration, à la société colonisée. Ce n'est pas un crime, de voler l'Etat ni d'avoir recours à ses services quels que soient les moyens employés, les biens de l'Etat sont appropriables moins par l'action directe peu praticable, que par des actes coalisés mettant à contribution les liens de parenté et de connaissance, les relations locales, familiales et sociales.

De la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, les archives de l'Etat qui sont d'abord des archives de police et de surveillance, font passer de la délinquance, des vols et délits contre l'Etat, du brigandage et du banditisme, qui ne disparaissent pas totalement et peuvent resurgir en conjoncture de violence ouverte, au détournement, à l'abus des biens publics, au parasitage et à l'usage privatif des services publics. On pourrait dire plus généralement que l'on passe en même temps dit backchich qui demeure effectif, au piston qui est la voie d'étatisation des solidarités [5]. Dans la dépendance, puisque la société coloniale dite européenne est prépondérante. Il y a là un premier conditionnement du rapport associatif à l'Etat ; ou pourrait parler d’habitus collectif

Il serait intéressant d'étudier l'associationnisme dans la société coloniale prépondérante, dans la haute société des cercles militaires, des clubs et la vie mondaine, celle des représentations publiques, des loisirs de yachting et de racing, chevaux, chasses, chiens et automobiles compris, des courts de tennis, dans ses uniformes et ses tenues, dans sa double parade masculine et féminine qui a sa propre division de l'exercice de représentation, etc..., ne serait-ce que pour voir, par la suite, les mimétismes et l'appropriation privative nationale des cercles et clubs. Mais c'est à tous les degrés sociaux qu'il faut repérer ces adoptions des formes d'amicales, des associations de loisirs, des sports et des jeux, d'usage des lieux publics dans la divion sexuelle des relations.

En étudiant principalement les mouvements politiques et le syndicalisme, l'on perd de vue cet associationnisme autonome, certes corporatif, lié à des groupements d'originaires ou à des amicales d'anciens, mais aussi fortement coopératifs dans l'approvisionnement, le logement, les soins, les services, bref mi mutuellisme social qui peut-être parapublic au bénéfice de la prépondérance coloniale et des entrées dans l'Etat administratif. L'associationnisme est tributaire du statut social et de la place dans l'Etat.

De l'associationnisme colonial au mouvement national mixte et identité musulmane

L'associationnisme à degrés divers a été mixte entre coloniaux/Européens et colonisés / nationaux, et se trouve ainsi constitutif du mixte culturel, sur place, et par transposition inversée ou extrapolation, mixte de l'immigration nord-africaine en France et des Maghrébins d'Europe[6]. Les deux lieux majeurs qui supportent cette rencontre sont l'école et le syndicalisme, et sur un autre plan l'armée coloniale avec une grande familiarité de fréquention mais un esprit de distance hiérarchique qui vulgarise, sous paternalisme voire fraternalisme, des jugements racistes, les anciens de l'armée et plus encore les anciens combattants constituent un fort milieu associatif, officialisé même et pratiquant la double nationalité.

Sous la colonisation, l'école n'est que partiellement ouverte aux 'indigènes" et non sans ségrégation ; l'attraction de l'école française devient cependant très forte; une promotion boursière est possible. L'école française n’est pas toujours mixte entre garçons et filles, mais s’ouvre à cette mixité ultime dans les grandes classes. Les écoles religieuses comme les écoles publiques suscitent un associationnisme d'anciens élèves; les amicales peuvent être de fait distinctes, se disant musulmanes, comme il y a des anciens des écoles juives de l'Alliance. La marque par l'enseignement demeure comme l'exemplarité d'enseignants. Cet associationnisme est aussi périscolaire, pour les scolaires, les collégiens et les lycéens, scouts et patronages compris, jusqu'aux Unions étudiantes pour plus tard, ou la fréquentation des groupes de Jeunesses de l'action missionnaire ou des noyaux politiques ; au reste l'on retrouve souvent les mêmes enseignants. Les associations sportives naissent dans la mouvance de ces regroupements et fréquentations, et par ailleurs par extension corporative.

L'autre lieu de mixité qui correspond à la mixité dans le travail est la maison commune que sont d'abord la Bourse du travail et la C.C.T. en relais de ce que fut la C.G.T.U. communisante anarcho-syndicaliste des années 1920. Alors que la rivalité se joue entre les partis, parti communiste et parti socialiste en mineur et le mouvement national, que l'entrisme compte ses places dans l'organisation, et que les réunions se préparent dans des cafés qui se font face, la C.C.T. reste la maison commune jusqu’à la fin, jusqu'aux années cinquante de formation tardive des centrales nationales.

La mixité, l'action commune et la camaraderie touchent des milliers et des dizaines de milliers de militants certes fluctuants mais aussi très engagés, et par roulement sur des années, l'ordre est de centaines de milles. Certes la mixité est inégale, déjà dans le travail par la différence de salaires et bien souvent de fonctions; l'habitat est distinct, chacun rentre dans son quartier, car la ville est partagée en quartiers ethniques, et les quartiers de petits blancs sont portés à l'expansion gestuelle raciale dans la familiarité même. Les pratiques relationnelles, sauf exception, et les liaisons familiales échappent à la mixité ; il y a donc une distorsion entre modes de solidarité et organisations associatives d'autant que celles-ci n'ont pas la même localisation, et renforcent encore la prépondérance masculine jusqu'à l'exclusivité. Après la mixité de l'école et des études, le mariage fait aussi rentrer dans l'ordre des normes collectives familiales/religieuses/nationales.

La mixité représente une transgression de l'ordre colonial ; sur un court de tennis, les yaouled indigènes ne sont que les ramasseurs de balles des "blancs"; l'ordre racial et l'ordre social sont respectés. Certes il existe une marge de fréquentation particulièrement dans la proximité de l'école et de l'engagement social et politique, mais c'est la réaction de défense coloniale qui accompagne la conservation de l'ordre social, qui va donner une grande vigueur et une homogénéité à cet associationnisme et maintenir le rapprochement. Le fait colonial fait porter la suspicion sur ces pratiques associatives, fussent-elles de loisirs, place sous surveillance ces amicales et cercles d'études qui préparent la syndicalisation et le regroupement politique; et bien sûr la répression cherche à casser ces rapprochements d'anarchisme ou de communisme et de nationalisme, d'autant que les "services" ont une pré-perception fantasmatique, et marchent au grossissement qui déborde la réalité ou passe à l'affabulation généralisée. Pour faire l'histoire des associations en utilisant les archives officielles publiques ou secrètes, il faut d'abord faire la critique des catégories policières.

Ainsi le maintien de l'ordre colonial pour les associations mixtes déjà et pour les associations "indigènes" tolérées, redoublé notamment pour le syndicalisme et l'action sociale et politique par la défense de l'ordre social, place la pratique associative en situation de contre-société. Les milieux associatifs ont tendance déjà à se transformer en micro-communautés, en réseaux de familiarité et de solidarité, sans parler des moments ou des formes fusionnelles offrant une autre famille. C'est plus encore leur positionnement social et politique qui se trouve défini par opposition à la société dominante et à l'ordre établi et à ses institutions légales. Le mouvement associatif se situe ainsi sur la ligne de démarcation de l'illégitimité et peut tomber sous la ligne d'exclusion de la légalité. Même quand il n'est pas ouvrier, il se trouve, dans la condition du mouvement ouvrier en position de contre-société[7]. Le mouvement national, sans compter l'apprentissage en commun, se retrouve dans cette situation, c'est aussi pourquoi il reprend le mode organique du mouvement ouvrier. Mais c'est plus largement face à la société coloniale, que le mouvement associatif se développe et s'exprime comme contre-société, de l'intérieur Si l'on peut dire, alors que l'action contre-étatique continue à se dresser contre un Etat extérieur et qui plus est nationalement étranger. Mais cette fois la ligne de partage concerne les Européens des associations mixtes. Cette condition de contre-société est très profondément vécue.

La discrimination coloniale agit encore plus globalement en bloquant la société colonisée sous un statut infériorisé qui ferme l'accès à l’égalité civile et aux droits politiques, sous couvert du respect du statut personnel, plus exactement par la codification d'un statut confessionnel qui correspond à un code de la famille confirmait la propriété patrimoniale du chef de famille. Pour l'Algérie, le Sénatus-consulte de 1865 établit le statut musulman qui demeurera et définit encore la nationalité/citoyenneté, et le statut mosaïque auquel les Juifs échapperont par le décret Crémieux de 1870. en Tunisie et au Maroc, le Protectorat institue la distinction des sujets musulmans et juifs, et des Européens pour partie citoyens français. La résistance à la naturalisation par attachement au statut personnel puis par opposition nationale, et pour les Juifs et plus généralement pour les divers Européens, l'acquisition de la citoyenneté française, font que la ligne de partage s'établit sur la caractérisation comme musulmans. Cette identification recouvre la discrimination ethnico-raciale de la colonisation et devient le critère de nationalité que porte majoritairement et dans sa masse sociale, le mouvement national. L'idée de citoyenneté nationale dans la mixité, le mélange ou l'ouverture se trouve marginalisée quelles que soient les convictions rationnelles entretenues précisément dans la mixité associative.

La frontière civile et politique inégalitaire de la colonisation traverse le mouvement associatif mixte, plus encore elle produit la clôture, on pourrait dire l'enclosure ou même l'enfermement de la société colonisée. En état de contre-société, celle-ci est donc marquée par le sceau communautaire du statut musulman qui se trouve sociologiquement en correspondance avec le maintien entretenu des normes familiales et des représentations et pratiques collectives, et incorporé aux critères de nationalité dans le sens commun du mouvement national. Ainsi non seulement les associations sont appelées musulmanes, mais de fait elles assurent la conjonction des modes relationnels séparés et des idendités collectives qui se concentrent dans l'identité communautaire nationale. Tout en étant en position active et opposante de contre-société, ce qui tes définirait comme mouvement social, pour une grande part les mouvements associatifs comme les partis politiques et le syndicalisme national après scission syndicale, s'inscrivent dans une vision communautaire globale, celle de la communauté nationale non sans incorporation du communautarisme à référent religieux. C'est la grande réussite si l'on peut dire de la colonisation, au sens factuel, d'aboutir à ce qu'il y ait et même n'y ait plus pour ainsi dire au Maghreb, que des nationaux musulmans.

Sous ce retour de communautarisme, le mouvement associatif n'en fait pas moins oeuvre de sécularisation dans ses objectifs déjà hors des associations proprement religieuses, par ses pratiques, dans les conduites de ses membres à l'intérieur du mouvement comme dans l'espace public, non sans retentissement sur la vie privée. De plus, ni le statut musulman ni le partage communautaire ne sont pleinement homogènes, la colonisation fait avec, utilise et hiérarchise l'héritage de minorités religieuses, musulmanes comprises, pensons aux ibadites, à la diversité confrérique et à celle du droit musulman coutumier, et par ailleurs à la présence de communautés juives, à l'extension ou à la récession d'ensembles linguistiques diversifiés, à l'existence de particularismes de "pays", de bédouinité et de citadinité. La francisation par la langue et les migrations ouvre des voies promotionnelles, tandis qu'opèrent des disqualifications sélectives. A l'intérieur de l'effet majeur et massif de contre-­société comme à l'intérieur de la projection communautaire nationale, se situent des effets de redoublement minoritaire de classement ou d'enclosure jusqu'à des manifestations nationales contradictoires coi~me l'affirmation univoque d'arabo-­islamisme, et celle "mixte" d'arabo-berbère ou d'algérianité pluraliste[8].

Dans les mouvements sociaux et plus encore dans les mouvements associatifs, rejouent ces solidarités minoritaires et jusque dans les équipes de sports. Ainsi l'associationnisme mérite des études attentives pour les migrations régionales et locales en Tunisie et leur reconduction de solidarités en ville et à Tunis, mais aussi l'associationnisme des Mozabites en Algérie Oit des Chleuhs au Maroc, pour les liens économiques mais aussi d'habitat et d'endogamie en émigration même. Dans la situation de contre-société, sous conditionnement colonial déjà, il y a des degrés, des amodiations et des redoublements micro- communautaires. Le fait minoritaire rejoue dans le placement social, l'action politique et intellectuelle, la transposition migratoire, etc... Comment les indépendances vont-elles changer ces conditions associatives, car la situation et l'échelle de contre-société se trouvent modifiées, et plus encore le rapport à l'Etat ou de contre-Etat, puisque l'avènement national entreprend la nationalisation de l'Etat qui devrait mettre fin à son extériorité?

Après l'indépendance, le rapport à l'Etat national au Maghreb et en immigration

L'indépendance engage Lin double processus. En premier, celui apparemment immédiat de nationalisation de l'Etat par appropriation politique gouvernement, assemblées, directions des corps d'Etat et des administrations, par les promus dit mouvement national, et par investissement plus progressif de l’Etat administratif Le second processus, qui est aussi la face inversée du premier, est celui d'étatisation de la société, qui se réalise plus intensément par les appareils de contrôle et de maintien de l'ordre que par l'adéquation sociale de la gestion publique et par l'assistance des populations. Ce sont à répétition, des campagnes de mobilisation patriotique, qui viennent palier les carences des politiques sociales. Ce schéma n'est pas propre au Maghreb, mais s'applique dans la succession de l'Etat colonial, extérieur à la société comme étranger et déjà fortement militaire et policier et assez largement ramifié et parfois hypertrophié pour des raisons de disproportion sociale tertiaire comme Etat administratif, niais resté largement externe à la population. L'investissement de l'Etat par substitution nationale accentue encore ces caractères légués par la structure de maintien de l'ordre colonial et social.

Le lien entre les deux procès, celui de nationalisation de l'Etat et celui d'étatisation de la société, devient alors paradoxal; et cette combinaison ou articulation fondamentale va retentir sur le mouvement associatif L'adhésion à l'Etat national est très vive et le nationalisme devient le lien social primordial jusqu'à mettre en suspens la question sociale, ou plutôt à l'intégrer aux bénéfices du reclassement dans l'Etat et de la distribution ou des ristournes d'avantages procurés par l'Etat. La nation est la valeur sacrée et, à usage externe, l'Etat national par identification, est exalté; mais à l'intérieur, l'Etat effectif d'autant qu'il est d'abord ou principalement appareil policier et militaire, système d'encadrement et de contrôle, demeure pour partie en distance d'extériorité.

La coupure peut aller de l'indifférence au mépris, de la morgue d'en haut et de l'arbitraire des agents sans parler des pratiques répressives, au défoulement populaire par la caricature, à la suspicion, au rejet, au détournement et à la casse des bâtiments et biens publics. Ce qui fait défaut, c'est le lien civil et politique, mais le rapport à l'Etat est très fort par la demande sociale, satisfaite ou frustrée, comme par la religion nationale; cette liaison est à la fois intéressée et pleinement idéologique. Ce paradoxe se retrouve dans l'action associative.

Les formes et pratiques associatives liées au mouvement national sur le modèle du mouvement ouvrier (le parti commande les organisations de masses) et pour partie à l'action syndicale jeunes, lycéens, étudiants, femmes, unions professioniielles, mutuelles, clubs sportifs et de loisirs mêmes, perdent leur position, leur fonction et consistance de contre-société pour être intégrées diversement à l'Etat, d'autant que le salariat qu'elles représentent, devient largement public et parapublic, le "salaire social" distribué ou garanti par l'Etat gagne en proportion. Tout en maintenant une contestation par expression de base, l'associationnisme national cesse pour l'essentiel d'être contre-étatique.

Aussi ces associations, syndicats compris, vont-elles pratiquer l'instrumentalisation de l'Etat, tandis que le système des relations sociales se transfère dans les institutions. Les réseaux qui supportaient la vie associative se lovent dans les appareils et les corps d'Etat. Non seulement c'est la reconduction du piston et de l'usage relationnel de l'administration, mais il s'effectue une insertion des chaînes familiales et des connaissances locales, du recours aux amicales d'anciens et de camarades de promotion, voire de fraternités militantes, d'armes et de prison, qui porte la transposition des solidarités dans l'organisation étatique et la gestion publique.

Plus intimement, il peut y avoir un rejeu non seulement de la prépondérance outrageusement masculine et des alliances matrimoniales, mais une récidive des liens d'allégeances entre familles et chefs de grandes familles régionales, confrériques et religieuses. Le néo-patrimonialisme d'appropriation de l'Etat est d'abord le fait du patrimonialisme de puissance familiale masculine. S'ajoutent ensuite les liaisons d'affaires et s'amplifient le clientélisme qui lie àdes patrons. Mais ce n'est pas le lieu de suivre l'évolution interne des Etats indépendants, il suffit de relever cette correspondance d'incorporation des relations sociales de commande patrimoniale qui se retrouve dans l'Etat comme elle était déjà active dans l'organisation associative, mais celle-ci a perdu sa fonction contre-étatique pour pratiquer l'instrumentalisation de l'Etat.

C'est aussi que par l'établissement de l'Etat national, se produit une officialisation associative. C'est l'Etat qui quadrille la société déjà en reprenant les courroies de transmission des organisations sur le modèle communiste / nationaliste parti-syndicat, organisations de jeunes, de femmes, scolaires et étudiants, les unions étudiantes cependant lui échappent tout en durcissant le modèle organique. Cette pratique de la commande étatique et bureaucratique se double de la subvention, c'est à dire de la mise en dépendance matérielle, par la remise en gestion des organismes sociaux, à l'exemple de la Mutuelle de l'Education nationale et du syndicalisme de l'enseignement; il suffit de repérer le parallélisme entre caisses de sécurité sociale et d'allocations familiales et les confédérations syndicales. S'il y a pluralisme, le partage sera inégal. Le syndicalisme devient plus encore syndicalisme d'encadrement quand la bureaucratisation gagne l'ancien mouvement associatif formé sur le modèle mouvement ouvrier/mouvement national[9].

Dans l'effort d'étatisation de la société, le quadrillage par l'Etat s'étend à l'échelle régionale/départementale et municipale, par la démultiplication des sociétés de sports et d'activités de loisirs et de spectacles notamment, prises en main à la fois par des notables publics et des fédérations officielles. Bref, l’autonomisation d'une action associative devient suspecte et se trouve somme toute illégale sinon interdite hors de l'encadrement établi. L'objectif de l'Etat est somme toute d'interdire que le mouvement associatif se reconstitue en contre-société et reprenne une fonction de contestation de l'ordre étatique. Cette subordination à l'Etat a accompagné la déperdition du mouvement social sur le modèle du mouvement ouvrier, permet encore Lin associationnisme de nomenclature légale pour les sociétés et clubs de loisirs suivant le standing social, et une animation ou une captation dirigée pour les sports de spectacles et manifestations collectives d'exorcisme, mais elle, interdit ou annihile, sauf effraction, l'autonomisation associative d'une action sociale et d'exercice de la liberté d'expression et des droits politiques.

C'est en dehors du cadre institutionnel dirigé ou à la limite de l'interdiction que vont intervenir les manifestations d'action associative, notamment en mettant en avant des revendications de droits mouvements des droits de l'homme contre l'arbitraire régalien, les arrestations et enlèvements, la torture, et mouvements des femmes contre le dispositif des codes qui entérinent les privilèges patrimoniaux du mari et chef de famille, mouvements culturels pour rompre les contraintes et les prohibitions, revendications des libertés d'expression et d'association même. L'activité militante se déplace du syndicalisme institué et des organisations officielles ou officieuses vers ce nouveau mouvement associatif en situation de légalité précaire, tenté par le compromis ou illégal, et sans cesse recommence.

Les moments d'autonomisation et de montée associative se situent dans les épisodes de crise politique larvée et plus encore dans les moments de rupture, non pas de l'Etat, mais provisoirement de l'immobilisme comme après octobre 1988 en Algérie, c'est l'irruption de jeunes en marge sociale dans les rues qui bouleverse le schéma de contrôle et de relais par les organisations instituées [10].

Certes pendant quelques mois, les associations se constituent en nombre et gagnent en capacité mobilisatrice et contestataire. S'il y a une autonomisation d'expression et d'action qui déborde le cadre institutionnel, les liens organiques avec le modèle partisan non seulement ne sont pas rompus, mais souvent reconduits dans la rivalité entre associations et à l'intérieur pour emporter la direction. Les associations de droits de l'homme sont dans la dépendance de partis, et les associations de femmes démultipliées et traverées de conflits internes sur la ligne de groupuscules partisans ou sur des lignes de dispute au titre du radicalisme de la cause.

Plus profondément et sociologiquement, ces mouvements associatifs restent le fait de l'intelligentsia, certes contestataire ou dominée, niais qui n'en est pas moins d'Etat en appartenant à la société publique. C'est alors de l'autre part de la société, que vient l'irruption, de la société de masses, hors système d'organisation formelle encore que l'informel soit organisé, des jeunes de l'urbanisation prolétaire et sans travail. Par leur institutionnalisation comme représentations de l'Etat ou institutionnalisation interne et disposition d'encadrement, devenues parties prenantes de la société établie, les organisations dites de masse se trouvent en retrait ou en incapacité d'action sociale, de prise en charge à la base, et déjà de pénétrer de nombreux quartiers, puisque la vie publique et résidentielle se passe ailleurs. Certes il est des dévouements ponctuels de personnel de santé et d'assistance sociale, d'animation des plus jeunes.

Par suite de ce retrait, il n'est pas étonnant que ce soit les associations islamistes qui aient pris le relais de l'action sociale; ce qui n'empêche pas cet associationnisme social de reproduire le modèle de dépendance partisane voire la concurrence entre groupes et fractions. L'organisation vise aussi largement les milieux étudiants et les filles des cités, prend en main les anciennes unions étudiantes et lycéennes. Cet associationnisme qui bénéficia des ménagements des services d'Etat qui réprimaient à gauche les communistes laïcistes, marxistes-léninistes, gauchistes et maoïstes, se trouve maintenant en positionnement contre-étatique en visant le pouvoir, comme en instance de s'organiser en contre- société.

C'est dans le balancement inégalitaire entre société publique qui émarge sur l'Etat, à titre mineur même, et société assistée qui grossit la demande sociale et le désespoir, que l'action associative a fort à faire pour se frayer un passage. Il existe des exemples sur les problèmes de santé et de soins, sur la condition des enfants, filles et femmes abandonnées et violentées, comme dans les distances prises avec les partis par des mouvements de droits. Le rapport à l'Etat n'en reste pas moins la logique ou l'intérêt premier, et la considération du primat national l'emporte encore généralement sur la raison sociale. L'associationnisme est encore plus national sinon explicitement nationaliste que social, tant demeure forte l'emprise du nationalisme d'Etat.

Les mouvements associatifs de l'immigration peuvent alors apparaître comme un contrepoint. Des années 1970 aux années 1980, portés par les générations issues de l'immigration algérienne principalement, ces mouvements se sont autonomisés des partis politiques et du syndicalisme; la gauche et les syndicats ont du reconnaître leur "spécificité"[11] c'est bien en tant que réponse des immigrés qui ne le sont plus et n'ont pas à l'être, que se sont déroulées les marches de convergence et les manifestations antiracistes. Mais parler d'autonomie, c'est souvent aller trop vite, car les soutiens et les récupérations de rivalités municipales partisanes par exemple, se font sentir, comme les tentatives d'activation publique par l'animation culturelle sur les quartiers. Le commautarisme s'exerce encore, sinon le partage des liens de cousinage et le régionalisme et patriotisme.

Plus encore par le jeu public d'être représentatifs des "communautés", par effet public et politique donc, les mecs l'emportent et occupent la scène. Pour les filles, la question première est d'échapper au contrôle communautaire, en cessant d'être les soeurs des frères. La mode identitaire, puis celle de la mémoire, plus que celle de la différence, ont habillé sinon compliqué les oppositions organisationnelles. Le rejeu de la division sexuelle et des normes familiales est à examiner à travers la transformation des relations sociales et des pratiques culturelles à l'intérieur même de ces mouvements associatifs. L'interaction fait son oeuvre à l'école comme dans la vie urbaine ségrégée, par la culture de masses et le français élémentaire jusqu'au verlan. Le conflit n'est pas entre deux cultures, mais à travers le bricolage de la culture de prolétarisation sociale et culturelle, dans la discrimination xénophobe et d'assignation raciste derrière la formule de confusion déterministe de la "différence de culture et d'origine".

En vérité, ce mouvement se Situe bien plutôt entre deux Etats et deux nationalismes, c'est par-là qu'il y a rapport avec l'Etat national et la primauté identitaire contemporaine de la nationalité qui commande la citoyenneté. L'autonomisation des mouvements de l'immigration se conquiert en sortant de l'orbite de l'Amicale des Algériens et organismes de tutelle des Etats sur "leur" émigration," ce qui ne veut pas dire que tous les attachements personnels soient rompus, matériels, culturels ou de représentation identitaire. L'Amicale des Algériens en Europe en prendra acte en soutenant la demande de citoyenneté française et d'égalité des droits sociaux et politiques. C'est que la revendication se porte vers l'idée de citoyenneté et de droits; les marches de 1983-84 se définissaient comme des marches pour l'égalité. Le rapport à l'Etat et aux Etats se trouve changé, au bénéfice d'une reconnaissance de statut, y compris pour l'islam, dans l'Etat français, et plus encore de placements institutionnels à travers les politiques sociales, culturelles et médiatiques nièmes; l'associationnisme quitte alors ses bases.

Plus encore, c'est la distance prise avec le nationalisme qui caractérise ces mouvements associatifs, dans leur dispersion même. L'écart concerne le nationalisme du pays dit d'origine, notamment l'exclusivisme arabo-musulman et le repli d'enfermement identitaire de nationalisme historique; il marque d'autre part une opposition à l'idéologie assimilationiste normative et européo- postcoloniale du nationalisme français. Toutefois le discours national républicain français se trouve repris dans la demande de citoyenneté; et le changement d'époque et l'effet de la francisation se traduiront par l'absence des Français-algèriens dans les manifestations des sans-papiers pour être passés avant, quels que soient les retours du racisme qui distingue, par delà les papiers, les Européens et les non-européens.

Cette évolution marque un procès de transnationalisation des diasporas d'après immigration, qui inventent une ethnicité a-nationale comme celle de Maghrébins. C'est en un sens une reprise de l'idée de mixité, du moins de pluralité culturelle, non sans faire écho à la mixité par les femmes et à la laïcité. A l'encontre non seulement de la réaction islamiste, mais des affirmations d'authencitè identitaire propre à chaque nation à l'intérieur du Maghreb, cette projection des Maghrébins d'Europe apparaît suivre un sens contraire de l'arrêt identitaire rétro- et intro-spectif d'identité nationale sur place dans des sociétés travaillées par l'émigration dans leur clôture dramatique; effet-miroir à images renversées[12].

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A travers le rapport à l'Etat qui est décisif, l'étude des mouvements sociaux et des mouvements associatifs peut situer les associations sur l'échelle du statut et des fonctions sociales, lier l'analyse sociologique de leur composition à celle de leurs logiques de placement, d'orientations et de classement de leurs activités. Plus largement le mouvement associatif est pris entre l'institutionnalisation et la représentation, et la contestation sociale et politique, jusqu'à s'insérer dans des pratiques et des positionnements de contre-société et de remise en cause de l'ordre étatique. Aussi l'approche du mouvement associatif ne peut se réduire à l'isolat monographique fut-il dit anthropologique, ni à l'inventaire d'une nomenclature.

A l'heure de triomphe et d'usure de l'identification nationale, l'oscillation propre au mouvement social entre le commautaire / identitaire et l'action sociale émancipatrice qui desserre l'aliénation du nationalisme, commande l'étude par coupe au sens de coupe géologique des couches sédimentaires. La coupe est socio-historique, dans l'écheveau des relations et transformations sociales, butant sur la division sexuelle (au sens social bien entendu) dans l'action associative même, sur le rejeu des pratiques patrimoniales d'alliances de parenté et de milieux dit communautaires, sinon d'originaires. Rémanences certes et réemplois, niais aussi contradictions et mutations dans des mouvements qui sont des actes de lutte pour sortir de l'état de minorité, porter des revendications de droits, et prendre part au travail de lutte sociale au cœur même des rapports inégaux.


Notes

[1]- cf «Crise du mouvement ouvrier et nouveaux mouvements sociaux», l’homme et la Société, Paris, n° 98, 1990/4.

[2] - Les recherches de Maurice Agulhon ont porté principalement sur les «sociétés» locales qui tissent la sociabilité politique dans la France méridionale du XIXe siècle, notamment sur celles qui prennent le nom républicain de «marainnes». Entre autres ouvrages et articles, Marianne au combat, Paris, Flammarion, 1972 et Marianne au pouvoir, Paris, Flammarion, 1989.

[3] Sur «communautés», par référence à Ferdinand Tönnies, voir Pluriel recherches. Vocabulaire historique et critique des relations interethniques, Cahier n°1, 1993, Paris, l’Harmattan, 1993.

[4]- Texte repris dans René Gallissot, Maghreb-Algérie Classes et nation.- Paris, L’Arcantère, 1987, tome 1.- p.19.

[5]- Voir les observations de Pierre Bourdieu sur le piston, dans Travail et travailleurs en Algérie, Paris-La Haye, Mouton, 1963.

[6]- GALLISSOT, René «Le mixte franco-algérien. Paradoxe de l’immigration algérienne: part de la classe ouvrière française et partie du mouvement national algérien».- Les temps modernes, mars-avril 1984.- p.p.1707-1726.

[7]- La nation de contre-société qui appartient à la littérature sociologique, a été appliquée à la caractérisation comme «parti-société», à la social-démocratie allemande avant 1914, par J.P. Nettl, «The German social and democratic party (1890-1914), as a political model», Past and Present, avril 1965, pp.65-95 et par Annie Kriegel au Parti communiste français, Les communistes français, Paris, Le Seuil, 1968.

[8]- Gallissot, René.- «Arabo-Musulman versus arabo-berbère: Communauté religieuse et identité nationale à partir de l’exemple algérien», Identité-communauté (Nadir Marouf ed.).- Paris, L’Harmattan, 1995.- p.p. 169-183

[9]- Sur le syndicalisme d’encadrement voir René Gallissot, «Maghreb, le syndicalisme entre le parti, l’Etat et les masses», dans Jean Sagnes (ed.) Histoire de syndicalisme dans le monde, Toulouse, Privat, 1994.-p.p. 429-444.

[10]- «Emeutes, ordre étatique et désordre social», contribution à paraître dans Emeutes, contestation et ordre étatique au Maghreb, Perspectives comparées à partir du cas algérien (Didier Le Saout et Marguerite Rollinde, eds).- Paris, Karthala-Institut Maghreb-Europe, 1999.

[11]- Sur ces mouvements de l’immigration, voir René Gallissot, Nadir Boumaza, Ghislaine Clément. Ces migrants qui font le prolétariat, Méridiens-Klineksieek, 1994; sur la «spécificité» particulièrement la contribution de Nadir Boumaza.

[12]- Voir Cathérine Neveu (ed.) Nations, Frontières et immigration en Europe.- Paris, L’Harmattan, 1995.

 

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