Sélectionnez votre langue

La centralité des médinas maghrébines : quel enjeu pour les politiques d’aménagement urbain ?

Insaniyat N° 13 | 2001 | Recherches urbaines | p.09-44 | Texte intégral 


North African 'Medina' centrality : what stakes for urban planning policies ?

AbstractMedina centrality is seen here as a pretext for questioning the relationship between research, practice, planning and urban management in some countries of the Arab World. The question which is asked is indeed done with as much acuity as two concomitant processes which have combined their effects for some decades and lead us to believe the problematic question of medina centrality is no longer a question of the moment. On the one hand the so called safeguarding policies tend to some exceptions isolate  the whole medina from the ensemble of built up areas of which they are however no more today than a fragment and aim at protecting or reconstituating a mythic or legendary city, whose centrality, when it is thought of, refers mainly to a past which it can't reproduce. On the other hand, recent urban dynamics are distinguished by an extremely rapid growth of urban space – the metropolitical process – at the same time cause and consequence of intensified urban mobility (residential mobility, residence work commuting, weekend and leisure migrations) and a lengthening of distances and at the same time as profound changes (progress in household motorization expressing new social need, new consumption modes etc… which go with an evolution of modern contempory city society especially in greater urban centres, with new polarities emerging, and even new urban centralities, which can at time equally proceed to public policies having to reveal modernity and to confirm town efficacity that the states (where they are located) want, if only then through architectural forms and monumental symbols catching on to world wide system.


Pierre SIGNOLES : Professeur de Géographie, Université de Tours, chercheur associé à URBAMA (UMR 6592).


L’objet de cet article[1] est de fournir quelques éléments de réflexion quant aux relations qui sont établies – ou qui pourraient s’établir – entre recherche, pratique, planification et gestion urbaines à propos des médinas maghrébines, étant entendu que l’auteur de cette réflexion n’est pas un praticien, mais un universitaire. Je sais bien les difficultés du genre : les acteurs de l’aménagement urbain ont une tendance affirmée à considérer que les chercheurs ne font que formuler des propositions éthérées et des critiques faciles, les unes et les autres ne tenant aucun compte des contraintes économiques, financières et sociales auxquelles sont confrontés les gestionnaires et opérateurs de la ville[2] ; les chercheurs quant à eux estiment légitime de considérer planificateurs et responsables de la gestion urbaine comme des “acteurs ” normaux du système d’action à l’œuvre dans la ville, et ils vivent souvent mal le fait que ceux-ci ne reconnaissent pas mieux leur utilité sociale.

Pour   traiter   cette   question,   j’ai   choisi de   privilégier une entrée par la “centralité“ des médinas, c’est-à-dire des quartiers historiques qui se trouvent aujourd’hui, souvent, au cœur d’agglomérations qui peuvent être peuplées de plusieurs centaines de milliers, voire de quelques millions d’habitants. Je m’interrogerai, entre autres, sur la question de savoir comment cette “centralité ” est ou non prise en compte par les documents d’urbanisme, pour ouvrir sur une interrogation qui concerne celle des relations possibles entre sauvegarde des médinas et centralité. Je chercherai à savoir, par exemple, si les politiques de sauvegarde sont compatibles avec l’affirmation d’une quelconque centralité des médinas, dans la mesure où la centralité se décline généralement en termes de modernité…

I. Points de départ

Nous partirons d’un triple constat, lequel se situe dans la continuité d’une analyse que nous avons entreprise il y a déjà plusieurs années (Signoles, 1988 et 1994).

En premier lieu, si la recherche universitaire sur les médinas maghrébines a été active à la fin des années 70 et au début des années 80, force est de constater que cette dynamique s’est essoufflée, comme si “ l’intérêt pour la vieille ville apparaissait comme un souci rétrograde ” à la plupart des jeunes chercheurs (Troin, 1993); on ne repère en outre que peu de terrains nouveaux, comme si les médinas maghrébines se limitaient à Fès et à Tunis, éventuellement à Salé. Par contre, et cela mérite d’être relevé, les quelques travaux récents dont nous avons eu à connaître – qu’ils soient achevés ou encore en cours – manifestent un effort louable de renouvellement problématique, par l'intérêt qu'ils portent aux stratégies résidentielles, aux modèles d’habiter, aux pratiques spatiales, aux représentations de la ville  et à l’urbanité ou encore aux initiatives populaires à l’œuvre dans ces quartiers, ce qui a pour effet de rendre caduque une des critiques que nous avons déjà formulée (Signoles, 1988). Il importe, enfin et surtout, de noter l'inflexion des recherches traitant de la sauvegarde au bénéfice de la compréhension des processus de patrimonialisation – privilégiant donc la dimension sociale du thème – et aux dépens de l’évaluation technicienne des politiques menées. Ces évolutions manifestent une tentative heureuse pour “réinsérer ” l’étude des médinas dans le champ général de la recherche urbaine et pour sortir du débat biaisé – et sans fin – sur la “ville islamique ”, puisqu'elles s'appuient sur l'idée que si les médinas présentent à l’évidence des spécificités, elles n’en sont pas moins, aujourd’hui, des “morceaux ” de villes dont l’analyse nécessite d’être principalement conduite dans le cadre de problématiques générales relatives à celles-ci. D'une certaine manière, cette évolution de la recherche participe de ce que d’aucuns appellent la “révolution ” des sciences sociales[3], laquelle consiste à mettre en avant le rôle des acteurs individuels dans le cadre du “nouveau ” paradigme constitué autour de la trilogie sujet – acteur – cognition.

Malgré tout, peu de travaux récents[4] se préoccupent de la question de la centralité actuelle – et non passée - des médinas. Cela résulte sans doute du fait que les discours qui affirmaient la "périphérisation" de ces quartiers - pour ne pas parler de leur "bidonvillisation" - n'ont été abandonnés (et encore !) que depuis peu, de même que ne sont plus tenues pour seules légitimes les analyses qui, niant les centralités économiques et sociales des médinas, réduisaient les recherches à leur seule centralité géographique. On doit regretter, cependant, que le sujet ne soit jamais abordé dans une dimension comparative, dans la mesure où, d’une part, certaines médinas sont aujourd’hui géographiquement “décentrées ” du fait des orientations préférentielles des extensions urbaines – c’est, entre autres, le cas de Salé – et où, d’autre part, la question de la centralité ne se pose sûrement pas dans les mêmes termes lorsque la ville historique jouxte les quartiers créés par la colonisation (Tunis, Sfax, Alger, Rabat) ou qu’elle en est séparée par un hiatus marqué (Fès, Meknès, Marrakech).

Quant à la démarche qui est celle des planificateurs et aménageurs – bureaux d’études ou responsables en charge de l’aménagement urbain –, elle demeure généralement floue et contradictoire. La qualité des travaux préliminaires aux schémas d’aménagement est très inégale et, par conséquent, les analyses qui sous-tendent les propositions d’aménagement relatives aux médinas sont plus ou moins fouillées, même si, aujourd’hui, toutes ces propositions convergent pour affirmer l’impérieuse nécessité de la sauvegarde, l’urgence des opérations de restauration, de réhabilitation ou de rénovation – selon les cas. Force est toutefois de constater que la sauvegarde demeure presque systématiquement conçue, par ces opérateurs, non seulement comme la conservation à l’identique, mais souvent même comme la “re-fabrication ” d’un modèle de la ville idéale, modèle que je n’hésiterai pas à qualifier de mythique, voire d’idéologique, et qui est celui de la “ville islamique ”. Or, beaucoup de ces opérateurs, architectes de formation, considèrent ce modèle comme “allant de soi ”, alors que, d’une part, son existence même est contestée par de très nombreux chercheurs – et non des moindres[5] – et que, d’autre part, dans l’hypothèse même où la validité de ce modèle serait avérée dans le passé, sa reproduction en l’état pour la période contemporaine mériterait que l’on s’interroge, à tout le moins, sur la signification que revêt l’imposition d’une forme urbaine qui procède d’un mode d’organisation sociale et d’un mode de production aujourd’hui révolus. On ne peut enfin manquer d’être frappé par le fait que ces politiques de sauvegarde sont établies sans tenir aucun compte du système complexe qu’est la ville d’aujourd’hui, comme si la médina était toujours une totalité autonome, alors qu’elle n’est plus qu’un simple quartier d’une vaste agglomération : que signifient, ainsi, des programmes de réhabilitation ou de rénovation de médinas conçus de façon totalement indépendante des schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme établis à l’échelle de ces agglomérations – quelle que soit la qualité de ces documents ? Et l’étonnement de l’observateur ne peut que s’accroître quand il constate que ces politiques ou programmes font comme si ces quartiers historiques n’étaient pas des lieux de vie, des lieux d’activité, comme si leurs habitants n’étaient pas des hommes et des femmes d’aujourd’hui, dont les cultures, les représentations, les pratiques spatiales participent, certes, d’héritages du passé – un passé d’ailleurs généralement déformé, car mythifié -, mais trouvent aussi leurs sources dans le présent, les hybridations qui résultent de ces combinaisons s’effectuant selon des modalités suffisamment variées pour rendre totalement utopique la référence à un modèle culturel unique. A moins que – mais alors, il conviendrait de le dire explicitement et d’en tirer toutes les conséquences – ce modèle, que la plupart de ces opérateurs tentent à toute force d'imposer, ne soit qu'archétypal, à savoir celui d'un modèle d’urbanité qui n’existe plus ou qui n’est plus que l’expression d’une citadinité historique seulement maintenue dans les mémoires et les représentations d’une minorité de la population (Lussault et Signoles, 1996) – laquelle minorité, en outre, n’habite souvent plus, et depuis longtemps, en médina ! Pour autant, et cela n’est pas contradictoire avec le constat précédent, les médinas sont des espaces dont la valeur est reconnue, appréciée, par les habitants appartenant aux classes populaires et souvent pauvres qui les peuplent aujourd’hui et qui, s’y étant massivement installés à la suite de l' exode rural, s’y sont progressivement territorialisés (Berry – Chikhaoui, 1994).

II. De la centralité des médinas maghrébines

Comment peut-on alors formuler la question de la centralité des médinas ? Et, face aux réponses que l’on peut lui apporter, comment considérer les propositions exprimées par les documents d’urbanisme ?

Nous pouvons considérer, avec C. Chaline (1996, p.131) que “la centralité urbaine est une notion multiforme qui se manifeste à la fois par des spécialisations plus ou moins marquées dans l’usage de l’espace et des bâtiments et par l’existence de flux de fréquentation ayant chacun leur spécificité temporelle et contribuant à l’animation générale de la ville, prise comme lieu de production et services et de contacts (ville transactionnelle au sens de J. Gottmann). La ville arabe, à cet égard, a eu naguère son originalité lorsque très souvent sa centralité s’identifiait avec la concentration, dans la vieille ville, des trois éléments forts : le palais ou la citadelle, la mosquée du vendredi et les souks ou bazars. Encore faut-il rappeler que jamais ce stéréotype n’a été parfaitement vérifiable (…) ”.

Il s’agit donc maintenant de savoir si, au sein d’agglomérations urbaines qui, aujourd’hui, dépassent très largement le cadre de la vieille ville, cette centralité est toujours affirmée, étant entendu que, dans le passé, “le trait essentiel qui ressort en évidence de l’étude de toutes les grandes villes arabes est la vigueur de la centralité urbaine ” (A. Raymond, 1985, p.179).

Or, pour ce qui a trait à la période contemporaine, les avis sont divergents, quand bien même, après une période durant laquelle la plupart des chercheurs ont nié ce caractère central de la ville historique, plusieurs travaux récents tendraient plutôt à reconsidérer cette position.

Pour autant, Jellal Abdelkafi, l’un des meilleurs connaisseurs de Tunis, n’hésite pas à écrire (1989) que “la médina de Tunis, espace résiduel et particulier, peut désormais se définir comme l’espace historique de l’agglomération tunisoise et non comme son centre, car, hormis la position géographique, les rôles d’intégration, d’échange, de coordination, ainsi que les expressions ludiques ou symboliques n’y sont plus assumés ou représentés (…). Le centre de Tunis s’est déplacé et définitivement identifié au centre colonial (…). Ce déplacement de centralité est un fait social, économique politique majeur qui détermine l’organisation urbaine contemporaine ”.

A quelques années de distance, ce discours fait écho à celui que tenait A. Boudhiba (1982), sociologue tunisien, quand il affirmait que “la Médina aujourd’hui est vide (…).Elle est vide parce qu’elle a perdu sa véritable substance : la durée. Dans le meilleur des cas, on peut la peupler n’importe comment, elle n’est que bidonville (…)”.

On ne manquera pas de remarquer que, plus encore que celui de J. Abdelkafi, le discours d’A. Boudhiba se situe sur un plan presque exclusivement idéologique. Si, pour lui, la Médina n’est actuellement plus rien, c’est parce que les hommes qui la peuplent ne sont rien, qu’ils sont incapables de donner sens aux lieux ; en bref, si la médina n’est plus centrale, c’est parce qu’elle enregistre un déficit de centralité pour les beldi tunisois, les citadins de souche. A croire, si l’on suit cet auteur, que les habitants d’aujourd’hui sont indignes de ce lieu où ils vivent !

Or, paradoxalement, il n’y a plus une étude, plus un plan d’aménagement produit récemment qui n’affirme comme une évidence la centralité des médinas,  alors que, dans la décennie précédente, les positions exprimées aussi bien par J. Abdelkafi que par A. Boudhiba constituaient une véritable doxa, – imprégnant, sans plus de distanciation que la position inverse maintenant adoptée, ce même type de documents. Comment rendre compte de ce renversement de position, puisque, pas plus hier qu’aujourd’hui, les auteurs des études ne justifient leur point de vue ? Serait-il le résultat d'une autre idée toute faite, celle selon laquelle il conviendrait désormais d'affirmer haut et fort leur centralité  parce que les médinas expriment - incarnent - une identité culturelle qu’il est (maintenant) indispensable de préserver, et que la sauvegarde fonde la reconnaissance de celle-ci ? Comme si une telle affirmation légitimait, en quelque sorte, les politiques de sauvegarde et la mobilisation des financements, en particulier internationaux, que celles-ci nécessitent.

Pourtant, pas plus que nier cette centralité par une sorte de dépit, l’avancer comme un postulat n’éclaircit en rien le problème, surtout si l’on n’instrumente pas le “concept ” pour concevoir des propositions d’aménagement qui soient autre chose que des déclarations d’intention, des effets d’annonce ou des constructions d’images. Or, reconnaître cette centralité n’est pas sans conséquences pour les problématiques de la recherche et celles de l'aménagement. Nous n'en retiendrons ici que deux types :

Si les médinas sont centrales, il en résulte que, dans la plupart des agglomérations maghrébines, le centre est au moins double : médina et ex-ville européenne. Auquel cas, comment s’effectue la répartition des tâches entre les deux, comment se tissent leurs relations, comment se dessinent leurs pratiques ? Et qu’en est-il lorsque les dynamiques urbaines récentes tendent à faire émerger de nouvelles centralités, soit que celles-ci se situent à proximité même des précédentes (nouveau quartier des Berges du Lac à Tunis), soit qu’elles se cristallisent en périphérie ?

Les processus contemporains de métropolisation, qui induisent la définition de politiques – ou d’esquisses de politiques – visant à inscrire les capitales et métropoles maghrébines dans le réseau des villes mondiales, s’accompagnent inéluctablement de modifications fonctionnelles, lesquelles ont à leur tour des effets sur les localisations des activités tertiaires supérieures, de commandement, ainsi que sur celles des nouvelles activités de production. Ces politiques comportent également fréquemment des actions qui contribuent à la transformation rapide des paysages urbains et, donc, à la construction des images et des représentations que se font les habitants de ces villes et de leurs centres-villes. Quelles sont les conséquences de ces mutations sur la centralité des médinas, alors que, dans le même temps, les politiques de sauvegarde, lorsqu’elles sont mises en œuvre, même timidement, envisagent toujours un transfert des activités économiques (artisanales, commerciales – sauf commerces à finalités touristiques) hors du centre historique, comme si ces activités n’étaient pas des composantes structurelles de leur centralité ?

1. Les pratiques spatiales des médinas et des centres-villes

Pour cerner la place des médinas dans les pratiques des centres-villes et  dans les représentations que s’en font les habitants, nous disposons d’un certain nombre de résultats de recherche. Plusieurs d’entre eux ont déjà été présentés par nous dans notre article déjà cité (1988) – article auquel nous renvoyons pour plus de détails, nous contentant ici d’en résumer le contenu.

Cherchant à déterminer les pôles d’animation de Rabat, S. Hensens (1982) a montré qu’on ne pouvait s’en tenir aux seuls flux domicile-travail, généralement privilégiés par les urbanistes, mais qu’il importait de prendre en considération tous les types de déplacements, y compris ceux occasionnés par les activités de loisirs et de chalandise, lesquels se répartissent dans le temps de manière plus fluide que les précédents. Constatant – ce qui n’est certes pas une surprise – que la pratique des habitants motorisés était relativement indépendante de la distance, au contraire de celle des piétons (généralement ceux qui ont les revenus les plus bas), l’auteur constatait que, à Rabat, la Médina joue un rôle complexe, à la fois d’approvisionnement et de services quotidiens, banals, pour les catégories sociales pauvres, de lieu d’achats au moins hebdomadaires pour les résidents pauvres des périphéries urbaines, mais aussi de lieu d’approvisionnement régulier, bien qu’avec une fréquence moindre, pour toutes les catégories sociales qui peuplent la ville en ce qui concerne des produits tels que l’habillement, les chaussures, les tissus, la vaisselle et divers autres qui parviennent en ville à partir de Ceuta par les circuits de la contrebande. Même si inégalement, la centralité de la Médina de Rabat est - du moins au début des années 80 - affirmée pour tous les habitants de la cité (figure 1); la sélectivité des pratiques sociales selon les niveaux de revenus conduit cependant S. Hensens à qualifier cette Médina de péri-centrale – terme également utilisé par F. Hilali-Martin (1987) pour Tanger (figure 2), la désignation de "centre" étant réservée au quartier européen de la capitale marocaine . L'usage du qualificatif "péri-central" pour désigner la Médina nous semble discutable, car elle pourrait signifier que la centralité des pauvres ne “ vaut ” pas celle des riches; c’est pourquoi nous préférons la désignation de “binôme central ” utilisée par M. Belfquih et A. Fadloullah (1986) à propos de Rabat-Salé pour qualifier la centralité conjointe de la médina et du quartier ex-européen. Mais les études consacrées à  Rabat montrent aussi que, simultanément, les quartiers de la ville "moderne" enregistrent une fréquentation assez intense et régulière des habitants domiciliés aussi bien dans la Médina que dans les périphéries.

 Des conclusions similaires peuvent être tirées des innombrables travaux consacrés à Tunis, une ville dont la double centralité n'est généralement pas contestée[6] - du moins jusqu'au milieu des années 80. Le Centre de Tunis est identifié comme s'étendant, d’est en ouest, de la Kasbah au port de Tunis, en englobant comme à Rabat la Médina (au moins sa partie centrale) et l’ancienne ville européenne. Ce binôme central se caractérise(ait) jusqu'à cette date par l’aspect polyfonctionnel  de ses activités et le caractère polysocial des populations qui le fréquent(ai)ent. Les recherches conduites sur d'autres villes, en particulier Fès[7], justifient que cette conclusion puisse être étendue sans trop de risques à la plupart des centres des villes maghrébines : autant lorsque la Médina et la ville européenne sont contiguës que lorsqu'elles sont séparées par un hiatus, la seconde est intensément fréquentée par les habitants des quartiers “péri-centraux”, malgré la frustration que cette fréquentation peut leur occasionner; les deux sous-ensembles constitutifs des centres des villes maghrébines ne fonctionnent jamais de façon purement ségrégative.

Dans un article ultérieur consacré à Tunis, Jean-Marie Miossec (1987) nuance cependant ce constat : selon lui, en effet, ce seraient plus les caractéristiques “culturelles ” des habitants que leur appartenance  à telle ou telle catégorie socio-professionnelle ou à tel ou tel groupe de revenus qui détermineraient, fondamentalement, les comportements des clientèles. Il distingue, à ce propos, entre les comportements de trois catégories d'habitants, les beldi, les “néo-citadins” et les “occidentalisés” pour révéler les pratiques complexes du centre-ville, étant entendu que ceux qui constituent le dernier groupe ont pratiquement rompu avec le centre-ville et n'en fréquentent plus que très occasionnellement les rues commerçantes et les services. Examinant les choses à partir de la médina et, plus exactement, de son faubourg sud (Bab al-Jazira), Isabelle Berry-Chikhaoui (1994) remarque quant à elle que les habitants de ce quartier relativement bien équipé en commerces, services et artisanat, offrant des biens et des services à la fois banals et intermédiaires, “traditionnels ” et “modernes ”, ne se sentent nullement marginalisés à l’intérieur de l’agglomération urbaine et qu’ils estiment pleinement vivre en centre-ville. Analysant les pratiques spatiales et le paysage commercial, l’auteur confirme que rien ne permet d’opposer de manière rigide une “ centralité pauvre ” à une “ centralité riche ”, dans la mesure où, pour elle aussi, le clivage le plus opérant est d’ordre socio-culturel, étant entendu toutefois qu’associer les catégories aisées à la “modernité ” et les catégories populaires à la “tradition ” est bien trop simplificateur[8] (figure 3).Quoi qu'il en soit, I. Berry-Chikhaoui conteste avec force la conception qui, idéalisant le modèle citadin baldi au détriment de toute autre construction sociale, nouvelle ou renouvelée, nourrit l’idée que les “nouveaux ” venus en médina, parce qu’ils seraient d’origine rurale[9], ne pourraient jamais élaborer des pratiques sociales privilégiant la culture urbaine plutôt que celle de leurs régions d’origine, faire leurs des espaces hérités d’une culture citadine hautement élaborée, s’y organiser économiquement et socialement tout en insérant dans leurs pratiques certains des héritages du passé; une conception qui, en un mot, refuse de penser que ces nouveaux venus puissent se citadiniser…

 

 

 

2. Que faire des activités de production et de services en médina ?

Parmi les différents éléments qui concourent à la centralité, nous avons déjà évoqué les activités commerciales et de services qui guident les déplacements d’achats ainsi que ceux liés aux pratiques culturelles, cultuelles, ludiques, ou autres. Le but n’est pas ici d’esquisser un bilan de l’importance économique des médinas. Il n’y a pas en effet une étude, universitaire ou non, qui leur soit consacrée qui ne fasse état du foisonnement des activités dans le tissu historique, de leur dynamisme, de leur souplesse de fonctionnement, de leur capacité d’adaptation ; et toutes aussi – ou presque – d’insister sur leur rôle social, en tant que facteur essentiel rendant possible l’insertion (plus ou moins réussie) des migrants, surtout ceux d’origine rurale, à l’économie urbaine.

La question qui nous préoccupe ici est plutôt de savoir comment est posée la question des activités économiques et de leur futur prévisible en rapport avec l’évolution du cadre bâti, et, en conséquence, comment est pensé, par les chercheurs et les planificateurs, le problème de l’articulation possible entre développement de ces activités et sauvegarde.

A vrai dire, pour la plupart des recherches et rapports d'études, les choses semblent aller de soi : sauf exception(s), sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, ils affirment en effet comme une vérité d’évidence que ces activités participent directement à la dégradation du cadre bâti, qu’elles sont une source majeure de nuisances et de pollutions et, enfin, qu’elles s’exercent en concurrence avec la “fonction ” résidentielle – i.e que leur multiplication s’effectue par occupation de logements ou de locaux susceptibles d’être habités en en favorisant la transformation en commerces, échoppes, bureaux, etc. Les études opérationnelles et les documents d’urbanisme tirent généralement de ces “analyses ” des propositions plutôt drastiques, consistant à “sortir ” certaines de ces activités des quartiers centraux anciens pour les relocaliser dans des zones spécifiques, plus ou moins éloignées de leur site initial, au nom, bien sûr, de l’amélioration de leur efficacité économique et en vue d’une requalification des tissus urbains dont elles proviennent.

Avatars de l’idéologie du zonage urbain plus ou moins “adapté ” au contexte des quartiers historiques, présentées par leurs auteurs comme une condition d’accès à la modernité, ces propositions ne peuvent être uniquement tenues pour ce qu’elles se donnent à être. Pour nous, elles participent aussi d’une représentation de l’urbanité idéelle – une représentation qui nous paraît assez singulière aujourd’hui, pour ne pas dire inquiétante, compte tenu des résultats fournis par certains des travaux de recherche que nous avons déjà cités.

Quand Denis Lesage (1997) se réfère à l’évolution de la Médina de Tunis comme à un modèle de réappropriation de ce type de quartier, il a beau se défendre d’assimiler le processus qu’il décrit à une gentrification, il n’en affirme pas moins clairement l’idée que le futur des médinas, leur “modernité ressuscitée ”, leur statut culturel et leur urbanité retrouvés passent par le départ des activités économiques ne correspondant pas à l’image qu’il convient de promouvoir pour accéder à ce futur[10].

Nous avouons que de tels propos, émanant d’un aussi remarquable connaisseur de la médina de Tunis et de sa dynamique sociale que l’est Denis Lesage, ne manquent pas de nous étonner, en ce que nous pensions que les présupposés idéologiques qu’ils véhiculent étaient révolus depuis longtemps. Mais notre étonnement doit procéder d'une excessive naïveté : celle qui, en premier lieu, nous faisait croire que des leçons avaient été tirées du constat assez pessimiste établi dès 1982 par Jacques Pégurier quand il analysait déjà, à l'époque, les partis d'aménagement des médinas en matière d'activités économiques; celle qui, en second lieu, nous faisait penser que les a priori idéologiques accompagnant les discours et les pratiques de la sauvegarde des médinas étaient, depuis cette époque, en recul. Or, force est de constater que, face à cette économie urbaine qui, certes, n’offre pas partout le souffle qu’on lui reconnaît à Marrakech ou à Sfax, mais n’en manifeste pas moins dans nombre de médinas des capacités étonnantes et souvent insoupçonnées d’adaptation et d’innovation, les politiques de sauvegarde s’inquiètent plus de ce dynamisme qu’elles ne cherchent à en profiter, à l’accompagner, à l’intégrer dans leurs réflexions  et leurs propositions.

On ne peut alors que constater avec regret le trop petit nombre d’études opérationnelles capables de révéler cette complexité des dynamiques économiques et de fournir les bases à de nouvelles conceptions et pratiques opérationnelles. L’évaluation sociale du premier projet de développement de la médina de Fès (PNUD/Ministère de l'Intérieur du Maroc, 1992) est de celles-là. Sa composante "Activités" fournit certes des conclusions qui, dans une large mesure, ne sont que la confirmation de résultats déjà bien connus. Mais d'autres, appuyées sur un effort de renouvellement problématique – à savoir, par exemple, le refus de considérer tous les habitants, tous les artisans de la médina comme un ensemble indifférencié - et sur la mise en œuvre de méthodologies soigneusement pensées – en particulier pour ce qui est de la construction des échantillons de population à enquêter -, sont bien plus originales. Il apparaît ainsi que si la médina est bien recherchée en tant qu’espace d’informalité, c’est essentiellement par deux catégories d’artisans, très différentes l'une de l'autre : d’une part, par ceux dont les unités ne sont viables que grâce aux avantages reconnus aux médinas[11]; d’autre part, par ceux pour lesquels la médina – ou, plutôt, tel lieu particulier en médina – est une localisation choisie, et conservée, parce qu’elle assure une maximisation de leurs ressources. L’étude met par ailleurs en évidence le fait que les dynamiques adaptatives sont, dans le milieu artisanal, bien plus diverses qu’on ne le croit souvent. Mais les unes sont déjà anciennes, telles la mécanisation ou la réorientation des productions pour trouver des “créneaux ” adaptés (classes moyennes urbaines, populations rurales à travers les souks, couches populaires “supérieures ”); tandis que d'autres sont plus récentes, telles les “dynamiques entrepreneuriales ” qui font passer un ouvrier au statut de patron, un sous-traitant à celui de donneur d’ordres, ou transforment un artisan en petit patron (cas du travail du cuir)[12]

3. Des représentations

Nous avons déjà fait à maintes reprises allusion à la charge idéologique, au poids des représentations, pour tout ce qui touche aux médinas, tant en termes d’analyse de leur contenu qu’en termes de propositions en vue de leur aménagement, leur sauvegarde, leur développement. En soi, cela ne nous gêne pas : nous ne croyons pas à une science sociale qui serait “objective ”. Le problème se situe plutôt, selon nous, dans le fait que cette dimension idéologique est presque toujours occultée par ceux qui font profession de chercher ou de “traiter ” les villes, et camouflée sous des discours qui préconisent l’esthétisme, le culturel, le bien-être des populations, la ville idéale, etc. Or cette occultation interdit de penser ou d’agir de façon réfléchie sur l’objet d’étude ou à traiter, empêche le débat contradictoire de s’établir sur des bases saines, par le seul fait que ne s’opposent pas des personnes, des institutions ou des conceptions qui visent à comprendre la complexité des situations économiques, sociales ou spatiales, mais les tenants de telle ou telle position a priori[13]. Et cette occultation n’est pas étrangère non plus au peu d’empressement mis par les responsables politiques ou techniques, ainsi que par les bailleurs de fonds, à susciter des évaluations sociales des projets traitant des médinas[14]

Or, et les auteurs de l’évaluation sociale du premier projet de sauvegarde de la Médina de Fès le montrent remarquablement (PNUD / Ministère de l’Intérieur, 1992), ces images, idéologies et représentations, parce qu’elles sont en actes, doivent impérativement être identifiées, repérées, décodées, analysées, y compris dans leurs contradictions, sans que des jugements de valeur a priori ne soient portés sur elles, sous peine de s’interdire de comprendre les dynamiques sociales, les pratiques et comportements de la plupart des acteurs agissant dans et sur la médina. Et cela vaut autant pour les individus que pour les acteurs non institutionnels ou institutionnels privés ou encore que pour les institutions publiques !

Si l’on reprend les conclusions de ces auteurs pour Fès, elles font état de trois caractéristiques principales de ces représentations :

Parmi la population résidente, l’existence d’un paradoxe entre une image globale d’un lieu sombre, dégradé, peu sûr et celle, relativement positive, qui conduit à un réel attachement au site urbain et social de la part d’une fraction notable de cette population. Toutefois, comme la première image est aussi celle qui prévaut à l’extérieur de la médina, y compris et surtout parmi les institutionnels, “ l’expression (de l’attachement à la médina par ses habitants ou certains d’entre eux) a bien du mal à émerger, car il y a véritablement intériorisation du discours extérieur (…) totalement dominé par des images négatives présentes (i.e., actuelles), versus des images positives passées, alors que l’image positive, même fragile, qui finit par émerger chez les habitants est, elle, présente et, bien plus, contient même un futur, puisque la demande de modèle urbain y fait largement référence ”[15]. Au terme d’une analyse poussée sur la formation de ces représentations dans différentes catégories de la population, les auteurs en arrivent à la conclusion fondamentale suivante: “ (…) (il convient alors) de distinguer nettement entre le rejet de la dégradation du bâti et d’une certaine inadaptation du modèle d’habiter et l’attachement réel et profond au modèle urbain, sous certaines conditions d’amélioration ”.

Si l’idéologie fassie peut apparaître de prime abord comme une construction “ chauvine ”, elle semble cependant posséder son “ versant positif, (lequel) renvoie à tout un mode civilisationnel et fait preuve d’une “ vertu ” intégrative très forte dont rend compte l’importance du concept d’‘éducation fassie’ recueilli chez des immigrés de première et de seconde générations pour marquer leur adhésion au modèle ”.

L’idée que le Maroc, voire le monde entier à travers l’UNESCO et la coopération internationale, doi(ven)t rendre à Fès une partie de ce que cette ville et ses habitants ont donné, jusqu’à présent unilatéralement (selon ceux qui s’expriment, à Fès, sur ce sujet), au cours de l’histoire, au pays et à la civilisation universelle. Comme l’écrit F. Navez-Bouchanine, s’exprime ainsi et un appel à l’aide et un constat d’impuissance, dont on sent bien, dès le moment où on les énonce, qu’ils ne peuvent pas ne pas avoir d’effets sur les attentes et les jugements des habitants, fassis ou non fassis de naissance, quant aux politiques de sauvegarde.

L’intérêt opérationnel de ces représentations est plus grand que ce que l’on pourrait croire de prime abord, en ce qu’elles “ révèlent l’importance des images dès lors qu’on parle de ville et de changement social, notamment en raison de l’impact qu’elles ont sur la satisfaction résidentielle ” (F. Navez-Bouchanine, 1995 a). Et ce même auteur de poursuivre : “ Il ne sera pas possible, selon nous, de travailler sur la sauvegarde de Fès sans tenir compte de ces images, de ce qu’elles signifient, et sans travailler sur elles et à partir d’elles, à deux niveaux au moins : d’une part, comme matériau pour comprendre et utiliser la force et la vigueur des éléments de modèle urbain qui résistent et s’adaptent à l’évolution ; d’autre part comme source d’inspiration pour l’accompagnement du projet par des actions de sensibilisation et de communication ” (ibid., p.11).

III- Quel avenir pour les médinas dans les schémas d’aménagement urbain ?

1. Le pragmatisme des propositions relatives à la médina de Salé.

Parce qu’elle est relativement rare, la démarche adoptée par un groupe d’intervenants, chercheurs et responsables associatifs, au colloque tenu à Salé en 1988 (Association Bou Regreg, 1990) mérite attention quant à la manière dont la réflexion sur la centralité d’une médina peut sous-tendre des propositions opérationnelles[16].

Le mieux nous a semblé de citer des extraits du texte qu’ils ont publié, accompagnés d’un bref commentaire (ce qui est en gras est souligné par nous, P.S.) :

“ La médina (de Salé) joue encore (en 1988) pour certains aspects un rôle central par rapport au reste de la ville : les facteurs de cette centralité étant classiques, je me dispenserai de les rappeler, si ce n’est pour préciser que la médina de Salé est nettement plus paupérisée, dégradée et dévalorisée que celle de Rabat, en même temps que, du fait de l’orientation de la croissance urbaine, elle ne se trouve plus du tout, aujourd’hui, au centre géographique de la ville.

“ (Notre) approche met l’accent sur la redécouverte des potentialités d’une structure urbaine qui peut être “ récupérée ” au moyen d’interventions à court et moyen terme (…). Les interventions doivent avoir pour but (en matière culturelle, économique, etc.) de redonner à la médina la valeur et les fonctions de centre que celle-ci a perdues, peu à peu, au cours des dernières décennies ”. Et les auteurs de continuer ainsi : “ L’hypothèse centrale est, compte tenu du contexte urbain morcelé et en rapide expansion de Salé, que le fait de restituer à la médina un rôle central peut être l’un des facteurs qui pourrait provoquer un processus durable de réhabilitation et de revalorisation de l’habitat et du tissu urbain (…). En conséquence, l’équipe a affronté des thèmes liés en matière d’aménagement urbain et de revalorisation de l’espace ”.

 Rien donc que de très modeste et de très classique, apparemment. Pourtant, à y regarder de plus près,  ces propositions expriment un refus de concevoir la sauvegarde, la conservation, comme des finalités en elles-mêmes ; elles expriment une opposition à ceux qui affirment : “ La sauvegarde d’abord ! On verra après ce qu’il advient…”, sans se préoccuper de répondre aux questions fondamentales, à savoir la sauvegarde pour qui ? la sauvegarde pour quoi ? la sauvegarde à quel prix, économique, social, etc…? Ici, au contraire, on affirme d’emblée qu’il convient d’abord de déceler – i.e. de sélectionner – les possibilités de réutilisation et de transformation (dans la médina) aptes à produire un véritable changement dans les rapports entre l’intérieur et l’extérieur, entre la médina et le reste de la ville ou de l’agglomération.

Or, force est de constater que lorsqu’on examine, à travers les documents d’urbanisme de première génération (i.e. produits au cours des années 60 et 70), voire ceux de deuxième génération (années 80), la manière dont est posée la centralité des médinas, une telle attitude n’est pas classique !

En effet, la première génération de ces documents, qui émanent de bureaux d’études publics ou privés, a été élaborée à des échelles (agglomérations), en fonction de finalités (contrôler des extensions périphériques, localiser des lotissements, etc.) et selon des principes (zonage systématique) tels que, dans la plupart des cas, leur réflexion sur les médinas est très souvent peu approfondie et les propositions qui y sont relatives pour le moins sommaires. Certes, urbanistes et planificateurs de cette époque affirment fréquemment que la médina est centrale, mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, la centralité dont ils parlent n’est qu’une notion creuse. Quand ils précisent, et qu'ils évoquent la centralité géographique, c’est pour la considérer comme un obstacle au bon fonctionnement de l’agglomération : c’est que, du fait de la difficile, voire de l’impossible, pénétration de la circulation automobile dans la plupart des médinas maghrébines, les urbanistes d’alors, en bon “ fonctionnalistes ” qu’ils sont, ne peuvent penser l’intégration de ces quartiers anciens au reste de l’agglomération qu’en termes d’ouverture forcée aux véhicules automobiles, tentatives parfois avortées, comme à Tunis (J. Abdelkafi, 1989), parfois seulement esquissées (Fès) ; à défaut, lorsque les solutions techniques s’avèrent irréalisables, il leur suffit de nier cette centralité et d’évoquer la “ marginalité ” (des médinas)… pour que le tour (intellectuel) soit joué[17] !

2. Pour qui la médina de Tunis est-elle un « territoire stratégique » ?

La présentation que fournit de sa propre action l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis (A.S.M., 1994) apporte une confirmation explicite de ce que nous avançons. Cet organisme rappelle en effet, que, en 1980, la Ville de Tunis mit à l’étude le Plan d’Aménagement (Urbain) de la Commune de Tunis (P.A.C.T.) conformément aux dispositions du nouveau Code de l’Urbanisme (loi n° 79-43 du 15 août 1979), et que, dans ce but, “ les études (pour celui-ci) sur le territoire de la Médina et de ses faubourgs furent confiés à l’A.S.M. qui s’appliqua à mettre au point un plan et un règlement d’urbanisme respectant le découpage cartésien défini par le Code tout en s’adaptant aux caractéristiques morphologiques particulières de la Médina ” (p.22). Ce document a été adopté (octobre 1988), en deuxième lecture, par un vote du Conseil municipal de Tunis, en même temps que l’ensemble du P.A.C.T. Il n’est pas dans nos intentions, ici, d’analyser le contenu de ce PA.C.T.- Médina ni d’en faire la critique éventuelle; nous nous contenterons simplement de noter que, pour ses auteurs,“le premier mérite (de ce document) est d’exister, indépendamment du règlement pour le reste de l’agglomération, et de consacrer ainsi la différence et la spécificité de l’espace historique traditionnel” (p.22) (souligné par nous, P.S.). Qu'un tel document consacre la spécificité de la médina, on ne peut que s'en réjouir ! Mais, pour autant, peut-on souscrire à l’idée que le centre historique doive être pensé et traité indépendamment de tout le reste, et que les règlements que l’on y applique doivent s’en tenir aux aspects les plus techniques, les plus architecturaux, les plus étroitement urbanistiques de la planification urbaine ?

Or, au cours de cette période (années 80), le lancement d’une grande opération d’urbanisme visant à l’aménagement de toute la rive nord du Lac de Tunis (faisant suite aux travaux remarquables de son assainissement) ainsi que la construction d’un réseau de transports publics en site propre (appelé, à Tunis, métro-léger), auraient dû obliger à réfléchir aux effets que ces opérations étaient susceptibles d’avoir sur la (les) centralité(s) urbaine(s) : est-il en effet envisageable de poursuivre la même politique de sauvegarde de la Médina lorsque tout donne à penser que la centralité “ moderne ” est en train de glisser vers l’est (vers les berges du lac) et que la construction du métro-léger, parce qu’elle rend plus aisée et peu onéreuse les relations entre les périphéries populaires et le(s) centre(s) hérités (médina et ville européenne), est susceptible de modifier la composition sociale, culturelle ou économique des populations accédant à ce(s) centre(s).

Pourtant, ce ne sera que dix ans plus tard, à l’occasion des études menées pour l’élaboration d’un nouveau Schéma Directeur d’Aménagement du Grand Tunis (Rép. Tunisienne / Urbaconsult, 1996), qu’un certain “progrès ” – selon nous - quant à  la manière de poser la question de la centralité peut être noté. Ce document considère en effet, explicitement, que “la centralité (…) est  un aspect important de l’aménagement urbain (…), que la qualité et l’emplacement des centres (…) sont l’un des aspects essentiels de la préparation des plans et des programmes d’aménagement ”. Si l’affirmation mérite d’être relevée, reconnaissons toutefois que, jusque-là, le discours reste un peu  convenu. Plus novatrice, par contre, est la tentative que les auteurs de cette étude engagent pour rendre compte et expliquer les dynamiques actuelles du centre (ou des centres) de Tunis. Ils identifient en effet quatre éléments majeurs caractéristiques de ces dynamiques :

  • Le centre “traditionnel ” (médina et ville européenne) n’est plus seul à satisfaire les besoins de la population et biens et services ;
  • Les centres nouveaux programmés par les plans d’aménagement antérieurs sont aujourd'hui sans effets sur l'organisation spatiale de l'agglomération tunisoise[18].
  • La réalisation du réseau du métro-léger a eu pour effet d’améliorer l’accessibilité du centre “traditionnel ” pour les populations des quartiers périphériques populaires, tandis que la poursuite de la tertiairisation du centre européen, engendrant des difficultés accrues de circulation et de stationnement, dissuade de plus en plus les classes aisées ou moyennes, motorisées, de se rendre dans cette partie du centre, dans le même temps où une infinité d’initiatives privées, généralement non planifiées, multiplie centres de commerces et de services dans les banlieues où vivent ces classes[19].
  • La dynamique urbaine la plus récente et le processus de métropolisation de Tunis ont conduit à une multiplication d’opérations lourdes qui, à proximité du centre “traditionnel ”, ont engagé une réorganisation en profondeur de la centralité[20]. Pratiquement aucune de ces opérations, qu’elles aient été initiées par des opérateurs publics, privés ou par des sociétés mixtes, n’a été préalablement prévue par les documents d’urbanisme tels que le P.R.A. (District de Tunis, 1977) ou le P.A.C.T. (Plan d’Aménagement de la Commune de Tunis, 1978). Indépendamment de cela, elles n’en respectent ni les priorités, ni la philosophie.

Ce quadruple constat autorise les auteurs du S.D.A. de Tunis à écrire que “la politique de centralité proposé par le P.R.A.[21] n’a obtenu que peu de soutien (de la part des responsable de l’aménagement urbain – à l’échelle nationale – et des institutions responsables de la planification urbaine dans le Grand Tunis) et que, en réalité, après 1977, il n’y a eu aucune politique coordonnée en matière de centralité ”, soit, si l’on précise la pensée des auteurs, aucun effort, voire même aucune tentative, pour essayer de coordonner les acteurs agissant sur le Grand Tunis.

Si ce document décrypte donc assez correctement les tendances engagées  et leurs conséquences prévisibles sur la centralité, ainsi que les incapacités – ou l’absence de volonté – régulatrices des responsables de la planification, il ne laisse pas de nous interroger sur plusieurs points. Que signifie, par exemple, l'usage de l'expression “centre traditionnel ” en tant qu'elle recouvre la médina (ou certaines de ses parties, on ne sait) et le centre de la ville moderne (ex-européenne)? Comment est-il possible de réfléchir au “développement futur d’une centralité ” à Tunis, en posant en principe que la réflexion n'intégrera ni la problématique de la sauvegarde de la ville historique, ni une évaluation précise des effets des actions conduites en son nom depuis plusieurs décennies, alors que, dans le même temps, cette “sauvegarde ” en général est posée comme un objectif en cours de réalisation, une finalité à atteindre ? Peut-on, d'un côté, décréter : “ Sauvegardons la médina ! ” et, d’un autre côté, abandonner la définition du contenu de cette politique et les modalités de sa mise en œuvre à un organisme particulier – en l’occurrence l’Association de la Sauvegarde de la Médina – dont le seul but est, justement, de “sauvegarder ” sans réellement se préoccuper de rien d’autre (du moins à l’échelle de l’agglomération). Peut-on concevoir une politique qui préserve la poly-fonctionnalité et la poly-socialité de ce centre qualifié de “traditionnel ”, en faisant l'impasse sur les conséquences de la politique de sauvegarde sur l'une - la médina - de ses composantes ?

Notre étonnement - qu'expriment les questions ci-dessus - est d’autant plus grand que les auteurs du S.D.A. de Tunis ont une conception assez juste des conditions à réaliser pour qu’un document d’aménagement soit autre chose qu’une succession de vœux pieux. Ils écrivent ainsi (p.178) : “Une politique de centralité ne peut réussir que si  et seulement si les intérêts de tous les acteurs potentiels de sa mise en application sont reconnus et intégrés dans la politique ” (souligné par nous, P.S.). Qui ne souscrirait à une telle proposition ? Mais comment “intéresser ” les acteurs potentiels si les champs d’action sectoriels ou localisés de tel ou tel sont considérés, a priori, comme des terrains réservés et ne sont pas réinjectés dans la réflexion générale qui doit servir à projeter le développement urbain futur. Or la non-prise en compte, dans le S.D.A., de la question de la  sauvegarde[22] tendrait à faire penser que l’on est encore très loin, à Tunis, d’avoir engagé une réflexion mettant en jeu “les intérêts de tous les acteurs potentiels ” de la centralité ! Nous ne sommes pourtant pas loin de penser que la réalité est autre, et qu'elle exprime une contradiction insurmontable - par les pouvoirs publics et pour l'instant - entre la désignation de la médina comme un "territoire stratégique"[23] et l'attribution de la "responsabilité" de l'aménagement et de la prévision du futur de ce territoire à un organisme spécialisé que l'on tient - et qui se tient - volontairement en marge du système global d'acteurs[24].

3. A propos de la centralité de la médina de Fès : des propositions successivement contradictoires

On pourrait estimer, en première approche, que le cas de Fès se situe en contrepoint de Tunis. Cela n’est toutefois exact que si l’on s’en tient, pour cette agglomération, aux documents d’urbanisme élaborés et publiés à la fin des années 70 et au début des années 80.

Le Schéma Directeur d’Urbanisme de la Ville de Fès, pour ancien qu’il soit désormais (Royaume du Maroc / Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, 1980), est en effet l'un des rares, sinon le seul, des documents d’urbanisme de cette époque (décennie 80) qui ait réellement tenté de penser la centralité, dans sa réalité du moment et dans ce qu’elle pourrait être dans le futur. Ce document met en évidence l’existence, à Fès, d’une centralité éclatée, faite de trois (voire quatre) centres hiérarchisés : “(…) un système de centres (…) constitue un axe structurant comprenant les “centres ” de Bab Debibagh (ville ex-européenne), Fès Jdid, la Médina et même Bab Ftouh (…). Le renforcement de cet axe pourrait diminuer les inégalités entre ces différents centres ” (vol.1, p.14) (figure 4). Il en déduit que médina et agglomération ne peuvent être considérées séparément et que l’aménagement de l’ensemble urbain (agglomération) doit être conçu en fonction (à partir) de la problématique de la médina, compte tenu de l’importance économique, sociale et culturelle de celle-ci.

Je ne reviendrai pas ici sur l’analyse relativement détaillée que j’ai déjà faite de ce document et, plus particulièrement, de son volume (vol.4) consacré au bilan-diagnostic (Signoles, 1988), me contenant d’y renvoyer le lecteur. Je préciserai cependant que, par rapport à l’objet qui est le nôtre - la centralité des médinas -, l’intérêt du Schéma Directeur de Fès ne réside pas tant dans la qualité des analyses que dans l’effort entrepris pour projeter l’avenir du centre et de ses différentes composantes. Il déduit en effet des objectifs établis au niveau de la “macro-forme urbaine ” – lesquels visent à renforcer le rôle de la médina en tant que centre principal de l’agglomération – des propositions spécifiques : organiser d’abord la fonction commerciale de la médina, puis  réorganiser le secteur de la production en favorisant la reconversion d’une partie de l’artisanat à l’intérieur même de la ville historique, et, enfin, y développer les fonctions culturelles et universitaires[25]. Le Schéma Directeur d’Urbanisme de la Ville de Fès est en outre tout à fait conscient des difficultés à surmonter pour concilier, dans un même espace médinal, développement de la fonction centrale principale et préservation du cadre historique. Différentes propositions, relativement fines, figurent au volume 6 du Schéma Directeur : si celui-ci réaffirme le choix  du maintien d’une certaine bi-polarité centrale, il se donne aussi pour objectif le maintien d’un équilibre relatif entre les deux pôles principaux (médina et Fès Jdid), en même temps qu’il insiste pour que le système de transports entre eux soit amélioré, modernisé, intensifié, et que le hiatus spatial qui les sépare soit progressivement comblé par l’aménagement de zones d’activités intermédiaires.

Le plus étonnant, en ce qui concerne Fès, ne réside pas dans les atermoiements de la mise en œuvre de la sauvegarde, ni dans le manque de clarté qui prévaut dans la répartition des rôles des très nombreux acteurs institutionnels appelés à “s’occuper ” de la Médina. C’est plutôt que le bureau d’études “choisi ” (Cabinet Pinseau, Paris) pour actualiser le Schéma Directeur de 1980 et qui contribua largement à l’élaboration d’un nouveau, celui de 1990 (Royaume du Maroc/Ministère de l’Intérieur/Direction de l’Urbanisme, 1991), prit l’option de “trancher définitivement ” le problème de la multipolarité du centre, en consacrant la Ville Nouvelle comme seul centre de l’agglomération. Pour être exact, disons que le nouveau Schéma Directeur propose de structurer l’agglomération autour d’un réseau de centres hiérarchisés, dont la Ville Nouvelle consacrerait le niveau supérieur (Ali Fejjal, 1994, p.505). Etrange proposition – du moins, apparemment – puisque, si l’on suit l’étude extrêmement critique qu’en livre A. Fejjal dans sa Thèse, elle projette sur Fès un modèle caractéristique des villes européennes, avec une macroforme radioconcentrique, un centre-ville dominant et des banlieues/ périphéries dépendantes, au moment même où cette conception est mise à mal et violemment critiquée dans les pays mêmes qui l’on vu naître et qui l’ont codifiée.

Conclusion

Le malentendu - pour ne pas dire le désaccord - qui existe entre chercheurs, praticiens et gestionnaires des villes du Maghreb à propos des politiques à conduire sur (pour ?)  les médinas s’exprime ou  se focalise à propos ou sur des objets multiples. Au-delà des réserves portant sur le diagnostic, c’est la manière dont les études sont ou non problématisées et sur les méthodes mises en œuvre que les désaccords portent principalement, tant il est vrai que, au-delà du débat sur les problématiques, c’est bien la question des idéologies sous-jacentes qui est posée. On peut ajouter qu’une deuxième source de désaccord a trait aux évaluations sociales, à leur nécessité, à leur rythme et aux modalités de leur commande ainsi que de leur réalisation.

Si, au-delà des objets précis qui peuvent cristalliser ces désaccords ou malentendus, nous essayons d'en établir les raisons principales, nous situerons celles-ci sur deux plans :

¤ En premier lieu, il est manifeste que, dans la plupart des études d’aménagement, les auteurs éprouvent la plus grande difficulté à prendre en compte réellement le système d’acteurs dans sa totalité, et, plus particulièrement, à accorder aux individus le statut d’acteurs à part entière, même lorsqu’ils en affirment l’intention[26]. Cette négation des individus en société génère un appauvrissement des analyses, affaiblit la compréhension des dynamiques sociales, économiques et spatiales à l'œuvre, au point qu’elle rend pratiquement caduques, dès l’instant même où elles sont formulées, les propositions d’aménagement. Cet “appauvrissement ” concerne des domaines aussi essentiels que les pratiques sociales et spatiales[27], les représentations, les images, les idéologies “en actes ” - “en actes ” incluant évidemment les discours[28]. Il a également pour conséquence que l’espace n’est jamais réfléchi en termes de territoires, comme si les populations qui vivent, se socialisent, pratiquent, s’approprient, s’identifient (à) des lieux n’établissaient avec ceux-ci des rapports autres que fonctionnels, comme si elles n’étaient pas susceptibles d’être territorialisées ou engagées dans des processus de territorialisation…

Comment mieux dire cette nécessité de la prise en compte des individus quand nombre d’entre eux, lors des enquêtes menées à Fès par Françoise Navez-Bouchanine et les autres chercheurs avec lesquels celle-ci travaillait, lui déclaraient : “ Considérez-nous comme le patrimoine ! ” ? (art.cit., 1996).

En second lieu, le chercheur en sciences sociales n’est pas plus porteur de Vérité que tout autre acteur de la scène sociale. S’il reste sur le terrain de la recherche – ce qui est une possibilité, mais absolument pas une obligation -, il n’a pas à dicter aux praticiens et aux gestionnaires de la Cité leurs priorités, à définir le contenu des actions ni la manière de les mettre en œuvre. Mais, tout en restant sur ce terrain, il doit interroger les pratiques, y compris celles de ceux qui se disent ou se pensent compétents, se disent ou se pensent légitimes (pour agir de la manière dont ils agissent ), en se servant des instruments critiques qui sont les siens : quelles problématiques, quels questionnements sous-tendent ces pratiques[29] ? Quelle est, compte tenu des résultats qu’il a engrangés, leur pertinence ? Que révèlent-ils ou révèlent-elles sur les décideurs ou gestionnaires eux-mêmes et sur la conception qu’ils se font des autres ? Quelle est la validité des méthodes utilisées par ceux-ci pour asseoir leurs diagnostics, fonder leurs projets, légitimer leurs actions[30] ?

Mais si le chercheur ne possède pas la Vérité, le praticien ou le décideur n'en dispose pas plus. Or il ne peut y avoir interaction entre recherche et action, entre recherche et pratique, que si, comme l’écrit A. Bourdin (1996) à propos du patrimoine, “la définition du patrimoine (plus généralement de l’objet de l’action urbaine, précisé par nous, P.S.) n’est pas donnée au point de rendre toute discussion inutile, qu’elle ne concerne pas seulement quelques docteurs de la loi et qu’elle n’est pas non plus une simple question de culture, de classe, de région (…) ”.

 Pourtant, F. Navez-Bouchanine (1995b, p. 37) ne manque pas de constater que “les responsables administratifs (sont plongés) dans un dilemme cornélien (lorsqu’ils doivent prendre en compte) les tendances récentes de la coopération internationale, notamment par ses options de coopération décentralisée et d’interventions par le biais d’ONG et de mouvements associatifs ” ; elle révèle ainsi l’une des questions de fond que posent les politiques d’aménagement urbain – entre autres, celles de sauvegarde -, à savoir que, confrontés à ce dilemme, ces mêmes responsables développent un discours hautement idéologique, en affirmant que “ce type d’action n’est pas adapté, socialement parlant, aux spécificités marocaines (…) ” et que “l’absence de maturité des populations, ainsi que celles de structures associatives formelles au sein de ces derniers, (manifestent) des spécificités lourdes et peu susceptibles de changements ” (souligné par nous, P.S.).

Ces attitudes, expressions de représentations et d’idéologies, expriment, de manière implicite ou explicite, des rapports au pouvoir, des conceptions quant à la manière dont il doit fonctionner et dont doit s’effectuer le “gouvernement des hommes ”, celui de la cité, la gouvernance en quelque sorte. Qu’il y ait alors, entre les représentants du pouvoir politique, des administrations, des institutions, voire des élus, dans chacun des pays du Maghreb, une telle position unanime de condescendance, qui manifeste une crainte diffuse – ou non - de l’expression des populations, de leurs revendications, de leurs souhaits, des modèles qu’elles véhiculent, ne saurait étonner. Une telle attitude reflète en effet et l’origine sociale de la plupart des membres qui constituent les élites et les notabilités urbaines, et une conception du fonctionnement du pouvoir – et de la gestion urbaine – du haut vers le bas.  Au-delà des discours sur la nécessaire “participation ” des habitants, on est encore loin d’une reconnaissance des “compétences ” de ceux-ci (A. Deboulet et I. Berry-Chikhaoui, 2000), en quelque domaine que ce soit, mais plus encore dans celui du politique (les habitants-citoyens) que dans d’autres.

Bibliographie

ABDELKAFI, Jellal.- 1989 - La Médina de Tunis, espace historique.- Paris, Presses du CNRS.- 279 p.

ABDELKAFI, Jellal.- 1990 - Le concept d’espace historique et la problématique de la réhabilitation. Etude de cas sur la Médina de Tunis.- p.p.155-163.- In Association Bou Regreg.- La réhabilitation des cités anciennes.- Casablanca, Ed. Wallada, Actes  du Colloque international tenu à Salé (6-9 octobre 1988).- 173 p.

ABICHOU, Habib.- 1981 - La fonction commerciale de Tunis.- Tunis, District de Tunis, 1981.- 20 p., ronéo.

ABICHOU, Habib ; FINDLAY, Ann ; FINDLAY Alan et PADDISSON, Ronan.- 1981 - The socio-professional characteristics of the residents of Central Tunis.- Glasgow, University of Glasgow, 1981, Occasional Papers series, 7.- 50 p.

Association Bou Regreg.- 1990 - La réhabilitation des cités anciennes.- Casablanca, Ed. Wallada, Actes  du Colloque international tenu à Salé (6-9 octobre 1988).- 173 p.

Association de Sauvegarde de La Medina de Tunis.- 1994 - Médina de Tunis : le projet de l’A.S.M..- Tunis, ronéo.

BALBO, Marcello ; PINI, Danièle et ZNIBER, Mohamed Fawzi.- 1990 - Quelle stratégie d’approche pour la Médina de Salé.?- p.p.23-60.- In Association Bou Regreg.- La réhabilitation des cités anciennes.- Casablanca, Ed. Wallada, Actes  du Colloque international tenu à Salé (6-9 octobre 1988).- 173 p.

BELAMINE, Mohamed-Ali.- 1995 - Les activités tertiaires de la Ville Nouvelle de Fès. - Tours, Thèse de Doctorat, Géographie, Université François-Rabelais.

BELFQUIH, Mohamed et FADLOULLAH Abdallatif.- 1986 - Mécanismes et formes de la croissance urbaine au Maroc : cas de l’agglomération de Rabat-Salé.- Rabat, Librairie El Maârif, 3 tomes.- 782 p.

BEN HADID, Amina.- 1986 - Planification urbaine et réaménagement du Centre de Tunis.- Communication au séminaire : “L’entrée dans la ville ”, District de Tunis et INRETS.- Hammamet, 25-28 novembre 1986.- 13 p., ronéo.

BERARDI, R..- 1970-1971 -Lecture d’une ville : la médina de Tunis.- Paris, Architecture d’aujourd’hui, n°153 - p.p.38-43.

BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle.- 1994 - Quartier et sociétés urbaines : le faubourg Sud de la Médina de Tunis.- Tours, Thèse de Doctorat, Géographie, Université François-Rabelais,.

BOUDHIBA, Abdelwaheb et CHEVALLIER, Dominique (sous la dir. de).- 1982 -La ville arabe dans l’Islam. Histoire et mutations.- Tunis-Paris, C.E.R.E.S.-C.N.R.S., 572p.

BOURDIN, Alain.- 1996 - Sur quoi fonder les politiques du patrimoine urbain ? Professionnels et citoyens face aux témoins du passé.- Paris, Les Annales de la Recherche Urbaine, n°72,-p.p.7-13.

CHALINE, Claude.- 1996 - Les villes du Monde Arabe.- Paris, A. Colin, coll.U, 2ème édition .- 181 p.

CHEVALLIER, Dominique (sous la dir. de).- 1979 - L’espace social de la ville arabe.- Paris, Maisonneuve et Larose.- 363 p.

DEBOULET, Agnès et BERRY-CHIKHAOUI, Isabelle (sous la dir. de ) - 2000 – Les compétences des citadins dans le Monde arabe. Penser, faire et transformer la ville.- Paris, Karthala-IRMC-Urbama. – 406 p.

District de Tunis – Groupe Huit.- 1977a - Etude des activités tertiaires du Centre de Tunis, Rapport pour le Ministère de l’Intérieur.- Tunis- 185 p.(un rapport + un atlas).

District de Tunis.- 1977b - Plan Régional d’Aménagement du District de Tunis.- Tunis, (16 p.  +  73 p. + 33 p. + cartes hors texte et annexes).

FEJJAL, Ali.- 1994 - Fès, héritages et dynamiques urbaines actuelles.- Thèse de Doctorat d’Etat, Géographie, Université François-Rabelais, Tours, 2 tomes, ronéo.

HENSENS, Stacia.- 1982 - Pôles d'animation dans 1'espace urbain de Rabat.- Tours, Thèse de Doctorat de 3ème Cycle, Géographie, Université François-Rabelais - 237 p., ronéo.

HILALI-MARTIN, Francine.- 1987 - Le centre de Tanger, bi ou multipolarité ?.- Tours, Thèse de Doctorat de 3ème Cycle, Géographie, Université François-Rabelais, 2 tomes - 559 p., ronéo.

HOUIDI, Taïeb.- 1977 - L'hypercentre de Tunis.- Poitiers, Mémoire de Maîtrise, Géographie, Université de Poitiers- 173 p., ronéo.

IDRISSI-JANATI M’hamed. - 2001 - Les jeunes des quartiers populaires de Fès (Maroc) : représentations sociales et territorialités urbaines. Tours, Thèse de Doctorat, Géographie, Université François-Rabelais.

ILBERT, Robert.- 1982 - Le Caire a-t-il une médina ?.- Tours, pp.263-281.- In TROIN Jean-François (sous la dir. de).- Présent et avenir des Médinas (de Marrakech à Alep).- URBAMA, Fascicules de recherches n0 10-11.- 281 p.

LESAGE, Denis.- 1997 - La modernité ressuscitée : le futur des médinas.- Rome, Rive - pp.111-113.

LUSSAULT, Michel et SIGNOLES, Pierre (sous la dir. de).- 1996 - La citadinité en questions.- Tours, URBAMA, Fascicule de recherches n0 29 - 158 p.

MADOEUF, Anna.- 1997 - Images et pratiques de la ville ancienne du Caire : les sens de la ville.- Tours, Thèse de Doctorat, Géographie, Université François-Rabelais.

MIOSSEC, Jean-Marie.- 1987 - Du suq au supermarché à Tunis : une évolution contrariée.- Glasgow, septembre 1987 : Communication au Colloque : “Retail Environments in Developing Countries”,  21 p., ronéo.

NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise.- 1994 - Que faire des modèles d’habiter ? Lausanne, Architecture & Comportement, vol. 10, n03.- p.p.295-316.

NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise.- 1995a - L’évaluation sociale du projet de sauvegarde de Fès.- Fès :  Communication au séminaire “Patrimoine  et Urbanisme”, UNESCO et Ministère des Affaires Culturelles, 16-20 janvier 1995.- 16 p., ronéo.

NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise.- 1995b - Initiatives des populations démunies, pouvoirs publics et développement urbain : le cas du Maroc.- Tunis :  Communication au Colloque “Pauvreté et Patrimoine”.- 58 p., ronéo.

NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise.- 1995c - Projet de sauvegarde de la médina de Fès : évaluation sociale.- Fès :  Résumé pour Banque Mondiale et Préfecture de Fès - Médina.- 23 p.

NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise.- 1996 - La Médina au Maroc: élites  et habitants. Des projets pour l’espace dans des temps différents.- Paris, Les Annales de la Recherche Urbaine, n0 72 - p.p.15-22.

PANERAI, Philippe.- 1989- Sur la notion de ville islamique.- Paris, Peuples méditerranéens, n0 46 - p.p.13-30.

PEGURIER, Jacques.- 1982 - La Médina de Marrakech entre son passé et son avenir.- p.p.73-82.- In TROIN Jean-François (sous la dir. de) : Présent et avenir des Médinas (de Marrakech à Alep).- Tours, URBAMA, Fascicules de recherches n0 10-11- 281 p.

PNUD /  Ministère de l’Intérieur (Maroc).- 1992 - Premier projet de sauvegarde de la Médina de Fès. Evaluation sociale.

RAYMOND, André.- 1985 - Grandes villes arabes à l’époque ottomane.- Paris, Sindbad, La Bibliothèque Arabe - 389 p.

République Tunisienne / Direction de l’Aménagement du Territoire.- 1972 - Sfax 72, problèmes et perspectives d’aménagement.- Tunis - 156p.+ annexes.

République Tunisienne / Ministère de l’Intérieur / Municipalité de Tunis / District de Tunis, (s.d.).- Plan d’Aménagement de la Commune de Tunis (P.A.C.T). Eléments préliminaires.- Tunis, 70 p., ronéo.

République Tunisienne / Ministère de L’Intérieur / Municipalité de Tunis / District de Tunis.- 1978 - Plan d’Aménagement de la Commune de Tunis (P.A.C.T). Rapport d’orientation.- Tunis - 50 p., ronéo.

République Tunisienne / Urbaconsult.- 1996 - Schéma Directeur du Grand Tunis. Etudes de première phase.- Tunis ( un rapport et un atlas).

Royaume du Maroc / Ministère de l’Habitat (s.d.).- Schéma Directeur de Mekhnès.- Rabat.- 69 p.

Royaume du Maroc / Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire.- 1980 - Schéma Directeur d’Urbanisme de la Ville de Fès.- Paris, plusieurs volumes.

SANTELLI, Serge.- Le creuset méditerranéen.- 1995 - Tunis-Paris, Les Editions du Demi-Cercle/ CNRS­ Editions - 126 p.

SIGNOLES, Pierre.- 1988 - Place des médinas dans le fonctionnement et l’aménagement des villes au Maghreb, p.p.231-274.- In Eléments sur les centres-villes dans le Monde Arabe.- Tours, URBAMA, Fascicule de recherches n0 19.- p.p.231-274.

SIGNOLES, Pierre.- 1994 - Actualité et centralité des médinas. Monde arabe/ Maghreb-Machrek.- Paris, La Documentation Française, numéro spécial (1er trimestre) -  p.p.155-161.

SIGNOLES, Pierre.- 1999 - Acteurs publics et acteurs privés dans le développement des villes du Monde arabe - pp.19-53.- In SIGNOLES, Pierre, EL KADI Galila et SIDI BOUMEDINE Rachid (sous la dir. de): L’urbain dans le Monde arabe. Politiques, instruments et acteurs.- Paris, CNRS-Editions.- 373 p.

SIGNOLES, Pierre ; BELHEDI, Amor ; MIOSSEC, Jean-Marie et DLALA Habib.- 1980 - Tunis. Evolution et fonctionnement de l’espace urbain.- Tours, URBAMA, Fascicule de recherches n0 6.- 259 p.

TROIN, Jean-François (sous la dir.de).- 1982 - Présent et avenir des Médinas (de Marrakech à Alep). Tours, URBAMA, Fascicule de recherches n0 10-Il.-281 p.

TROIN, Jean-François - 1993 - Thèmes et lieux de recherches chez les chercheurs français et francophones en géographie urbaine au Maghreb.- Tours, URBAMA.- pp.65-76.- In Recherches urbaines dans le monde arabo-musulman. Approches comparées des géographes allemands, britanniques  et français.- Fascicule de recherches n0 24.- 207 p.

WIRTH, Eugen.- 1975 - Die orientalische Stadt. Ein Überblick aufgrund jüngerer Forschungen zur materiellen Kultur.- Saeculum, n0 26- p.p.45-94.

WIRTH, Eugen.- 1982 - Villes islamiques, villes arabes, villes orientales ? Une problématique face au changement.- pp.193-225.- In BOUDHIBA, Abdelwaheb et CHEVALLIER, Dominique (sous la dir. de).- La ville arabe dans l’Islam. Histoire et mutations.- Tunis-Paris, C.E.R.E.S.- C.N.R.S.- 572 p.

WIRTH, Eugen.- 1991 - Zur Konzeption der islamischen Stadt. Privatheit im islamischen Orien versus Ôffenlichkeit in Antike une Okzident. Die Welt des Islams, n0 31- pp.50-92.

WIRTH, Eugen.-1993 - Esquisse d’une conception de la ville islamique. Vie privée dans l’Orient islamique par opposition à vie publique dans l’Antiquité  et l’Occident.- Paris, Géographie et Cultures, n0 5 - pp.71-90.


Notes

[1]- Dans une version initiale, cet article a fait l’objet d’une communication présentée sous le titre :  Actualité et centralité des Médinas maghrébines : les politiques d’aménagement urbain au crible des problématiques de la recherche française [Colloque international : Casa e Citta. La traditzione  dell’Islam, la permananza di una cultura. Faculté d’Architecture et  d’Histoire de l’Architecture, Palerme/Institut du Monde arabe, septembre 1997]. 

[2]- Les exemples abondent de telles positions. S'il faut n'en donner qu'un, nous renvoyons aux propos du responsable de l'Atelier du Schéma Directeur de Fès lors du Colloque tenu en 1988 à Salé sur " La réhabilitation des cités anciennes" (Association Bou Regreg, 1990). Si l'on suit la classification proposée par A. Bourdin (1996), ce responsable relève de la catégorie des "gardiens du temple patrimonial", l'une des trois que l'auteur définit pour distinguer chercheurs et patriciens s'occupant du patrimoine - les deux autres étant celles des "collectionneurs" et des "culturalistes.

[3] Cf. : Sciences Sociales, 1977, Hors série n°18, p.5.

[4] Une exception notable, toutefois, en ce qui concerne Tunis (Berry-Chikhaoui, 1994). Hors du Maghreb, le cas de la vieille ville du Caire a été étudié de façon très originale par Anna Madoeuf (1997), mais la question de savoir si cette vieille ville est une médina reste posée (cf : Ilbert, 1982).

[5]- Il ne saurait être question pour nous, dans le cadre de cet article, de débattre, après bien d’autres, de la “ville islamique ”. Nous nous contenterons donc de renvoyer le lecteur à quelques textes fondamentaux. L’article ancien, mais classique, de R. Berardi (1970-1971) est ainsi révélateur de la manière dont, à partir de la lecture d’un cas – ici, en l’occurrence, Tunis – se construit un modèle de ville “ de l’Islam ”. Avec la prudence que justifie son exceptionnelle érudition, A. Raymond (1985) n’en écrit pas moins (p.12) : “ (…) on ne peut pas dire que notre connaissance du passé de la ville arabe, et islamique, soit aujourd’hui satisfaisante. D’une part, nous ne disposons pas véritablement sur les grandes villes arabes des études qui permettraient d’asseoir une réflexion d’ensemble (…). A ces lacunes se sont ajoutés les effets de la confusion qu’ont entretenue, dans ce champ de la recherche, quelques conceptions traditionnelles. Elles sont principalement liées au problème de la possibilité de parler d’une ville “islamique ” à propos de villes arabes méditerranéennes, ou, plus généralement, arabes, alors que nous ne connaissons, d’une manière satisfaisante, ni les caractères de la ville arabe pré-islamique, ni ceux des villes islamiques non arabes, qui constituent le plus grand nombre (…) ; ces villes sont habituellement ignorées par les chercheurs qui s’efforcent de définir les caractères généraux de la ville “islamique ”. Et de mettre en garde contre les stéréotypes que sont l’absence supposée de ségrégation urbaine fondée sur des critères socio-économiques, le modèle unique et invariable dans le temps de l’habitation traditionnelle, etc. (pp. 274-305). En conclusion de son ouvrage (p.327 et sq.), A. Raymond insiste sur le fait que si, “dans une certaine mesure, les villes arabes soumises à la domination ottomane ont continué à se conformer, dans leur disposition spatiale, et leur organisation, aux principes qui avaient régi le développement urbain dans le monde arabe pendant les siècles qui ont précédé (...), sur un certain nombre de points, la période ottomane a infléchi ces principes ”.  La déconstruction du modèle de la “ville islamique ” est poussée encore plus loin par P. Panerai dans un article percutant (1989). Une position contraire est exposée par S. Santelli (1995), même si ce dernier ne fait explicitement jamais référence à l’auteur précédent. Quant aux travaux du grand spécialiste allemand qu’est E. Wirth (1975, 1982, 1991, 1993), ils relèvent d’une démarche plus culturaliste : néanmoins, s’ils conduisent leur auteur à identifier cinq caractéristiques qui, selon lui, sont propres aux villes de l’Orient islamique (et qui n’existeraient pas dans la ville de l’Antiquité classique et de l’Europe médiévale), ils lui font préférer l’appellation de “ville orientale ” à celle de “ville islamique ” parce que la plupart de ces aspects relevant de la culture matérielle se retrouvent déjà dans les villes de l’Orient ancien, un ou deux millénaires avant Jésus-Christ ” (Wirth, 1993, p.72). Plus généralement, nous partageons le point de vue de Claude Chaline (1996, p.1), pour lequel “le malentendu majeur réside dans la tentation, maintes fois répétée dans l’histoire, de vouloir identifier une culture avec un type urbain à la fois unique et original. A propos des villes arabes, les ambiguïtés grandissent de l’adjonction quasi automatique du qualificatif islamique ou musulman (…) ”..

[6] Nous renvoyons plus particulièrement à : District de Tunis / Groupe Huit, 1977 ; P. Signoles, A. Belhedi, J. M. Miossec et H. Dlala, 1980 ; H. Abichou, 1981 ; H. Abichou, An. Findlay, Al. Findlay et R. Paddison, 1981.

[7] Pour Fès, on se reportera principalement aux thèses récentes de A. Fejjal (1994) et de M.A. Belamine (1995).

[8] Par rapport aux travaux antérieurs, ceux de J.M. Miossec et d'I. Berry-Chikaoui révèlent cependant des pratiques sociales plus complexes, en particulier parce que les jeunes de la médina et de ses faubourgs n’hésitent pas à se rendre dans des centres commerciaux périphériques pour s’y distraire, faire du lèche-vitrines ou profiter des opportunités que crée un moindre contrôle social, et non pour y effectuer des achats, les magasins qui composent ces centres vendant des produits trop onéreux pour eux ; et il est vrai que ces pratiques tendent à se systématiser maintenant que le métro-léger (transport en site propre) rend accessible, pour un prix très modeste, ce genre de quartiers à partir du centre-ville (Rép. Tunisienne/ Urbaconsult, 1996).

[9] Alors que les arrivées directes de migrants ruraux sont fortement ralenties depuis maintenant trois décennies dans la plupart des médinas ; qu’une bonne partie de leurs résidents est constituée, depuis une ou deux générations, de personnes nées en ville ; et qu’elles sont devenues le siège de flux intenses de départ vers les autres quartiers des agglomérations urbaines qui les englobent.

[10] Denis Lesage, urbaniste-conseil exerçant auprès de l’Institut National du Patrimoine à Tunis, écrit ainsi : “ La Médina (de Tunis) a commencé à se débarrasser de ses dépôts et ateliers qui, installés dans de vieilles demeures, ne peuvent pas étendre leur espace vital sans dégradation (…). Les fonctionnaires, les enseignants et les professions libérales jusqu’ici installés dans les villas de la périphérie, commencent à être attirés par la Médina. Heureusement, tous ne viendront pas y habiter, mais quelques-uns auront sans doute le désir de vivre dans un lieu chargé de sens, de signes, un lieu d’identité où l’intimité de l’individu et de la famille ne s’oppose pas aux relations de voisinage du quartier (…). Le processus de réappropriation par une nouvelle classe moyenne sera par conséquent lent, mais cette lenteur au service d’un nouvel équilibre est un atout et une garantie (…) ” (D. Lesage,1997).

[11] A savoir économies d’agglomération, relations commerces-production, liaisons donneurs d’ordre/sous-traitants, système de crédit informel, bas loyers, charges fiscales faibles, réglementation du travail nulle, etc.

[12] Parmi les dynamiques récentes, on peut également faire état du déclin relatif de l'utilisation du crédit informel, avec, en contrepartie, un intérêt croissant pour le crédit institutionnel (même si beaucoup d’artisans en jugent  inadéquates les modalités d'octroi) ;  ou encore des formes de lutte contre la spéculation, de la mainmise du capital commercial sur les circuits de distribution ; ou, enfin, au point de vue spatial, des dynamiques complexes qui se marquent par la saturation de certains lieux, l’envahissement d’espaces résidentiels par les métiers prolifiques (cordonniers, dinandiers), sans parler de l’éclatement spatial de certaines unités jusqu’alors intégrées, ou des sorties volontaires de la médina, tout cela dans un contexte de concurrence exacerbée entre métiers “chassés ” et métiers “arrivants ”. (PNUD/Royaume du Maroc/ Ministère de l'Intérieur, 1992).

[13] On citera, à ce propos, F. Navez-Bouchanine (1995, p. 9) : “ La réalité décrite et projetée tant par les habitants que par les autres acteurs (de la médina) est littéralement envahie et traversée par des images et par des idéologie, paradoxales et parfois contradictoires, mais dont la force est peu comparable à ce que l’on rencontre dans d’autre tissus urbains ou d’autres villes marocaines. L’évocation des problèmes de la médina, même les plus prosaïques, renvoie à des enjeux sociaux, culturels et identitaires qui transforment tous les sujets en véritables “ terrains minés ” (souligné par nous, P.S.).

[14] Constat déjà effectué par F. Navez-Bouchanine (1995), au point de vue de laquelle nous souscrivons totalement.

[15] La manière dont se construisent, chez les jeunes qui habitent la ville de Fès, les images de sa médina et comment se conjuguent, pour se faire, représentations, idéologies et pratiques, fait l'objet de la thèse de Mohamed Idrissi-Janati (2001).

[16] Il convient de préciser que ces intervenants (M. Balbo, D. Pini et M. F. Zniber) font état, dans leur communication, des résultats d’une recherche finalisée : celle-ci ne leur a cependant pas été commandée par les autorités en charge de l’aménagement urbain, mais par une association, l’Association Bou Regreg.

[17] On peut fournir d'innombrables exemples à l'appui de ce que nous avançons; on signalera plus particulièrement ceux relatifs à Sfax (Rep. Tunisienne / D.A.T., 1972), Meknès (Royaume du Maroc / Ministère de l’Habitat, s.d.) et Tunis (Rep. Tunisienne / Ministère de l’Intérieur / District de Tunis, 1988 ; Rep. Tunisienne / Municipalité de Tunis / District de Tunis, 1978 ; District de Tunis / Groupe Huit, 1977 ; T. Houidi, 1977 ; A. Ben Hadid, 1986). Pour ce qui est de Tunis, ville qui a bénéficié d’un nombre incalculable d’études d’aménagement, le moindre étonnement n’est pas de constater que, encore au milieu de la décennie 80 et alors qu’un organisme municipal (Association de Sauvegarde de la Médina) étudie et agit sur la ville historique depuis plus de vingt ans, la vision sectorielle continue de l’emporter (sauvegarde du cadre bâti, transfert des populations pauvres ou vivant dans l’habitat insalubre, accessibilité et réseaux de voirie), et que la prise en compte du système de relations entre les différents quartiers n’est pas tenue comme un préalable à la compréhension du fonctionnement économique et social de l’agglomération  et de sa zone centrale (A. Ben Hadib, 1986).

[18] Ces nouveaux "centres" visaient à restructurer les périphéries ouest, sud et nord. Les uns sont encore aujourd'hui (soit plus de 10 ans après avoir été conçus et décidés !) à l'état de projets; pour un autre, le projet s'avère irréalisable (le terrain qui devait le localiser a été “consommé ” pour d’autres usages); en définitive, un seul est fonctionnel, mais il est considéré comme un quasi-échec au regard des ambitions initiales (“il est en train de devenir un simple lieu d’emploi pour les employés ”).

[19] Ces évolutions convergent pour réduire la polyfonctionnalité et la polysocialité du centre “traditionnel ”, avec le risque d'une diminution de la capacité d'intégration sociale et d'une érosion du modèle d'urbanité que ce centre offre, au moment même où les nouveaux centres périphériques localisés dans les banlieues aisées valident des pratiques sociales relativement ségrégatives.

[20] Aménagement de l’avenue Mohamed V, grand axe orienté vers le nord et perpendiculaire à l’avenue Habib-Bourguiba; opération “ Berges du Lac ” dont deux tranches sont achevées et la troisième au stade des études ; opération “El Menzah VI ”, dans la périphérie nord, comportant bureaux, banques, services privés, grandes surfaces, cliniques privées, etc.

[21] Plutôt que de parler de “politique de centralité ” à propos des propositions figurant dans le P.R.A. (1977), nous pensons qu’il serait préférable de ne faire état que de simples “orientations”, le terme de politique nous semblant très excessif.

[22] “ La problématique de la sauvegarde se pose en termes de tissu dont il faut garder le caractère et le cadre bâti, dont il faut conserver l’organisation typologique et morphologique (…). La reconnaissance internationale de ses qualités (de la médina) en fait une affaire d’importance nationale, et non plus seulement une question de gestion urbaine ” (Rép. Tunisienne / Urbaconsult, 1996, p.261). Et si le problème se posait en des termes exactement inversés ?

[23] Les termes de référence qui président à l’engagement des études du S.D.A. prévoient, en vertu de la loi n° 94-122 du 28 novembre 1994, “de définir (au sein de l’agglomération ) les territoires à enjeux stratégiques à court, moyen et long termes, c’est-à-dire ceux à confirmer pour des usages actuels ou à protéger pour des usages futurs ”. Faut-il déduire de son "oubli" par le S.D.A.  que la Médina de Tunis, qui compte encore 90 000 habitants en 1994 - à la même date, la ville ex-européenne est peuplée de seulement 45 000 habitants -  ne serait pas un “ territoire stratégique ” ?

[24] Si cette interprétation est la bonne, il convient de relativiser les critiques que nous avons formulées à l'encontre des auteurs du S.D.A.

[25]- Rappelons, une fois encore, que si ces propositions peuvent sembler, aujourd’hui (1999), “aller  de soi ”, ce n’était pas le cas, loin s’en faut, à la date de leur émission, le caractère “provocateur ”  du document n’étant pas tant dans le rappel de la centralité de la médina que dans l’affirmation de la nécessité de son “renforcement ”, au moment où, en d’autres lieux, les aménageurs et politiques n’étaient pas encore sortis du discours sur sa “périphérisation ”.

[26] De fait, ces études limitent l’approche aux acteurs institutionnels ; certes, depuis quelques temps, un élargissement du système est opéré dans certaines études par la prise en compte de structures non institutionnelles, telles que les associations ou ONG, mais cela demeure très insuffisant pour rendre compte de façon satisfaisante de la complexité qui naît de la multiplicité des interrelations entre l’ensemble des acteurs effectifs – et les individus en sont, qu’on le veuille ou non (P. Signoles, 1999)

[27]Lesquelles sont souvent étudiées à partir d’observations empiriques ou d’interprétations personnelles des auteurs, et rarement à partir d’enquêtes ou interviewes conçues non pour les mesurer mais pour en comprendre les tenants  et les aboutissants. Nous pensons, en cela, nous situer en phase avec ce qu’écrivaient les initiateurs (Centre d’Etudes en Sciences Humaines et Sociales, CESHS, Rabat) du programme de recherche : “Le(s) patrimoine(s) dans la ville : de la construction des savoirs aux politiques de sauvegarde ” Rabat, 1996, 5 p., ronéo.), à savoir : “Un des objectifs du présent programme est d’opérer une relecture des savoirs et systèmes d’action articulés par la référence au patrimoine pour contribuer (…) à éclairer leurs ambiguïtés et paradoxes. (…). Ces réflexions ne visent pas à intervenir directement dans le débat des praticiens à propos des actions ou des priorités à mettre en œuvre en matière de ‘sauvegarde’ du patrimoine ” (p.2).

[28]- La remarque peut être généralisée, en ce sens que les études de diagnostics effectuées en aval des plans d’aménagement ou des projets urbains privilégient en permanence, et aujourd’hui encore, le quantitatif sur le qualitatif, la mesure sur la compréhension, comme si l’on en était encore à l’âge où le fin du fin de l’aménagement urbain résidait dans le calibrage des réseaux, la surface des parkings à construire, le nombre et le type précis de logements à construire, etc.

[29] Comme si les centralités – pour en rester à ce sujet – n’étaient que l’aboutissement de mécanismes fonctionnels, comme si elles étaient “données ”, “objectives ”, qu’il suffisait de localiser à tel ou tel endroit telle ou telle activité pour “produire de la centralité ”, sans qu’une alchimie complexe d’appropriation, d’identification, articulant les mythes hérités, les images construites dans un monde qui brasse les cultures, les discours et les réalisations iconiques de de toutes sortes relatives à ces centralités, ne doive avoir lieu pour que cette construction / production ne s’inscrive dans les faits.

[30]- La dimension tout à fait différente que revêtent, dans le champ opérationnel, les transferts problématiques et les transferts méthodologiques de la recherche sont remarquablement exprimés par Françoise Navez-Bouchanine (1994) dans un article consacré aux modèles d’habiter. L’auteur y montre comment la prise ou la non-prise en compte des pratiques habitantes par les décideurs (pratiques dont les chercheurs ont montré de longue date l’intérêt et l’importance que revêtent leur connaissance et leur compréhension) “est un problème politique au sens large ; et comment “la manière dont il faut procéder pour en tenir compte constitue un problème méthodologique ”.

 

Appels à contribution

logo du crasc
insaniyat@ crasc.dz
C.R.A.S.C. B.P. 1955 El-M'Naouer Technopôle de l'USTO Bir El Djir 31000 Oran
+ 213 41 62 06 95
+ 213 41 62 07 03
+ 213 41 62 07 05
+ 213 41 62 07 11
+ 213 41 62 06 98
+ 213 41 62 07 04

Recherche