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Enjeux coloniaux et projection urbaine en Algérie : le cas de Sidi-Bel-Abbès

Insaniyat N° 13 | 2001 | Recherches urbaines | p.45-59 | Texte intégral 


Colonial stakes and urban planning in Algeria : The example Sidi- Bel-Abbès

AbstractColonization in the world brought urbanization programs into operation, among which some applications have been subject to observation and analysis in order to understand historical processes. The present article suggests examining the example of Sidi-Bel-Abbès in Algeria occupied by France for 130 years. By looking for and deciphering certain colonial stakes which prevailed in urban planning  Alexis de Toqueville’s reports on this subject are very enlightening to grasp the mechanisms in creating the town. Several factors  at different levels  are at the origin of its foundation that enter in a logic of territorial web. The town  forms an astonishing ensemble in its arrangement and geometry which are interesting to look at  for  cultural and technical models. So a colonial town, what were the grounds for its creation and evolution   and  the decisive urban planning principles for its spatial organization.


Ammara BEKKOUCHE : Architecte - USTO, 31 000, Oran, Algérie.
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie.


 

Plus de trois siècles de colonisation européenne engagée dans le monde par l’Espagne et le Portugal vont mettre en œuvre de nouveaux et vastes programmes… d’urbanisation[1]. La France applique la leçon en Algérie en bénéficiant de l’enseignement de ses prédécesseurs notamment pour ce qui concerne l’aménagement de l’espace[2], elle y apporte toutefois ses versions selon les particularités du contexte et du moment. Sidi-Bel-Abbés en particulier, est un cas d’étude intéressant à examiner pour décrypter certains des enjeux coloniaux qui ont prévalu à l’aménagement du territoire. Les rapports d’Alexis de Tocqueville[3] sur la colonie en Algérie sont à ce titre très éclairants pour comprendre le processus de création de la ville. Ses idées se reflètent par bien des aspects sur les centres coloniaux fondés en Algérie à son époque parmi lesquels Sidi-Bel-Abbés est présenté actuellement par les Guides Bleus comme une ville de peu d’intérêt pour le touriste. D’aucuns, s’appuyant sur le concept de création ex-nihilo[4], la qualifient de ville nouvelle, mais 

l’expression[5] est inappropriée compte tenu des circonstances qui l’ont vue naître.

Plusieurs facteurs en fait et à différents niveaux sont à l’origine de sa fondation à partir de 1842. En amont, apparaît bien évidemment la colonisation de l’Algérie en 1830 qui procédant par étapes va occuper les villes existantes et créer des gîtes d’escale sur les longues distances avant de s’installer définitivement. La création de Sidi-Bel-Abbés s’inscrit dans cette logique de réseau qui sert en même temps d’observatoire pour surveiller le sud [6] et cadre avec le besoin de «protéger et ravitailler les troupes allant d’Oran ou de Mascara sur Tlemcen »[7].

La ville constitue un ensemble remarquable par la composition de son noyau central dont la géométrie et la structure viaire renvoient à des modèles culturels et techniques qui synthétisent pour une part ceux des bastides françaises de la Renaissance et l’esprit de régularité géométrique[8]. Il rappelle aussi, la conception des nouvelles villes en échiquier tracées par les Espagnols pour la conquête de l’Amérique centrale méridionale au XVIème siècle[9]. Le modèle sera propagé par les Français et les Anglais durant les siècles suivants et c’est en tant que tel qu’il servit les desseins d’une colonisation dont l’histoire reste à écrire[10]. Ville coloniale donc, quels ont été les processus de sa création et de son évolution ainsi que les principes urbanistiques décisifs de l’organisation de son espace ? L’examen des types d’action sur l’espace et la société, permet d’approcher la question en confrontant les données historiques du site à celles de son aménagement.

Principe de localisation ou l’esprit de Tocqueville dans la genèse de la ville

Une première remarque, quand on observe la position géographique de Sidi Bel-Abbès, consiste à noter sa parfaite centralité au milieu d’un ensemble de villes importantes dans la structure de la région nord-ouest de l’Algérie. En quoi ce signe, apparemment anodin, relèverait-il de principes coloniaux dans la localisation de la ville ? Elle se situe en effet à égale distance d’Oran, Tlemcen, Mascara et Dhaya[11]. Cette dernière qui n’est pas du rang des autres villes fut créée sous forme de redoute, au sud sur les  monts limitant le Tell avant les hautes plaines steppiques[12]. Elle doit son importance à sa position géographique pour compléter la trame du territoire à coloniser à l’échelle de la région tout en posant un jalon sur la route du Sahara: « La sécurité d’Oran commandait l’occupation de tout le pays, jusqu’à la limite du Tell. La plaine de la Mekerra, sur la route reliant Oran au poste de Daya, ne pouvait rester  vide.»[13].

Une lecture synchrone des faits caractérisant la période de colonisation entre 1830 et 1880, donne à mieux cerner les raisons de sa situation et en partie, les principes de son organisation spatiale. Globalement, il s’agit de coloniser ce que l’on nommait alors la province d’Oran. Un des facteurs favorables à la situation de Sidi Bel-Abbès est à imputer aux caractéristiques de la plaine de la Mekerra traversée par des voies naturelles de communication[14]. « En effet, si une forte occupation ne fermait pas aux cavaliers du sud la route naturelle de la Mekerra, ces bandes pillardes pouvaient facilement s’avancer à travers un pays sans défense, et par un chemin sans obstacle, jusqu’aux plaines fertiles de M’léta et du Sig. Les places de Mascara et de Tlemcen étant tournées, perdaient leur action dans la défense du littoral colonisé et pouvaient voir leurs communications avec Oran mises en péril. Il était donc urgent de boucher la trouée qui se formait ainsi sur cette ligne de Mascara - Tlemcen, dont la longueur de cent quarante kilomètres était trop considérable pour permettre une surveillance efficace de la part de ses deux points d’appui. »[15].  La fonction de carrefour à ce niveau du territoire est appréciée à juste valeur, de lieu essentiel pour neutraliser les formes de vie alors existantes et étendre la colonisation à d’autres contrées dont le Maroc. Outre la présence des villes, il y avait aussi et surtout celle des tribus qui structuraient l’espace selon des modes d’occupation propres à l’habitat de l’époque. Ces tribus commençaient à poser problème lorsqu’elles se transformaient en forces agissantes autour de l’Emir Abdel Kader dont l’influence tentait d’empêcher l’intrusion coloniale. Dans cette atmosphère de guerre, la nécessité de créer une ville va s’avérer tout indiquée pour poursuivre la domination alors que les attaques continuent :  «  Nul ne peut dire quand la guerre finira. Attendre qu’elle finisse pour coloniser, c’est remettre indéfiniment la chose principale. […] Il faut donc faire marcher ensemble, s’il est possible, la colonisation et la guerre »[16].

Cette création va d’ailleurs se préciser après avoir éliminé les possibilités d’occuper Mostaganem ou Arzew[17] : « …après avoir vu les lieux, je déclare qu’à mon sens rien ne saurait être plus absurde  que de vouloir quant à présent coloniser à Mostaganem… Le pays qui entoure Mostaganem est, à la vérité, très fertile. Mais il est séparé par cinq jours de marche de notre principal établissement qu’est Oran et l’on ne saurait traverser l’espace qui l’en sépare qu’en marchant avec une armée ; du côté de la mer, l’abord de Mostaganem est si dangereux que, même dans les mois d’été, il est très rare qu’on puisse y débarquer en sécurité des hommes et des marchandises ».[18]

Elle s’inscrit dans une cohérence de couverture du territoire selon une trame convenable pour plus de portée dans le contrôle de l’espace :  « Le Tell  tout entier est maintenant couvert par nos postes, comme par un immense réseau dont les mailles, très serrées à l’Ouest, vont s’élargissant à mesure que l’on remonte vers l’Est. Dans le Tell de la  province d’Oran, la distance moyenne entre tous les postes est de vingt lieues. Par conséquent, il n’y a pas de tribu qui  ne puisse y être saisies le même jour de quatre côtés à la fois, au premier mouvement qu’elle voudrait faire ».[19]

Vingt lieues correspondant à un trajet de 80 kilomètres environ, c’est bien la distance qui de façon approximative sépare Sidi Bel Abbés des villes périphériques[20]. Cette position capitale à l’intersection de 4 routes principales et où les communications étaient faciles présentait en outre un avantage certain, celui d’une immense plaine fertile[21] irriguée par l’Oued Mekerra et de nombreuses sources. Une aubaine qui justifie et conforte le choix d’un site pour lequel ont été retenus les aspects juteux de ses potentialités en optant pour le drainage des marais qui le caractérisaient. La plaine avait en effet cette particularité d’être inondable selon un rythme qui actuellement provoque à la ville des désagréments écologiques dont l’impact économique est lourd de conséquences.

Les principes de la mobilité et de l’arme économique

Le cas du territoire «belabbessien » au moment où apparaissaient les premières manifestations coloniales, s’inscrit dans une forme d’organisation  spatiale et sociale structurée en tribus réparties à travers la région. Il a suscité pour sa colonisation, des types d’interventions sur les rapports de cette logique où se reconnaissent les conseils de Machiavel pour acquérir des principautés[22]. Le lien est à faire quand, au fil des investigations visant à expliquer des occurrences, se dessinent des relations qui relèvent de ses cours sur la fin et les moyens à utiliser relativement à diverses situations. Entre autres actions, celle de la mobilité militaire dans l’espace et celle de l’entrave au commerce s’avérèrent être les plus efficaces pour commencer à coloniser le site. Contrôler le commerce est en effet une arme redoutable quand on sait que l’un des critères essentiels de liens de structuration régionale repose sur le marché[23]. Les réflexions de Tocqueville à ce sujet corroborent cette stratégie notamment pour ce qui concerne l’organisation du corps de l’armée en expédition : « Ce qui est à la longue insupportable à une tribu arabe, ce n'est pas le passage de loin en loin d'un grand corps d'armée sur son territoire, c'est le voisinage d'une force mobile qui à chaque instant et d'une manière imprévue peut tomber sur elle »

« De même, il faut reconnaître que ce qui peut protéger efficacement nos alliés, ce n'est pas une grande armée qui viendrait de loin en loin  se joindre à eux pour combattre l'ennemi commun, c'est la possibilité de nous appeler à l'instant à leur secours si Abd-el-Kader s'approche.

On peut donc dire, en thèse générale, qu'il vaut mieux avoir plusieurs petits corps mobiles et s'agitant sans cesse autour de points fixes que de grandes armées parcourant à de longs intervalles un immense espace de pays. Partout où vous pouvez placer un corps de manière à ce qu'il puisse au besoin se débloquer et courir le pays, on doit le faire. C'est là, suivant moi, la règle. Mais pour placer ou ravitailler ces petits corps, il faut de temps à autre des expéditions considérables »[24].

Cette pensée se traduit sur le terrain par la création de redoutes qui se définissent comme des ouvrages fortifiés isolés et des lieux de retrait en cas d’attaque. Elles ponctuent l’espace pour en marquer les limites à la manière de l’araignée qui tisse sa toile pour immobiliser par la suite tout corps s’activant dans son territoire.

Simultanément à la tactique de la mobilité et s’agissant du registre des activités commerciales, il ajoute : « Le moyen le plus efficace dont on puisse se servir pour réduire les tribus, c’est l’interdiction du commerce »[25]. Cet empêchement s’apprête fort opportunément dans le cas du territoire de Sidi Bel-Abbès où se déroulait à l’échelle de la région un souk le jeudi et dont les traces sont représentées sous l’appellation de marché arabe. Pour ce qui est encore visible[26], sa position au Nord de la Mekerra, est dans la nature des échanges commerciaux, située au carrefour des voies venant des villes environnantes. Il faut supposer que toutes les villes de la région adhéraient à cette même cohérence d’échange territorial. Autant la configuration de l’espace aménagé que les propos de Tocqueville confortent cette allégation :  « Pour continuer à montrer aux Arabes et à nos soldats qu'il n'y a pas dans le pays d'obstacles qui  puissent nous arrêter  pour détruire tout ce qui ressemble à une agrégation permanente de population, ou en d'autres termes à une ville. Je crois de la plus haute importance de ne laisser subsister ou s'élever aucune ville dans les domaines d'Abd-el-Kader»[27]. Il est évident à ce moment que la stratégie de guerre s’ajoute à celle de l’embargo pour coloniser la plaine de la Mekerra et construire la ville de Sidi-Bel-Abbès.

Choix du site et aménagement

L’échelle, déterminant le choix du site, est confirmée par les visées d’expansion coloniale dans différentes directions[28]. Nous l’avons vu, la manœuvre ainsi que l’attestent d’autres écrits,  consistait à neutraliser la région en occupant d’abord les villes périphériques Oran, Tlemcen et Mascara pour installer ensuite une place forte afin d’étendre les opérations à l’ouest vers le Maroc et au sud vers le Sahara et l’Afrique[29]. Le site à l’origine[30] présente un contour au découpage mouvementé et traversé par l’Oued Mekerra (carte n°1). Il semble correspondre au territoire désigné par « tribu des Amarna » dont les limites sont celles des autres tribus de la région, les Ouled Brahim, les Béni Ameur et les Hassasna. La carte ainsi configurée, donne une image contrastée par le tracé des cheminements de part et d’autre de la Mékerra. On remarque en effet que la partie nord de l’oued (appelée aussi rive gauche dans les textes) se distinguent par les sillons de nombreuses routes qui aboutissent aux éléments forts du site : l’oued, les marabouts Sidi-Bel-Abbès et Moulay Abdel Kader puis les deux voies majeures nord/sud et est/ouest. Ces deux voies sont mentionnées sur la carte comme étant  le Chemin des Ouled Brahim à Oran et le Chemin des Ouled Selimon au Tessalah. Une particularité est à noter concernant ce territoire qui comprend la présence de terres défrichées dont il faut accorder l’existence aux actions sociales qui structuraient le lieu à l’origine. Leur position en retrait au nord de la Mékerra et plus proche de l’oued Sarno suscite le questionnement quant à la logique d’occupation  qui unit une population et son espace d’habitat.

 Les deux marabouts à proximité des rives de l’oued Mékerra sont distants de cinq kilomètres environ[31]. Celui de Sidi-Bel-Abbès qui a une position centrale dans le site est proche d’un carrefour important au niveau de l’oued et dont il faut apprécier la portée au nombre et à la qualité des voies qui le traversent. Le marabout Moulay Abdel Kader par contre, est plus éloigné des axes majeurs et occupe une position décentrée plus proche des limites des Hassasna. Cette distinction de l'état des deux marabouts influe sur l’installation des camps militaires qui vont fixer la ville. Le premier des camps prend le nom de Sidi Bel-Abbès en référence au marabout qui est le repère le plus marquant du site et aussi le plus élevé[32]. Le second, dit le Camp des Spahis[33], prend place près de l’autre marabout. Chacun par son histoire participe au développement de la ville où le nom même de Spahis figurant dans la toponymie du territoire en 1881, est significatif d’un épisode qui met en scène la présence des Turcs comme acteur non négligeable dans le processus de colonisation de l’Algérie.

L’exploitation des marabouts dans l’action de colonisation

La colonisation du territoire de Sidi-Bel-Abbés étant engagée tant au niveau régional que local, on peut se demander ce qui justifie l’implantation des camps militaires auprès des marabouts. A l’évidence, ces lieux impliquent comme en témoignent les traces des cheminements constatés, l’existence d’une population aux alentours. Eu égard aux mobiles qui animent les visées coloniales, il est certain que le lieu est stratégique du fait de ses facultés attractives, culturelles et symboliques. Mais l’idée de s’intéresser à ce type d’édifice, trouve aussi une explication dans des calculs visant à contraindre les populations en tirant parti des faiblesses entretenues par les Turcs: « Les Turcs avaient éloigné l’aristocratie religieuse des Arabes de l’usage des armes et de la direction des affaires publiques. Les Turcs détruits, on la vit presque aussitôt redevenir guerrière et gouvernante. L’effet le plus rapide et le plus certain de notre conquête fut de rendre aux marabouts l’existence politique qu’ils avaient perdue. Ils reprirent le cimeterre de Mahomet pour combattre les infidèles et ils ne tardèrent pas à s’en servir pour gouverner leurs concitoyens : ceci est un grand fait et qui doit fixer l’attention de tous ceux qui s’occupent de l’Algérie ».[34] Cette étape de la colonisation du site consiste à augmenter la pression pour intimider la population. Elle se traduit par la multiplication des endroits de cantonnement pour permettre le contrôle des tribus  et la répression en cas de besoin:  « En même temps qu’on rendait les troupes si mobiles, on recherchait et on retrouvait les lieux où il était le plus utile de les cantonner. La guerre nous faisait démêler quelles étaient les populations les plus énergiques, les mieux organisées, les plus ennemies. C’est à côté ou au milieu de celles-là que nous nous établissions pour empêcher ou  pour réprimer leurs révoltes ».[35]

Dans le cas de Sidi-Bel-Abbés, la position des cantonnements avait pour objectif primordial de décimer les troupes de l’Emir Abdel-Kader.

C’est alors qu’est utilisée, outre la guerre et l’embargo, la manœuvre visant à exploiter les fractures entre différentes factions de religion commune. Dans le cas de l’Algérie, les Turcs musulmans vaincus allaient servir ce plan pour constituer les troupes de spahis : « Il serait superflu de rechercher longuement ce que les Français eussent dû faire à l’époque de la conquête. On peut dire seulement en peu de mots qu’il  fallait d’abord se mettre simplement, et autant que notre civilisation le permet, à la place des vaincus ; que, loin de vouloir en commençant à substituer nos usages administratifs aux leurs, il fallait pour un temps y plier les nôtres, conserver les délimitations politiques, prendre à notre solde les agents du gouvernement déchu, admettre ses traditions et garder ses usages. Au lieu de transporter les Turcs sur la côte d’Asie, il est évident qu’on devait conserver avec soin le plus grand nombre d’entre eux ; privés de leurs chefs, incapables de gouverner par eux-mêmes et craignant le ressentiments de leurs anciens sujets, ceux-là n’auraient pas tardé à devenir nos intermédiaires les plus utiles  et nos amis les plus zélés, ainsi que l’ont été les coulouglis qui tenaient cependant de bien plus près aux Arabes que les Turcs et qui pourtant ont presque toujours mieux aimé se jeter dans nos bras que dans les leurs. Quand une fois nous aurions connu la langue, les préjugés et les usages des Arabes, après avoir hérité du respect que les hommes portent toujours à un gouvernement établi, il nous eût été loisible de revenir peu à peu à nos usages et de franciser le pays autour de nous. Ils (les Français) n’avaient aucune idée de la division des tribus. Ils ignoraient ce que c’était que l’aristocratie militaire des spahis… Nous avons laissé renaître l’aristocratie nationale des Arabes,  il  ne nous reste plus qu’à nous en servir».[36]

Au niveau spatial, la Route du Camp des Spahis figure comme une trace indélébile reliée à la ville par la  Porte de Mascara et contribue à ajuster la machine de guerre qui a  restructuré le territoire pour donner naissance entre autre, à la ville de Sidi-Bel-Abbés.

Les modèles des villes neuves dans la conception de la ville de Sidi Bel Abbès

Parmi les exécutants chargés d’ériger la ville, sont cités en tête, les noms des généraux Lamoricière et Bugeaud. Leur mission est dans la droite ligne des exigences stratégiques et politiques coloniales pour fonder Sidi Bel-Abbès[37]. Elle rappelle le processus de création de la bastide romaine qui après avoir été un édifice attaquant les places, devient un ensemble défensif fortifié pour annexer un territoire. Une hypothèse est à faire ici concernant Sidi Bel Abbès qui comme les bastides de la fin du moyen âge présente des faits qui rappellent les analogies constatées par Benevolo au sujet des villes coloniales: « Ce n’est naturellement pas un rapport direct, mais une coïncidence de circonstances significative : au XIIIème siècle en Europe comme au XVIIème siècle en Amérique, il existe un problème de colonisation et un désir d’économie matérielle et mentale qui produisent des résultats en partie analogues »[38].

En anticipant sur le concept de villes nouvelles, Sidi-Bel-Abbès fut conçue comme un tout à la manière des villes-neuves et c’est aussi du côté de ce modèle qu’il faut rechercher le lien de filiation qui aurait inspiré les plans de la ville. Leur mise en œuvre se situe entre la fin du XVIème et le dernier tiers du XVIIème siècles[39] en France. Mais si ce genre de ville était généralement destiné à assurer la défense d’un territoire et d’une nation, dans le cas de Sidi-Bel-Abbès, il répond plutôt à des objectifs offensifs. Nous avons vu que son implantation n’a pu se faire qu’après avoir poussé à l’exode les tribus en place, dans un deuxième temps, son évolution s’est effectuée en les réintégrant pour les besoins de main d’œuvre. Un autre modèle de nouvelle ville qui se reflète dans la composition de l’espace est celui que les Espagnols avaient conçu au XVIème siècle pour coloniser l’Amérique centrale méridionale. Il présente en effet une certaine analogie et il est un fait connu que c’est ce modèle qui a été appliqué par les Français et les Anglais aux XVIIème et XVIIIème siècles pour coloniser le reste du monde[40]. Sidi-Bel-Abbès dont l’exécution est plus tardive serait donc une forme élaborée de Ville-neuve faisant la synthèse de deux types au moins et de deux siècles de réalisation. Les signes tangibles de son ascendance sont perceptibles à travers la situation, la taille, les tracés, le découpage de l’espace et la façon de l’occuper. Il est en outre manifeste de constater que c’est pour répondre à la volonté d’obstruer les routes principales que la ville s’installe à leur croisement obligeant ainsi au contrôle du passage[41]. Ce choix d’implantation au carrefour de voies « … est presque toujours lié à une facilité de communication soit pour l'exploiter... soit pour la bloquer »[42]. Mais dans le cas de Sidi-Bel-Abbès, il faut se demander pourquoi avoir choisi de s’installer sur la plaine basse et marécageuse ? Il est à supposer que d’autres facteurs plus avantageux ont primé dans ce choix d’autant que les moyens de luttes contre des faits physiques défavorables avaient été préconisés notamment pour ce qui concerne les drainages et l’assèchement des marais. Parmi ces facteurs, la proximité de l’eau semble naturellement déterminante dans la localisation de la ville.

Par ailleurs, Sidi-Bel-Abbès tient du projet d’une vaste colonie agricole qui demande non seulement d’accueillir les nouveaux arrivants mais de les intéresser à rester[43]. La question demandait à être résolue en favorisant les conditions d’installation pour atténuer les effets de dépaysement et la nostalgie de retour au pays natal. Dans cette conjoncture, les missionnaires allaient jouer un rôle important pour faire œuvre d’évangélisation[44] et prodiguer les soins. Une organisation spatiale conséquente se lit dans la projection de la ville et de son environnement : la part des militaires pour le contrôle et la sécurité, celle des civils urbains et ruraux pour la colonisation et celle du prêche pour la moralisation. « Certains de ces moyens sont politiques  ou sociaux. Ainsi les Français avaient avantage à faire semblant  au début qu’ils adoptent les mœurs du pays pour gagner la confiance des habitants et parvenir plus facilement dans un deuxième temps, à franciser les Arabes»[45].

Parallèlement à ces actions, la ville se construit en combinant les principes des modèles des Villes neuves françaises et des villes coloniales espagnoles qui sont aussi une espèce de ville neuve. L’examen des descriptions et de la cartographie de Sidi-Bel-Abbés d’une part puis des villes neuves et coloniales d’autre part,  fournissent quelques éléments de compréhension pour situer le type. Leur portrait renvoie la double image d’un aménagement urbain tout à fait transposable à celui de Sidi-Bel-Abbès. La première a un rapport avec la morphologie du type, tandis que la seconde s’applique à l’usage et l’organisation «sociale » de l’espace. Le plan de la ville en 1881[46] montre que la partie, à l’intérieur des remparts, est partagée en deux par un axe transversal médian réservant une étendue aux militaires et l’autre aux civils. Cette configuration  correspond au mode d’organisation qui se reflète dans la ville neuve de l’époque de Vauban et qui consistait à mettre ensemble la vie de garnison et la population civile. La justification d’une telle proximité sous-entendait que pour le moral des troupes, « il était plus supportable pour les hommes comme pour les officiers… s’ils trouvaient un environnement social supportable…»[47].

Pour ce qui est du bâti dont « l’esprit de régularité géométrique », renvoie au « mode de composition des villes coloniales ». Il se caractérise par une forme en échiquier et une uniformité sans hiérarchie visuelle. « Le quadrillage des rues semble indifférencié, les quelques éléments singuliers- une rue plus large, une place ou un édifice important- interrompent simplement ce tissu uniforme sans donner lieu à une mise en valeur optique du voisinage »[48]. En conséquence «…l’absence de contraste entre ville et campagne» donne une « impression d’espace par le rapport entre les dimensions des rues et des places et celles des édifices bas et  modestes »[49]. Les maisons ont presque toujours un seul étage et les toitures en tuiles sont dominantes. L’aspect du paysage des villes coloniales espagnoles, tel qu’il est rapporté par les observations de Benevolo, correspond parfaitement à celui de Sidi Bel Abbés à cette époque, une ville dont l’entrée se fait presque sans transition…à cause de l’abondance des espaces ouverts existants dans la ville.[50]

Le projet de Sidi Bel Abbés : une composition aux principes de la cause coloniale

Un projet de quelque niveau qu’il soit est le résultat de décisions politiques, d’un système de conventions et le lieu d’un savoir-faire. Selon le contexte et le site, il regroupe et arrange des figures issues de types prêts à l’usage et de modèle de référence.[51] La reconstitution des faits pour saisir la logique d’implantation de la ville[52] de Sidi Bel Abbès, mène à certifier que sa situation se rattache à l’objectif essentiel de contrôler militairement un territoire en entravant les pratiques de la population existante. Ce facteur prépondérant a induit l’établissement du premier camp des troupes qui va devenir le noyau générateur de la ville : « Une ordonnance royale de 1847, faisant droit aux conclusions du général Lamoricière, décida que le poste militaire de Sidi Bel Abbès serait érigé en ville et deviendrait le chef lieu de la Province »[53]. Le contexte militaire ainsi créé pour la cause coloniale, va influer sur le mode de composition, la structuration initiale de la ville et sa mise en œuvre à l’intérieur des remparts. Les phases de constitution qui relèvent d’un programme pour élaborer la forme, définissent les caractéristiques de cette structuration en examinant les instruments de la composition que sont la topologie, la géométrie et le dimensionnement[54]. Leur définition permet d’expliciter ce qui a déterminé l’organisation spatiale à travers des positionnements, des liaisons, des directions et des étendues.

La topologie qui joue un rôle primordial dans l’orientation de la ville, a un rapport avec les données du site : la concavité du méandre de la rive droite de l’oued ainsi que la dépression longitudinale… courant de l’ouest à l’est,  cette dernière  se présente comme un atout pour l’écoulement facile des eaux et donc un moindre coût dans les opérations de remblais. Le maintien des voies principales préexistantes en déplaçant leur croisement au centre de la ville ainsi que le relief en thalweg dont la pente est dans le sens de l’oued vont influer sur la direction de la trame. Elle procède par orthogonalité et obéissance au tracé des voies majeures qui structurent le territoire en liant Oran à Daya et Tlemcen à Mascara. Ce mode de projection des axes facilite le phasage des interventions ultérieures qui suivront la matérialisation de la trame. En fait ce type de tracé en général, sans doute le plus répandu ..s’accommode bien des nécessités de lotissement[55]. 

La géométrie de Sidi Bel Abbés répond au même esprit de conception facile des villes coloniales. Elle est de forme simple rectangulaire mais comporte cependant une déformation à l’angle nord-ouest des remparts qui correspond à l’emplacement du premier camp militaire devenu redoute et à partir duquel la ville s’est constituée. Cette figure à priori autonome « …au point de vue militaire, devait nécessairement être enfermée dans les limites de la nouvelle ville »[56]. Elle se maintiendra sans pour autant déterminer la forme globale qui à un rapport avec les axes topologiques et la dimension à donner. Le tracé de l’enceinte est ainsi conforme à un double objectif de rationalité : celui de contrôle en occupant  le plateau pour une visibilité sur l’environnement  et celui de minimiser les travaux d’ajustement des irrégularités[57].

Le dimensionnement, en restant soumis à la contrainte sécuritaire, est fonction du nombre de bastions (16) qui ponctuent le périmètre de l’enceinte. Il répond aussi à l’usage préconisé de la ville en affectant à chacune de ses parties une surface conséquente à un programme élaboré[58]. Conçue comme une ville garnison  Sidi Bel Abbés a nécessité de vastes espaces à la mesure des activités militaires. Mais le souci d’abriter les colons environnants en cas d’attaque semble aussi justifier le fait qu’il existe d’importants espaces ouverts à l’intérieur des remparts. Cette situation qui s’était présentée avec l’offensive de Si Lala en 1864 avait poussé les fuyards à s’y réfugier avec charrettes, troupeaux et basse-cour[59]. Mais pour autant pas plus les actions de ce chef de tribu que celles de l’Emir Abdel Kader n’arrivèrent, dans ce combat inégal, à juguler les conquêtes coloniales. L’environnement de la ville organisé en faubourgs pour développer une colonie agricole se compose essentiellement de fermes, enclos, vastes jardins et maisons de maîtres. Seul le «Village nègre » réservé aux autochtones, se distingue par sa forme confinée et sa situation en retrait par rapport aux accès à la ville. Chaque faubourg porte ainsi les marques de son appartenance sociale, caractéristique des mesures de ségrégation de l’organisation coloniale. Au nord de la ville, le chemin de fer outil de domination, gouvernement          et administration[60] complète l’état des lieux pour satisfaire aux besoins de la colonisation agricole, commerciale et industrielle[61]. Sidi Bel Abbès y figure comme un des principaux centres militaires mais surtout comme un des marchés indigènes dont la dimension s’apprécie à l’importance de son étendue et de son emplacement au carrefour des voies de communication à l’échelle nationale.


Notes

[1]- Benevolo, Leonardo : Histoire de la ville.- Paris, Ed. Parenthèses, 1988.- p.307.

[2]- Chemin de fer de l’Algérie par la ligne centrale du Tell, Alger, Dubos Frères, 1854. La référence à l’Amérique y est évoquée pour rappeler que le chemin de fer est un puissant instrument de la colonisation.

Il en est de même des recommandations de Tocqueville pour une colonisation plus efficace,  p.122. (Cf. Bibliographie).

[3]-Tocqueville, Alexis De : De la colonie en Algérie, Présentation de Tzvetan Todorov.- Bruxelles, Éditions Complexe, 1988.

[4]- Certaines visions de l’histoire glorifient l’action coloniale comme ayant été créatrice de valeurs sur un terrain vierge. Citons entre autres le Général Donop : « …puisque seule de toutes les villes d’Algérie, elle (Sidi-Bel-Abbés) n’a aucun passé historique et que tout y a été crée par des Français avec l’aide de la main-d’œuvre étrangère », p.130.

[5]- Selon la définition donnée par Beaujeu Garnier : Politique et sociale, la formule des « villes nouvelles » s’est répandue dans le monde au cours de ces dernières années. Cette conception correspond à une volonté de faire des cités où la vie de l’homme soit plus facile et plus heureuse : de nouveaux logements, des équipements, des espaces verts », cf. Bibliographie.

[6]- Bastide, Léon : Bel Abbés et son arrondissement. Histoire administrative.- Oran, Imp. Perrier, 1880.- p.p. 18, 20, 22.

[7]-Munoz, Abbé E : Sur les pas du drapeau.- Oran, Les Éditions catholiques, Heintz Frères, 1931.- p.197.

[8]- Benevolo, L. : Op. cité.- p. 316.

[9]- Id..-  p. 319.

[10]- Voir à ce sujet le récent ouvrage de Ainad Tabet Redouane : Histoire d’Algérie, Sidi  Bel-Abbès,  de la colonisation à la guerre de libération en Zone 5- Wilaya V  (1830-1962) avec la collaboration de Tayeb Nehari- Alger, ENAG/Éditions, 1999.- 405 pages.

[11]- Cette localité connut les noms de Daya, Bossuet puis Dhaya après l’indépendance.

[12]- Reutt, Georges : La région agricole de Sidi Bel-Abbés.- Oran, Imprimerie Heintz Frères, 1949.- p.9.                     

[13]- Id.- p. 34.

[14]- Id.- p. 65.

[15]- Bastide, Léon : Op. cité.- p. 24.

[16] Tocqueville, A. De : Op. cité.- p. 94.

[17]- Suggestion de M. Laurence rapportée par de Tocqueville.- p.p. 95-96.

[18]- Tocqueville, A. De: Op. cité.- p.96.

[19]- Id. - p.163.

[20]- 82 km d’Oran et de Dahya, 90 km de Tlemcen, 89 km de Mascara d’après la carte routière Michelin .

[21]- Tocqueville, A. De: Op. cité.- p.163.

[22]- Machiavel : Le Prince suivi de Histoires florentines.- Ouvrage présenté par Omar Lardjane, Alger, ENAG/Éditions, 1989.

[23]- Beaujeu-Garnier, Jacqueline : Géographie urbaine.- Paris, Armand Colin, 1980,  Collection U.- p. 318.

[24]- Tocqueville, A. De : Op. cité.- p.79.

[25]- Tocqueville, A. De : Op. cité.- p.78.

[26]- Cet article a été rédigé à partir de documents rapportés et non d’ originaux.

[27]- Tocqueville, A. De : Op. cité.- p.78.

[28]- Bastide, Léon : Bel Abbès et son arrondissement. Histoire administrative.- Oran, Imp. Perrier, 1880.

[29]- Id.

[30]- Carte donnant le territoire de Sidi-Bel-Abbés à l’échelle 1/80000, datée en 1851 et dessinée par Delpy, rapportée par Bastide, L.: Op. cité.

[31]- La distance approximative est lisible sur  les cartes données à l’échelle.

[32]- La topographie du site est faite de mamelons très doux, aussi la différence de niveaux entre l’endroit du marabout de Sidi-Bel-Abbés (479) et celui de Moulay Abdel Kader (459) est à peine perceptible. Ces deux côtes sont prises de la carte type 1960 au 1/25000.

[33]- Le mot « spahi » vient du  turc sipahi qui veut dire cavalier. Le Larousse en donne la définition suivante : « Cavalier de l’armée française appartenant à un corps crée en 1834, organisé en une “subdivision d’arme ”de la cavalerie en 1841, dont le recrutement était en principe à base d’autochtones de l’Afrique du Nord ».

[34]- Tocqueville, A. De: Op. cité.- p.42

[35]- Id.- p. 93.

[36]- Id.- p.40.

[37]- Adoue, Léon : La ville de Sidi Bel-Abbès, 1927.

[38]- Benevolo, Leonardo : Histoire de l’architecture moderne.- Paris, Dunod, 1987.- p.210.

[39]- Roux, Antoine de : Villes neuves.- Paris, Ed. Rempart, 1997.

[40]- Benevolo, Léonardo :  Op. cité.- p.319.

[41]- Roux, Antoine de : Op. cité, rapporte deux cas de ville neuve dont le but de leur situation était de « barrer » ou de « verrouiller » un site. Il s’agit de Mont Dauphin et de Neuf Brisach en France.- p.p. 32-33.

[42]- Beaujeu Garnier,  J : Op. cité.- p.74.

[43]- Munoz, Abbé E. : Op. cité.- p.52.

[44]- Id.- p.152.

[45]- Tocqueville, Alexis De :  Op. cité.- p.29.

[46]- Plan de Bel Abbès et ses environs, dressé d’après les travaux du Service Topographique par Beuzelin, J.F., ech.1/10000, 1881. Ce plan est rapporté par Bastide, L. : Op. cité.

[47]- Roux, Antoine De :  Op. cité.- p.35.

[48]- Benevolo, L. : Op. cité.- p. 210.

[49]- Id.

[50]-Id.

[51]- Pinon, Pierre : Composition urbaine, II-  Projets, Ministère de l’Equipement du Transport et du Tourisme.- Les Éditions Villes et Territoires, 1994.

[52]- Cette reconstitution se base sur la confrontation de plusieurs documents graphiques historiques. Elle a été élaborée en rapportant les cartes à la même échelle et en les superposant.- Op. cité.

[53]- Adoue, L. :  Op. cité.- p.45. Ces instruments ont été explicitement développés par Pinon, P. : Op. cité.

[54]- Ces instruments ont été explicitement développés par  Pinon, P : Op. cité.

[55]- Beaujeu-Garnier, J. : Op. cité.- p.84.

[56]- Bastide, L. : Op. cité.- p.28.

[57]- Id.

[58]- Le détail de ce programme est donné par Bastide, L.: Op. cité.- p.28.

[59]- Adoue, L. : Op. cité.- p.113.

[60]- Chemin de fer de l’Algérie.- Op. cité.

[61]- Id.

 

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