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Jocelyne Dakhlia, Lingua franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Actes Sud, Paris, 2008

Alger, celui de la Régence, de la course, des captifs et des renégats mais, aussi, celui d’un certain cosmopolitisme désormais révolu, occupe une place de choix dans le dernier ouvrage de Jocelyne Dakhlia dans lequel elle tente, en interrogeant l’histoire de la Méditerranée à l’époque moderne, de suivre les traces d’un phénomène linguistique fascinant pour les historiens et les linguistes, celui de la lingua franca.

Et c’est en historienne que Jocelyne Dakhlia tente de nous éclairer sur cette langue « étrange » au destin très particulier, cet usage langagier qui remet en cause par ses origines, son étendue spatiale et historique, les conditions de sa disparition, la perception contemporaine que nous pouvons avoir des rapports qu’entretiennent les langues avec les notions de territoire et de nation.

C’est que l’irruption de l’Autre dans la rive méridionale d’une manière brutale à travers le rapport colonial qui va cliver les rapports entre les deux rives de la Méditerranée alors même que l’existence de la lingua franca telle que tente de l’appréhender l’auteure dénote en premier lieu l’existence d’échanges intenses dans le Bassin méditerranéen à l’époque moderne et surtout, l’occurrence de ces échanges dans un cadre de plus ou moins grande parité. Et c’est à un excitant et intéressant voyage dans le temps que nous invite Jocelyne Dakhlia qui l’amène à parcourir les rives  méditerranéennes et même celles de l’Atlantique en englobant le Maroc dans ses pérégrinations pour tenter d’appréhender le phénomène d’une « langue à part et langue par excellence du contact avec l’autre, ]qui[  réaffirme une forme de no man’sland de la communication, un entre-deux, un espace liminaire, dans le moment même où elle atteste une communauté de langues et de repères. Il s’agit en cela d’un rapport non identitaire à la langue et dons d’une langue qui ne saurait être de « civilisation » ni même de prestige, conception de la langue fort déroutante pour nous aujourd’hui, mais qui nous aide à discuter l’adéquation entre langue et culture que nous établissons spontanément ».

A l’heure des paroxysmes et des crispations identitaires, l’ouvrage de Jocelyne Dakhlia  vient à point nommé pour remettre les pendules à l’heure  en nous invitant à réviser les idées reçues sur les notions de langue, de métissage, d’échanges et de dialogue avec soi et l’autre car comme elle le dit en conclusion : « Ce que nous enseigne la lingua franca méditerranéenne, c’est qu’il est impossible d’enfermer dans un lieu déterminé, circonscrit, le mélange, la mixité, mais que les processus de fusion ne sont pas non plus irréversibles et ne conduisent en aucun cas à l’absolue dilution des frontières.  Elle nous offre même l’exemple de métissages qui permettraient le maintien de la  différence ou l’assurance, pour ce qu’elle vaut, de la société distincte… En sens inverse, l’histoire de la lingua franca nous aide à relativiser une invocation utopique du métissage comme mode de résolution des conflits, des tensions… A se forger une langue commune, question effectivement essentielle, relative à l’essence de soi et de l’autre, on n’abolit pas d’emblée l’adversité, la conflictualité. On se donne peut-être même les moyens d’entrer plus en avant dans le conflit. De la même façon, la différence et le désaccord peuvent persister dans le lieu même d’une identité commune et métisse. Parler une même langue n’est pas parler d’une même voix. »

Khaoula TALEB IBRAHIMI

 

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