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Paysans, statut foncier et irrigation: exemples dans les Hautes Plaines constantinoises

Insaniyat N°7 | 1999 | Paysans Algériens ? | p. 53-61 | Texte intégral


Peasantry, land statutes and irrigation : examples in the high plains of Constantine Region

Abstract : Contrasting tactics of two small rural communities living in two localities situated in the vicinity of Ain Mlila.
Having different land statutes, the peasants of Fourchi and Ouled Hamla meet constraints, linked to these statutes and to the role exercised by administrative and technical tutelage which have been conditioned in the past, by local cultural system practices. All this explains the bringing into operation of peasant strategies, which take their economic, social and spatial interests into consideration.

Keywords : real estate, Aïn Mlila, farmers, irrigation, plains


Salah Eddine CHERRÀD : Géographe, Institut des Sciences de la Terre, Université de Constantine


Les Hautes Plaines Constantinoises sont de vastes étendues qui s'intercalent entre l'Atlas Tellien et l'Atlas Saharien. Leurs traits sont assez simples puisque ce sont de larges alvéoles qui sont encadrées par de puissants reliefs. Leur caractéristique première est leur platitude. Ces cellules qui s'étalent sur plusieurs dizaines de milliers d'hectares sont vouées essentiellement à la céréaliculture et à l'élevage ovin. L'uniformité du paysage leur confère une certaine monotonie. Cependant quand les conditions naturelles s'y prêtent, celui-ci prend un autre aspect. En effet, l'eau intervient comme élément de rupture. Par sa présence, tout se transforme : paysage, système de production et relation avec la terre... Et dans toutes ces cellules, nous relevons la présence de petites enclaves d'irrigation d'une superficie allant de quelques centaines au millier d'hectares

Ces petits périmètres d'irrigation dont certains sont récents alors que d'autres sont plus anciens sont d'un grand apport au niveau de l'économie locale. Ils sont aussi le siège d'importantes mutations qu'il serait intéressant d'analyser car ils présentent au moins la double particularité d'être d'une part, des flots d'intensification en milieu semi-aride et d'autre part, d'avoir connu une évolution identique à celle du reste de la région.

En réalité, c'est toute la problématique de l'agriculture irriguée en milieu semi- aride qui est posée : problématique de son insertion, de son adaptation et de son évolution. Les paysanneries en place qui pratiquent ce type d'agriculture sont- elles en phase de rupture ou de continuité ? Comment abordent-elles ces mutations ?

Ainsi, nous nous proposons d'analyser quelques paramètres de deux zones irriguées qui se situent dans le même secteur géographique a savoir l'aire d'irrigation de Fourchi qui se trouve dans la commune d'Ain M'lila et la zone irriguée d'Ouled Hamla qui est localisée dans la commune du même nom. Ces petites enclaves sont situées à une soixantaine de kilomètres de Constantine.

Ces deux zones irriguées nous paraissent être représentatives car elles sont l'illustration de deux politiques, de deux modes de gestion et de deux types de relation à la terre totalement différents. En effet le type de propriété de l'eau et celui du foncier sont en totale opposition. Ces deux éléments vont imposer le dispositif technique, commander l'ordonnancement spatial, la taille et la géométrie du parcellaire, l'assiette foncière et finalement le degré ou niveau d'aménagement...

Nous entamerons notre étude par une brève présentation de ces deux zones irriguées, puis par la suite analyser les mécanismes qui les régissent à savoir le foncier, l'irrigation, et les modes d'exploitation en résultant.

1. Le cadre d'étude

Le périmètre de Fourchi qui est doté d'une superficie de près de 600 ha se situe à une demi-douzaine de kilomètres au sud de la ville d'Ain M'lila. C'est une plaine qui correspond à une zone de dépôt quaternaire. Son altitude est de l'ordre de 800 mètres. Parfaitement plane, elle connaît néanmoins des problèmes de drainage des eaux. Les sols sont hydromorphes et salés par endroit en raison de la présence dans les environs d'affleurements triasiques. La plaine est encadrée par deux puissants massifs calcaires que sont le Djebel Guenoun à l'est et le djebel Nif en-Ser à l'ouest. Ils culminent respectivement à 1729 et 1540 mètres. Ces massifs font office de château d'eau. Le climat de la région porte déjà la marque de la continentalité avec des étés chauds (29°) et des hivers froids (7°) Le volume des précipitations recueillies varie entre 350, et 400 mm. Nous sommes en présence d'un bioclimat semi-aride à hiver frais. La grande ressource de cette région est l'eau souterraine qui est exploitée à partir de puits et de forages.

Quant à la zone irriguée d'Ouled Hamla, occupant une superficie de près de 500 ha, elle se situe à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la ville d'Ain M'lila. C'est un vaste couloir qui s'intercale entre le Djebel Meimel au nord-est et le Djebel Teioualt au sud-ouest. Ces derniers culminent respectivement à 1160 et 1285 mètres. Ce couloir dont l'altitude est de l'ordre de 800 mètres est drainé par l'oued El Ouni. Les sols quaternaires sont lourds au centre et légers sur les bordures. Ils ne comportent pas de salinité. Etant donné la proximité de Fourchi, nous sommes en présence des mêmes conditions climatiques. Et là également la ressource hydraulique est présente. Elle est utilisée à partir de forages et de puits.

Le foncier et l'eau vont déterminer les mécanismes et les modalités de mise en valeur, de gestion et d'exploitation de ces petites zones irriguées.

2. Le statut foncier et la propriété de l'eau

Nous sommes en présence de deux types de propriété.

- A Fourchi, les terres sont de statut communal, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à la commune d'Ain M'lila. De ce fait, les agriculteurs n'ont jamais été propriétaires de leur exploitation. Ils ont été successivement locataires du temps du S.A.R (Secteur d'amélioration rurale) et de l'organisme prédécesseur (1958-1971), coopérateurs durant la révolution agraire (1972-1983), membres de collectif pendant la période de restructuration (1984-1987) et exploitants depuis 1988.

Ainsi durant ces quarante dernières années, il y a eu une succession de statuts fonciers (5 en attendant le futur statut) qui ont eu pour effet de mettre en place et de pérenniser un moule particulier, un cadre constant dans lequel évoluent les paysans. Ils demeurent toujours des exploitants sous l'emprise d'une tutelle. Et par conséquent il n'y a eu ni un enracinement profond, ni une déstabilisation radicale de la paysannerie. Les enquêtes ont d'ailleurs montré une ancienneté des exploitants sur leurs parcelles, ce qui traduit une permanence certaine.

A l'instabilité des structures juridiques, a correspondu une relative stabilité des exploitations et surtout celle de leur taille qui a été de l'ordre de 4 ha. Cette superficie a été déterminée par des critères technico-économiques avec la mise en place de l'aire d'irrigation. Et celle-ci a été constamment maintenue durant toutes ces périodes.

Cette constance est donc imputable en grande partie au schéma hydo-agricole. En effet, celui-ci a mis en place les infrastructures nécessaires à la réalisation du projet et a également codifié les relations liant les paysans à la tutelle ainsi qu'à l'environnement para-agricole. Cette situation découle de la nature même de la propriété de l'eau qui appartient à l'Etat (un organisme local en assure la gestion). De ce fait, les paysans ne sont que des utilisateurs moyennant le paiement d'une redevance.

Mais au-delà de cet aspect purement économique, il faudrait surtout relever le fait que l'utilisation de cette ressource, qui s'opère dans le cadre d'une structure officielle, ne se réalise pas en totale liberté par les paysans. La création de l'aire d'irrigation de Fourchi a permis à l'administration d'élaborer et de mettre en exécution des plans de culture précis et cela jusqu'à un passé récent. Cette entité a largement contribué à transformer profondément l'agriculture locale qui est passée de la céréaliculture extensive à une polyculture semi­-intensive.

C'est donc la nature juridique du foncier et de l'eau qui sont les mécanismes générateurs et gestionnaires de l'aire d'irrigation de Fourchi. Qu'en est-il alors pour la zone irriguée d'Ouled Hamla?

- La situation à Ouled Hamla est tout autre car les terres appartiennent dans leur grande majorité au secteur privé. En effet deux douars, à savoir les Guled Belaziz (partie occidentale) et les Guled Hamla (partie orientale), se partagent cette zone. Quant au secteur étatique, héritier des terres coloniales et se localisant dans l'ancien périmètre d'Ouled Hanîla, sa présence est peu importante puisqu'elle est de l'ordre de 20 %. Dans cette zone, ce sont la petite et la moyenne propriété qui dominent (5 à 20 ha) ; ce sont les exploitations sont en général de type familial. La révolution agraire n'a eu qu'un faible impact puisque les terres nationalisées ne représentèrent que près de 10 %.

Ici enracinement des paysans est très profond. Les propriétés sont bien délimitées la capacité de mise en valeur, par le biais de l'irrigation, est tributaire essentiellement de l'épargne familiale. A l'individualisation de la propriété foncière correspond une autonomie de l'utilisation et de la gestion de l'eau. Chaque exploitation ou propriété possède son propre puits d'irrigation. On en compte un peu plus de 120 qui atteignent des profondeurs variant entre 7 et 40 mètres. Sur le plan spatial le schéma est simple puisqu'au niveau de chaque unité, nous avons de petites parcelles irriguées enserrées dans de grandes parcelles cultivées en sec. La superficie de ces dernières se réduit au fur et à mesure que les surfaces irriguées s'étendent. Nous sommes donc en présence d'une grande mosaïque qui évolue en fonction des capacités financières des paysans et des orientations du marché.

3. Les techniques d'irrigation

Elles sont totalement différentes tant par leur procédé que par leur niveau.

- Dans l'aire d'irrigation de Fourchi, nous sommes, présence d'un véritable petit périmètre qui est doté de l'ensemble des équipements. L'eau provient d'un forage profond situé à l'ouest de l'aire d'irrigation. La distribution se fait par gravité car le forage est implanté sur un petit promontoire. Son débit est de 120 1/s. Les canaux d'irrigation se composent d'un canal principal en béton d'une longueur de 5,6 kilomètres qui fait le tour du périmètre. Les canaux secondaires, en béton également, sont aussi des canalisations semi-portées d'une longueur de 21 km. Celles-ci quadrillent l'ensemble du périmètre. type à été choisi en raison de son coût assez bas puisque la canalisation est une demi-buse. En outre, elle ne stérilise pas beaucoup d'espace et elle permet le passage des animaux. Au niveau de la parcelle, l'irrigation se réalise par le biais de ségnias et la technique utilisée est celle de l'ennoyage (système des planches). Quant au réseau de drainage. il se compose d'un grand canal d'une longueur de près de 10 km. alors que les canaux secondaires totalisent environ 20 km.

Dans cette aire d'irrigation, à la modernité des infrastructures et des équipements s'ajoutent la géométrie et la régularité du parcellaires. De petite taille, les îlots ou parcelles ont une superficie de 3 à 4 ha. Elles se présentent sous la forme de lanières globalement orientées nord-sud (sens contraire de la pente).

Ce dispositif a commandé et régi l'ensemble du processus : dès le départ chaque exploitant a disposé dune parcelle en irrigué (2 ha) et d'une parcelle en sec (2 à 4 ha). L'ensemble du périmètre est une répétition de cette norme. On relèvera que l'exploitant se situe à la fin de la chaîne puisqu'il est totalement dépendant et tributaire de l'organisme gestionnaire de l'aire d'irrigation.

- Dans la zone irriguée d'Ouled Hamla, la technique utilisée est toute autre. Chaque exploitant creuse son puits et accroît la superficie irriguée en fonction de ses capacités. De ce fait le processus est simple : au départ on assiste à la création d'un petit jardin familial qui par la suite s'étend progressivement. Ces enclaves irriguées sont de petite taille : 35 parcelles ont une superficie inférieure à 2 ha. 64 parcelles ont une superficie se situant entre 2 et 4 ha et 22 parcelles disposent d'une superficie comprise entre 5 et 9 ha. L'ensemble de la zone nous donne un aspect de mosaïque tant l'enchevêtrement est grand.

Quant à la technique d'irrigation, les fellahs utilisent soit la ségnia traditionnelle soit l'aspersion. Actuellement, c'est cette dernière connaît un grand essor. On relève que l'exploitant bénéficie de la gratuité de l'eau. En outre, il se situe au début de la chaîne du processus. En fait il en est le maître.

Les mécanismes et les modalités ayant été analysés, qu'en est il de la mise en valeur au niveau de ces deux petites cellules?

4. La mise en valeur agricole

L'apport de l'eau s'est traduit évidemment par la modification de l'appareil de production. On est passé d'un système largement caractérisé par l'extensivité (céréaliculture avec jachère) à un système plus intensif fondé sur une polyculture ou à défaut sur une culture dominante. Mais, cette valorisation du potentiel ne fut point identique tant dans son intensité que dans sa continuité.

- Dans l'aire d'irrigation de Fourchi, la salinité des sols qui handicape la généralisation des cultures intensives, a conduit à la mise en place d'une palette de spéculations. Elaborée par les services techniques de l'agriculture, elle fut appliquée par les exploitants. Cette polyculture se composait de cultures spéculatives (maraîchage, fourrages), de cultures vivrières (céréales) ainsi que de spéculations adaptées au milieu physique (tabac). Cette gamine est en fait l'illustration d'un compromis entre les intérêts des fellahs et ceux de l'Etat. Mais, l'analyse diachronique sur ces quarante dernières années nous révèle des évolutions divergentes avec tantôt la rédaction, tantôt l'extension de certaines cultures.

Ce mouvement correspond bien sur aux grandes phases qu'a connues l'agriculture du pays. Si de 1958 à 1962, l'agriculture locale a reposé sur le tabac, les fourrages et la céréaliculture, la période 1963- 1972 (période du S.A.R) a vu la rédaction des superficies consacrées au tabac et aux céréales au profit de celles des fourrages et du maraîchage. De 1973 à 1985 (période de la révolution agraire). les céréales et surtout le tabac reviennent en force alors que le maraîchage se maintient et les fourrages déclinent fortement. Et depuis 1987, 011 assiste à une certaine spécialisation de l'aire d’irrigation le tabac et le maraîchage s'étendent respectivement sur 90 lia et 88 lia soit 39 % et 38 % de la superficie (presque 80% de la superficie irriguée) alors que les céréales sont limités à 38 lia soit 17 % et surtout les fourrages sont complètement marginalisés avec 14 ha soit 6% de la superficie.

Ces évolutions ne sont pas imputables uniquement aux directives des services locaux de l'agriculture qui elles-mêmes sont la projection d'orientations provenant de niveaux supérieurs, mais au fait que la superficie équipée n'a jamais été totalement mise en eau. Le décalage est grand entre celle-ci et la superficie réellement irriguée. Des 575 ha initialement équipées, seulement 360 ha en libyenne furent irriguées. Les causes sont multiples et l'on y reviendra. Durant les derrières campagnes, la superficie irriguée a oscillé entre 210 ha et 230 ha soit moins que la moitié de l'aire d'irrigation.

 Exemple d'exploitations dans l'aire d'irrigation de Fourchi

Exploitations

Superficié total (ha)

Spéculations

Spéculations

En Sec (ha)

élevage

Origine de l'irrigation

Main d'œuvre

 

 

Tabac

Marâich

Céréales

Céréales

 

 

 

Exploi.1

6

2

1

2

1

oui

puits

familiale

Exploi.2

6

1

1

2

2

oui

puits

familiale

Exploi.3

4

-

4

 

-

-

puits

familiale

Exploi.4

3

1.5

1.5

 

-

-

 

1 saison

Exploi.5

6

3

3

 

-

oui

puits

2 saisons

Exploi.6

4

4

-

 

-

-

Tech

familiale

Exploi.7

12

4

6

2

-

oui

puits

2 saisons

Exploi.8

5

3.5

1.5

 

 

-

puits

familiale

 Exemple d'exploitations dans l'aire d'irrigation de Fourchi

Exploitations

Superficié total (ha)

Spéculations irriguée (ha)

Spéculations

En Sec (ha)

élevage

Origine de l'irrigation

Main d'œuvre

 

 

Tabac

Marâich

Céréales

Céréales

 

 

 

Exploi.1

17

1.5

6.5

2

7

non

puits

Familiale=5saisons

Exploi.2

18

-

6

6

6

oui

puits

Familiale 4 saisons

Exploi.3

14

1.5

3.5

9

-

oui

puits

familiale

Exploi.4

19

-

4

6

9

oui

puits

familiale = 3 saisons

Exploi.5

10

-

8

 

2

non

puits

familiale

 Cette diminution de la superficie irriguée s'est traduite par une baisse du niveau de la production ainsi que celle des rendements. Ainsi, le rendement du maraîchage atteint péniblement les 50 q/ha, alors que celui des céréales stagne autour de 11 q/ha. Seul le tabac fournit un rendement acceptable avec une moyenne de 12 q/ha.

C'est finalement un retour vers l'extensif qui s'opère et cette tendance se confirme par la présence de la jachère (près de 50 ha) dans l'aire d'irrigation. Dans le paysage, ce mouvement est nettoient visible puisque désormais, des parcelles irriguées jouxtent des parcelles en sec et en jachère.

- A Ouled Hamla, c'est la situation inverse qui se présente : l'irrigation s'étend progressivement et s'accompagne d'une modification de l'appareil de production. De quelques dizaines d'hectares à la fin des années soixante, la superficie irriguée compte désormais près de 500 ha. C'est le maraîchage (pomme de terre, oignon, poivron..) qui occupe la place la plus importante (également en raison de la nature des sols) avec 350 ha soit 73 % de la superficie irriguée. Il est la spéculation dominante. En seconde position, arrivent les céréales avec 120 ha soit 25% de la superficie. Quant au tabac, il n'occupe que 5 ha car les sols ne s'y prêtent pas. Les rendements obtenus sont assez appréciables : ils varient pour la pomme de terre entre 100 et 120 q/lia et pour l'oignon entre 70 et 90 q/ha. Quant aux céréales, leur rendement est de l'ordre de 12 q/ha.

Ce choix qui repose sur une spéculation dominante (environ 300 ha pour la pomme de terre) prend l'aspect d'une monoculture. Il s'explique par le fait que cette zone et limitrophe à celle de Téleghma qui est une grande zone productrice de cette spéculation. Par contre, la présence des céréales est plutôt à mettre en rapport avec celle du cheptel ovin. Elles sont destinées à son alimentation car dans toute la région l'élevage, autre activité traditionnelle, s'est maintenu.

Cette mutation de l'extensif vers l'intensif s'est réalisée progressivement et au rythme de la propriété individuelle ou de l'exploitation. Néanmoins, la tendance s'est fortement accentuée à partir du début de la décennie actuelle.

5. Les stratégies paysannes

Si le diagnostic a révélé la présence de deux entités presque diamétralement opposées, c'est en raison d'un autre paramètre que l'on ne peut occulter. L'élément humain en est responsable.

Le résultat est d'un côté une mise en valeur apparemment bloquée et de l'autre, une mise en valeur en progression. Dans les deux cas, nous avons affaire à une petite paysannerie aux effectifs réduits (une centaine), c'est-à-dire de petits exploitants ou de petits propriétaires. Mais ceci est leur point commun unique avec bien sûr, un même système de production extensif à l'origine.

- A Fourchi, l'opération de mise en valeur s'est réalisée dans un cadre étatique et technique Les paysans, n'étant que de simples exploitants, devaient s'insérer dans la stratégie établie par les services techniques. Mieux encore, ils réalisèrent les plans de production successifs qui contenaient des spéculations qui ne les intéressaient pas toujours. Pourquoi ont-ils accepté ? Quels avantages en ont-ils tiré?

En réalité, jusqu'à la fin de la décennie 1980, ils adoptèrent une stratégie de compromis qui a consisté à se maintenir “physiquement ” sur l'aire d'irrigation et les enquêtes ont montré l'ancienneté des exploitants. Ainsi, ils se moulèrent dans les combinaisons organisationnelles successives (attributaires formant 8 coopératives durant la révolution agraire, membres de 4 unités regroupées durant la période de restructuration ). Mais l'une des raisons de leur maintien est que dans la palette de production proposée, se trouvent deux spéculations intéressantes, à savoir le maraîchage et le tabac. Mais, c'est ce dernier qui est très rémunérateur. Pour preuve, au début des années 1980, des séchoirs à tabac furent construits en signe d'encouragement. Actuellement livré à 8500 DA le quintal, il rapporte près de 10 millions de DA aux producteurs. Si l'on y ajoute la valeur des autres produits, cette aire générerait un revenu deux fois supérieurs.

Cette stratégie du compromis n'avait pas que des inconvénients pour les paysans, elle comportait aussi des avantages. Ils ont bénéficié de logements neufs construits dans le cadre d'un village socialiste. Situé sur les premières hauteurs qui dominent l'aire d'irrigation, il est de création “ex-nihilo”. Il compte 120 logements et des équipements socio-éducatifs. Mais l'élément essentiel à relever est que ce village n'a pas été proposé à la construction, Si l'on se réfère au document intitulé “ Carte d'hypothèse d'implantation des villages socialistes de la Wilaya de Constantine, 1974” qui est le document de référence pour l'implantation des villages socialistes. Ce sont donc les autorités locales qui sont à l'origine de cette initiative exceptionnelle. Mais durant la décennie actuelle et plus précisément depuis ces dernières années, les exploitants ont adopté une nouvelle stratégie. Celle-ci est une stratégie de rupture qui accorde la primauté à l'intérêt individuel.

Cette stratégie consiste à contourner essentiellement les deux mécanismes générateurs de l'ensemble de ce processus à savoir l'eau et le foncier. Et ceci aura forcément des répercussions sur l'appareil de production. La rupture avec les services de l'irrigation s'est traduite par le forage, de puits dans l'aire d'irrigation. En 1997, on en dénombrait déjà une vingtaine, ce qui veut dire que cette initiative n'est pas un cas isolé, mais elle intéresse déjà le cinquième des exploitants. La raison majeure invoquée par les fellahs est la cherté du prix de l'eau qui est passé de 0,6 DA m3 au début des années 1990 à 1,2 DA m3 en 1997. Cette liberté d'action, strictement interdite au regard des textes régissant le fonctionnement de l'aire d'irrigation, s'explique également par le reflux de l'autorité, des pouvoirs... En disposant de leur propre ressource hydraulique, ces fellahs sont devenus autonomes et par conséquent ils réalisent leur propre mise en valeur en irriguant la totalité de leur exploitation. Mais cet objectif n'est pas le seul justificatif de ces investissements. En effet, au-delà de cette perspective, il s'agit de contourner le second mécanisme qu'est le foncier.

La réorganisation opérée à partir de 1987 a scellé définitivement la structure coopérative puisque tous les fellahs ont opté pour l'individualisation de l'exploitation (E.A.l.). Et cette atomisation qui date depuis une décennie a finalement engendré un marché locatif des terres. Tous ces exploitants investisseurs louent des terres et de ce fait se constituent un capital foncier virtuel qui les sert au mieux de leurs intérêts. Ainsi, faute d'acquérir des terres, ils agrandissent leur exploitation.

En se défaisant de ces deux contraintes et donc de la tutelle, ils ont modifié la structure de la production agricole locale en l'orientant plus vers le tabac et le maraîchage qui sont des productions hautement spéculatives. Mais, dans cette nouvelle stratégie un élément risque à moyen terme de tout remettre en question : la salinité des eaux provenant des puits.

Quant à la zone irriguée d'Ouled Hamla, la stratégie des propriétaires consista d'abord à geler les investissements durant la période de la révolution agraire pour éviter les mesures de nationalisation intégrale ou partielle. Par la suite, c'est à dire à la fin de la décennie 1980, ces propriétaires se sont investis dans l'agriculture irriguée en se spécialisant dans la production de la pomme de terre qui leur assure un revenu de l'ordre de 30 millions de DA. Et ce choix n'est pas fortuit car cette zone est limitrophe à une autre zone de production (Téleghma) nettement plus importante, produit de grande consommation, la pomme de terre a ici mi-avenir certain.

En conclusion de cette brève analyse sur une petite paysannerie aux effectifs réduits, on retiendra qu'à Fourchi, les pesanteurs exercées par la tutelle ont été importantes et pour s'en défaire les paysans ont mis au point des stratégies de rupture. C'est la fin d'un cycle, mais. par contre. le nouveau n'est pas encore au point étant donné l'étroitesse de la marge de progression de la mise en valeur. Dans ces conditions, quel sera le devenir de cette petite paysannerie, longtemps assistée, une fois que la privatisation des terres sera une réalité ?

A Ouled Hamla, la situation est toute autre car les propriétaires fonciers sont au début d'un cycle d'intensification avec l'extension de l'irrigation. S'ils disposent d'une marge de progression assez importante, par contre deux types d'obstacle peuvent se présenter ; d'une part le foncier car ces terres privées non titrées sont encore l'objet de multiples litiges entre ayants droit et d'autre part l'accès au crédit. En effet, jusqu'à présent la majorité des propriétaires ont réalisé leurs investissements sur fonds propres (épargne familiale, transfert des émigrés...).

Bibliographie

COTE, M. .- Mutations rurales dans les Hautes plaines de l'Est algérien.- Alger, OPU. 1977.

GUENICHE, M.; ATHMANE, O..- Les transformations rurales dans la commune de Téleghma (Wilaya de Mila).- Mémoire d'ingéniorat en géographie, Université de Constantine, 1994.

FENNOUR, M..- Le secteur agricole dans la commune d'Ouled Hamla (Wilaya d'Oum EI-Bouaghi).- Mémoire d'ingéniorat en géographie, Université de Constantine, 1994.

BENHARKOU, S. ; BOUTI, S. ; LAAGOUN, N..- Les périmètres irrigués de Fourchi et Ouled Hamla.- Mémoire d'ingéniorat en géographie, Université de Constantine , 1997.

Divers documents: APC, Services de l'agriculture.

Cartes topographiques: Ain M'lila, Oued Athménia, Ain Fakroun au 1/50.000e. Photographies aériennes : 1/20 000. Missions 1972 et 1984.

 

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